La Cour de Justice de l’Union européenne et les recours juridictionnels devant les instances judiciaires de l’UE

Modifié par Julien Lenoir le 27 septembre 2018

Par BAUBY Pierre, président de RAP (Reconstruire l’action publique), membre du Conseil scientifique d’Europa et Mihaela M. Similie (Popa) , chercheur
Dernière mise à jour : janvier 2017

1. La Cour de justice de l’UE

Les principes de la primauté du droit européen, de l’effet direct et d’application immédiate permettent aux justiciables d’invoquer devant le juge national les textes de droit de l’Union européenne. Celui-ci peut ainsi être amené à écarter des dispositions du droit interne ou à réparer les dommages produits par une violation du droit communautaire. Le juge national est le juge de droit commun dans l’Union européenne. L’article 19 TUE prévoit dans son premier paragraphe l’obligation pour les Etats membres d’établir les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’UE.

Toutefois, pour assurer le respect du droit européen, une interprétation et une application uniforme, pour garantir la légalité des actes des institutions européens et le respect des obligations incombant aux institutions de l’UE et aux Etats membres, les traités européens ont crée dès l’origine un système judiciaire propre aux Communautés européennes et à l’Union européenne.

1.1. L’ordre judiciaire de l’UE

Initialement, une seule instance a été instaurée pour assurer la mise en œuvre et le respect juridictionnel du droit communautaire, la Cour de justice, commune aux trois Communautés, avec son siège à Luxembourg.

Le comité Spaak II a proposé dans son rapport au Conseil européen des 29-30 mars 1985 que la Cour de justice soit « allégée de manière appropriée de tâches qui lui incombent en matière de conflits entre fonctionnaires et institutions ». En ce sens, l’Acte unique européen a amendé les trois traités communautaires et a permis au Conseil, sur demande de la Cour de justice et après consultation de la Commission et du Parlement européen, de joindre à la CJCE une juridiction chargée de connaître en première instance, sous réserve d’un pourvoi porté devant la Cour, limité aux questions de droit, de certaines catégories de recours formés par des personnes physiques ou morales (art. 11 AUE).

Le Tribunal de première instance a été crée par décision du Conseil du 24 octobre 1988 et a été inséré dans le droit primaire par le traité de Maastricht (art. 168A). Le traité n’a pas prévu le nombre des juges du Tribunal.

L’accroissement de contentieux spéciaux a conduit à l’introduction par le traité de Nice des bases juridiques pour la création d’instances spécialisés ce qui a conduit et par la suite à la création par la décision 2004/752 du 2 novembre 2004 du Tribunal de la fonction publique.

Le traité de Lisbonne a consacré l’ensemble de l’institution judiciaire de l’UE sous l’appellation de « Cour de Justice de l’Union européenne » qui « comprend la Cour de justice, le Tribunal [ancien Tribunal de première instance] et des tribunaux spécialisés [le Tribunal de la fonction publique] » (art. 19§1 TUE). Il prévoit que la création des tribunaux spécialisés se réalise désormais selon la procédure législative ordinaire avec co-décision à la majorité qualifiée et non plus à l’unanimité. Le protocole n°3 sur le statut de la Cour de justice de l’Union européenne régit le statut des juges et des avocats généraux, l’organisation et la procédure devant la Cour de justice, ainsi que des dispositions concernant le statut du Tribunal, des tribunaux spécialisés et, dans l’annexe I, du Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne.

1.2. Les missions des juridictions de l’UE et la règle de répartition des compétences

La CJUE s’est vue confier la tâche d’assurer « le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités » (art. 19 TUE).

Elle contrôle la légalité des actes des institutions de l’UE au regard des sources du droit de l’UE, assure le respect par les Etats des obligations imposées par le droit européen et sanctionne les éventuels manquements, interprète les normes européennes, fait appliquer uniformément le droit de l’UE et sanctionne les violations. En cela, la CJUE doit aussi assumer le rôle de dire le droit, de poser des normes et principes permettant de résoudre un conflit juridique. En tant que source de droit, la jurisprudence de la Cour de justice a une contribution importante dans le développement du droit européen.

