Notions-clés sur les marchés publics face aux entreprises en difficulté

Modifié par Jean-Michel Carsuzaa le 27 septembre 2018

Un opérateur économique peut tomber sous l’emprise d’une procédure collective au moment de la procédure de passation d’un marché public ou encore en cours d’exécution du marché. Il existe différents types de procédures collectives répondant à des régimes spécifiques. Il est donc important pour les acheteurs publics d’identifier la démarche à adopter selon les cas qui se présentent à eux.

1 Aperçu général des principales procédures collectives

1.1 Avant la cessation de paiement : la procédure de sauvegarde

La procédure de sauvegarde peut être ouverte à la demande du chef d’entreprise qui justifie de difficultés avérées qu'il n'est pas en mesure de surmonter et qui sont susceptibles de le conduire à l’état de cessation de paiement.
Cette procédure est destinée à faciliter la réorganisation de l'entreprise afin de permettre la poursuite de l'activité économique, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif.
La procédure de sauvegarde donne lieu en principe à un plan arrêté par jugement à l'issue d'une période d'observation.
Si l'adoption d'un plan de sauvegarde est manifestement impossible et que la clôture de la procédure conduirait de manière certaine à la cessation des paiements, le tribunal peut convertir la procédure de sauvegarde en procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.

1.2 Après la cessation de paiement : le redressement judiciaire et la liquidation judiciaire

La procédure de redressement judiciaire est ouverte au débiteur qui est en cessation des paiements, c'est-à-dire dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible.
La procédure de redressement judiciaire est destinée à permettre la poursuite de l'activité de l'entreprise, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif. Elle donne lieu à un plan arrêté par jugement à l'issue d'une période d'observation.
À l’issue de la période d’observation, lorsque l’entreprise a des chances d’être sauvée, le tribunal adopte un plan de redressement qui indique les mesures économiques de réorganisation de l’entreprise consistant en l’arrêt, l’adjonction ou la cession d’une ou plusieurs activités. La durée du plan ne peut excéder dix ans.
Si le plan de redressement est impossible, le juge peut décider soit de la liquidation judiciaire de l’entreprise, soit d’un plan de cession total ou partiel.

La procédure de liquidation judiciaire est ouverte au débiteur en cessation de paiement et dont le redressement est manifestement impossible.
Un commissaire à la liquidation est chargé de la gestion de l’arrêt de l’activité, ordonnée par le jugement d’ouverture, ainsi que de la vente de la totalité des biens de l’entreprise, en vue du paiement de ses dettes.

Références : articles L620-1 et suivants du code de commerce (sauvegarde), articles L631-1 et suivants du code de commerce (redressement judiciaire), L. 640-1 et suivants du code de commerce (liquidation judiciaire).

2 Les effets du déclenchement d’une procédure collective lors de la procédure de passation

2.1 Entreprise soumise à une procédure collective avant le dépôt de la candidature

2.1.1 Sont interdites de soumissionner :

  • les personnes soumises à la procédure de liquidation judiciaire,
  • les personnes physiques dont la faillite personnelle a été prononcée,
  • les personnes faisant l'objet d'une procédure équivalente régie par un droit étranger,
  • les personnes admises à la procédure de redressement judiciaire ou à une procédure équivalente régie par un droit étranger doivent justifier qu'elles ont été habilitées à poursuivre leurs activités pendant la durée prévisible d'exécution du marché.

Les candidats doivent fournir au pouvoir adjudicateur une attestation sur l’honneur par laquelle ils déclarent ne pas relever de l’une des interdictions de soumissionner ci-dessus.

Les personnes soumises à une procédure de redressement judiciaire doivent produire en outre le jugement d’ouverture de ladite procédure.

A noter qu’en cas de candidature d’un groupement d’entreprises, il suffit que l’un des cotraitants soit touché par une interdiction de soumissionner pour que la candidature du groupement dans son ensemble soit rejetée.

Références : articles 8 et 38 de l’ordonnance n°2005-649 du 6 juin 2005, repris par l’article 43 du code des marchés publics

2.1.2 Cas particulier des entreprises en situation de redressement judiciaire

Fiche68_MarchésEtsDifficulté_WIKI_html_m1dd0b53f.png Comme abordé ci-dessus, les personnes en redressement judiciaire peuvent candidater à un marché public sous réserve d’avoir été habilitées à poursuivre leur activité pendant la durée prévisionnelle d’exécution du marché.

Ainsi, si la durée prévisionnelle du marché est supérieure à la durée de la période d'observation fixée par le jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, l’entreprise ne peut soumissionner au marché et le pouvoir adjudicateur doit en conséquence éliminer sa candidature.

