Les fondements de la responsabilité de l'administration

Modifié le 16 mai 2023

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Notions clés

La responsabilité de l’administration ne peut être engagée, par principe, que sur la base d’une faute. Mais en outre, et à titre complémentaire, la responsabilité de la puissance publique peut être engagée en dehors de toutes faute. Il existe donc deux régimes de responsabilité de la puissance publique : un régime de responsabilité pour faute et un régime de responsabilité sans faute.

Sommaire

1.La responsabilité pour faute

Le régime de la responsabilité pour faute remonte au début du XXème siècle. Celui-ci n’a jamais cessé de s’élargir. Il nous faudra délimiter les contours et les conditions de mise en œuvre de la responsabilité pour faute, en étudiant d’abord la notion de faute (1.1) et ensuite la graduation des fautes (1.2).

1.1 La notion de faute

Comme l’a écrit le professeur Chapus, « on est en faute quand on ne s’est pas conduit comme on l’aurait dû : quand l’action ou l’abstention sont de nature à justifier un reproche ». La faute exprime l’idée de d’erreur, de manquement, mais ces affirmations ne suffisent pas à cerner les contours juridiques de la faute.

Les hypothèses dans lesquelles le comportement ou les agissements de l’administration seront susceptibles de relever d’un caractère fautif et d’engager sa responsabilité pécuniaire, correspondent à une grande variété de situations. Toute définition abstraite de la faute de l’administration conduirait à appauvrir les contours de la notion. Le plus souvent la faute résulte d’une atteinte aux droits des administrés. Ces atteintes peuvent prendre des formes multiples. Ce sera le cas chaque fois qu’une décision administrative jugée illégale aura privée un administré du droit au bénéfice qu’il sollicite. Mais la faute de l’administration peut encore résulter d’une carence ou d’un retard à agir ou un défaut d’organisation du service. La faute de l’administration pourra résulter d’un acte médical accompli sans respecter les règles de l’art, du refus des forces de police d’intervenir pour faire cesser un trouble à l’ordre public, de la carence de l’autorité compétente à prendre un texte d’application d’une loi, du défaut d’entretien d’un ouvrage public...

1.2 La graduation des fautes

Alors que le droit civil admet que toute faute, quelle que soit sa gravité, engage la responsabilité de celui qui en est à l’origine (article 1382 du Code civil), en droit administratif la responsabilité de l’administration est graduelle. En effet, l’arrêt « Blanco » déclare que la responsabilité de l’État n’est pas absolue. Les juridictions administratives peuvent dès lors moduler le degré de faute requis pour engager la responsabilité de la puissance publique. Dans certaines circonstances, le juge administratif exige, pour mettre en cause la responsabilité de la puissance publique, une faute d’une certaine gravité. Dans ce cas, on parlera de faute lourde, par opposition à la faute simple.

Il est assez difficile de rationaliser l’emploi de la terminologie faute simple/faute lourde et de rendre compte de la différence de gravité qu’elles représentent. Tout au plus peut on affirmer que la faute lourde présente un caractère de gravité plus important que la faute simple. Depuis une période récente, les choses tendent à se simplifier du fait de l’abandon de la faute lourde au profit de la faute simple. Aujourd’hui il importe d’abord de s’interroger sur le champ d’application et la signification de la faute lourde (1), avant d’examiner les hypothèses dans lesquelles le juge réclame uniquement une faute simple (2).

  • Les contours de la faute lourde

Les contours de la faute lourde ne peuvent être déterminés que par l’étude de son champ d’application (1) et de sa signification (2).

1- Le champ d’application de la faute lourde

Bien que le champ de la faute lourde soit aujourd’hui en très nette régression, il n’en demeure pas moins que dans certaines hypothèses, le juge continue d’exiger une faute d’une gravité particulière pour engager la responsabilité de la puissance publique. Par exemple, si l’État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice, la victime ne pourra engager la responsabilité de l’administration qu’en cas de faute lourde. La faute lourde est également requise lorsque sont en cause les services de police. Par exemple, la faute lourde est requise pour engager la responsabilité du service de la fourrière du fait du délai à identifier le propriétaire d’un véhicule entreposé. Pourtant, dans certaines hypothèses, le juge n’exige plus une faute lourde pour engager la responsabilité de la puissance publique lorsque le dommage résulte d’une activité de police (voir infra). Enfin, la faute lourde est requise lorsqu’est mise en cause une activité de contrôle. C’est par exemple le cas pour les contrôles que le préfet exerce sur les actes des collectivités territoriales. La responsabilité de l’État peut être mise en cause en raison d’une illégalité résultant d’une délibération, à condition que celle-ci soit d’une gravité particulière.

