Par BAUBY Pierre, président de RAP (Reconstruire l’action publique), membre du Conseil scientifique d’Europa et Mihaela M. Similie (Popa), chercheur
Dernière mise à jour : janvier 2017

La construction européenne engagée après la Seconde guerre mondiale repose sur une problématique finalement assez simple : des Etats-nation souverains, ayant chacun son propre intérêt national, font émerger un intérêt commun (on dira « communautaire ») qui est en adéquation avec l’intérêt de chacun. Ces Etats signent ensemble des traités qui définissent à la fois ce pourquoi ils veulent agir ensemble (leurs objectifs communs), le contenu de ce qu’ils veulent faire ensemble (des politiques communes) et les moyens de les mettre en œuvre (des institutions et des règles communes).

La recherche de ce que peut être l’intérêt commun et de sa convergence avec les intérêts de chacun va marquer les différentes étapes du processus d’intégration européenne, en même temps qu’elle explique les tensions, les différents échecs et relances intervenus et qu’elle continue à structurer en profondeur des relations complexes et évolutives, marquées par un double processus d’approfondissement du processus et d’élargissement à de nouveaux membres.

On ne connait ni la durée, ni l’issue de ce processus sans précédent dans l’histoire de l’Humanité, qui n’est pas le produit de la force ou de la domination, mais repose sur la libre volonté des gouvernements et des peuples et sur la recherche d’accords, de compromis, de consensus entre les différents acteurs, bien davantage que sur des logiques de décisions « majoritaires ».

En même temps, il faut bien saisir les spécificités de cette construction, qui ne correspond à aucune des catégories traditionnelles d’autorités publiques (ce n’est ni un Etat-nation, ni une collectivité territoriale, ni une simple organisation internationale). Elle est fondée sur des traités entre Etats souverains (qualifiés d’« Etats membres »), qui définissent des règles juridiques à la fois évolutives et contraignantes. On a ainsi pu qualifier la construction européenne de « machine à produire du droit ».

1. Les valeurs, les finalités, les traités successifs établissant l’Union européenne (UE)

Aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, se développe dans la partie occidentale de l’Europe une intense réflexion sur deux enjeux clés : comment essayer d’empêcher le retour des conflits séculaires, en particulier entre la France et l'Allemagne, ainsi que toute forme de résurgence du fascisme et du nazisme et donc de maintenir la paix ; comment reconstruire des économies et des pays dévastés. L'idée d'intégration européenne, présente dès le XVIIe siècle, devient motrice.

Cette effervescence se traduira par plusieurs initiatives majeures : le congrès de La Haye de 1948, qui débouche sur la création le 5 mai 1949 du Conseil de l’Europe, puis de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Convention éponyme ; l’institution en 1948 de l’OECE (Organisation européenne de coopération économique - qui deviendra OCDE en 1961) dans le cadre du plan Marshall ; la signature du traité de l’OTAN en 1949, qui scelle l’alliance avec les USA face à la « menace soviétique ».

1.1. Une succession de traités, approfondissements et élargissements

Parallèlement, la France, l’Allemagne, l’Italie et les 3 Etats du BENELUX, prennent l’initiative de mettre en commun le charbon et l'acier, qui sont à l’époque à la fois les moteurs de la reconstruction et les bases de l’industrie de guerre, ce qui débouche sur le traité de Paris de 1951 créant la Communauté européenne du charbon de le l'acier (CECA).

Rapidement, est forgé, dans le contexte de la guerre froide et pour encadrer toute velléité de réarmement allemand, le projet d’une armée européenne avec la Communauté européenne de défense (CED) ; mais cela aurait impliqué l'existence d'une communauté politique et la mise en place d’un système fédéral. Les conditions étaient loin d’en être réunies et en 1954 les députés français refusaient la ratification du projet.

Les gouvernements des 6 Etats ont alors décidé de reprendre et d’étendre la voie initiée par la CECA, en développant une unification économique progressive, alternative au protectionnisme des années 1930, analysé comme facteur de rivalité et de guerre.

1.2. Les traités de Rome de 1957

Signés en mars 1957 les traités de Rome instituent la Communauté économique européenne (CEE), fondée sur une intégration économique progressive, et la Communauté européenne de l'énergie atomique (Euratom), pour développer des coopérations en matière d’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire.

L’objet du traité de Rome CE était de définir une première étape de la construction européenne, consistant à construire un « marché commun » en éliminant progressivement les différents obstacles aux échanges, d’abord de marchandises, tout en instituant trois politiques communes (commerciale, agricole et de transports) et en définissant un régime commun de concurrence. Dès l’origine, la « Communauté européenne » se veut être davantage qu’une zone de libre-échange, puisqu’elle repose sur des délégations de souveraineté des Etats membres et définit des politiques communes, des institutions et des modes de décision.

Mais, pour les « pères fondateurs », l’unification économique n'était qu'un moyen au service d’une ambition politique. Les signataires du traité de Rome visent « à assurer par une action commune le progrès économique et social de leur pays en éliminant les barrières qui divisent l'Europe ». L'article 2 précise que « la Communauté a pour mission, par l'établissement d'un marché commun et par le rapprochement progressif des politiques économiques des États membres, de promouvoir un développement harmonieux des activités économiques dans l'ensemble de la Communauté, une expansion continue et équilibrée, une stabilité accrue, un relèvement accéléré du niveau de vie et des relations plus étroites entre les États qu'elle réunit ».