A l’inverse, si la période d’observation couvre la durée prévisible du marché, alors la candidature de l’entreprise doit être analysée dans les mêmes conditions que celles de ses concurrents.

Toutefois, le marché ne pourra être signé avec l’attributaire que s’il est en capacité de produire ses attestations. (cf. Fiche 13 - Notions clés sur l’achèvement de la procédure)

L’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) a apporté des précisions concernant la délivrance des attestations de régularité fiscale aux entreprises en situation de redressement judiciaire :

  • « l’attestation de régularité fiscale et sociale prévue à l’article 46 du Code des marchés publics n’est plus délivrée par les organismes de recouvrement aux entreprises qui se trouvent en période d’observation à la suite de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ;
  • les entreprises bénéficiant d’un plan de redressement pourront en revanche obtenir cette attestation dans certains cas : plan de redressement respecté au 31 décembre de l’année N-1 et absence de nouvelles dettes au 31 décembre de l’année N-1 ou à la date d’envoi de l’avis de l’appel public à la concurrence (AAPC) ; plan de redressement adopté au plus tard à la date d’envoi de l’AAPC et respect des conditions de délivrance des attestations.

Ces entreprises en redressement judiciaire peuvent, dans ces hypothèses, être attributaires de marchés publics ».
En conséquence, même si une entreprise en période d'observation peut soumissionner au marché, elle ne sera pas nécessairement en qualité de produire les attestations fiscales et sociales nécessaires à l'attribution du marché. Dès lors, elle peut candidater, mais ne pourra pas nécessairement être attributaire du marché.
En revanche, si l'entreprise bénéficie d'un plan de redressement judiciaire et que les conditions précitées sont remplies, elle pourra obtenir les attestations nécessaires à l'attribution du marché.

2.2 Entreprise soumise à une procédure collective entre le dépôt de la candidature et la remise de l’offre

Si les textes imposent aux candidats de justifier de leur situation eu égard à une éventuelle procédure collective en cours qu’au stade de la candidature, il est à noter que le juge a précisé récemment que les candidats qui, postérieurement à la remise de leur candidature, tombent sous l’emprise d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, doivent en informer le pouvoir adjudicateur.
Cette information doit ensuite être traitée par les pouvoirs adjudicateurs qui ont alors l’obligation de réétudier la candidature de l’entreprise concernée sur ces nouvelles bases. Si la candidature de l’entreprise n’est plus recevable, le pouvoir adjudicateur ne peut poursuivre la procédure avec cette société (CE, 26 mars 2014, Co. de Chaumont c/ Soc. Atelier Bois, n°374387).

Candidat seul en liquidation judiciaire. La candidature ou l’offre de ce dernier devra être rejetée.

Cotraitant (d’un groupement) en liquidation judiciaire. L’article 51-V du code des marchés publics traite ce cas en précisant que : « La composition du groupement ne peut être modifiée entre la date de remise des candidatures et la date de signature du marché. Toutefois, si le groupement apporte la preuve qu'un de ses membres est mis en liquidation judiciaire ou qu'il se trouve dans l'impossibilité d'accomplir sa tâche pour des raisons qui ne sont pas de son fait, il peut demander au pouvoir adjudicateur l'autorisation de continuer à participer à la procédure de passation sans cet opérateur défaillant, en proposant le cas échéant à l'acceptation du pouvoir adjudicateur un ou plusieurs sous-traitants. Le pouvoir adjudicateur se prononce sur cette demande après examen de la capacité professionnelle, technique et financière de l'ensemble des membres du groupement ainsi transformé et, le cas échéant, des sous-traitants présentés à son acceptation. »

Candidat seul en redressement judiciaire. La candidature de ce dernier et son offre restent valables (sauf si écartées pour d’autres motifs), si le candidat produit le jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire et que la période d’observation couvre la durée prévisionnelle d’exécution du marché.

Cotraitant (d’un groupement) en redressement judiciaire. La candidature du groupement restera valable si le cotraitant en question produit le jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire et que la période d’observation couvre la durée prévisionnelle d’exécution du marché.

Si ce n’est pas le cas, on peut s’interroger sur la possibilité d’appliquer le même raisonnement que pour le cotraitant placé en liquidation judiciaire, qui consiste à admettre que le groupement puisse poursuivre sans ce membre défaillant ou proposer, le cas échéant, à l’agrément et à l’acceptation du pouvoir adjudicateur un sous-traitant.
Le code ne permet pas expressément cette possibilité mais vise la possibilité de proposer un sous-traitant pour pallier la défaillance d’un cotraitant qui se trouve dans l'impossibilité d'accomplir sa tâche pour des raisons qui ne sont pas de son fait.
Il ne semble donc pas interdit de pouvoir procéder de la sorte lorsqu’un cotraitant est placé en redressement judiciaire dans des conditions qui ne lui permettent plus de pouvoir poursuivre la procédure de passation du marché public.