2- La signification de la faute lourde

La faute lourde est reliée à la difficulté inhérente à certaines activités administratives, et à la nécessité de protéger l’administration en refusant que toute faute puisse engager sa responsabilité. Lorsque la réalisation d’une activité présente une difficulté particulière, le juge administratif soustrait l’administration, en cas d’agissements fautifs, à l’obligation de réparer le dommage, en exigeant que la faute relevée à son encontre soit d’une gravité particulière. La faute lourde est en vérité un instrument qui permet de limiter la responsabilité de l’administration. Celle-ci a bien commis une faute mais qui ne présente pas un degré de gravité suffisant pour conférer à la victime un droit à réparation.

  • Le recul de la faute lourde : l’application de la faute simple

1- Le recours à la faute simple

Quelles que soient les justifications de la faute lourde, force est de constater que « l’histoire de la faute lourde est celle de son recul » (Chapus). Les raisons de ce déclin tiennent d’une part à ce que le domaine de la faute lourde est devenu difficile à tracer (il n’y a pas véritablement de critères permettant de distinguer la faute lourde de la faute simple); d’autre part, les activités qui jusqu’à présent étaient considérées comme difficiles apparaissent de plus en plus semblables aux autres activités de l’administration. En outre, la dualité de faute pouvait apparaître comme particulièrement inéquitable.

Ainsi chaque fois que l’activité de l’administration ne présente aucune difficulté particulière, le régime applicable sera celui de la faute simple. Les hypothèses dans lesquelles le juge applique le régime de la faute simple s’inscrivent en contrepoint des hypothèses dans lesquelles il applique le régime de la faute lourde. Toutefois, certaines hypothèses de faute simple méritent d’être relevés. Il s’agit d’une part des activités médicales et d’autre part des services de lutte contre l’incendie. Dans un cas comme dans l’autre le juge administratif a abandonné le régime de la faute lourde au profit de la faute simple.

2- L’extension de la faute simple

Depuis le début du XXe siècle le juge administratif exigeait une faute lourde pour engager la responsabilité de l’administration lorsque le dommage résultait d’un acte médical (diagnostic, choix d’une thérapie, opération de chirurgie….). Cette jurisprudence était peu favorable à la victime qui devait démontrer une faute caractérisée du médecin. Parallèlement les médecins du secteur libéral n’obéissaient pas à cette règle. Fort logiquement, le Conseil d’État a abandonné la faute lourde en matière de responsabilité hospitalière. Désormais, la responsabilité d’un centre hospitalier pourra être engagée pour toute faute médicale, indépendamment de son degré de gravité (Conseil d’État, 10 avril 1992, « Époux V »). Cette extension de la faute simple se révèle aussi dans des domaines traditionnellement connus pour leurs difficultés d’action, et donc ayant justifié le recours à la faute lourde comme condition de mise en cause de leur responsabilité (CE, 20 juin 1997, Theux, pour la responsabilité pour faute simple du SAMU ; CE, 13 mars 1998, « Améon », pour le service de secours en mer ; CE, 29 avril 1998, « Commune de Hannapes », pour les services d’incendie et de secours). Plus récemment, dans un arrêt du 23 mai 2003, « Chabba », le Conseil d’État a abandonné la faute lourde pour engager la responsabilité de l’administration pénitentiaire.

2.La responsabilité sans faute

L’administration peut voir sa responsabilité engagée en dehors de toute faute. On parlera alors de responsabilité sans faute. La responsabilité sans faute est une des plus grandes originalités du droit administratif français. Pourtant, si la responsabilité de l’administration est détachée de tout comportement fautif, l’obligation faite à l’administration de réparer le dommage causé à la victime reposera, soit sur le risque (2.1), soit sur une rupture de l’égalité devant les charges publiques (2.2).

2.1 La responsabilité pour risque

Les premières manifestations de la responsabilité pour risque sont anciennes. A la fin du XIXème siècle le Conseil d’État avait notamment permis l’indemnisation des collaborateurs de l’État pour les dommages survenus dans l’exercice de leurs fonctions (CE, 21 juin 1895, « Cames »). Aujourd’hui, la mise en œuvre de la responsabilité pour risque peut être rangée dans deux séries d’hypothèses ; la responsabilité du fait des choses dangereuses ou des activités dangereuses (1), ou encore parce que le dommage découle d’une opération particulière que sont les travaux publics (2). Dans un cas comme dans l’autre la victime ne pourra prétendre à une indemnisation que si elle peut justifier d’un préjudice anormal et spécial, c’est-à-dire d’un trouble particulièrement grave.

