Théorie générale des libertés publiques : les sources des libertés publiques

Modifié par Julien Lenoir le 24 juillet 2019

Par Eric Guérin

Dernière mise à jour : juillet 2019

De nombreuses expressions peuvent être rencontrées : droits de l’homme, libertés publiques ou fondamentales. Chacune de ces expressions ne relève pas du même régime juridique mais par soucis de simplification nous parlerons de libertés publiques c'est-à-dire les libertés qui représentent « une faculté d’agir et une sphère d’autonomie opposable à la puissance publique ».

Les libertés publiques trouvent leur origine dans la philosophie individualiste libérale qui met l’accent sur la sphère d’autonomie et la liberté des hommes. Elles sont ensuite consacrées dans les textes révolutionnaires tels que la Déclaration de 1789 et ont fait l’objet de plusieurs approfondissements. Il nous faut donc examiner à la fois l’origine de la protection des libertés et leur cadre juridique contemporain.

1 L’origine de la protection des libertés

Les droits de l’homme ont été formulés pour les première fois en Amérique du nord et en France mais ont été inspirés par le modèle britannique. En effet, les Britanniques furent les premiers à offrir aux justiciables des garanties contre l’arbitraire par des documents à caractère juridique tel que par exemple, d’Habeas Corpus en 1215, la Grande Charte de 1215 ou le Bill off right de 1688. Ces grands textes accordent des concessions obtenues de la monarchie. Ils donnent des garanties de caractère procédural et précises, notamment en matière judiciaire. Ces grands textes n’ont pas de caractère universaliste, comme ceux de la déclaration de 1789 mais ils sont précis et concrets.

Le modèle américain est né à la fin du XVIIIème avec l’apparition de la déclaration d’indépendance du 04 juillet 1776. Puis les Etats fédérés ont inséré une déclaration dans le préambule de leurs Constitutions respectives. La déclaration de Virginie a été suivie de six autres déclarations de droits. De plus, les dix premiers amendements de la Constitution fédérale concernent les droits de l’homme. Ils ont un caractère procédural et sont destinés à garantir les citoyens contre l’arbitraire.

Le modèle français est très différent des modèles anglo-saxon. Le texte fondateur est bien sûr la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. La DDHC a une vocation beaucoup plus universelle que les grands textes Britanniques et que les déclarations américaines. La déclaration a été influencée par l’esprit des Lumières et par le catholicisme. Sa vocation universaliste se perçoit dans le fait qu’elle est destinée à tous les hommes de tous les temps et de tous les pays.

La déclaration correspond à ce que l’on appelle les droits de l’homme de la première génération : « c’est le noyau dur des libertés ». Ces droits de nature individuelle seront ensuite complétés en 1946 par des droits sociaux (droit de grève, liberté syndicale, liberté d’association….). Les droits issus de la Déclaration de 1789 ont pour vertu d’être : transcendants (ce sont des droits inhérents à la nature humaine), universels (ils concernent tous les hommes), et individualistes (ils concernent les hommes et les citoyens et non pas un groupe)

En France, on peut dire que les libertés publiques apparaissent comme la traduction juridique d’une philosophie des droits de l’homme. C’est la vision des constituants. Il existe des droits naturels qui doivent être déclarés et être mis en tête de la constitution. Les droits de l’homme se situent hors du droit positif mais doivent inspirer les droits positifs.

2 Cadre juridique des libertés publiques

Le cadre juridique des libertés publiques est d’abord national avant de recevoir une consécration dans le cadre des conventions internationales.

2.1 Le cadre national

En France comme dans la plupart des Etats européens notre démocratie est une démocratie libérale et un Etat de droit qui suppose une hiérarchie des normes avec une détermination des principes fondamentaux au niveau supérieur, celui de la Constitution. Il faut une mise en œuvre de ces principes constitutionnels et des garanties effectives.

2.1.1 La primauté de la Constitution dans la détermination des principes fondamentaux

Le texte constitutionnel est celui qui a la plus haute valeur juridique dans notre ordonnancement. Il était donc logique que les libertés publiques recevoivent une protection conforme aux objectifs des principes et des valeurs qu’elles défendent. Mais cette protection formelle ne suffit pas il faut encore des mécanismes mis en œuvre adaptés.

