Par Eric Guérin

Dernière mise à jour : juillet 2019

La démocratie serait née à Athènes au 5ème siècle sur le fondement de l’idée de liberté, et d’égalité entre les citoyens. Il existe une multitude de définitions de la démocratie mais d’une manière générale il s’agit d’un système dans lequel le peuple est le centre du pouvoir. C’est sans doute le seul point fondamental qui relie la démocratie antique à la démocratie moderne car la figure du citoyen contemporain n’a plus grand-chose à voir avec celle du citoyen antique.

Plus prés de nous l’idée de démocratie renaît avec l’humanisme, l’individualisme, le libéralisme, les droits de l’homme, le contrat social et la citoyenneté. On redécouvre au XVIII ème siècle la question essentielle de la participation effective du peuple au gouvernement. Question qui oppose la démocratie formelle à la démocratie réelle, évoquée par les théories socialistes et marxistes. De son coté Tocqueville fonde la démocratie dans la tendance à l’égalité dont il constate la mise en œuvre aux Etats-Unis conjointement avec la liberté. La démocratie est avant tout un état social, c'est-à-dire un processus d’égalisation des conditions dans les sociétés modernes. « La démocratie est une manière d’être de nos sociétés ».

Le passage à un régime démocratique pose de nombreuses questions comme celle de la représentation populaire, à celle de la citoyenneté, des droits et des libertés, des parties politiques qui concourent à son exercice …. Mais également aux conditions de son exercice. Pour une large part la notion de démocratie renvoit à la notion de démocratie élective. On rappellera simplement pour mémoire qu’en France, c’est en 1848 qu’est proclamé le suffrage universel direct (élection du président de la République). Après avoir sommairement défini les cadres de la démocratie nous nous attacherons à décrire rapidement ses différentes formes.

1 Les cadres de la démocratie

La démocratie est caractérisée par un ensemble d’institutions et de principes d’une part, et par la place de la société, d’autre part.

1.1 Les principes

Dans un système libéral, la démocratie repose sur la promotion de l’individu et des droits de l’homme, la souveraineté du peuple à travers la nation, l’égalité, la liberté politique, la représentativité populaire universelle, la citoyenneté, la laïcité, la constitution et la loi. La démocratie ne se limite pas à élire démocratiquement des représentants du peuple (sans quoi les pays de l’ex bloc soviétique devraient être considérés comme des démocraties). Elle suppose le respect de certaines valeurs comme le pluralisme, la liberté d’expression ou encore la liberté de la presse. La démocratie suppose également que les citoyens soient suffisamment éclairés pour être capables de faire des choix réfléchis.

L’égalité est également une valeur indissociable de la démocratie. Elle est le support de l’Etat impartial, l’expression de la liberté qui se traduit par le grand principe de l’ « égalité des chances » apporté par l’école et la sélection par les concours ouverts à tous. Il faut toutefois tempérer un trop grand optimisme car bien souvent l’égalité entre les citoyens n’est que trop formelle.

A ces principes et valeurs inhérentes à la démocratie, il faut encore associer le respect de la séparation des pouvoirs et la garantie des droits et libertés. C’est en ce sens que l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose que « toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ».

1.2 Une société démocratique

La démocratie ne repose pas uniquement sur des mécanismes institutionnels. Elle suppose également que la société soit elle-même démocratique. Le traumatisme du totalitarisme au milieu du XXème siècle, a contribué à un déplacement du pouvoir des institutions vers la société. Le totalitarisme se caractérise, entre autres, par la fusion entre l’Etat et la société qui n’a plus d’existence propre. Par conséquent, mais ce n’est pas la seule raison, la caractéristique de la démocratie consiste à séparer l’Etat et la société. Une autre raison repose aussi dans la séparation entre les sphères privée et publique (l’homme et le citoyen) qui fait de la société une instance médiatrice dans laquelle se développe peu à peu la réalité du pouvoir. Mais une nouvelle objection est apparue lorsque l’analyse actuelle tend à reconnaître la confusion entre sphères privée et publique dans la société qui devient alors à la fois le véritable centre et l’enjeu du pouvoir. Y-a-t-il encore une distinction entre l’homme et le citoyen alors que l’individu et ses identités les ont supplantés ?