  • L’utilisation des choses dangereuses ou la poursuite d’une activité dangereuse

L’utilisation par l’administration de certains objets ou la poursuite de certaines activités présentant un risque sont susceptibles d’engager sa responsabilité en dehors de toute faute. Par exemple, lorsque l’administration fait peser un risque sur les administrés proches d’une installation dangereuse, telle qu’un dépôt d’armes et de munitions, on parlera de risque anormal de voisinage ( CE, 28 mars 1919, « Regnault-Desroziers », pour l’explosion d’un stock de munitions).

La victime est également dispensée de prouver la faute de l’administration lorsqu’elle est exposée à la poursuite d’une activité dangereuse comme la prise en charge de personne à risque. Ce sera par exemple le cas lorsque l’administration pénitentiaire relâche un détenu avant le terme de sa peine pour tenter de le réinsérer dans la société et que ce dernier commet une infraction ( CE, 29 avril 1987, « Banque Populaire de Strasbourg »). C’est le même raisonnement pour les mineurs délinquants en permission de sortie (CE, 3 février 1956, « Thouzellier »), ou les locataires d’un hôpital psychiatrique (CE, 13 juillet 1967, « Département de la Moselle »).

Enfin, il existe un cas particulièrement remarquable de responsabilité pour risque en matière hospitalière, il s’agit de ce que l’on appelle l’aléa thérapeutique. Le Conseil d’État dans un arrêt d’assemblée du 9 avril 1993, « Bianchi », a jugé que « lorsqu’un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade présente un risque dont l’existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle….la responsabilité du service public hospitalier est engagée…. ».

  • La responsabilité pour dommage de travaux publics

Lorsque le dommage est causé par un événement inopiné qui aurait pu ne pas se produire (chute d’un arbre, effondrement d’un édifice…), et relève donc d’un défaut d’entretien normal de l’ouvrage, la victime pourra demander à être indemnisée sur le terrain de la responsabilité pour faute (comme cela sera étudié plus loin, ce régime diffère selon la situation de la victime).

En revanche, lorsque le dommage est permanent, c’est à dire lorsqu’il s’agit d’un dommage qui est la conséquence de l’exécution du travail (allongement d’un parcours pour accéder à une propriété, construction d’une ligne de chemin de fer à proximité des habitations….), et que ce dommage présente un caractère anormal et spécial (bruit, odeur, préjudice commercial,…), la victime peut demander à être indemnisée même en l’absence de faute, non plus sur le fondement du risque, mais pour rupture de l’égalité devant les charges publiques (en ce sens, CE, 2 octobre 1987, « EDF c/Dame Spire »).

  • La responsabilité du fait des personnes dont on a la garde

Dans une décision du 1er février 2006 (Garde des Sceaux ministre de la justice c/ Mutuelle assurance des instituteurs de France), le Conseil d’Etat a adopté une solution nouvelle en reconnaissant la responsabilité d’une personne publique (ou privée) à laquelle a été confiée la garde d’un mineur délinquant. Cette responsabilité peut être engagée même sans faute. Cette jurisprudence fait suite à un arrêt du 11 février 2005 (GIE Axa Courtage) par lequel la haute juridiction administrative avait institué un régime de responsabilité sans faute des personnes publiques en cas de dommages causés par un mineur placé, dans le cadre de l’assistance éducative, auprès d’une institution relevant du droit public. Cette jurisprudence est originale dès lors qu’elle est fondée non plus exclusivement sur le risque mais sur la notion de garde issue du Code civil. Cette nouvelle hypothèse semble devoir prospérer dans la jurisprudence du juge administratif. Par un arrêt du 13 novembre 2009, le Conseil d’Etat a marqué une significative extension du champ d’application de l’arrêt du 11 février 2005 « Gie Axa courtage ». En l’espèce, trois mineurs délinquants placés sur décision judiciaire dans un foyer public d’action éducative avaient agressé un jeune majeur en danger faisant l’objet d’une mesure de protection judiciaire et placé dans le même foyer. Ceux-ci étant insolvables, la victime devait engager la responsabilité du ministre de la Justice et non la responsabilité des parents des auteurs. Dans cette affaire, le Conseil d’Etat retient que la responsabilité de l’Etat peut être engagée « même sans faute pour les dommages causés aux tiers par les mineurs ». Ainsi, par l’affirmation de ce principe, la juridiction administrative se rapproche de la juridiction civile qui par sa décision « Blieck » consacre un principe de responsabilité du fait d’autrui (dans le même sens, Ccass, 26 mars 1997, « Foyer Notre-Dame des flots » sur la responsabilité du fait des associations). En effet, il semblerait que la garde se soit substituée au « risque spécial » rompant ainsi avec la jurisprudence « Thouzellier » mentionnée plus haut, comme fondement de la responsabilité sans faute pour les dommages causés par les mineurs délinquants.