Ainsi, les Communautés européennes ont été construites sur un système de droit supranational commun aux Etats membres et sur le transfert de certaines compétences étatiques à de nouvelles institutions communes, en particulier dans le domaine économique, pour atteindre des objectifs fixés en commun : en particulier, la Commission européenne, porteuse de l’intérêt général communautaire, chargée d’élaborer des projets de législation et le législateur (le Conseil des ministres des Etats membres, seul ou, plus récemment, avec le Parlement européen).

1.3. L’Acte unique de 1986

La première étape de la construction européenne aboutira en particulier à la suppression en 1968 des droits de douane entre les 6 Etats fondateurs. Mais bien vite la crise économique et sociale ouverte par la crise pétrolière de 1973 amènera des tendances à des replis sur les intérêts nationaux au détriment de la recherche d’un intérêt communautaire. S’ouvre alors une période de stagnation marquée également par le premier élargissement de 1973 à 3 nouveaux Etats membres (Grande-Bretagne, Danemark, Irlande), puis l’élargissement à la Grèce en 1981 après la chute du « régime des colonels ».

C’est sous l’influence du nouveau président de la Commission européenne, Jacques Delors, que sera élaborée une nouvelle orientation consistant à franchir une nouvelle étape du processus d’unification européenne : les Etats européens sortiront mieux de la crise (très faible croissance, inflation galopante, explosion du chômage) en franchissant une nouvelle étape du processus d’unification européenne. En parallèle intervient l’élargissement de 1986 à l’Espagne et au Portugal après la chute de Franco et de Salazar.

L’Acte unique de 1986, qui amende et complète le traité de Rome, donne mandat aux institutions européennes de mettre en œuvre les quatre grandes libertés de circulation (des personnes, des biens, des services et des capitaux) et la réalisation d’un « marché unique ». S’engage alors un processus de création de « marchés intérieurs » dans les principaux secteurs, visant l’élimination progressive des obstacles aux échanges et la création de normes communes dans un nombre croissant de domaines.

1.4. Le traité de Maastricht de 1992

Bien vite interviendra un évènement majeur dans l’histoire de l’Europe : la chute du mur de Berlin et la dislocation du « bloc soviétique », qui conduira à redéfinir les objectifs de la construction européenne et à concevoir un nouvel élargissement aux pays d’Europe centrale et orientale.

Le traité de Maastricht de 1992 (traité sur l’Union européenne) a essayé de conjuguer l’achèvement de la logique économique d’intégration européenne - l’Union économique et monétaire, la monnaie unique et la création de la Banque centrale européenne -, avec le développement d’autres objectifs plus politiques : affirmation du principe de subsidiarité, deuxième et troisième piliers (politique extérieure, justice et affaires intérieures), citoyenneté de l’UE, affermissement de la cohésion économique et sociale et de la protection de l’environnement, nouvelles politiques communes en matière de réseaux transeuropéens, de politique industrielle, de santé publique, de protection des consommateurs, d’éducation, de formation professionnelle, de culture, de jeunesse. Par ailleurs, le remplacement des termes « Communauté économique européenne » par celui de « Communauté européenne » reflète la nature de ses compétences qui recouvrent non seulement des domaines économiques et sociaux mais aussi culturels, de santé et concernant la jeunesse.

1.5. Le traité d’Amsterdam de 1997 et le traité de Nice de 2001

Les années qui ont suivi le traité de Maastricht ont été marquées à la fois par la préparation de plusieurs élargissements (Autriche, Finlande, Suède en 1995 ; 5 Etats d’Europe centrale et orientale PECO, les 3pays baltes, Malte, Chypre le 1er mai 2004 ; Bulgarie, Roumanie le 1er janvier 2007 ; puis Croatie le 1er juillet 2013) et par la mise en œuvre de l’Union économique et monétaire, la création de l’Euro et de la Banque centrale européenne, sans qu’interviennent d’évolutions majeures. Les traités d’Amsterdam de 1997 et de Nice de 2000 ne comporteront pas d’innovations substantielles. Soulignons cependant la proclamation de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en décembre 2000, sans qu’elle soit intégrée dans les traités.

En même temps, le Conseil européen de Nice ouvre la perspective d’une réforme plus profonde des institutions et d’une refonte des traités.

1.6. Le projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe de 2004

Issu des travaux d’une « Convention sur l’avenir de l’Europe » réunissant des représentants des Etats membre, du Parlement européen et des parlements nationaux de février 2002 à juillet 2003, un projet de traité instituant une Constitution pour l’Europe était adopté par le Conseil européen en juin 2004. Une dizaine d’Etats membres avaient prévu la ratification par référendum.

Les rejets de la ratification lors des référendums en France et aux Pays-Bas au printemps 2005 allaient conduire à de nouvelles négociations conduisant à l’élaboration du traité de Lisbonne signé en 2007.

1.7. Le traité de Lisbonne de 2007

Entré en vigueur le 1er décembre 2009, le traité de Lisbonne comporte en fait deux traités, qui manifestent en particulier un recentrage sur le rôle et les pouvoirs des Etats membres et un certain frein à toute nouvelle européanisation, le traité de l’Union européenne (TUE) et le traité de fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

Le TUE se concentre sur les objectifs et principes de l’UE, ses institutions, alors que le TFUE clarifie les compétences de l’UE (exclusives – de l’UE, partagées - entre l’UE et les Etats membres - et d’appui – de l’UE aux Etats membres) et reprend sans changements majeurs les différentes politiques communes.

