Le domaine de la police administrative générale

Modifié le 16 mai 2023

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Notions clés

La police administrative générale a pour objet le maintien de l’ordre public. La notion d’ordre public détermine à la fois les fondements de l’action des autorités de police (1), et les conditions de légalité de leur intervention (2).

Sommaire

1.L’ordre public comme fondement de la police administrative

La police administrative a pour objet le maintien de l’ordre public. Cependant, la notion d’ordre public reste abstraite et ses contours sont incertains. En matière de police spéciale, le texte qui investit l’autorité administrative de sa compétence détermine le plus souvent le but spécifique de la réglementation. Par exemple, la police des immeubles menaçant ruine tend à protéger la sécurité publique, alors que la police des débits de boissons tend à prévenir les troubles à la tranquillité publique.

En revanche, le but poursuivi par la police générale est beaucoup plus difficile à déterminer. Devant cette incertitude, l’ancien article L. 131-2 du Code des communes, devenu l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales, nous donne une définition traditionnelle de l’ordre public. Cette définition sera par la suite élargie à des composantes nouvelles, introduites par la jurisprudence.

1.1 La conception traditionnelle de l’ordre public

Les mesures de police ne sont légales que si elles visent à maintenir l’ordre public. Ce sont les dispositions actuelles de l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales, auxquelles tout le monde s’accorde à donner une portée générale, qui définissent l’ordre public comme l’activité visant à assurer, en matière de police générale « le bon ordre, la sécurité, la tranquillité et la salubrité publiques ». Assurer l’ordre public, dans le cadre de la police administrative générale, consiste donc à prendre les mesures qui s’imposent en vue de prévenir la survenance d’accidents ou de dommages aux biens ou aux personnes. Le souci d’assurer la sécurité publique conduit l’autorité administrative à réglementer les heures de fermeture de certains établissements, à réglementer le stationnement des véhicules et leur circulation, à interdire le tapage nocturne. Cependant, les énumérations de l’article L. 2212-23 ne sont pas limitatives de la notion d’ordre public. Celle-ci a évolué en fonction des transformations des missions de la puissance publique. À côté de la trilogie classique de l’ordre public, la jurisprudence a élargi le contenu de la notion.

1.2 Une conception élargie de l’ordre public

La trilogie traditionnelle de l’ordre public n’est pas exhaustive. Il faut y adjoindre la prise en compte par le juge administratif de la notion d’esthétique et le retour d’une dimension morale, par le principe de dignité de la personne humaine.

  • La prise en compte de l’esthétique

Devant le développement des législations destinées à protéger l’environnement, le Conseil d’État a – un temps du moins – considéré qu’il fallait ranger dans l’ordre public la sauvegarde de l’esthétique. C’est-à-dire d’un environnement architectural respectueux d’une certaine harmonie. C’est ainsi que le Conseil d’État a admis la légalité de la réglementation des enseignes autour de l’arc de triomphe dans « l’intérêt de l’esthétique » (CE, 3 juin 1938). Dans le même sens, le juge administratif a admis l’illégalité de certains monuments funéraires en raison de critères d’esthétique (CE, 18 février 1972, Chambre syndicale des entreprises artisanales du bâtiment de la Haute- Garonne). Un grand nombre de textes législatifs intègrent une préoccupation touchant l’esthétique. Il en va ainsi par exemple de la police spéciale des sites naturels ou de la police spéciale de l’affichage et de la publicité.

  • Le retour d’une dimension morale en matière de police administrative

Le souci de protéger les bonnes mœurs n’est pas totalement étranger aux pouvoirs de police. De nombreuses polices spéciales ont pour but la défense d’un certain sens moral et des bonnes mœurs. Il en va ainsi de la police des journaux et périodiques destinés à la jeunesse, ou de la police des films à caractère pornographique. Dans chacun de ces cas, l’autorité administrative dispose du pouvoir de prendre les mesures nécessaires à la préservation de la moralité publique. En revanche, dès lors qu’il s’agit de la police générale, la tâche des autorités de police devient beaucoup plus délicate. L’idée de bonnes mœurs peut se confondre avec un certain conformisme politique, la consécration d’un ordre moral. Néanmoins, une jurisprudence constante consacre la présence de la moralité publique comme composante de l’ordre public. Le Conseil d’État n’hésite pas à mettre en avant « l’hygiène morale » (CE, 7 novembre 1924, Club sportif indépendant chalonnais), ou la moralité publique (CE, 30 septembre 1960, Jauffret).

