« …

Voies et moyens de communication, justice avec la police intérieure et l’Assistance publique, relations extérieures avec la Guerre, la Marine et les Colonies, instruction publique avec les Beaux-Arts et les Cultes, protection du travail, voilà ce qu’un citoyen de notre temps attend de la nation dont il fait partie. Ainsi, sans faire appel aux théories spécieuses des écoles, en se servant seulement de son bon sens et des idées banales qu’il entend tous les jours exprimer, il a reconstitué les administrations de son pays ; il peut chercher ; s’il n’est pas un constructeur de cités de rêve, il ne trouvera rien de plus.

Peu lui importent d’ailleurs les modalités administratives sous lesquelles les services lui seront rendus et les circonscriptions dans lesquelles se cantonneront les agents auxquels il s’adressera.

C’est toujours au nom de la nation que ces agents exécuteront les services, conséquences de la vie en société ; les mérites et les inconvénients des circonscriptions dépendent uniquement de la façon dont le service est rendu.

Nous sommes cependant portés à croire qu’il existe deux groupements naturels : la nation à laquelle on appartient, la commune où l’on vit, et qu’à chacun de ces deux groupements correspondent normalement des manifestations différentes de la vie sociale.

La commune est en effet une agglomération naturelle ; chacun sait la place qu’elle a tenue dans la formation de la France et en 1 789, la Constituante a maintenu les communes avec leurs territoires.

À la réflexion, la commune perd singulièrement de son importance.

Avec la mobilité actuelle des hommes, elle n’est qu’une circonscription administrative naturellement désignée pour certains devoirs et certains bénéfices de l’état social. Il ne faut plus y chercher le fondement d’une solidarité restreinte au coin de terre où l’on vit. Elle fut peut-être l’embryon de la patrie ; mais les horizons se sont étendus et chaque homme voit au-delà de son beffroi. La commune n’est plus qu’un moyen d’organiser, sous le contrôle de la nation, avec les gens qui sont un instant nos voisins, l’application de certains objets de la vie sociale. À aucun moment, elle ne doit opprimer la vie individuelle et devenir la forteresse de l’ignorance ou de la passion.

Eh ! que faites-vous de la vie locale ? Consiste-t-elle donc à dépendre de l’arbitraire ou de l’incapacité d’un maire, à boire de l’eau croupie, à attraper la fièvre typhoïde, à patauger le soir dans les fondrières de ruelles obscures, à entasser les enfants dans des écoles malsaines, à leur donner des chantres ou des savetiers comme instituteurs ? Je connais un chef-lieu de département où les robinets des fontaines publiques sont ouverts, pendant l’été, une heure le matin, une heure le soir et où les affiches interdisent de se servir de l’eau pour tout autre usage que celui de l’alimentation. Les rues sont sales et la fièvre y règne en permanence. Cependant des monuments peu utiles, construits aux frais des contribuables, s’élèvent sur toutes les collines d’alentour. Est-ce cela la vie locale ? Peut-on admettre que les Français, conduits par leurs obligations, leurs affaires ou même leurs plaisirs à habiter telle ville ou tel bourg, y soient les victimes des rancunes, des jalousies, de l’ignorance, de la négligence des prétendus représentants de cette vie locale, et qu’une majorité d’imbéciles et d’incapables contraigne la minorité à une vie de sauvages !

Ce n’est pas trop de la puissance de la nation pour triompher de l’inertie et du mauvais vouloir des administrations locales ; sans son action, elles seraient généralement impuissantes à réaliser le minimum de bien-être que les hommes civilisés exigent aujourd’hui ; il est vrai que la proportion des sauvages, même dans une grande nation, est encore fort importante.

Le groupement communal n’a donc pas la valeur que nous sommes disposés à lui attribuer ; il ne peut exister que sous le contrôle incessant de la nation ; ce contrôle est une condition non seulement de force mais d’existence même de la nation. Le morcellement de celle-ci en une foule de petites sociétés autonomes, auxquelles on essaierait vainement de donner une vie factice en leur reconnaissant des intérêts distincts et bientôt en conflit, irait à l’encontre du grand mouvement d’unification des temps modernes.

La lente constitution de la France ne tend pas à autre chose qu’à cette organisation rationnelle de la puissance de la nation. À travers quel apparent chaos d’organismes provisoires ! Peu importe : en ce moment même où tant d’institutions semblent désorganisées par la politique, le mouvement s’accentue. Il est inévitable comme la substitution de la grande industrie à la petite. Toutes ces administrations locales jusqu’ici si imparfaites, si ignorantes, si peu soucieuses de leur mission et des intérêts de leurs commettants en prennent une conscience plus avisée, s’associent, se fondent, sous un contrôle de plus en plus actif et de plus en plus nécessaire de la nation, dont elles ne sont qu’une fragmentation provisoire.

Entre la commune, circonscription administrative naturelle, et la nation, réalisation pratique de la société humaine, se placent toutes les circonscriptions administratives imaginées par les peuples ; provinces, comtés, départements, districts, cercles, arrondissements, cantons, etc.

Ces divisions sont nécessaires d’une nécessité très banale ; pour administrer un territoire, il faut fixer des circonscriptions aux administrateurs et grouper par régions certains intérêts. Aucune autre règle que les nécessités des services ne dicte l’étendue et la superposition de ces circonscriptions. Elles doivent toujours correspondre à l’état des communications et aux simplifications du progrès. Il est paradoxal de les vouloir maintenir au temps des rapides et du téléphone comme au temps des diligences Laffitte et Caillard et du télégraphe aérien de M. Chappe dont la fâcheuse image encombre le carrefour cher à madame de Staël.

Les inconvénients actuels de nos circonscriptions administratives sautent aux yeux. Le fétichisme avec lequel nous les maintenons ne s’explique que par la routine administrative et plus encore par l’avidité des intérêts locaux mal compris. Il est archaïque de considérer le canton, l’arrondissement, le département comme trois cercles dans lesquels l’administration tournera éternellement.

Mais il serait excessif de croire qu’une nouvelle révolution est nécessaire pour mettre au point les choses.

Telles qu’elles sont, nos circonscriptions administratives existent depuis un siècle. Leur vice vient de notre esprit qui les veut immuables ; assouplissons-les dans chaque cas, pour les remettre à la mesure du temps présent et laissons à chaque administration le soin d’en tirer l’utile et d’en rejeter le nuisible. Que le département, l’arrondissement, le canton soient maintenus pour certains services et ne le soient pas pour d’autres, où serait le mal ? Les différents services n’ayant ni la même étendue, ni le même objet, logiquement les cadres et les divisions ne doivent pas être les mêmes.

… »

Tags :
    
© 2023 CNFPT