Candidat sous l’emprise d’une procédure de sauvegarde. Les textes ne prévoient pas d’obligation d’informer le pouvoir adjudicateur de leur situation.

2.3 Entreprise soumise à une procédure collective avant la signature du marché

Encore une fois, si les textes imposent aux candidats de justifier de leur situation par rapport à une éventuelle procédure collective qu’au stade de la candidature, le juge a précisé que les candidats qui, postérieurement à la remise de leur candidature, tombent sous l’emprise d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, doivent en informer le pouvoir adjudicateur (CE, 26 mars 2014, Co. de Chaumont c/ Soc. Atelier Bois, n°374387, précité).

En tout état de cause, l’entreprise qui ne peut remettre ses attestations sociales et fiscales au pouvoir adjudicateur au moment de l’attribution, verra son offre éliminée.

2.3.1 Défaillance du candidat seul désigné attributaire du marché

En cas de procédure de sauvegarde, de sauvegarde accélérée ou de rétablissement professionnel, cette situation n’empêchera pas la signature du marché, si le titulaire transmet dans les délais impartis par le pouvoir adjudicateur ses attestations fiscales et sociales.

En cas de situation de redressement judiciaire, le candidat doit fournir le jugement d’ouverture et si la période d’observation ne couvre pas la durée prévisible du marché, son offre doit être écartée. Toutefois, si le marché lui a déjà été attribué, dans ce cas, le pouvoir adjudicateur sera contraint de déclarer la procédure sans suite, sauf à ce que les candidats évincés n’ait pas encore été informés du rejet de leur offre et que le délai de validité des offres ne soit pas arrivé à expiration. Dans ce cas, le pouvoir adjudicateur pourra attribuer le marché au candidat arrivé en deuxième position dans le classement des offres. Toutefois, si la période d’observation couvre la durée prévisible du marché, alors le candidat attributaire tombé en redressement judiciaire pourra se voir désigné titulaire du marché, s’il peut produire ses attestations fiscales et sociales dans le délai imparti par le pouvoir adjudicateur, ce qui n’est malheureusement pour lui, pas certain.

Enfin, en cas de liquidation judiciaire, l’offre du candidat soit systématiquement être éliminé et si le marché lui a déjà été attribué, la procédure devra être déclarée sans suite, encore une fois sauf à ce que les candidats évincés n’ait pas encore été informés du rejet de leur offre et que le délai de validité des offres ne soit pas déjà expiré.

2.3.2 Défaillance d’un des cotraitants du groupement désigné attributaire du marché

En cas de procédure de sauvegarde, de sauvegarde accélérée ou de rétablissement professionnel, cette situation n’empêchera pas la signature du marché, si le cotraitant transmet dans les délais impartis par le pouvoir adjudicateur ses attestations fiscales et sociales.
En cas de situation de redressement ou de liquidation judiciaire, le pouvoir adjudicateur fait application de l’article 51-V du code des marchés publics (cf. point 2.2 ci-dessus).

3 Les effets du déclenchement d’une procédure collective en cours d’exécution du marché

Pour les procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire, l’administrateur, s’il en est désigné un, ou à défaut le gérant, a le droit d’exiger la continuation des contrats en cours.

Concernant la procédure de liquidation judiciaire, le code de commerce précise que seul le liquidateur a le droit d’opter pour la poursuite des contrats en cours.

Dès qu’il a connaissance de la situation de l’entreprise, le pouvoir adjudicateur doit tout de suite adresser, selon le cas à l’administrateur, le débiteur ou le liquidateur, une lettre de mise en demeure de se prononcer pour la continuation ou non du marché.
L’administrateur, le débiteur ou le liquidateur disposent d’un délai de principe d’un mois pour se prononcer. Dans cette attente, le contrat se poursuit.
Le défaut de réponse dans le délai d’un mois (sauf cas de prolongation de délai) vaut renonciation à la poursuite du contrat en cours et emporte résiliation de plein droit du marché.

  • S’il est décidé de la poursuite du contrat, le pouvoir adjudicateur ne peut, sans commettre de faute, résilier le contrat.