2.1.1.1 Le texte de la Constitution source de protection des libertés publiques

Les droits constitutionnels anglais et américain marquent la consécration de droits et libertés dans des textes encore en vigueur aujourd’hui (cf première partie). Il en va de même dans la plupart des pays occidentaux. En France, le Conseil constitutionnel dans une décision de 1971 a élargi la notion de Constitution pour y inclure la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le Préambule de la Constitution de 1946. La décision du Conseil constitutionnel a eu pour effet d’élargir la notion de Constitution au bénéfice des droits consacrés par chacun des deux textes.

  • La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen :

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 est un texte fondamental de la Révolution française. Il énonce un ensemble de droits naturels individuels et les conditions de leur mise en œuvre. Dans son contenu, la DDH procède à la fois à la laïcisation du pouvoir et à la promotion des droits de l’homme.

Elle procède à la laïcisation du pouvoir d’une part, en énonçant de nouveaux principes qui doivent gouverner la société, notamment au travers de l’énoncé de la séparation des pouvoirs ou l’affirmation de la loi comme expression de la volonté générale ; et d’autre part, parce qu’elle fonde la souveraineté comme manifestation de la nation. L’article 3 affirme que le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation.

Elle procède à la promotion des droits de l’homme, soit en faisant de l’homme le siège des droits (liberté de conscience, de religion, caractère sacré de la propriété privée ….) ; soit en énonçant le principe d’égalité (article 1) qui constitue la rupture la plus forte avec les principes de l’ancien régime ; soit encore en consacrant le principe de la légalité des délits et des peines.

  • Le Préambule de la Constitution de 1946

L'alinéa 1 du préambule réaffirme les droits de l'Homme, sans distinction « de race, de religion ni de croyance », et fait ainsi appel à la Déclaration de 1789. Mais le préambule de la Constitution ne se contente pas de faire un renvoi à 1789, il énonce de nouveaux droits, tels que les droits des femmes garantis «égaux à ceux des hommes », les droits des travailleurs (droit de grève, liberté syndicale, le droit à la participation des travailleurs), la liberté d’association, le droit au regroupement familial, ou encore le droit d’asile.

2.1.1.2 Les mécanismes de contrôle et la protection des libertés publiques : le rôle créateur du juge

Chaque Constitution organise des procédures visant à garantir la protection effective des libertés publiques. Dans certains cas ce rôle est confié au juge ordinaire (modèle américain) dans d’autres cas il est confié à un juge constitutionnel (modèle français). C’est à l’occasion de ce contrôle que le juge, par un travail d’interprétation et de création, en profite pour élargir le catalogue des droits et des libertés publiques.

En France, le juge constitutionnel détermine quels sont les principes à valeur constitutionnelle et il en précise leurs contours et leur portée. Ainsi à coté des composantes écrites de la Constitution (DDHC et Préambule de 1946) il existe des principes que le juge énonce que l’on nomme principe à valeur constitutionnelle, principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, ou encore principes particulièrement nécessaires à notre temps.

Au sein de ces principes, le conseil n’établit pas de hiérarchie mais il y des droits et des libertés qui sont plus fondamentaux les uns par rapport aux autres. Certaines libertés sont mieux protégées comme la liberté de la presse. Il y a une hiérarchie informelle, au cas par cas qui résulte du pragmatisme du juge.

2.1.2 La nécessité d’une intervention législative dans la protection des libertés publiques

La loi conserve un rôle en matière de liberté pour des raisons juridiques. L’article 34 de la Constitution prévoit que « la loi fixe les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques». Ainsi, c’est la loi qui définit les crimes et les délits ainsi que de manière générale toutes les peines privatives de libertés. C’est également la loi qui organise l’exercice de la liberté du commerce et de l’industrie, la liberté de culte et ses limites (loi sur le voile)…

2.1.3 Le renforcement des garanties juridictionnelles

La protection des libertés publiques est également assurée par le juge ordinaire. Cette protection ne peut toutefois être véritable que si l’indépendance des juridictions est assurée. Le juge administratif joue un rôle singulier dans la protection des libertés.