Par ailleurs une nouvelle notion a émergé dans les démocraties modernes, celle d’ « opinion publique » qui a transformé la démocratie en « démocratie d’opinion ». Plus encore l’abandon de la raison au profit des images et des sentiments (compassion, révolte) a permis la mutation de la démocratie en « démocratie d’émotion » (comme l’a ainsi appelée Robert Badinter en 2006 dans un article publié dans Le Monde). Bien souvent une image télévisée compassionnelle de dix secondes, porte plus qu’un programme politique reposant sur des idées et des projets. La société est devenue un spectacle. Ainsi la notion d’opinion publique, dont on ne dira jamais assez le caractère flou et aléatoire guide de plus en plus les choix politiques des gouvernants, attentifs au pouls de la société devenue incontournable.

Enfin, on peut encore regretter que l’affaiblissement des mœurs civiques et l’éloignement de la politique posent la question de la nature nouvelle de la démocratie. Redonner de la substance à la démocratie incline à multiplier les débats informels, les forums, la vie associative, les mouvements sociaux, bref à faire de la société la véritable instance démocratique.

2 Les formes de la démocratie

La démocratie est une forme de gouvernement qui fait du peuple le siège du pouvoir. Les modalités d’exercice de la démocratie sont plurielles. La forme la plus primaire de la démocratie est le tirage au sort. Dans ce système totalement aléatoire chacun a autant de chance que l’autre d’être choisi. Aux formes traditionnelles s’ajoutent d’autres conceptions de la démocratie.

2.1 Les formes traditionnelles d’exercice de la démocratie : la démocratie directe

La démocratie désigne étymologiquement le pouvoir (kratos) des citoyens, mâles, libres (demos) et fait référence au régime en vigueur à Athènes après les réformes effectuées par Solon (-594) et Clisthène (-508).

La démocratie directe est un régime politique dans lequel les citoyens exercent directement le pouvoir. L’histoire qui donne quelques exemples de sociétés ou de groupes sociaux organisés en démocratie directe, tout particulièrement Athènes au VIe siècle avant J.-C ou la Suisse contemporaine. Dans l'Antiquité, c'est au pied de l'Acropole et du Parthénon, sur la place de l'agora, que se tenaient les assemblées de citoyens.

Dans les grandes démocraties contemporaines les modes d’exercice de la démocratie directe ne sont pas absents mais restent limitées. L'époque contemporaine est jalonnée d'expériences de démocratie directe mais très souvent dans des contextes particuliers comme la Commune de Paris (1871), les soviets de Russie (1905 et 1917 à 1921), les conseils ouvriers en Allemagne et en Italie (1918-1920), … Les régimes de démocratie directe sont extrêmement difficiles à mettre en place. Rousseau y consent dans Du Contrat Social : « S'il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement. Un régime si parfait ne convient à des hommes. ». Cependant, les formes dans lesquelles on pratique ce type de démocratie aujourd’hui sont limitées puisque les régimes démocratiques modernes, qui se mettent progressivement en place dans le sillage de la Révolution française et de la Constitution américaine de 1787 sont principalement basés sur la représentation et l'élection.

Si l'on réunit couramment l'ensemble des instruments décrits ici sous l'étiquette « démocratie directe », on emploie également les termes de démocratie participative ou de démocratie semi-directe qui soulignent que ces mécanismes sont à notre époque généralement combinés à des éléments de démocratie représentative.

2.1.1 Initiative populaire et droit de pétition

Très proche de l'idéal d'implication directe du peuple dans les décisions politiques, l'initiative populaire est particulièrement développée en Suisse, en Californie et dans d'autres États américains. Ce mécanisme permet aux citoyens de proposer des lois qui sont ensuite votées par l'ensemble des électeurs. Différents mécanismes permettent aussi de s'opposer à une loi par pétition ou de proposer un amendement de la constitution. En Suisse, les autorités fédérales peuvent en outre proposer un contre-projet et les électeurs peuvent choisir de voter pour l'un ou l'autre des projets ou pour ou contre les deux projets.

Un autre mécanisme de démocratie directe est le rappel qui se pratique dans certains États américains. Ce rappel (recall) permet à un nombre suffisant de citoyens de réclamer un référendum pour interrompre le mandat d'un élu ou d'un fonctionnaire.

Le droit de pétition existe également dans le droit français puisque depuis la révision constitutionnelle de 2003 les citoyens peuvent exiger de soumettre une question à référendum. Le droit de pétition existe également dans le droit communautaire.

2.1.2 Référendum et plébiscite

Parfois rattaché à l'idée de démocratie directe, le référendum existe dans de nombreux pays. Ce sont cependant un gouvernement ou une assemblée élue qui conservent en général l'initiative du référendum et la maîtrise des questions posées ainsi que celle des alternatives proposées aux électeurs. Dans certains pays, la constitution impose le recours au référendum pour certaines décisions. Ce genre de procédure s'est répandu en Europe de l'Ouest au cours de la seconde moitié du XXe siècle.