La Cour de justice est compétente pour juger les questions préjudicielles adressées par les juridictions nationales, à l’exception de celles qui en vertu du statut sont laissées à la compétence du Tribunal et à assurer le contrôle de légalité préventif des accords internationaux. Dans cette dernière matière, l’art. 218§11 TFUE permet à la Cour d’émettre un avis sur la compatibilité d’un accord avec les dispositions du traité, suite à la demande d’un Etat membre, du Parlement européen, du Conseil ou de la Commission. Si l’accord fait l’objet d’un avis négatif il ne peut entrer en vigueur qu’au prix d’une révision des traités ou d’une modification de l’accord.

Le traité de Lisbonne a élargi les domaines de la compétence de la Cour de justice de l’UE, qui se voit confier une compétence préjudicielle générale dans le domaine de l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Ainsi, le domaine de la police et de la justice pénale entre dans le droit commun et les juridictions nationales peuvent saisir la Cour de justice. Toutefois, cette pleine compétence sera applicable seulement cinq ans après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. En ce qui concerne les visas, l’asile, l’immigration et les autres politiques concernant la circulation des personnes, en particulier la coopération judiciaire en matière civile et la reconnaissance et l’exécution des jugements, la Cour peut être saisie non seulement pas les juridictions nationales supérieures mais par toute juridiction nationale et elle peut se prononcer sur des mesures d’ordre public dans le cadre des contrôles transfrontaliers.

En matière de politique étrangère et de sécurité commune (PESC) la Cour acquiert des compétences en deux matières : pour contrôler la délimitation entre les compétences de l’Union et la PESC (art. 40 TUE) et pour connaître les recours en annulation contre les décisions prévoyant des mesures restrictives du Conseil à l’encontre des personnes (art. 275 TFUE).

Le Tribunal dispose d’une compétence de principe pour connaître, en première instance, des recours en annulation, en carence, en réparation et des recours formés sur la base d’une clause compromissoire établie par contrat (art. 272 TFUE). Sont exclus de sa compétence les recours qui sont attribués à un tribunal spécialisé et que le statut réserve à la Cour de justice. Ses décisions peuvent faire l’objet d’un pourvoi devant la Cour de Justice. Le Tribunal est également compétent pour connaître des recours qui sont formés contre les décisions du Tribunal de la fonction publique.

La juridiction communautaire exerce sa compétence sur la base d’une demande dont elle est saisie. L’accès à la justice communautaire est ouvert aux Etats, aux institutions de l’Union, ainsi qu’aux personnes morales de droit privé et aux personnes physiques, dans des conditions plus ou moins strictes.

Les arrêts de la CJUE sont obligatoires et exécutoires sur le territoire des Etats membres. Il en est de même pour les arrêts portant condamnation au paiement d’amendes ou d’astreintes qui son exécutoires de plein droit contre les entreprises sans qu’un exequatur soit nécessaire.

1.3. La composition des juridictions. La sélection et le statut des juges

En vertu des dispositions de l’article 19§2 TUE, la Cour de justice est composée d'un juge par État membre et est assistée d’avocats généraux, qui sont au nombre de huit. Le nombre d’avocats généraux peut être augmenté par décision unanime du Conseil sur la base d’une demande de la Cour (art. 252 TFUE). Parmi les huit avocats généraux, cinq avocats généraux permanents ont été attribués à l’Allemagne, la France, l’Italie, l’Espagne et au Royaume-Uni ; les trois autres sont attribués selon un système de rotation aux autres États membres.

Le Tribunal compte au moins un juge par État membre. Le nombre des juges du Tribunal est fixé par le statut de la CJUE, qui peut prévoir que le Tribunal est assisté d’avocats généraux (art. 254§1 TFUE).

Le nombre des juges des tribunaux spécialisés est établi pas leur statut.