Par ailleurs, l’administrateur judiciaire ou le liquidateur en cas de liquidation, devient, sauf jugement contraire, le nouvel interlocuteur du pouvoir adjudicateur pour la suite de l’exécution du marché.
A noter toutefois que si la poursuite du contrat a été décidée mais que l’entreprise ne s’acquitte pas de ses obligations, le pouvoir adjudicateur peut résilier le contrat dans les conditions contractuelles.

  • S’il est décidé de la renonciation à l’exécution du contrat en cours, et que cette renonciation se fait de manière expresse (nous avons vu que la renonciation tacite emporte résiliation d’office), on considère que la résiliation est effective dès le jour de la réception par le pouvoir adjudicateur de la décision de renoncer à l’exécution du contrat.

Fiche68_MarchésEtsDifficulté_WIKI_html_m1dd0b53f.pngAttention, s’il n’y a pas eu de mise en demeure, la simple renonciation de l’administrateur ou du liquidateur, de sa seule initiative, n’emporte pas résiliation de plein droit et la résiliation devra dans ce cas être prononcée par le juge commissaire, sur demande de l’administrateur ou du liquidateur.

La résiliation emporte obligation pour les parties de procéder à la réception des ouvrages exécutés et à l’établissement d’un décompte de liquidation dans les conditions prévues par le marché.
Les CCAG organisent cette procédure de résiliation spécifique (articles 47 du CCAG travaux, 34-4 des CCAG prestations intellectuelles et CCAG fournitures courantes et services, 44-4 du CCAG TIC).
Le pouvoir adjudicateur ne peut réclamer au titulaire une indemnité pour le préjudice causé du fait de la résiliation (il ne s’agit pas d’un cas de résiliation pour faute). De la même manière, le titulaire ne peut prétendre à aucune indemnité du fait de cette résiliation du contrat.

3.1 Titulaire en liquidation judiciaire : incidence sur la sous-traitance.

En principe, la liquidation judiciaire entraîne la cessation de l’activité de l’entreprise.
Toutefois, le tribunal peut autoriser le maintien de l’activité pendant une durée de deux mois, éventuellement prolongée pour une durée ne pouvant excéder deux mois (Période de sauvegarde).
Lorsqu’une entreprise fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire, le liquidateur a la possibilité d’exiger la continuation des contrats en cours et le cocontractant doit alors continuer à remplir ses obligations.
Si la continuation des contrats du titulaire est acceptée, le sous-traitant pourra continuer son travail. Mais à l'inverse, si le liquidateur n'autorise pas le titulaire à poursuivre l'exécution de son contrat, le sous-traitant devra nécessairement arrêter également l'exécution de ses prestations.
En conséquence, le sous-traitant ne peut pas continuer l'exécution du contrat si le titulaire n'y est plus autorisé puisque le sous-traitant exécute des prestations issues du marché passé entre le pouvoir adjudicateur et le titulaire désormais en liquidation.
S'agissant du paiement, l'article 6 de la loi du 31 décembre 1975 sur la sous-traitance prévoit pour le paiement direct du sous-traitant que " Ce paiement est obligatoire même si l’entrepreneur principal est en état de liquidation des biens, de règlement judiciaire ou de suspension provisoire des poursuites ".
Ainsi, dès lors que la sous-traitance est régulière, il convient de payer directement au sous-traitant les sommes qui correspondent aux prestations qu’il a exécutées avant le prononcé du jugement de liquidation de l’entrepreneur principal.

3.2 L’importance de la déclaration des créances

L’ouverture d’une procédure collective interdit au titulaire du marché de payer les créances nées antérieurement au jugement d’ouverture de la procédure collective (à l’exception du paiement par compensation de créances connexes).

Fiche68_MarchésEtsDifficulté_WIKI_html_m1dd0b53f.pngLe pouvoir adjudicateur qui veut obtenir le paiement de ses créances antérieures doit donc absolument procéder à une déclaration de ses créances, car à défaut, il ne pourra obtenir le paiement de ces dernières.

Ainsi, à compter de la publication du jugement d’ouverture au BODACC (Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales), les créanciers, dont la créance est soumise à déclaration, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judicaire ou au liquidateur, dans un délai de deux mois. Il est donc vivement recommandé au pouvoir adjudicateur créancier sur le titulaire du marché public, de consulter régulièrement le BODACC.
Toutes les créances doivent être produites, même si elles ne sont pas liquides, exigibles ou certaines.
Doivent être déclarés le principal de la créance, les intérêts, les pénalités, les majorations…
Le code de commerce prévoit que s’agissant des créances dont le montant n’est pas définitivement fixé, elles sont déclarées sur la base d’une évaluation.

Références : Instruction de la Direction Générale des Finances Publiques n°12-005-M0 du 26 janvier 2012 « Marchés publics et procédures collectives ».

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