Par Nicolas Thill
Dernière mise à jour : janvier 2020

Les collectivités territoriales présentent l'originalité d'avoir une double chaîne de commandement : politique et administrative. En cela, elles sont fondamentalement différentes des entreprises et des administrations de l'État. Dans ces dernières, le politique est certes présent mais de manière indirecte.

Théoriquement, la place et le rôle des uns et des autres sont très clairs. Les élus déterminent les orientations politiques et l'administration les met en œuvre. Dans la réalité, les choses sont bien plus compliquées car les jeux d'acteurs entrent en scène.

Cette complexité ouvre des zones de risques pour le cadre territorial.

Cette zone de risques peut être réduite à condition de ne pas commettre d'erreurs dans la relation élus-cadres.

1. Le modèle classique

Dans le système administratif français, la commune reste le modèle de base qui influence l’organisation de toutes les collectivités locales.

L’organisation d’une municipalité se caractérise par une dualité hiérarchique. Cette dualité est produite par l’existence de 2 sphères : l’une politique, l’autre administrative.

D’une part, le maire, les adjoints au maire et les conseillers municipaux ; de l’autre, la hiérarchie administrative placée sous la responsabilité d’un directeur général des services.

Les interférences entre les 2 sphères, source de conflit de pouvoir au sommet de l’organisation, sont difficiles à éviter.

En outre, la séparation entre les 2 sphères n’est généralement pas très nette.

1.1. Le pouvoir politique

Une municipalité se compose d'un Exécutif politique (la municipalité proprement dite, formée du maire et de ses adjoint), d'une Assemblée délibérative (le Conseil municipal), d'une structure administrative formelle, hiérarchisée, divisée en plusieurs services et, enfin, d'un ensemble d'établissements publics et para-publics en totalité ou en partie sous responsabilité de la municipalité.

  • Maire  : dispose d’un pouvoir dans 4 domaines principaux  :

Il est d’abord l’exécutif de la collectivité ; donc, il a des pouvoirs financiers considérables (prépare et exécute le budget), il gère le patrimoine communal, il conclut des marchés au nom de la commune…

Il est aussi délégataire du conseil municipal : il existe en effet des hypothèses dans lesquelles le conseil municipal lui délègue des attributions.

Il a des pouvoirs propres car il est le supérieur hiérarchique de l’ensemble du personnel et qu’il est l’autorité de police municipale.

Il est représentant de l’Etat dans la commune (au titre de l’état civil et de la police judiciaire, car il est OPJ).

  • Les adjoints

Ils ne détiennent d’attribution ou de pouvoir que par la décision du maire.

C’est le conseil municipal qui élit les adjoints, mais c’est le maire qui attribue les compétences. Cela peut parfois poser quelques problèmes juridiques (retrait de délégation).

Le maire est le chef de l’Administration. Par la surveillance qu’il y exerce, il contrôle de fait le pouvoir qu’il donne à ses adjoints.

Juridiquement, l’élu adjoint n’a que le pouvoir que lui confie le chef de l’exécutif. Il peut disposer d’une délégation dans un domaine, ce qui n’implique pas pour autant qu’il représente la collectivité dans tous les organismes touchant à celui-ci. En pratique, dès que l’adjoint bénéficie d’une délégation, il est reconnu comme un rouage essentiel et devient l’interlocuteur principal des services.

Théoriquement, il n’est cependant pas le supérieur hiérarchique du cadre responsable de la mise en œuvre. Pourtant, en pratique, le lien entre l’élu et le fonctionnaire est souvent très fort. Et parfois, consciemment ou inconsciemment, l’élu peut avoir la tentation de prendre la place du chef de service.

L’élu « chef de service » est une situation particulièrement difficile à vivre pour un fonctionnaire responsable d’un service ou d’une direction. Car l’élu déborde alors de son rôle en voulant tout diriger, donnant des ordres ici ou là, et décidant de toutes les décisions qui relèvent de la responsabilité des fonctionnaires.