Dans notre droit positif il est possible de compter plusieurs types de référendum :

  • Le référendum décisionnel d’initiative locale depuis 2003
  • Le référendum constitutionnel permettant de réviser le texte de la Constitution
  • Le référendum permettant de ratifier un traité ou d’approuver un projet de loi
  • Le référendum relatif à l’entrée d’un nouvel Etat dans l’Union européenne

Pourtant le référendum n’est pas exsangue de toute critique. En première lieu il conduit à faire la loi sans le secours des élus. Or, certaines questions ne peuvent se régler ailleurs que dans un hémicycle. De plus, le référendum peut avoir un fort caractère plébiscitaire. La tradition Bonapartiste en France est là pour le rappeler. Enfin, la confiance que l’on peut placer dans la réponse faite à la question est toute relative. Très souvent les électeurs répondent davantage en fonction de la personnalité qui a posé la question qu’en fonction du contenu de celle-ci.

2.2 Les formes de démocratie représentative

La démocratie représentative est un régime politique dans lequel on reconnaît à un organisme ou un individu le droit de représenter une nation ou une communauté. La volonté des citoyens s’exprime par la médiation de représentants élus qui incarnent la volonté générale, votent la loi, et contrôlent éventuellement le gouvernement. La démocratie représentative s’oppose également à la démocratie directe dans laquelle le peuple prend lui-même les décisions. Elle est largement plus répandue que la démocratie directe : environ la moitié des habitants de la planète vivent sous un régime de démocratie représentative, dont ceux des États les plus riches et les plus puissants.

En démocratie représentative, c'est le corps des élus dans son ensemble qui exerce la souveraineté. Les élus n’ont donc de légitimité qu'au sein de l'assemblée qu'ils constituent. Cette caractéristique explique l'importance du débat au sein de l'assemblée, de la discussion censée faire naitre la meilleure solution. Elle justifie la place de l'opposition. Cela implique aussi que chaque élu représente l'ensemble des citoyens: la Nation et non pas seulement ses électeurs. Ainsi, il est de tradition que le mandat soit dit représentatif et non impératif. La Constitution de la Vème République prévoit d’ailleurs que tout mandat impératif est nul. Le mandat impératif est celui par lequel l’élu ne s’exprime qu’au nom de ceux qui l’on désigné. Dans le système du mandat représentatif au contraire, l’élu est indépendant de ses électeurs, il est irrévocable, et n'est pas tenu de suivre explicitement leur volonté. Néanmoins, la durée du mandat étant toujours limitée, l'élu peut penser qu'il doit agir globalement dans le sens des intérêts de ses électeurs, dans l'espoir d'être réélu.

Toutefois, dans un régime représentatif, le vote est un mode de désignation et pas un transfert de responsabilité. Les élus tirent leur légitimité, non par délégation de la souveraineté de leurs électeurs, mais du fait même de leur élection qui est donc un mode d'investiture dans la fonction. L'électorat n'est donc pas un droit, mais une fonction. Ce n'est pas une manifestation de la volonté individuelle, mais une fonction exercée au nom de la nation.

La démocratie représentative est présentée comme une alternative au despotisme par les philosophes des lumières. Cependant, la démocratie représentative n’est pas exsangue de critiques.

En première lieu la démocratie élective repose sur un présupposé idéaliste. Le citoyen serait une forme idéalisée de l'individu qui se caractérise par son abnégation, son absence de préjugés de classe. Dénué d'égoïsme il serait capable de faire un choix politique en fonction de l'intérêt général en faisant abstraction des avantages personnels qu'il pourrait en tirer. En réalité les intérêts de classe pour ne pas dire corporatistes ne sont pas totalement absents du jeu démocratique. Un grand nombre de groupes de pression sont susceptibles d’exercer un lobbying électoral.

En second lieu, la démocratie réclame un degré particulièrement élevé de conscience politique et de culture citoyenne pour être en mesure de faire des choix éclairés. A moins de rétablir une forme de suffrage censitaire, chaque voix pèse un poids équivalent sans considération pour le degré de conscience politique de celui qui s’exprime. Or on peut soutenir que les voix ne se comptent pas mais qu’elles se pèsent. Ce qui revient à considérer que toutes les voix n’ont pas le même poids électoral. En effet, pour une large part la démocratie d’opinion est une illusion. Pour une part non négligeable de l’électorat les choix politiques se font en dehors des critères liés au champ politique. Depuis les années 1970 on est ainsi passé de la démocratie d’opinion à la démocratie d’émotion.