Ce traité consacre une personnalité juridique unique pour l’Union européenne, en fusionnant deux des trois entités séparées existant auparavant, celle de la Communauté européenne, qui constituait l’ancien premier pilier de l’Union et qui avait sa propre personnalité juridique, et celle de l’Union européenne, entité distincte des entités communautaires (CE et EURATOM) et qui rassemblait le deuxième pilier de politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et le troisième pilier justice et affaires intérieures (JAI) et qui n’était pas, formellement, dotée de personnalité juridique.

Avec le traité de Lisbonne, l’article 47 TUE dispose clairement que « l’Union a la personnalité juridique » et l’article 335 TFUE prévoît que « dans chacun des États membres, l'Union possède la capacité juridique la plus large reconnue aux personnes morales par les législations nationales; elle peut notamment acquérir ou aliéner des biens immobiliers et mobiliers et rester en justice ».

Le renoncement à la dualité qui caractérisait la personnalité juridique de l’Union avant le traité de Lisbonne a cherché non seulement à répondre à certaines questions concernant sa capacité juridique (par exemple de savoir si elle pouvait être membre d’organisations internationales ou d’ester en justice dans certains domaines), mais aussi de rendre l’Union plus visible au plan externe. Cela a permis aussi d’introduire une procédure unique de négociation et de conclusion d’accord internationaux (à la place des deux existant auparavant), même si cette procédure est marquée par certaines variations, selon les domaines concernés.

Quant à l’autre entité communautaire, Euratom, sa personnalité juridique reste séparée.

2. Les enjeux et les méthodes de l’intégration européenne

L’intégration européenne est un phénomène sans précédent dans l’histoire des sociétés humaines. Elle ne repose pas sur la mise en œuvre d’un « modèle » ou d’un « idéal-type » préétabli, mais sur des démarches progressives et souvent pragmatiques.

2.1. L’UE n’est pas un « Etat-nation » traditionnel

L'Union européenne ne correspond, ni par ses objectifs, ni par ses institutions, ni par sa gouvernance, ni par ses mécanismes de participation démocratique, à un « État-nation », à une fédération ou une confédération. Elle est un construit social, une Union d’Etats-nation, qui repose sur une série de tensions spécifiques, sans précédent dans l'histoire de l'humanité.

A-t-on déjà vu un « Etat » avec :

  • 7 « présidents », qui ont tous un rôle important (du Conseil européen, du Conseil, de la Commission, du Parlement, de l’Eurogroupe, de la Banque centrale, la Haute-représentante) ;
  • un micro-budget (moins de 1% du PIB) ;
  • seulement une esquisse de politique étrangère et de diplomatie ;
  • une préfiguration de défense ;
  • 24 langues officielles ?

Poser cette question, c’est y répondre.

On voit bien aujourd’hui combien les débats sur la « gouvernance économique » et le « Pacte pour l’euro + » adopté par le Conseil européen des 24 et 25 mars 2011 ne sont pas ceux qu’aurait un « État » intégrant toutes les dimensions politiques, économiques, sociales et culturelles, mais restent étroitement économiques et financiers.

Pour que l’Union européenne puisse être appréhendée comme « État nation », il faudrait qu’elle réponde aux critères avancés aussi bien par Hobbes (Léviathan, Gallimard, 2000) et Hegel (Principes de la philosophie du droit, Gallimard, 1940) que par Weber (Le savant et le politique, UGE, 1963). Le premier a montré que l’essence de la fonction de l’État est d'éviter le combat permanent de chacun contre chacun et contre tous, potentiellement destructeur de la collectivité et donc de chacun de ceux qui la composent ; c'est l'institution en position de Tiers qui donne force de Loi aux engagements contractuels. Hegel a souligné que l’État, garant du lien social, instaurateur de la paix sociale, se présente comme le porteur de l'intérêt général. Quant à Weber, il a clairement dégagé que l’État détient le monopole de la violence légitime ; c'est la seule machinerie sociale qui permette la confrontation pacifique des intérêts particuliers. On ne peut faire relever l’UE de ces fondements.

Ainsi donc, l’Union européenne n’est – et ce sera vrai pour une longue période – ni un État-nation, ni un super-État, ni une fédération, ni une confédération, ni un « État du troisième type », mais reste ce que Jacques Delors qualifiait d’OPNI (objet politique non identifié) et qu’il propose aujourd’hui de qualifier de « fédération d’États nations », sans que ce soit un « État » (Cf. Jean-Louis Quermonne, L’Union européenne dans le temps long, Presses de Sciences Po, Paris, 2010). Certes l’Union européenne dispose aujourd’hui de certaines prérogatives de pouvoir d’État, mais le jeu particulier de la répartition des compétences, du principe de « subsidiarité » et des institutions (que le traité de Lisbonne actualise et clarifie), les rapports entre un intérêt commun - « communautaire » - en construction et la persistance – voire souvent l’exacerbation, en particulier comme première réponse à toute crise – des intérêt nationaux, devraient empêcher de plaquer sur l’Union européenne des concepts et théories construites pour rendre compte d’autres réalités.