Les juges et les avocats généraux de la Cour de justice et les juges du Tribunal sont choisis parmi des personnalités offrant toutes garanties d'indépendance et réunissant les conditions visées aux articles 253 et 254 TFUE. Ils sont nommés d'un commun accord par les gouvernements des États membres pour six ans. Un comité est institué afin de donner un avis sur l'adéquation des candidats à l'exercice des fonctions de juge et d'avocat général de la Cour de justice et du Tribunal avant que les gouvernements des États membres ne procèdent aux nominations. Le comité est composé de sept personnalités choisies parmi d'anciens membres de la Cour de justice et du Tribunal, des membres des juridictions nationales suprêmes et des juristes possédant des compétences notoires, dont l'un est proposé par le Parlement européen (art. 255 TFUE). Les juges et les avocats généraux sortants peuvent être nommés de nouveau. L’article 253 TFUE prévoit qu’un renouvellement partiel des juges et des avocats généraux a lieu tous les trois ans dans les conditions prévues par le statut de la Cour de justice de l'Union européenne.

Le traité de Lisbonne consacre la procédure législative ordinaire pour la modification du statut de la CJUE. Toutefois, le statut des juges et des avocats généraux, ainsi que le régime linguistique de la Cour restent soumis à la règle de l’unanimité.

La Cour de justice établit son règlement de procédure. Le Tribunal et les tribunaux spécialisés établissent leur règlement de procédure en accord avec la Cour de justice. Ces règlements sont soumis à l'approbation du Conseil.

Les avocats généraux ont le même statut que les juges. Ils expriment leur opinion à la fin de l’audience. Cette opinion ne lie pas les juges et les parties ne peuvent pas y répondre.

2. Les recours juridictionnels devant les instances judiciaires de l’UE

La Cour de justice de l’UE « assure le respect du droit dans l’interprétation et l’application du traité ». Elle réalise sa mission par ses fonctions consultatives et juridictionnelles. Ces dernières représentent l’essentiel des compétences qu’elle exerce.

Le système de voies de recours repose sur deux volets : les recours devant le juge national, qui est considéré juge de droit commun, et les recours devant le juge communautaire. La compétence du juge communautaire est attribuée par le Traité. Plusieurs recours directs peuvent être portés devant la Cour de justice : le renvoi préjudiciel, le recours en manquement, le recours en annulation, le recours en carence, le recours en responsabilité ou indemnité.

2.1. Le renvoi préjudiciel et la question préjudicielle (art. 267 TFUE)

Le renvoi préjudiciel est l’un des principaux mécanismes par lequel se réalise la coordination entre l’ordre juridique européen et les ordres juridiques nationaux. Cette procédure suppose l’invocabilité du droit de l’UE devant le juge national, qui, dans le cadre d’un litige dont il est saisi, peut suspendre la procédure et demander a la CJUE si l’acte adopté par les institutions de l’Union est valable et/ou comment cet acte et les traités de l’Union doivent être interprétés.

C’est une procédure très importante dans la construction de la jurisprudence et du droit européens, qui représente plus de la moitié des arrêts rendus par la Cour de justice de l’UE, qui a une compétence générale en la matière.

Chaque Etat membre prévoit les modalités de renvoi des questions préjudicielles à la CJUE. Celle-ci y répond par un arrêt, mais qui n’est pas destiné à régler un litige. L’arrêt de la CJUE est une étape dans une procédure juridictionnelle plus large qui commence et s’achève devant une juridiction nationale.

Le renvoi préjudiciel vise à aider les juridictions nationales à connaître et appliquer le droit communautaire et à garantir une interprétation uniforme du droit de l’Union, l’unité de l’ordre juridique de l’Union. Cette procédure permet également aux ressortissants de l’Union de s’opposer à des actions des Etats membres qui sont contraires à la législation de l’Union et d’obtenir l’application de la législation de l’Union devant les tribunaux nationaux.