  • Le conseil  municipal

Selon les cas, les assemblées ont plus ou moins de latitude, ont une influence plus ou moins importante.

Le scrutin actuel n’est pas favorable à la représentation de la minorité au sein du conseil municipal.

  • Les cabinets politiques. Il y 2 situations :

Celle dans laquelle le cabinet devient une Administration parallèle. C’est par exemple la tentation pour le chef d’une nouvelle majorité. Ce système a forcément des limites, mais s’explique par le fait que le nouvel arrivant ne maîtrise pas l’organisation interne ou qu’il n’a pas toute confiance dans les personnes en place.

Structure légère, complètement politique et pas administrative, qui a un rôle de conseil de communication ou de relations publiques pour l’exécutif.

1.2. Le pouvoir administratif

Les cadres doivent informer les élus des évolutions sans créer un sentiment d'insécurité, et donc souvent résoudre en amont le plus de problèmes possible. Les difficultés sont évoquées une fois que des solutions ont été esquissées pour être soumises, si nécessaire, aux élus.

La spécialisation du cadre peut l'enfermer dans sa vision technique. Or, la dimension technique n'est qu'une facette de la réalité. Ce n'est pas toute la réalité ; rien n'indispose plus un élu qu'un cadre monomaniaque, qui ne voit les choses que par sa technicité et ne mesure pas tous les impacts de ses préconisations. Ce qui se joue ici, c'est la capacité d'aide à la décision. Quand des propositions venues des cadres sont retoquées par les élus, c'est parce qu'elles en ignorent certains impacts. Ou qu'elles ne prennent pas en compte des préoccupations des élus pourtant connues. Vous devrez donc avoir une vision politique : une vision globale, systémique, qui prend en compte la complexité de la situation et des différents acteurs.

Cette posture est inconfortable car il s'agit d'être compétent techniquement tout en dépassant cette technicité pour intégrer à vos propres préconisations tous les aspects à prendre en compte.

Les cadres doivent être certes disponibles, mais surtout savoir répartir leur temps entre la gestion de leurs équipes, l'organisation de la Direction Générale et celle de leur élu. Des outils de pilotage stratégiques existent et doivent être partagés entre les élus et l'administration (projet d'administration, projet de service, bilan d'activité, compte rendu de pilotage ou relevé de décision).

L'organisation est le maître mot dans cette affaire, tant les élus et les cadres peuvent avoir des calendriers respectifs très chargés, parfois incompatibles, première source de difficultés. Nombreux sont les élus disponibles avant ou après leur journée de travail, quand les fonctionnaires sont assujettis aux règles de travail de droit commun. Il faut donc organiser des temps de travail formalisés pour assurer un suivi et faciliter cette relation, pour des raisons d'organisation ou d'incompatibilité de planning.

De nombreux cadres s'organisent en fonction des objectifs déterminés par les élus. Or, il existe une ambiguïté dans les objectifs, entre ceux fixés par un programme généralement de campagne et ceux en lien avec l'activité au quotidien. Conséquences : les managers ont l'impression de manquer d'objectifs, les cadres deviennent prescripteurs des actions pour éviter une répercussion sur l'ensemble de l'organisation, les agents deviennent prisonniers des contradictions. Le système ne fonctionne plus, le cadre perd sa légitimité et l'élu la confiance.

1.3. La zone grise

On constate désormais que le management des collectivités territoriales amène élus et fonctionnaires à œuvrer étroitement ensemble pour dynamiser l'organisation interne et améliorer ainsi le service rendu aux usagers. La conséquence directe en est que la zone d'interférence entre politique et administration augmente tout aussi proportionnellement. C’est la fameuse « zone grise » du partenariat politico- administratif évoquée par Denys Lamarzelle dans son ouvrage « la face cachée de la territoriale ».

Conséquence directe, il devient de plus en plus courant qu'à la suite des basculements de majorité, les nouveaux élus aient tendance à se séparer des anciens cadres dirigeants.