2.1.3.1 L’indépendance des juridictions

L’article 64 de la Constitution dispose que le Président de la république est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Le texte Constitutionnel reste en revanche silencieux en ce qui concerne le juge administratif. Toutefois dans une décision du 22 juillet 1980 le conseil constitutionnel a estimé que l’on pouvait fonder le principe d’indépendance des juridictions administratives sur l’article 64 de la Constitution. Le Conseil constitutionnel par la même assure une valeur constitutionnelle à la dualité de juridiction.

Garantir l’indépendance des juges suppose également que des procédures soient suivies en ce qui concerne leur recrutement, leur avancement et la discipline. Ce rôle a été donné au Conseil Supérieur de la Magistrature. Le CSM est garant de l’indépendance des magistrats en ce qui concerne l’avancement et la discipline. Quand il statue en matière disciplinaire, il est présidé par le président de la Cour de cassation.

Il faut également préciser que l’article 6 de la Convention Européenne de Droit de l’Homme va plus loin et dispose que «toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement publiquement dans un délai raisonnable par un tribunal impartial et indépendant établit par la loi ». Sur la base de l’article 6 et des règles relatives à un procès équitable, la jurisprudence a dégagé un grand nombre de principes qui protègent le justiciable contre l’arbitraire.

2.1.3.2 Le juge protecteur des libertés publiques : les principes généraux du droit

Les principes généraux du droit constituent des normes découvertes par le juge administratif et parfois consacrés par le législateur. Le juge administratif a eu recours à cette technique pour la première fois à l’occasion d’un arrêt de Section du Conseil d’Etat du 5 mai 1944 Dame Veuve Trompier-Gravier. En l’espèce, le Conseil d’Etat était saisi d’un recours dirigé contre une décision préfectorale retirant une autorisation d’exploiter un kiosque à journaux au motif que son titulaire avait voulu extorquer des fonds à son gérant. Cette décision fut annulée au motif que le préfet avait commis une violation des droits de la défense (ce n’est que dans un deuxième arrêt de 1945 Aramu que le juge fait expressément référence à l’expression de PGD). Ainsi, le respect des droits de la défense fut le premier principe énoncer par le juge qui par la suite devait en élargir la liste : principe d’égalité CE Sect., 9 mars 1951, Société des concerts du conservatoire), la liberté d’aller et de venir (CE, 20 mai 1955, Société Lucien et Cie), le principe de la liberté du commerce et de l’industrie ( CE Sect., 13 mai 1994, Président de l’Assemblée territoriale de la Polynésie française), le principe du respect de la dignité de la personne humaine (CE Ass., 2 juillet 1993 Milhaud) ….

2.1.4 Le développement des garanties non juridictionnelles

La protection des libertés publiques se développe également au travers de l’action des Autorités administratives indépendantes. Il en existe une grande diversité dans des domaines d’action variés: le domaine économique (Autorité des marchés financiers), de la communication (Commission nationale informatique et liberté) ou le domaine des relations entre l’administration et les administrés (Commission d’accès aux documents administratifs). Elles disposent toutes d’un pouvoir consultatif. Certaines ont d’autres catégories de pouvoirs : pouvoir normatif pour certaine, pouvoir de décision dans le cadre de leur compétence, pouvoir de sanction.

La nomination des membres doit représenter des intérêts différents et en matière de compétence elles doivent avoir parmi les membres, du personnel compétent dans leur domaine.

Elles ont des pouvoirs que les autorités administratives n‘ont pas parce qu’elles ne sont pas vraiment indépendantes. Elles ne sont pas soumises au pouvoir hiérarchique mais elles sont soumises au principe du droit administratif. Elles sont soumises au contrôle du Conseil d’Etat. Le juge impose à ces autorités le respect des principes de droit administratif. Le Conseil d’état et la Cour de cassation ont réussi à juridictionnaliser certaines décisions de ces autorités.