Peut-être l’Union européenne pourra-t-elle être assimilée un jour à un « État-nation », à condition de reposer sur une « nation » à laquelle s’identifieraient les individus… Mais les conditions sont loin d’en être réunies. L’« accrochage institutionnel » de l’individu se fait non pas par une adhésion à un « État » abstrait mais par un attachement symbolique à la Nation perçue comme une famille élargie, dont l’existence s’est construire historiquement comme opposée aux autres. La « nation européenne » n’existe pas aujourd’hui.

Mais qu’est l’UE ? C’est une construction politique originale, sans précédent dans l’histoire et en devenir, sans que l’on sache ni son issue, ni sa durée.

2.2. Subsidiarité et proportionnalité

Au cœur de cette dynamique d’intégration européenne figure un principe peu familier dans les traditions françaises et souvent mal compris ou interprété : le principe de subsidiarité (Cf. Jean-Louis Clergerie, Le principe de subsidiarité, Ellipses, 1997). Ce principe est souvent faussement présenté comme donnant dans chaque circonstance la priorité aux échelons locaux, à moins que ceux-ci ne « délèguent » leurs responsabilités aux échelons supérieurs nationaux ou communautaires. En fait, le traité de l’Union européenne (article 5) précise : « L'Union n'agit que dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées dans les traités pour atteindre les objectifs que ces traités établissent. Toute compétence non attribuée à l'Union dans les traités appartient aux États membres. En vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l'Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu'au niveau régional et local, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union. En vertu du principe de proportionnalité, le contenu et la forme de l'action de l'Union n'excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités ».

Une bonne application du principe de subsidiarité implique d’examiner au cas par cas, et de manière évolutive, ce qui doit relever de l’Union européenne dans la mesure où elle est plus efficace que chacun des États agissant séparément, là où donc son intervention apporte une « valeur ajoutée ». En même temps, l’Union européenne doit limiter son action à ces compétences et n’utiliser que les moyens nécessaires aux objectifs ainsi définis (principe de proportionnalité). Pour tous les autres domaines, l’UE devrait laisser une grande marge d’initiatives, une réelle autonomie, un « large pouvoir discrétionnaire » (expression du Protocole 26 consacré aux services d’intérêt général) aux autorités publiques nationales, régionales et locales pour définir et mettre en œuvre d’une part leurs compétences, d’autre part la forme la plus adaptée à leurs spécificités.

3. Les élargissements successifs, l’identité de l’UE

Compte tenu de ces réalités, il ne semble pas opérant de se poser la question de l’« identité » de l’Union européenne. Pourrait-on l’identifier à l’identique des six Etats fondateurs de 1951 et 1957 aux 28 et 27 Etats membres actuels ? L’« identité » se construit au fur et à mesure des évènements, des apports, des élargissements, des migrations, des mutations. L’identité européenne se construit de manière très progressive, sur le « temps long ». Le « modèle européen » n’est pas « identitaire ». C’est un modèle d’intégrations successives, ce dont témoignent les élargissements successifs à des pays marqués par des histoires, traditions ou situations politiques différentes, et non d’identification de chacun des nouveaux arrivants à de l’immuable. Les élargissements successifs ont renforcé la diversité des situations économiques, sociales, juridiques, etc., ce qui a amené, en particulier, le développement d’une politique européenne de cohésion.

Les élargissements successifs

Le noyau initial de la CECA, du projet avorté de CED et des traités de Rome (Communauté économique européenne et Euratom) est celui de six Etats fondateurs avec une population de presque 170 millions habitants : France, Allemagne, Italie, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas.

Depuis, sept vagues d’élargissement successifs ont intégré dans la CEE/UE 22 autres Etats européens pour un total à 28 de plus de 500 millions habitants :

1973 : Grande-Bretagne, Danemark, Irlande

1981 : Grèce en après la chute du « régime des colonels »

1986 : Espagne et Portugal après la chute des régimes de Franco et de Salazar

1995 : Autriche, Finlande, Suède

1er mai 2004 : 5 Etats d’Europe centrale et orientale PECO (Pologne, Tchéquie, Slovaquie, Hongrie, Slovénie), les 3pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie), Malte, Chypre

2007 : Bulgarie et Roumanie

1er juillet 2013 : Croatie

Pays candidats (pas de date d’adhésion pré-établie)

1999 Turquie - négociations ouvertes en 2005 ; le pays a signé dès 1963 un accord d’association avec la CEE lui permettant d’ouvrir le processus d’adhésion

Pays des Balkans de l’Ouest, suite aux guerres des années 1990 :

Décembre 2005 ancienne République Yougoslave de Macédoine

Décembre 2010 Monténégro - négociations ouvertes en 2012

Mars 2012 Serbie - négociations ouvertes en 2014

Juin 2014 Albanie

Pays candidats potentiels

Bosnie et Herzégovine

Kosovo (pays non reconnu par tous les Etats membres)

Etats associées dans le cadre de l’AELE (Association économique de libre échange)

Norvège – le pays a retiré après des référendums ses demandes d’adhésion à la CEE, puis à l’UE, en 1972 et en 1994

Islande – les négociations d’adhésion ont été ouvertes en 2010 puis suspendues en 2013

Suisse – le pays a suspendu sa demande d’adhésion en 1992, suite à un référendum

Pays du partenariat oriental

Arménie

Azerbaïdjan

Belarus

Georgie

Moldavie

Ukraine

3.1. Processus et procédures d’adhésion

Dès 1957, les traités ont prévu la possibilité pour un Etat européen de demander l’adhésion aux Communautés européennes. Le processus d’adhésion a évolué au fil du temps, pour tenir compte de nouvelles situations historiques, des objectifs économiques visant à assurer la prospérité et une économie de marché, des besoins de paix, de sécurité et de stabilité, de démocratie, de nouvelles politiques et du stade de développement de l’acquis communautaire, ainsi que des expériences des élargissements précédents et de la capacité de l’UE à absorber de nouveaux Etats membres.