En outre, le Conseil d’État a reconnu, si des circonstances de temps et de lieu le justifient, le droit au maire de censurer la représentation d’un film sur le territoire de la commune, notamment en raison du caractère immoral du film (CE, 18 décembre 1959, Sté Les Films Lutetia). Mais le juge administratif est allé encore plus loin. Dans un arrêt d’assemblée du 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge, le Conseil d’État a consacré la dignité de la personne humaine comme un élément à part entière de l’ordre public. Le juge administratif estime, que « l’attraction de lancer de nain porte atteinte à la dignité de la personne humaine […] et que l’autorité investie du pouvoir de police municipale, pouvait, dès lors, l’interdire ».

Enfin, l’extension de la notion d’ordre public à « la protection contre soi-même » est sans doute le développement le plus inattendu de la jurisprudence du Conseil d’État en la matière. Dans un arrêt Bouvet de la Maisonneuve du 4 juin 1975, le Conseil d’État a admis la légalité du décret par lequel le Premier ministre a rendu obligatoire le port du casque pour les conducteurs de véhicules à deux roues et le port de la ceinture pour les automobilistes, en se fondant sur l’objet de la mesure qui visait à « réduire les conséquences des accidents de la route ».

2.La légalité comme cadre d’action de la police

Les actes de police administrative sont, comme tous les actes de l’administration, soumis au principe de légalité. Cette contingence définit le cadre dans lequel les autorités détentrices du pouvoir de police sont habilitées à agir. Ce cadre légal de l’action de police trouve une limite de principe dans la prohibition des interdictions générales et absolues.

2.1 Le cadre légal de l’action des autorités de police

La première obligation qui incombe aux autorités de police administrative est de prendre les mesures nécessaires au maintien ou au rétablissement de l’ordre public. Lorsque l’autorité de police est confrontée à une situation risquant d’entraîner des troubles pouvant porter atteinte à l’ordre public, elle se trouve dans l’obligation d’agir. En second lieu, les mesures de police sont soumises à une forte exigence de motivation. L’article 1er de la loi du 11 juillet 1979 sur la motivation des actes administratifs, dispose que « les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées des motifs des décisions administratives défavorables qui les concernent et à cet effet, doivent être motivées les décisions qui constituent une mesure de police ». En outre, cette motivation doit énoncer les considérations de droit et de fait qui fondent la mesure. Sur ce point, le juge administratif ne se contente pas d’une motivation sommaire et expéditive, mais exige de l’administration la communication des motifs applicables à l’espèce. L’exigence de motivation est renforcée en considération du caractère attentatoire aux libertés publiques que peuvent revêtir les mesures de police. Celles-ci ne doivent avoir pour seule finalité le maintien de l’ordre.

2.2 L’interdiction des mesures générales et absolues

Le contrôle que le juge exerce sur les mesures de police est particulièrement large. Ces mesures doivent avant tout être nécessaires. Ainsi, le juge contrôle l’adéquation de la mesure envisagée, les moyens employés et la gravité de la menace qui pèse sur l’ordre public. Il applique un principe de proportionnalité entre la mesure de police et la situation à laquelle elle est sensée remédier. Le juge contrôle l’adéquation des moyens et du but recherché, de telle sorte que la liberté reste la règle et la restriction l’exception. Dans son célèbre arrêt Benjamin du 19 mai 1933, le Conseil d’État affirme qu’en l’espèce, « s’il incombe au maire, de prendre les mesures qu’exige le maintien de l’ordre, il doit concilier l’exercice de ses pouvoirs avec le respect de la liberté de réunion ».

Si la mesure de police est nécessaire au maintien de l’ordre, elle ne peut revêtir un caractère général et absolu. Le Conseil d’État a fixé cette règle dans une jurisprudence déjà ancienne. Dans son arrêt Daudignac du 22 juin 1951, il annule l’interdiction faite par un maire de façon générale et absolue aux photographes filmeurs d’exercer sur le territoire de la commune leur activité estimée attentatoire à la liberté du commerce et de l’industrie. Le juge administratif estime que l’objectif poursuivi par l’autorité administrative aurait pu être atteint par une mesure plus souple, notamment en réglementant les conditions d’exercice d’une telle activité (heures et lieux). Le juge applique la même jurisprudence en matière d’arrêtés « antimendicité », « couvre-feu » (CE, 17 mai 2002, Ville d’Amiens), ou en ce qui concerne le port de signes religieux ostensibles (voir sur ce dernier point l’état actuel de la jurisprudence : CE, 2 novembre 1992, Kherrouaa ; CE, 10 mars 1995, Aoukili ; CE, 27 novembre 1996, Ligue Islamique du Nord).

Auteur(s) :

GUERIN Eric

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