Et ce qui est désormais une réalité pour les directeurs généraux, commence à le devenir aussi pour les directeurs généraux adjoints, voire même parfois pour les directeurs.

2. La protection des cadres

2.1. Les dispositions communes à l’ensemble des agents publics

Les agents publics se sont donc vus reconnaître des règles et des droits les protégeant du pouvoir politique.

Il s’agit tout d’abord des règles concernant le recrutement des fonctionnaires. Selon l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, tous les citoyens « sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». Les discriminations, fondées notamment sur les opinions politiques, ne sont donc pas tolérées pour l’entrée dans la fonction publique. Le Conseil d’État a d’ailleurs sanctionné le Gouvernement dans un arrêt célèbre, pour avoir refusé plusieurs candidatures au concours d’entrée de l’École nationale d’administration en raison des opinions politiques communistes des candidats (arrêt Barel, 28 mai 1954).

Cette exigence d’égalité d’accès et de non-discrimination dans le recrutement a eu pour conséquence l’adoption de la règle du recrutement par concours. Le statut général des fonctionnaires (1983) établit que « les fonctionnaires sont recrutés par concours sauf dérogation prévue par la loi » (loi du 13 juillet 1983). Ce système doit permettre de recruter les meilleurs éléments, tout en respectant un certain anonymat.

Les autres dispositions protectrices des fonctionnaires concernent leur carrière. Le préambule de la Constitution de la IVe République (1946) dispose que « nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances ». Le contenu de ce texte à valeur constitutionnelle a été repris dans l’article 6 du statut général des fonctionnaires de juillet 1983. Pour assurer le respect de cette exigence, une première mesure doit être mise en œuvre : il s’agit de la distinction entre le grade d’un fonctionnaire – c’est-à- dire sa position dans l’échelle d’un corps de la fonction publique – et de l’emploi qu’il occupe. Ainsi, les fonctionnaires sont protégés d’une éventuelle suppression de leur emploi, qui pourrait être décidée en raison de leurs opinions politiques.

De même, l’avancement d’échelon dans un grade, qui détermine le niveau de rémunération, se fait à l’ancienneté. Cela permet d’éviter qu’un fonctionnaire soit privé d’une augmentation à cause de ses opinions. Ensuite, plusieurs organes permettent d’associer les fonctionnaires à la détermination de leurs conditions de travail (ex : commissions administratives paritaires). Enfin, une disposition importante, datant de la loi de finances de 1905 et reprise à l’article 18 du statut général de 1983, autorise tout fonctionnaire à consulter son dossier afin d’en vérifier le contenu : il ne peut comporter des informations relatives à ses idées politiques.

2.2. La spécificité des emplois fonctionnels

Les cadres dirigeants exercent des responsabilités importantes et déclinent notamment le projet politique de la collectivité en orientations stratégiques.

Compte tenu de leur proximité avec la sphère politique, le législateur leur reconnaît un statut spécifique avec la création d’un statut d’emplois fonctionnels sur lesquels ils sont détachés.

A titre d’exemple, les emplois fonctionnels recouvrent principalement les postes de directeur et directeur général adjoint des communes, de directeur des services techniques (commune de 20 000 à 40 000 habitants) et de directeur général des services techniques des communes de plus de 40 000 habitants, ainsi que de directeur général des services techniques des EPCI à fiscalité propre, regroupant des communes dont la population totale est supérieure à 80 000 habitants.

L’exécutif d’une collectivité territoriale dispose de motifs discrétionnaires pour mettre fin aux fonctions du titulaire d'un emploi fonctionnel de direction. La fin de fonctions peut notamment intervenir :

  • pour des motifs disciplinaires,
  • en raison de la perte de confiance entre l’autorité territoriale et l’agent détaché sur l’emploi fonctionnel. Cette perte de confiance doit cependant s’appuyer sur des éléments attestant de la réalité des faits reprochés à l’intéressé.