En 1993, des conditionnalités politiques, économiques et juridiques ont été instituées en vue de l’adhésion de nouveaux Etats, les « critères de Copenhague » - Des institutions stables garantissant la démocratie, l’Etat de droit, les droits de l’homme et le respect et la protection des minorités ; une économie de marché fonctionnelle et la capacité de faire face à la concurrence et aux forces du marché au sein de l’UE ; la capacité de reprendre et mettre en œuvre de manière efficace l’acquis communautaire constitué du droit et des politiques de l’Union. Puis, au cours du processus d’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie, des critères de clôture des négociations ont complété le mécanisme institué autour des critères de Copenhague. Dans le contexte de l’adhésion de la Croatie et de la Turquie, des critères d’ouverture de négociations ont été ajoutés et pour les négociations en cours avec le Monténégro et la Serbie des critères intérimaires sont appliqués. Dans la période post-adhésion, la Bulgarie et la Roumanie ont également été soumises à un processus de suivi du respect des critères d’adhésion par un « mécanisme de coopération et vérification » (MCV).

La procédure d’adhésion a connu également des amendements apportés par les traités : l’Acte unique européen a prévu la nécessité d’un accord préalable du Parlement européen, à la majorité absolue ; le traité de Maastricht a éliminé la possibilité théorique d’adhésion séparée aux trois Communautés européennes et le traité d’Amsterdam a introduit l’exigence du respect par les Etats candidats des valeurs de l’UE prévues par l’art. 2 TUE. Cet article a été complété par le traité de Lisbonne de 2007, qui a prévu également l’accord à la majorité simple du Parlement européen, la notification aux parlements nationaux une fois la demande d’adhésion réalisée et la prise en considération des critères d’adhésion adoptés par le Conseil européen.

La procédure actuelle d’adhésion d’un Etat à l’UE est prévue par l’article 49 TUE :

Article 49 TUE

Tout État européen qui respecte les valeurs visées à l'article 2 et s'engage à les promouvoir peut demander à devenir membre de l'Union. Le Parlement européen et les parlements nationaux sont informés de cette demande. L'État demandeur adresse sa demande au Conseil, lequel se prononce à l'unanimité après avoir consulté la Commission et après approbation du Parlement européen qui se prononce à la majorité des membres qui le composent. Les critères d'éligibilité approuvés par le Conseil européen sont pris en compte.

Les conditions de l'admission et les adaptations que cette admission entraîne en ce qui concerne les traités sur lesquels est fondée l'Union, font l'objet d'un accord entre les États membres et l'État demandeur. Ledit accord est soumis à la ratification par tous les États contractants, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.

Le processus d’élargissement de l’Union européenne garde une nature intergouvernementale, qui résulte du rôle important des Etats membres dans la prise des décisions, par l’intermédiaire des gouvernements nationaux représentés au Conseil des ministres et dans le Conseil européen. Dans ce cadre, les décisions sont adoptées presqu’exclusivement à l’unanimité. Le rôle essentiel des Etats membres tient aussi à l’implication des parlements nationaux dans le processus de ratification des traités d’adhésion de nouveaux Etats. La Commission européenne joue, quant à elle, un rôle important dans la conduite de processus d’adhésion et dans les négociations. Le Parlement européen garde un rôle plus limité que celui des Etats membres et de la Commission.

Le processus d’adhésion à l’UE est ouvert aux « Etats européens ». La procédure d’adhésion est déclenchée par une demande d’adhésion adressée par l’Etat intéressé au Conseil. Cette demande est notifiée au Parlement européen et aux parlements nationaux. A la demande du Conseil, la Commission lui adresse un avis sur la capacité de l’Etat d’adhérer à l’Union. Le Conseil peut définir des conditions d’éligibilité en vue de l’adhésion et des conditions prioritaires à remplir avant que le pays se voie octroyer le statut de candidat à l’adhésion. L’avis de la Commission européenne évalue la demande d’adhésion par rapport aux critères de Copenhague. Si elle rend un avis positif et une recommandation, le Conseil à l’unanimité décide de l’octroi du statut de pays candidat.