La recevabilité du renvoi préjudiciel est appréciée par la CJUE sous les aspects suivants :

  1. le recours devant la juridiction nationale doit être réel, son objet doit être en relation avec le droit de l’UE et soulève un problème d’interprétation ou de validité d’une norme juridique des institutions, organes ou organismes européens dont la solution est nécessaire pour résoudre le litige ; le « recours » est représenté par toute voie de droit permettant de contrôler les aspects de fait ou de droit (appel) ou seulement de droit (cassation) mais n’inclut pas les voies ordinaires ayant des effets limités ou spécifiques (telle que la révision).
  2. l’auteur de la question préjudicielle peut être seulement une juridiction nationale dans l’exercice de ses fonctions juridictionnelles (instances du système judiciaire, cour constitutionnelle, autres autorités publiques juridictionnelles). La qualification d’un organe comme étant une juridiction se réalise sur la base d’une série de critères de droit européen : l’origine légale, la permanence, le caractère obligatoire, la procédure contradictoire, le pouvoir propre de décision exercé indépendamment et impartialement, l’application des règles de droit, les membres nommés par l’Etat, la portée de ses décisions (effet de droit) et le lien avec l’autorité publique.
  3. les catégories de renvois : en interprétation des traités ou en appréciation de la validité d’une norme européenne et d’interprétation des actes européens ; dans ce deuxième cas, on peut indirectement autoriser une juridiction nationale à écarter une norme européenne ;
  4. le type d’actes qui peut être déféré recouvre tout acte de droit européen qui produit des effets généraux ou individuels dans les Etats membres ; les dispositions de droit national ne peuvent pas faire l’objet d’un renvoi préjudiciel.
  5. la formulation de la question doit se faire de manière à ce que la réponse ne solutionne pas le litige sur le fond mais qu’elle soit utile au regard de la question posée et du litige qui la sous-tend ; la question ne doit pas être purement hypothétique, mais doit comporter une description suffisamment claire et détaillée des points de fait et de droit de la procédure initiale.

Suite à la saisie de la question préjudicielle, la Cour de justice procède à la notification de la décision introductive d’instance aux Etats membres, à la Commission européenne, aux parties, qui ont deux mois pour déposer leur mémoire ou des observations écrites.

La décision de la CJUE prend la forme d’un arrêt qui est publié dans toutes les langues officielles de l’UE. Elle a un effet rétroactif et lie la juridiction qui a adressé la question préjudicielle et les autres tribunaux concernés par le litige. L’arrêt s’incorpore dans l’ordre juridique européen mais n’a pas un effet opposable à tous (erga omnes). En pratique, ces arrêts ont souvent valeur de précédent pour des procédures similaires.

Une procédure préjudicielle d’urgence est entrée en vigueur le 1 mars 2008 bénéficiant de plus brefs délais dans le cas où elle est soulevée dans une affaire pendante concernant une personne détenue.

Il revient au tribunal national d’apprécier l’opportunité de soumettre une question préjudicielle à la CJUE, dans la mesure où elle est importante pour la solution du litige. Toutefois, la juridiction nationale est obligée de renvoyer la question lorsqu’elle statue en dernier ressort (sauf si la réponse est évidente et qu’il n’existe aucun doute raisonnable quant à la réponse à la question qui aurait dû être posée - théorie de l’acte clair), et lorsqu’elle a un doute sérieux sur la validité d’une norme communautaire, la CJUE étant la seule compétente pour rejeter les dispositions de l’Union frappées d’invalidité. Les juridictions nationales doivent appliquer et respecter les dispositions de l’Union tant que la Cour de justice n’a pas reconnu leur invalidité, sauf dans le cadre d’une procédure de protection juridique provisoire quand les tribunaux nationaux peuvent, sous certaines conditions, suspendre la mise en oeuvre d’actes administratifs nationaux découlant d’un règlement de l’Union ou prendre des mesures provisoires afin de statuer préalablement sur des situations ou relations juridiques litigieuses sans tenir compte d’une disposition juridique de l’Union.

La violation de l’obligation d’introduire une demande préjudicielle peut entraîner l’ouverture d’une procédure de recours en manquement. En outre, en vertu du principe de la responsabilité des États membres en cas de violation du droit de l’UE, les personnes peuvent introduire une action en réparation pour des dommages susceptibles de découler du non-respect par l’Etat membre de son obligation d’introduire une demande préjudicielle.

2.2. Le recours en manquement (ou d’infraction aux traités) (art. 258 TFUE)

Ce recours est fondé sur une prétendue violation des obligations qui incombent aux Etats membres en vertu des traités. Il est du seul ressort de la Cour de justice.