Il ne peut être mis fin aux fonctions des agents occupant les emplois fonctionnels qu'après un délai de six mois suivant soit leur nomination dans l'emploi, soit la désignation de l'autorité territoriale.

Sur ces fonctions, l’approche stratégique est primordiale par rapport à l’approche technique qui est prise en compte par d’autres collaborateurs. Leur légitimité d’autorité repose sur des compétences managériales avérées.

L’une des missions principales de cette typologie de cadres est de permettre aux élus de mettre en œuvre leur projet en déclinant les objectifs politiques en objectifs stratégiques, puis en assurant les conditions optimales d’une bonne réalisation.

D’une manière générale, c’est leur aptitude à communiquer avec les élus qui permettra à ces cadres dirigeants d’exercer pleinement leurs fonctions.

3. Le processus décisionnel

La relation élu/fonctionnaire est la pierre angulaire de l’organisation interne des collectivités locales. Elle peut se résumer ainsi : ceux qui ont le pouvoir de décision (les élus) ont besoin de l’expertise des fonctionnaires, ceux qui possèdent l’expertise (les fonctionnaires) n’ont pas le pouvoir de décision, ce qui amène forcément ces deux acteurs à œuvrer ensemble. Si l’élu garde incontestablement le pouvoir de décision et si la décision est au final politique, il n’en demeure pas moins qu’elle aura été construite autour de circuits décisionnels où les fonctionnaires ont à jouer un rôle principal. D’où le fait que l’on peut parler d’une coproduction de l’action publique locale.

Les étapes du processus décisionnels :

  • La mise  à l’agenda

Du point de vue de la conduite des politiques publiques, c’est l’inscription ou non d’un problème à l’agenda qui est la question fondamentale et qui conduit à s’interroger sur le ou les faits qui la provoque.

L’inscription à l’agenda concerne avant tout les orientations et les choix politiques de la collectivité.

Cette phase est légitimement du ressort des élus.

  • L’identification du problème

C’est une phase délicate qui conditionnera forcément la suite des opérations.

Il s’agit de repérer les dysfonctionnements réels d’une organisation auxquels on souhaite apporter des mesures correctrices. Tout pouvant être perfectible, il s’agit de retenir les priorités dans l’inventaire des problèmes à résoudre.

Cette phase est légitimement du ressort des élus.

Les fonctionnaires peuvent avoir un rôle à jouer dans cette phase en faisant remonter les sollicitations des usagers du service public jusqu’aux élus.

  • La formulation des solutions (phase technique)

Cette phase consiste à définir des processus, méthodologies, plans d’action ou stratégies qui, avec les moyens d’accompagnement nécessaires, permettront la résolution des problèmes identifiés.

Cela peut être du ressort des élus, mais dans les faits revient aux cadres fonctionnaires.

Cette phase est pour l’agent public très importante car elle le responsabilise dans le processus décisionnel. S’il biaise les informations des élus, ceux-ci peuvent être amenés à prendre des décisions contraires à leur logique d’intervention.

C’est ainsi que la relation de confiance élu-fonctionnaire doit jouer à plein pour éviter les dérapages.

  • La prise de décision

Moment le plus important du processus, la prise de décision est un pari sur l’avenir. Ayant réduit au maximum l’incertitude existante, il s’agit ensuite de s’engager, cet engagement ayant des répercussions sur le cours habituel des activités.

C’est un acte qui revient de droit à l’élu mandaté dans ce but par la population et qui en tire sa légitimité.

  • Mise en œuvre des programmes

Il s’agit de la phase d’exécution proprement dite.

C’est la mission des services qui sont sous la responsabilité des cadres de la collectivité.

  • Evaluation

C’est un élément qui désormais se généralise de plus en plus. Aujourd’hui, la tendance est à l’évaluation des politiques publiques et dès la conception des projets, on met en place les critères qui permettront de mesurer le degré de réussite. Cette évaluation doit être menée par un élément extérieur à la collectivité si on veut qu’elle soit objective. Elle est tout de même suivie attentivement par cadres et élus.

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