Une fois remplies les conditions définies pour l’ouverture des négociations, le Conseil décide à l’unanimité de l’ouverture des négociations et d’un cadre de négociations qui établit les principes et les lignes directrices de ce processus. Les négociations sont assurées par la Commission européenne sous la direction du Conseil. Les négociations concernant l’adoption de l’acquis communautaire se font par chapitres de politiques publiques - actuellement 35 chapitres. L’adoption de l’acquis vise son intégration dans la législation, les politiques et les pratiques nationales. La Commission publie chaque année une stratégie d’élargissement actualisée et un rapport de négociation pour chaque pays candidat. La décision de fermeture des négociations pour chacun des chapitres de l’acquis appartient au Conseil, à l’unanimité. Mais tant que les négociations de tous les chapitres n’ont pas été intégralement fermés, tous les chapitres peuvent être ré-ouverts. La fermeture des négociations est décidée à l’unanimité par le Conseil, sur recommandation de la Commission et après accord du Parlement européen. Pour permettre une adaptation des anciens ou de nouveaux Etats membres à la situation créée par l’élargissement, des périodes de transition peuvent être définies, pendant lesquelles l’acquis est appliqué de manière limitée.

Dans le cadre du processus d’association, l’UE peut fournir une assistance technique et financière (art. 212 TFUE) par des programmes spécifiques (programme PHARE et CARDS entre 1989 et 2006, programme IPA I entre 2007 et 2013 et programme IPA II pour la période de programmation 2014-2020.

L’accord d’adhésion est conclu entre le pays candidat et le Conseil à l’unanimité et prévoît également les amendements aux traités existants rendus nécessaires par l’élargissement de l’Union. Après sa signature par les parties, le traité d’adhésion est soumis à la ratification par tous les Etats membres et le pays candidat. La ratification suit les procédures constitutionnelles de chaque Etat. L’adhésion à l’UE prend effet à la date prévue par le traité d’adhésion, après l’accomplissement du processus de ratification et l’entrée en vigueur du traité d’adhésion. L’adoption de l’euro, ainsi que l’intégration dans la zone Schengen de libre circulation se réalisent sur la base de critères distincts, qui peuvent être accomplis plusieurs années après l’intégration dans l’UE.

3.2. La sortie d’un Etat membre de l’Union européenne

Le traité de Lisbonne a introduit des dispositions concernant la sortie volontaire d’un Etat de l’Union européenne. L’article 50§1 TUE prévoit que « tout État membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l'Union ». Ces dispositions non seulement prévoient la procédure à suivre mais aussi soulignent le caractère volontaire de l’association des Etats européens dans l’Union européenne et leur pouvoir souverain de décider cette association.

La procédure de sortie est initiée par la notification au Conseil, par l’Etat membre concerné, de l’intention de quitter l’UE. Un accord fixant le cadre de la sortie est conclu par le Conseil (avec vote à la majorité qualifiée), après accord du Parlement européen, et l’Etat souhaitant se retirer de l’Union. Les traités de l’UE cesse de s’appliquer à l’Etat concerné à partir de la date d’entrée en vigueur de cet accord de retrait ou deux ans à partir de la date de notification de la demande de sortie de l’UE. Ce délai peut être prolongé d’un commun accord du Conseil européen (avec vote à l’unanimité) et l’Etat concerné.

Si l'État qui s'est retiré de l'Union demande à adhérer à nouveau, sa demande est soumise à la procédure visée à l'article 49 TUE.

3.3. Un modèle social européen

Plutôt que de rechercher une « identité » immuable et intemporelle, on peut s’interroger sur l’existence d’un « modèle social européen ».

Lorsque l’on parle de « modèle social », cela ne se réduit ni à l’existence et au contenu de la « politique sociale » définie et conduite pat les autorités publiques (locales, régionales, nationales, européenne), ni à l’importance et aux formes que prend le « dialogue social » entre les partenaires sociaux. Ces éléments en font partie mais le modèle social recouvre l’ensemble du système de :

  • valeurs,
  • normes,
  • institutions,
  • pratiques,

fruits d’une histoire longue, de conflits et de compromis, qui structurent l’ensemble des rapports sociaux entre les individus, les groupes, les intérêts, les aspirations, etc.

Le « modèle social » traduit le pourquoi et comment vivre ensemble ; il fonde la société et sa cohésion. Il est donc évolutif dans le temps et l’espace, en fonction des aspirations, besoins, demandes, rapports de forces, etc.

Chaque Etat européen a forgé dans son histoire son propre « modèle social », avec ses caractéristiques spécifiques. Il y a donc une grande diversité de modèles sociaux en Europe, en lien en particulier avec les élargissements successifs.

Mais dans ces diversités de formes, de méthodes, de modes d’organisation, existent des éléments communs qui fondent une profonde unité et autorisent à parler de « modèle social européen », différent sur bien des aspects des autres entités présentes au plan mondial.

C’est ainsi que l’UE a une moindre tolérance que les USA aux inégalités et à la violence, une forte sensibilité aux risques environnementaux ou sanitaires, est attachée à la complémentarité entre l’efficacité de l’économie de marché et sa nécessaire régulation publique.

Le modèle social européen a longtemps reposé sur la conjugaison du développement économique ET social : le progrès économique génère un progrès social, qui lui-même est facteur de progrès économique. C’est ainsi que le traité fait référence à l’« économie sociale de marché ».

On a eu ainsi un cercle vertueux, qui a reposé, entre autres, sur un rôle important d’incitation et d’entraînement de l’action publique nationale, régionale et locale, qui s’est traduite par le développement de l’Etat-providence, de toute une série d’infrastructures, comme de ce que l’Union européenne appelle aujourd’hui des « services d’intérêt général ».