Les conditions de recevabilité du recours en manquement tiennent à :

  • la qualité de l’auteur du manquement (un Etat membre au sens large),
  • la nature du manquement (le non respect du droit de l’UE par une action ou une carence) et
  • la personne du requérant (la Commission européenne ou un Etat membre ou la Banque européenne d’investissements pour l’exécution des obligations des Etats membres résultant des statuts de la BEI et le conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne à l’encontre des banques centrales nationales).

Le droit européen ne prévoit pas un délai de recours, sauf pour ce qui concerne les mesures relatives à la coopération policière et judiciaire en matière pénale prises avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne vis-à-vis desquels la Commission peut introduire un recours en manquement à l’issue d’une période de 5 ans.

Etant donnée la gravité du grief, ce recours est précédé d’une phase administrative visant à persuader l’Etat de redresser son comportement. Dans cette phase la procédure est conduite par la Commission européenne, qui, dans une démarche précontentieuse, adresse d’abord des demandes d’information à l’Etat membre. Par la suite, la procédure formelle s’ouvre avec une lettre de mise en demeure adressée par la Commission à l’Etat membre. Celui-ci se voit octroyer un délai raisonnable pour répondre aux accusations dont il fait l’objet et saisir la Commission pour un avis. La Commission dispose de trois mois pour rendre l’avis. L’Etat membre peut lui adresser des observations. L’avis de la Commission doit être motivé et doit indiquer les mesures à prendre par l’Etat membre pour se conformer à ses engagements. Dans la phase contentieuse, cet avis lie l’argumentation de la Commission qui a la charge de la preuve devant la Cour de justice.

Si cette procédure administrative ne conduit par au redressement attendu, la Cour peut être saisie, soit par la Commission (article 258 TFUE), soit par un Etat membre (article 259 TFUE), qui constate s’il y a ou non violation du traité par un Etat membre, son manquement à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités.

L’Etat membre peut se défendre en probant l’impossibilité absolue d’exécuter son obligation en raison de risque d’atteinte à l’ordre public.

L’arrêt de la Cour a d’abord un effet déclaratoire. Si la Cour constate le manquement de l’Etat membre, celui-ci est tenu de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt de la CJUE pour mettre fin sans délai au manquement. L’arrêt de la Cour peut également appuyer l’action d’autres Etats ou personnes auprès des juridictions nationales.

Tenant compte du nombre d’Etats membres ne respectant pas les arrêts de la Cour, le traité de Maastricht a introduit une procédure de sanction à l’égard des Etats membres qui ne se conformaient pas à l’arrêt en prenant les mesures d’exécution. Ainsi, si l’Etat n’obéit pas, après avoir été mis en mesure de présenter ses observations, la Commission européenne peut saisir la Cour de justice indiquant la somme forfaitaire ou l’astreinte à payer par l’Etat membre (article 260 TFUE).

2.3. Le recours en annulation (art. 263-264 TFUE)

L’article 263 TFUE dispose que la Cour contrôle la légalité des actes des institutions au regard du traité et de toute règle de droit relative à son application, qu’elle soit écrite ou non écrite. Le recours en annulation (également appelé « recours en nullité ») permet un contrôle juridictionnel objectif des actes des institutions de l’UE (contrôle ‘abstrait’, de légalité des normes) et ouvre à tous les sujets de droit, sous certaines conditions, accès a la justice de l’UE comme garantie de la protection juridique individuelle.

Les conditions de recevabilité du recours sont de deux ordres : des conditions tenant à l’acte attaqué et des conditions tenant à la personne du requérant.

Peut faire l’objet de ce recours tout acte ou mesure unilatérale adopté par une institution, organe ou organisme européen, qui produit des effets de droit à l’égard des tiers.

Selon leur qualité d’agir, les requérants sont classés en trois catégories :

  • requérants privilégiés, qui sont les Etats membres, le Conseil, la Commission européenne et le Parlement européen, qui sont supposés avoir la capacité et la qualité d’agir ;
  • requérants particuliers, qui sont la Cour des comptes, le Comité des régions et la Banque centrale européenne, qui peuvent agir seulement pour défendre leurs prérogatives ;
  • requérants ordinaires, qui sont les personnes morales ou les particuliers destinataires des actes ou qui sont directement concernés ou affectés par l’acte (formule dite « Plaumann ») et qui ne comporte pas de mesures d’exécution (le critère du « lien direct » doit permettre de s’assurer que seules sont soumises les affaires dans lesquelles la nature et la réalisation du préjudice porté à la situation juridique du requérant sont clairement établies. Le critère de l’« individualité » permet de prévenir les actions dites « populaires »).

