Une révision constitutionnelle manquée

Modifié le 16 mai 2023

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Notions clés

Au lendemain des attentats de novembre 2015 à  Paris, le Président de la République, François Hollande  a convoqué par décret, le Congrès du Parlement afin de «rassembler la nation dans cette épreuve». La réunion s’est  tenue le 16 novembre 2015 à Versailles. Devant les députés et les sénateurs, le Chef de l’État annonça entre autre  une révision de la Constitution.

Cette révision avait pour but d’intégrer dans la Constitution, l’état d’urgence et la déchéance de nationalité de tous les binationaux ayant commis des actes de terrorisme.

Engagée rapidement dès le 23 décembre 2015, la révision a échoué en raison de l’impossibilité d’arriver à un accord entre les deux assemblées du Parlement.

Le 30 mars 2016, le Président de la République ne pouvait que constater l’échec et en tirer les conséquences :

« Je constate aujourd’hui, quatre mois après, que l’Assemblée nationale et le Sénat ne sont pas parvenus à se mettre d’accord sur un même texte et qu’un compromis parait même hors d’atteinte sur la définition de la déchéance de nationalité pour les terroristes.

« Aussi, j’ai décidé, …. de clore le débat constitutionnel. »

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Sommaire

Ce n’est pas le premier échec constitutionnel de François Hollande puisque Le 13 mars 2013, le Conseil des ministres  adoptait  quatre projets de lois tendant à réformer la Constitution :

Seul le premier texte a été adopté par l'Assemblée nationale, mais le Sénat l’a profondément modifié et la discussion est restée suspendue. Les autres textes n’ont pas été discutés par  l’une ou de l’autre des deux assemblées.
Si échec il y a, le dernier en date est bien plus grave, car il a divisé la majorité présidentielle. C’est sans doute pourquoi, le Chef de l’État a voulu mettre fin aussi officiellement et publiquement à la procédure.
Pour comprendre cet échec il est nécessaire d'analyser la révision sur le plan de la forme et sur celui du fond.

1. LA FORME

1.1.  La procédure

La Constitution de la Cinquième République est une Constitution rigide. Cela signifie qu’elle ne peut être révisée que par le biais d’une procédure plus difficile à mettre en œuvre ou plus solennelle que la procédure législative ordinaire et qui n’est pas monopolisée par un seul organe.
Ainsi, contrairement à la procédure législative ordinaire, la procédure de révision comprend trois phases et non deux : l’initiative, l’adoption et l’adoption définitive. Chacune des deux premières phases étant elles-mêmes plus contraignantes que les phases correspondantes en matière de lois ordinaires.

Constitution, article 89

L'initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement.
Le projet ou la proposition de révision doit être examiné dans les conditions de délai fixées au troisième alinéa de l'article 42 et voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum.
Toutefois, le projet de révision n'est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans ce cas, le projet de révision n'est approuvé que s'il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le bureau du Congrès est celui de l'Assemblée nationale.
Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire.
La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision.

1.1.1. L’initiative : le projet de loi constitutionnelle

L’article 89 de la Constitution prévoit deux situations. Soit ce sont les parlementaires qui prennent l’initiative, soit c’est l’exécutif. Ainsi, l’initiative appartient concurremment à l'exécutif et au Parlement, comme en matière de lois ordinaires, mais s’agissant des lois constitutionnelles du côté de l'exécutif, c’est le Premier ministre qui propose au Président de la République un projet de loi alors qu’en ce qui concerne les lois ordinaires, c’est le Premier ministre seul qui a l’initiative.
S’agissant, du texte qui nous intéresse, l’initiative est venue comme dans toutes les vingt-quatre révisions ayant abouti, de l’exécutif.
Plus précisément, c’est le Président de la République, lors de son allocution prononcée devant le Congrès, le 16 novembre 2015 qui a annoncé la révision.
Bien sûr officiellement et formellement, c’est le Premier ministre qui a proposé au Président de la République le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation. Il a été présenté et adopté en Conseil des ministres, le 23 décembre 2015.
Préalablement, le Conseil d’État avait été saisi, et avait rendu son avis le 11 décembre 2015.
La tradition de la Cinquième République selon laquelle c’est le Président et non pas le Premier ministre qui dispose réellement de l’initiative a donc bien été respectée. Pendant de nombreuses années, en effet en raison de la concordance des majorités le Président de la République a pu jouer un rôle hégémonique. En matière de révision il en est allé de même bien sûr, même si cette situation a connu quelques limites notamment en période de cohabitation.
Encore faut-il que les deux assemblées soient d’accord, puisque ce sont elles qui prennent le relais.