Cette dynamique s’est cassée dans les années 1970 du fait de la convergence de toute une série de facteurs économiques et sociaux marqués en particulier par ce qu’il est convenu d’appeler « mondialisation ». Dans tous les pays européens, la croissance a été fortement freinée, le chômage s’est développé, le progrès social ralenti ou mis en cause, etc.

Mais, dès l’Acte unique et au fur et à mesure des élargissements, l’UE a développé les approches en matière de « cohésion » économique, sociale, puis territoriale. Le Conseil européen de Barcelone (15-16 mars 2002) l’a ainsi défini : « le modèle social européen est fondé sur une économie performante, un niveau élevé de protection sociale, l’éducation et le dialogue social ».

3.4. Des valeurs communes

Comme nous l’avons montré par ailleurs (Fournir de services publics de haute qualité en Europe sur la base des valeurs du Protocole n°26 du Traité de Lisbonne sur les Services d’Intérêt Général), dans le droit primaire de l’Union, la première référence aux « valeurs communes » date du traité de Maastricht, qui a institué une politique étrangère et de sécurité commune « pour la sauvegarde des valeurs communes, des intérêts fondamentaux et de l’indépendance de l’Union » [Article J.1(2)]. L’introduction du concept de « valeurs » - « valeurs communes » est significative, mais elle apparaît alors plutôt comme une notion vague parce que non définie. L’idée de valeurs communes a émergé comme un élément constitutif de l’Union européenne – la représentation de l’identité collective de l’Union, mais également « la clé pour atteindre les objectifs spécifiques de l’Union » (Marise Cremona, “Values in the EU Constitution : the External Dimension”, CDDRL Working Paper N° 26, 2 November 2004).

En 1997, par le traité d’Amsterdam, les services d'intérêt général sont reconnus explicitement comme composantes des « valeurs communes » de l’Union ; leur rôle dans la promotion de la « cohésion sociale et territoriale » est souligné ; l'Union et les États doivent veiller à ce qu'ils puissent « accomplir leurs missions » ; les principes d’« égalité de traitement », de « qualité » et de « continuité » sont explicitement mentionnés dans une déclaration annexée. D’ailleurs, dès sa première Communication sur les SIG [COM(96)443], la Commission européenne faisait référence aux SIEG en tant que valeurs communes de l’Union débouchant sur une variété de modes d’organisation des SIG, en fonction des pays, des régions et selon les secteurs et les situations géographiques, techniques, politiques, administratives, historiques et les traditions différentes, et dont le contenu est également fonction d’autres valeurs, morales ou démocratiques.

Le rapport du Comité des sages présidé par Maria de Lourdes Pintasilgo en 1995-1996, « Pour une Europe des droits civiques et sociaux » (Office des publications officielles des Communautés européennes, 1996a), conduit en particulier à la Charte des droits fondamentaux de l’UE proclamée en 2000 et intégrée dans les traités depuis 2009. Le Préambule de la Charte des droits fondamentaux de l’UE contient deux références aux « valeurs communes » des « peuples d’Europe » et une référence aux « valeurs indivisibles et universelles » sur lesquelles l’Union est fondée (« de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité »). Le texte distingue entre les concepts de « droits » et de « principes », distinction introduite à la demande du Royaume-Uni, inspirée d’une jurisprudence constitutionnelle française (Décision n° 94-359 DC du 19 janvier 1995 : « l’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés ci-après » (Préambule).

Le rapport Pintasilgo souligne que « l'État européen est un État social, et cela bien avant que les États ne s'intègrent dans l'Union. Ils ont tous apporté avec eux le sens de la responsabilité de la collectivité face aux besoins des citoyens. (…) Dans tous les États de l'Union, les droits sociaux sont, à des degrés différents sans doute, respectés, défendus et promus. D'où un espace commun qui a déjà une dimension sociale ».

Il ajoute que « les droits civiques et sociaux sont nés en Europe. L'affirmation de l'égale dignité de chacun et de son droit égal à la participation politique constitue notre héritage et la base de notre conception de la citoyenneté ». La citoyenneté de l'Union comporte le droit fondamental de libre de circulation et la levée des frontières, au droit de vote au Parlement européen ou aux élections municipales, à l’initiative citoyenne, et à la pétition auprès du Parlement, au recours au médiateur et à la protection diplomatique et consulaire. Pour certains, c’est peut être « peu » ; mais pour beaucoup d’européens c’est un acquis essentiel, qui donne du sens et du contenu au sentiment d’appartenance à l’UE.

Le Comité avançait que « l’inclusion dans le traité de droits tant civiques que sociaux pourrait permettre de nourrir cette citoyenneté et de diminuer la perception d'une Europe bureaucratique élaborée par des élites technocratiques insuffisamment proches des préoccupations quotidiennes. (…) Cet objectif (…) requiert (…) l'expression claire, nette et compréhensible de droits sociaux et civiques fondamentaux au niveau de l'Union ». On sait ce qu’il en est advenu : une Charte des droits fondamentaux que les Etats ont voulu limiter, en particulier pour ce qui concerne les droits sociaux, à des principes et à des renvois aux législations nationales.