Le traité (art. 263§2 TFUE) prévoit quatre moyens pour le contrôle de légalité réalisé par la Cour :

  • l’incompétence (matérielle, territoriale et temporelle),
  • la violation des formes substantielles (consultation, procédure, vote, motivation, etc.),
  • la violation des traités ou de toute règle de droit relative à leur application,
  • le détournement de pouvoir (usage du pouvoir pour un autre but).

Si le recours est fondé, la Cour « déclare nul et non avenu l’acte contesté » (art. 264 TFUE). L’annulation de l’acte peut être totale ou, souvent, partielle. L’arrêt de la Cour a un effet rétroactif et erga omnes. Dans certains cas, la Cour peut limiter l’effet de la nullité à la période postérieure au prononcé de l’arrêt ; cependant, les parties requérantes sont exclues de la limitation des effets d’un arrêt en annulation.

Conformément aux dispositions de l’article 266, premier paragraphe du TFUE, « l'institution, l'organe ou l'organisme dont émane l'acte annulé, (…), est tenu de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne. »

2.4. L’exception d’illégalité (art. 277 TFUE)

Un contrôle de légalité d’un acte de portée générale adopté par une institution, un organe ou un organisme de l’UE (actes de droit dérivé) peut être réalisé aussi par la voie de l’exception d’illégalité, soulevée au cours d’un litige devant la CJUE. Il ne s’agit dont pas d’un recours direct mais d’une voie incidente de contrôle de la légalité qui permet une mise en cause d’un tel acte et de ce fait d’invoquer son inapplicabilité.

Cette exception peut être soulevée par les parties au litige. L’admissibilité de l’exception tient également au lien existant entre l’acte attaqué et l’acte contre lequel est soulevée l’exception.

Les effets de la décision de la Cour sont limités aux parties du litige, en cas d’illégalité constatée l’acte ou la norme n’est pas annulé mais est rendu inapplicable entre les parties.

2.5 Le recours en carence (art. 265 TFUE)

La légalité peut être violée non seulement par une action mais aussi par une inaction des institutions. Le recours en carence permet de sanctionner l’abstention du législateur ou de la Commission lorsque le traité leur fait obligation d’agir.

Les conditions de recevabilité du recours tiennent à la qualité de l’auteur de l’omission, à la nature de l’omission attaquée et à la personne du requérant.

Le recours en carence peut viser le Parlement européen, le Conseil européen, le Conseil, la Commission européenne, la Banque centrale européenne ou autres organismes compétents de l’UE.

L’objet d’un recours introduit par les institutions est de faire constater que l’organe en question s’est abstenu, en violation du traité, d’adopter ou d’adresser un acte. Il peut être formé aussi pour l’omission d’adopter certains actes préparatoires, prévus par le droit primaire ou dérivé, à l’exception des recours en carence formés par des particuliers, qui peuvent concerner seulement des actes produisant des effets de droit. Le recours en carence suppose donc que l’auteur de l’omission est dans l’obligation d’agir. Lorsque l’auteur de l’omission dispose d’un pouvoir discrétionnaire le recours en carence n’est pas admissible.

Les conditions de recevabilité tenant à la personne du requérant suivent les règles résumées dans la section concernant le recours en annulation.

Le recours en carence ne peut être introduit avant la tenue d’une procédure préalable, au cours de laquelle la partie requérante doit inviter l’institution de l’Union en question à agir. Ensuite, le recours en carence peut être introduit dans un délai de deux mois à compter de l’expiration d’un délai de deux mois à compter de l’invitation préalable à agir, si l’auteur de l’omission n’a pas pris position. D’un point de vue formel, la mise en demeure n’est pas soumise à des conditions. D’un point de vue substantiel la mise en demeure doit être motivée et explicitée en ce qui concerne l’institution et la décision attendue.