2.2 Le cadre supra national des libertés fondamentales

La garantie juridictionnelle internationale se compose s’agissant de la France du système du Conseil de l’Europe et du système de l’union européenne.

2.2.1 Le Conseil de l’Europe et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme

2.2.1.1 Le Conseil de l’Europe

Le Conseil de l’Europe est une organisation régionale, créée après la seconde guerre mondiale, instituée le 5 mai 1949 par le traité de Londres. Le traité a pour objectif la protection des droits de l'homme, le renforcement de la démocratie et de la prééminence du droit en Europe. C’est une organisation internationale composée de 47 États membres. La Convention européenne des droits de l'homme est au cœur des dispositions du traité (la Convention est entrée en vigueur en 1953). Mais la promotion des droits de l’homme et du droit en général ne sont pas ses seules prérogatives; à cela s'ajoute un aspect culturel avec la Convention culturelle européenne de 1954, économique avec la création du Fonds de rétablissement ou encore social avec la Charte sociale européenne de 1961. Un grand nombre de conventions autre que la CEDH ont été adoptées dans le cadre du Conseil de l’Europe : Charte sociale européenne (adoptée en 1961), Convention culturelle européenne (1954), Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitement inhumains ou dégradants (1987) …..

Les 28 Etats membres de l’Union européenne sont aussi membres du Conseil. Adhérer à la CEDH est une condition implicite pour entrer dans l’Union européenne.

De façon générale, les activités du Conseil de l’Europe intéressent tous les domaines de la vie courante (sauf les questions de défense) et ont conduit à l’élaboration d’un large éventail de normes, chartes et conventions destinées à faciliter la coopération entre les pays membres. Il a également pour but de favoriser un progrès économique et social.

2.2.1.2 La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme

La Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (pour respecter la véritable appellation) a pour objectif de garantir un certain nombre de droits et libertés individuels dans les Etats l'ayant ratifiée (47 dont les 28 membres de l'Union européenne). Le traité de Lisbonne prévoit par ailleurs que l'Union européenne, en tant qu'organisation, doit y adhèrer également. La Convention (avec la Charte européenne des droits fondamentaux) est l’une des sources des droits fondamentaux de l'Union européenne. Il s’agit d’une convention internationale adoptée par le Conseil de l'Europe en 1950 et entrée en vigueur en 1953. Elle a pour but de protéger les droits de l'homme et les libertés fondamentales en permettant un contrôle judiciaire (effectué par la Cour européenne des droits de l'Homme) du respect de ces droits individuels.

La Convention ne propose pas de définition générale des droits de l’Homme, mais énonce les principaux droits et libertés qu’elle protège.

La Convention assure en particulier la protection des droits liés à l’intégrité de la personne : droit à la vie (elle interdit le recours à la peine de mort), la protection des personnes vulnérables (détenus), l’interdiction du travail forcé, la prohibition de la torture ou toutes les peines ou traitements inhumains ou dégradants ….

La Convention assure également la protection de droits processuels tels que le droit à la liberté et à la sûreté, le droit à un procès équitable, le droit à un recours effectif devant une instance nationale, le respect de la vie privée et familiale ….

La Convention protège également les libertés d’opinion et de pensée comme la liberté de religion

De façon générale elle prohibe toute forme de discrimination.

2.2.2 La Constitution de l’union européenne et charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

Classiquement on oppose une Europe économique et une Europe des droits de l’homme mais l’Union européenne apparaît de plus en plus comme une concurrente du Conseil de l’Europe en matière de protection des droits et libertés. Les arrêts de la Cour de justice des communautés a d’abord explicitement fait référence à la Convention européenne des droits de l’Homme (arrêt Rutile du 28 octobre 1975) sans que la convention fasse pleinement partie du droit communautaire. En outre, depuis le 1er décembre 2009 la Cour de justice dispose d’un instrument propre à l’Union, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Le texte comprend 54 articles précédés d'un bref préambule. Les droits sont regroupés en six grands chapitres et se rapportent à la Dignité, la liberté, l’égalité, la solidarité, la citoyenneté et la justice.

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