1.1.2. L’adoption : l’accord des deux assemblées

L’examen des projets ou propositions de lois constitutionnelles se déroule devant chaque assemblée selon la procédure législative ordinaire. Le Président de la République ne peut donc pas intervenir et doit s’appuyer sur le Gouvernement pour empêcher toute dénaturation de son initiative. C’est sans doute pourquoi François Hollande a voulu prendre les devants en utilisant la possibilité offerte, depuis la révision de 2008, au Chef de l’État de s’exprimer devant le Parlement réuni en Congrès pour y exposer dès le début de la procédure, son projet.
Si la procédure législative ordinaire s’applique, quelques exceptions doivent cependant être relevées.

D’abord, la discussion d’un projet de loi constitutionnelle porte sur le texte initial du projet ou, en navette, sur le texte transmis par l’autre assemblée et non sur le texte adopté par la commission.
Ensuite, les projets de lois constitutionnelles ne sont pas accompagnés d’une étude d’impact, par dérogation à la règle établie par la loi organique du 15 avril 2009.

De même, la procédure du temps législatif programmé instituée sur le fondement de l’article 44 de la Constitution par la réforme du Règlement de mai 2009 ne peut être utilisée pour cette discussion.
Mais, le délai, de six semaines entre le dépôt du projet ou de la proposition de loi et sa discussion en séance, s’applique. Le Gouvernement ne peut neutraliser cette obligation en recourant à la procédure accélérée. De plus le délai de quatre semaines entre la transmission du texte par la première assemblée saisie et sa discussion devant la seconde s’applique également.

Si une commission spéciale n’a pas été formée le projet ou la proposition est renvoyé à la commission des lois. Bien entendu d’autres commissions peuvent se saisir du texte pour avis.

Le droit d’amendement peut être utilisé par les députés et les sénateurs, mais ils doivent en respecter les limites. Ainsi, les amendements et les sous-amendements doivent être motivés et s’appliquer au texte qu’ils visent. De plus, depuis une décision du Conseil constitutionnel n° 2001-445 DC du 19 juin 2001 (Statut de la magistrature), les initiatives modificatives des parlementaires ne doivent pas être dépourvues « de tout lien avec l’objet du projet ou de la proposition soumis au vote du Parlement », Cela étant dit, les Gouvernements ne s’opposent pas systématiquement à l’initiative des parlementaires. Mais il est arrivé plus d’une fois que le Gouvernement ait malgré tout accepté de tels amendements ne serait-ce que pour accélérer la discussion ou pour faciliter l’acceptation de son texte. A l'Assemblée nationale 228 amendements ont été déposés lors de l’examen du projet «protection de la Nation ».

Le Gouvernement dispose des armes classiques du parlementarisme rationalisé. Il peut notamment utiliser le vote bloqué (art. 44, al. 3) comme l’engagement de responsabilité sur un texte (art 49.3). Ces deux procédures n’ont jamais été utilisées en matière constitutionnelle. Même si le recours à la première a été brandi par le Gouvernement en 1992 sans y donner suite. Quant au 49.3 la possibilité d’y recourir a été critiquée par une partie de la doctrine.
Quand le texte est adopté par une assemblée il est renvoyé à l’autre pour examen. La navette se poursuit jusqu’à ce que le texte soit voté dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et le Sénat. Les deux assemblées ont, en effet en matière constitutionnelle, les mêmes pouvoirs. Aussi, à la différence de ce qui est prévu dans le cadre de la procédure législative ordinaire, le Gouvernement ne peut interrompre la navette en demandant la réunion d’une commission mixte paritaire, ni demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement.
Mais aucune disposition n’interdit de réunir les députés et les sénateurs au sein d’une commission informelle ou encore d’organiser, comme en 1993 et en 1995, une rencontre entre les principaux responsables des formations politiques de la majorité. Le Président de la République peut également entendre les Présidents des assemblées parlementaires pour faire le point, c’est ce qui s’est passé lors de la tentative de révision qui vient d’échouer.
Quand un texte identique est adopté par les deux assemblées, la troisième et dernière phase de la procédure peut alors commencer.