L’unique moyen de recours au fond est l’absence d’adoption d’un acte alors que l’institution y était tenue.

L’arrêt final a un effet déclaratoire. Il se borne à constater l’illégalité de l’omission, la Cour de justice et le Tribunal n’étant pas compétents pour ordonner l’adoption des actes ou mesures nécessaires. Cet arrêt ne conduit pas directement à l’indemnisation du plaignant mais un recours en responsabilité peut être formé par la suite.

2.6. Le recours en indemnité (art. 268 et 340§2 TFUE)

Le recours en indemnité est ouvert tant aux particuliers et aux personnes morales de l’Union, qu’aux Etats membres qui ont subi un préjudice du fait d’une erreur commise par une institution ou un agent de l’UE. Il offre la possibilité de demander réparation de ce préjudice à la Cour de justice de l’UE, conformément aux conditions de responsabilité prévues par les traités de l’UE et des principes généraux de droit communs aux ordres juridiques des Etats membres.

La jurisprudence de la Cour de justice a développé les trois conditions de réparation de l’UE, soit :

1. l’action illégale d’une institution de l’UE ou d’un agent de l’UE dans l’exercice de ses fonctions. Il y a action illégale en cas de violation caractérisée d’une norme de droit de l’Union qui reconnaît des droits au particulier, à une entreprise ou à un Etat membre ou qui a été édictée pour les protéger. Le caractère de règle de protection est surtout reconnu aux droits fondamentaux et aux libertés fondamentales du marché intérieur ou aux principes de protection de la confiance légitime et de proportionnalité. La violation est suffisamment caractérisée lorsque l’institution de l’Union a manifestement et gravement outrepassé ses compétences. La Cour de justice se fonde notamment sur le nombre limité des personnes concernées par la mesure illégale et sur la portée du préjudice subi, qui doit excéder les risques économiques normaux pour le secteur économique en question ;

2) la réalité du dommage ;

3) l’existence d’un lien de causalité entre le dommage subi et l’action de l’Union ;

Il n’est pas nécessaire que l’institution de l’Union ait commis une faute.

***

Pour ce qui concerne la réparation des dommages résultant des actions des institutions ou agents nationaux en violation du droit européen, c'est au droit national qu'il revient d'organiser l'exercice de ce droit. La Cour de justice a reconnu, dans son important arrêt Francovich, qu’une voie d’action est ouverte aux particuliers contre un État qui n'a pas transposé une directive dans les délais prévus (arrêt du 19 novembre 1991, affaires jointes C-6/90 et C-9/90, Francovich et Bonifaci), dès lors que trois conditions sont réunies : le résultat prescrit par la directive doit comporter l'attribution de droits au profit de particuliers, le contenu de ces droits doit pouvoir être identifié sur la base des dispositions de la directive, enfin, un lien de causalité existe entre la violation de l’obligation qui incombe à l'État et le dommage subi par les personnes lésées.

Puis, la Cour a établi le principe de la responsabilité générale incluant toutes les violations du droit de l’Union imputables à l’Etat membre (arrêt du 5 mars 1996 dans les affaires jointes C-46/93, Brasserie du pêcheur, et C-48/93, Factortame) et non seulement une responsabilité limitée aux dommages occasionnés à des particuliers en raison d’une transposition tardive d’une directive leur accordant des droits subjectifs, mais qui ne leur était pas directement adressée.