Dans un autre arrêt du 3 juin 2009, « Garde des sceaux c/ Gan », le Conseil d’Etat a également reconnu la responsabilité de l’Etat en cas de dommage causé par un mineur placé mais hébergé par ses parents au moment des faits. Cela signifie donc que dans le cas du mineur placé la cohabitation avec les parents n’exclut pas la responsabilité de l’institution de placement. Dans le même sens, le Conseil d’Etat a reconnu la responsabilité d’un département pour les faits commis par un mineur en fugue (CE, 13 février 2009, « Corpart »).

2.2 La responsabilité pour rupture de l’égalité devant les charges publiques

La responsabilité pour rupture de l’égalité devant les charges publiques trouve son fondement dans le principe d’égalité devant la loi. Dès lors, si la loi ou le règlement crée une situation inégalitaire la victime peut en demander l’annulation (1). Le principe de l’égalité devant la loi justifie en outre, que l’administration agisse de manière à mettre un terme à toute situation illégale. A défaut, elle sera reconnue responsable (2).

  • Responsabilité du fait des normes juridiques

Pour la première fois en 1938 (Conseil d’État, 14 janvier 1938, « Sté des produits laitiers La Fleurette »), le juge administratif a accepté d’engager la responsabilité de la puissance publique en réparation des préjudices causés par l’action normative. Pour protéger le marché laitier en crise le législateur avait, en 1938, interdit la fabrication et la commercialisation de produits ayant le même aspect et le même usage que la crème, mais ne provenant pas exclusivement du lait. Cette mesure portait atteinte à une société et une seule (car c’est ce qui caractérise le préjudice anormal et spécial) de produits laitiers qui fabriquait un produit qui ne comportait qu’une faible teneur de lait. Le Conseil d’État avait alors estimé que « rien dans le texte de la loi…ne permet de penser que le législateur a entendu faire supporter à l’intéressé une charge qui ne lui incombe pas normalement ; (et) que cette charge, créée dans un intérêt général doit être supportée par la collectivité… ». Autrement dit, la société requérante ne devait pas seule faire les frais d’un changement de législation justifiable au regard de l’intérêt général mais dont elle supportait seule la charge. Le même raisonnement peut être tenu pour les règlements (CE, 22février 1963, « Commune de Gavarnie ») ou les traités internationaux (CE, 30 mars 1966, « Compagnie générale d’énergie radioélectrique »).

  • Responsabilité du fait de l’incapacité de l’administration à mettre fin à une illégalité

Le principe de légalité guide et encadre l’action de l’administration Mais cette dernière a également pour tâche d’assurer son respect. La carence systématique de l’administration à faire respecter la légalité pourrait engager sa responsabilité sur le terrain de la responsabilité pour faute. Sa responsabilité peut également être engagée en dehors de toute faute, lorsque son impuissance à mettre fin à une situation illégale, ou son refus de prêter le concours de la force publique cause une rupture de l’égalité devant les charges publiques. Cette dernière hypothèse de responsabilité sans faute peut être illustrée par deux arrêts célèbres.

Tout d’abord, dans un arrêt du 7 mai 1971, « Ministre de l’économie et des finances et ville de Bordeaux c/ Sastre », le Conseil d’État a appliqué le régime de la responsabilité sans faute pour indemniser le préjudice causé à certains commerçants par la concurrence irrégulière qui avait résulté pour eux de l’incapacité dans laquelle l’administration s’était trouvée d’assurer l’interdiction faites aux grossistes de vendre leurs denrées dans le périmètre de protection établi autour d’un marché d’intérêt national.

Dans un second arrêt, « Couitéas » du 3 novembre 1923, le Conseil d’État a admis que l’administration pouvait refuser à un particulier le concours de la force publique pour faire exécuter une décision de justice si les nécessités de l’ordre public l’imposent. Le préfet refusera le concours de la force publique pour faire évacuer les occupants sans titre d’un immeuble parce que l’intervention des forces de police risquait d’occasionner un trouble à l’ordre public plus important que l’inexécution d’une décision juridictionnelle. En revanche, le juge tirera de ce refus le droit à indemnisation du préjudice du propriétaire.

Auteur(s) :

GUERIN Eric

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