Enfin, la critique la plus forte qui peut être faite à la démocratie représentative c’est précisément de ne pas être représentative. Nous ferons ici l’économie du débat sur la représentativité du découpage électoral mais on ne peut complètement ignorer l’enjeu politique de ce découpage et le risque d’écrasement des minorités qui peuvent en découler. En revanche la question du choix du mode de scrutin nous retiendra davantage.

En France, le mode de scrutin traditionnellement retenu est le scrutin majoritaire à deux tours. Ce mode de scrutin a un avantage certain sur le scrutin proportionnel car il permet de désigner une majorité stable. En revanche, il écarte du jeu politique les petites formations qui sont réduites à un rôle de force d’appoint.

En outre, la démocratie représentative est marquée par la nécessité d’une division du travail dans une économie marchande. En confiant la gestion des affaires publiques et la représentation de leurs intérêts à des représentants élus, les citoyens peuvent vaquer à leurs occupations privées et s’adonner au commerce. Cependant, ce mécanisme aboutit à la constitution d’une classe politique formée de professionnels qui de fait monopolise l’exercice du pouvoir. La crise de la démocratie représentative est accentuée dès lors par un profond décalage socioculturel entre l’origine des élus et celle des citoyens qui les désigne (à la fois en terme d’âge, de race, de milieu social, de sexe ….). Ainsi, certains (les néo-machiavelliens) vont jusqu’à penser que la démocratie représentative est un système de légitimation du pouvoir au profit d’une classe dirigeante.

2.3 Les exigences contemporaines de la démocratie

A côté des formes traditionnelles de démocratie viennent s’ajouter des formes plus contemporaines qui complètent l’exercice de la démocratie élective.

2.3.1 La démocratie participative

La démocratie participative est un modèle politique qui recouvre les moyens permettant d'accroître l'implication et la participation des citoyens dans le débat public et la prise de décisions politiques qui s'en suit. La démocratie dite participative passe par des dispositifs d'actions et de débats collectifs, multiples et construits offrant à chacun la possibilité de proposer des actions à mettre en œuvre.

Ainsi, en France, l'État a un Conseil économique et social (CES), la région également (le CESR). Les agglomérations se sont fait adjoindre des Conseils de Développement.. Beaucoup de villes ont des Comités Consultatifs, des Conseils de Quartiers, etc.

Dans ces conseils et comités, les participations sont de deux types : porter une parole particulière d’une catégorie de citoyens (les gens du quartier, les partisans de telle opinion, les salariés, les usagers, les consommateurs, etc.) confronter son action aux autres acteurs de la vie publique : élus politiques, administrations publiques et les autres participants au comité ou conseil.

La majorité des participants se place en tant qu’experts d’une situation vécue et en tant qu’acteurs de terrain allant même jusqu’à nouer des partenariats actifs sur des sujets particuliers.

2.3.2 La démocratie administrative

Le terme de démocratie administrative sert à désigner l’ensemble des dispositifs qui visent à rendre l’action de l’administration plus transparente et par la même plus démocratique. En raison même de sa nature l’administration a le culte du secret. Elle a le monopole des décisions administratives elle détient des documents qui concernent la vie des administrés … A partir des années 1970 s’est développée en France une législation visant à rendre l’action de l’administration plus transparente. Ce mouvement législatif s’est accompagné de la création des premières autorités administratives indépendantes. On notera par exemple, la loi de 1978 sur l’accès aux documents administratifs qui crée la CADA ; la loi du 11 juillet 1979 sur la motivation des actes administratifs sans oublier la loi de 1973 et la création du médiateur chargé de réguler les relations entre les administrés et l’administration….

2.3.3 La démocratie continue

Le terme de démocratie continue traduit l’idée que l’exercice de la démocratie ne doit pas se limiter à l’exercice du droit de vote. Entre chaque terme d’une élection, la démocratie continue de s’exercer notamment au travers de l’exercice des droits et libertés. Autrement dit la démocratie ne se limite pas à l’exercice du droit de vote mais trouve un prolongement dans les droits et libertés individuelles. Une place toute particulière sera bien évidement faite aux droits qui permettent l’exercice du pluralisme tel que la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de la presse, la liberté de manifester… En effet, un système dans lequel les citoyens posséderaient le droit de vote sans le pluralisme ne serait pas un système démocratique.

Tags :
    
© 2023 CNFPT