Pour ce qui concerne la responsabilité du fait d’actes normatifs ou d’omissions de l’Etat membre, elle peut être engagée dès lors que trois conditions sont réunies : 1) la règle européenne violée confère des droits aux particuliers ; 2) la violation est suffisamment caractérisée - la juridiction nationale apprécie une méconnaissance manifeste et grave, par l’Etat membre, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation (dans sa jurisprudence, la Cour de justice a donné une orientation fondamentale aux juridictions nationales : « parmi les éléments que la juridiction compétente peut être amenée a prendre en considération, figurent le degré de clarté et de précision de la règle violée, l’étendue de la marge d’appréciation que la règle enfreinte laisse aux autorités nationales ou communautaires, le caractère intentionnel ou involontaire du manquement commis ou du préjudice causé, le caractère excusable ou inexcusable d’une éventuelle erreur de droit, la circonstance que les attitudes prises par une institution communautaire ont pu contribuer à l’omission, à l’adoption ou au maintien de mesures ou de pratiques nationales contraires au droit communautaire. En tout état de cause, une violation du droit communautaire est manifestement caractérisée lorsqu’elle a perduré malgré le prononcé d’un arrêt constatant le manquement qu’elle a constitué, d’un arrêt préjudiciel ou d’une jurisprudence bien établie de la Cour en la matière, desquels résulte le caractère infractionnel du comportement en cause ») ; 3) un lien de causalité direct entre la violation de l’obligation qui incombe a l’Etat et le dommage subi par les personnes lésées.

La Cour de justice a établi que les principes de responsabilité s’appliquent également au pouvoir judiciaire, quoique cela reste exceptionnel (ainsi, l’affaire Köbler relève un cas où le pouvoir judiciaire statuant en dernier ressort a donné force obligatoire à une décision défavorable au particulier sans avoir demandé au préalable à la Cour de justice de préciser la situation en droit de l’Union nécessaire à la décision). De manière générale, les jugements peuvent être réexaminés par les différentes instances d’appel et une action en réparation peut être introduite auprès des juridictions compétentes des Etats membres.

il a fallu que des juridictions italiennes envisagent la possibilité d’engager la responsabilité de l’État en cas de non transposition d’une directive pour que la Cour de justice rende son fameux arrêt Francovich (CJCE 19 novembre 1991, Francovich et Bonifaci, aff. C-6/90 et C-9/90).

2.7. La protection juridique provisoire par sursis à l’exécution (art. 278 et 279 TFUE)

Dans les affaires dont elle est saisie, la CJUE peut prescrire les mesures provisoires nécessaires pour la protection des droits des parties.

Les recours formés devant la Cour de justice ou le Tribunal ainsi que les pourvois formés contre des décisions du Tribunal devant la Cour de justice n’ont pas d’effet suspensif. Il est néanmoins possible de demander à la Cour de justice ou au Tribunal d’ordonner le sursis à exécution de l’acte attaqué (article 278 TFUE) ou de prescrire les mesures provisoires nécessaires (article 279 TFUE).

Dans la pratique, le bien-fondé d’une demande de prescription de mesures provisoires est déterminé à la lumière des critères suivants :

1) un recours au principal doit être introduit devant la Cour et à l’examen préalable il paraît que les arguments du requérant sont en apparence suffisamment cohérents et fondés pour lui donner une chance de réussite sur le fond (fumus boni juris) ;

2) le demandeur doit prouver l’urgence de l’ordre de la mesure provisoire en raison de la menace d’un dommage grave et irréparable ;

3) l’octroi d’une telle mesure est nécessaire au regard de l’intérêt des parties et de l’intérêt général.

2.8. Le pourvoi (art. 256 TFUE)

Les décisions du Tribunal et du Tribunal de la fonction publique sont susceptibles de faire l’objet d’un pourvoi respectivement devant la Cour de justice et devant Tribunal. Cette voie de recours est limitée aux questions de droit avec trois moyens : l’incompétence du Tribunal, une irrégularité de procédure lésant les intérêts du requérant ou une violation du droit de l’Union par le Tribunal.

Peuvent être sujets de saisine les parties au litige en première instance, les institutions européennes, les Etats membres ou de tiers directement affectés.

Le délai de recours est de deux mois à compter de la réception du prononcé du jugement initial ou de 15 jours en cas de décision de rejet d’intervention.

Si le pourvoi est admis et fondé, la Cour de justice annule la décision attaquée et renvoie l’affaire à la juridiction de premier degré ou, si l’affaire est en état d’être jugée, statue elle-même.

Exceptionnellement, en cas de risque sérieux d’atteinte à l’unité ou à la cohérence du droit de l’UE, les décisions rendues par le Tribunal de première instance peuvent faire l’objet d’un réexamen par la Cour de justice, sous des conditions et limites particulières prévues par le statut.

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