Le rapport soulignait que « dans les années 1950, le Marché commun du charbon et de l'acier a été présenté comme une nécessité économique, mais aussi et surtout comme un moyen d'évoluer vers la réconciliation, la paix et l'union politique. Aujourd'hui, une inversion s'est produite entre les fins et les moyens ; le progrès économique, qui n'est en principe qu'un moyen, est devenu une fin en soi, au moment même où il devient plus difficile et ne profite pas à tous. Le but de l'Union, est de permettre à chaque citoyen de réaliser son développement potentiel personnel en liaison avec ses semblables et en tenant compte de la nécessaire solidarité avec les générations futures ».

Mais, nous l’avons vu, l’UE n’est pas un « super-Etat » qui viendrait chevaucher ou remplacer les Etats-nation membres, mais un nouveau niveau d’organisation et d’action publique se conjuguant avec eux par la coordination et l’action commune, et reposant sur des dynamiques « multi-niveaux » de « co-production », dans les domaines où c’est plus efficace que ce que peut faire chaque Etat agissant séparément. Il faut bien sûr insister ici sur le fameux principe de « subsidiarité ».

Dans le Traité de Lisbonne, les références aux valeurs se multiplient :

  • les « valeurs universelles que constituent les droits inviolables et inaliénables de la personne humaine, ainsi que la liberté, la démocratie, l’égalité et l’État de droit » (Préambule, TUE) ;
  • les valeurs [qui sont] communes aux États membres sur lesquelles l’Union est fondée « de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités », dont une violation grave et persistante par un État membre peut conduire à des sanctions contre celui-ci (suspension de certains droits, cf. l’art. 7 TUE) et dont le respect et l’engagement de les promouvoir permet à tout État européen de devenir membre de l’Union (Article 49 TUE) ;
  • il existe également des références plus générales aux « valeurs de l’Union » (Article 8, 13, 21, 32, 42 TUE). Leur promotion est l’un des buts de l’Union ; dans ses relations avec le reste du monde, l’Union affirme et promeut ses valeurs [Article 3 (1) et (5) TUE].

Dans le TFUE, l’expression « valeurs communes de l’Union » est reprise en référence aux SIEG (article 14 TFUE, ancien article 16 TCE – ci-dessus, complété), et le Protocole n°26 sur les SIG énumère ces valeurs mais sans les définir précisément : « un haut niveau de qualité, de sécurité et quant au caractère abordable, l’égalité de traitement et la promotion de l’accès universel et des droits des utilisateurs ». Leur caractère « partagé » engage non seulement l’action de l’Union mais aussi celle de ses États Membres. Ils apparaissent comme un socle fondamental pour les SIEG, tant pour les politiques et l’action communautaire qu’au niveau national dans la mise en œuvre du droit de l’Union.

Les articles 2 et 3 du TUE, tout comme la Charte des droits fondamentaux, définissent clairement les valeurs et fondements de ce modèle social, qui repose sur un trépied alliant l’efficacité du marché, la résolution pacifique des conflits et l’organisation de la solidarité, ce que le TUE qualifie d’« économie sociale de marché ».

Article 2 TUE

L'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l'égalité entre les femmes et les hommes.

Article 3 TUE

1. L'Union a pour but de promouvoir la paix, ses valeurs et le bien-être de ses peuples.

2. L'Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes, en liaison avec des mesures appropriées en matière de contrôle des frontières extérieures, d'asile, d'immigration ainsi que de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène.

3. L'Union établit un marché intérieur. Elle œuvre pour le développement durable de l'Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement. Elle promeut le progrès scientifique et technique.

Elle combat l'exclusion sociale et les discriminations, et promeut la justice et la protection sociales, l'égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits de l'enfant.

Elle promeut la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les États membres.

Elle respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique, et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen.

4. L'Union établit une union économique et monétaire dont la monnaie est l'euro.

5. Dans ses relations avec le reste du monde, l'Union affirme et promeut ses valeurs et ses intérêts et contribue à la protection de ses citoyens. Elle contribue à la paix, à la sécurité, au développement durable de la planète, à la solidarité et au respect mutuel entre les peuples, au commerce libre et équitable, à l'élimination de la pauvreté et à la protection des droits de l'homme, en particulier ceux de l'enfant, ainsi qu'au strict respect et au développement du droit international, notamment au respect des principes de la charte des Nations unies.

En même temps, l’Union européenne repose sur une conjugaison évolutive, des tensions et oppositions, une « unité contradictoire » entre diversité et unité.

Diversité des histoires et traditions, des institutions, des langues, des cultures et en même temps unité d’un socle de « valeurs communes » forgées dans l’histoire économique, sociale, politique, culturelle du continent européen.

Parmi ces valeurs communes, la démocratie et les droits de l’homme occupent une place déterminante, héritage d’une histoire longue, de mouvements politiques et sociaux, de « révolutions nationales », de batailles et de conflits, de guerres et de dictatures, de camps de concentration et de goulags…, qui ont débouché progressivement depuis 70 ans – et à travers bien des aléas - sur l’acceptation d’une conflictualité régie par des règles, des valeurs communes « supérieures » et le primat des droits fondamentaux.

Diversité ET unité, de manière indissociable, structurelle : l’unité ne vise en rien l’uniformité, d’ailleurs complètement illusoire, mais au contraire d’une part de permettre et garantir la diversité existante, d’autre part même de l’encourager et de la développer.

Le défi de l’intégration européenne, ce que l’on pourrait appeler son « gêne », voire son « identité », est sans doute de permettre à un continent de répondre aux défis nouveaux sans rien renier de ses racines…

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