1.1.3. L’adoption définitive : l’adoption par le Congrès à la majorité des 3/5

Cette troisième phase n’aura pas lieu pour la révision « protection de la Nation » puisque il n’y a pas eu accord entre les deux assemblées et que le Président de la République en a pris acte en décidant de « clore le débat constitutionnel ».
Cet échec n’est pas le premier puisque le projet de loi constitutionnelle du 12 juillet 1984 relatif à l’élargissement du domaine du référendum, annoncé par François Mitterrand avait été repoussé par le Sénat en adoptant la question préalable par 208 voix contre 103.
Il en est allé de même pour le projet de loi constitutionnelle du 29 mars 1990 instaurant l’exception d’inconstitutionnalité. Le texte avait été adopté par l'Assemblée nationale en première lecture. Le Sénat avait adopté en première (14 juin 1990), puis en seconde lecture (28 juin) un texte comportant des modifications substantielles qui avait conduit à l’abandon le projet.

En 1993, deux projets de lois constitutionnelles avaient été déposés. Le premier modifiant les titres VII, VIII, IX et X de la Constitution n’a pas fait l’objet d’un accord au Parlement, quant au second relatif à l'organisation des pouvoirs publics il n’a pas été examiné par le Sénat.
D’autres projets de révisions n’ont pas atteint le stade du Congrès, mais dans ces cas, les deux assemblées étaient arrivées à un accord. C’est le Président de la République qui a implicitement ou non refusé de convoquer le Congrès.
En effet, la Constitution n’a prévu aucun délai entre l’adoption parlementaire du texte et l’approbation par le Congrès ou par voie référendaire. Dans ces conditions, le Président de la République dispose d’une marge de manœuvre tout à fait remarquable, pour les projets de lois constitutionnelles du moins. Il peut ainsi s’opposer à une réforme, en ne convoquant pas le Congrès, il dispose alors d’un véritable droit de veto.

C’est ce que fit Jacques Chirac à propos de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature et du projet de loi constitutionnelle relatif à la Polynésie française et à la Nouvelle Calédonie, en refusant de signer un décret de convocation du Congrès par deux fois en 1998 et en 1999. Puis, le 19 janvier 2000 en abrogeant le décret qui enfin avait été pris.

Le refus de convocation du Congrès peut aussi permettre au Chef de l’Etat d’éviter une défaite. Ainsi, Georges Pompidou a-t-il suspendu, faute de majorité suffisante, la réforme portant réduction de la durée du mandat présidentiel à cinq ans.
Valéry Giscard d’Estaing en fera de même à propos du projet de loi constitutionnelle du 10 juin 1974 relatif au statut des suppléants.

Et Nicolas Sarkozy devra en faire autant en 2011 à propos du projet de loi constitutionnelle relatif à l'équilibre des finances publiques. Ce texte avait été adopté par les deux assemblées en termes identiques, mais le décompte des voix ne laissait pas espérer l’obtention d’une majorité des 3/5 au Congrès.

Pour limiter ce pouvoir de vie ou de mort sur le projet de loi constitutionnelle, le Comité Balladur dans sa proposition n°12 avait proposé que lorsque le projet ou la proposition de révision a été adopté par les deux assemblées en termes identiques, la révision est définitive après avoir été approuvée par un référendum organisé dans les six mois par le président de la République. Mais la proposition n’a pas été reprise.

Reste la question de la reprise de la procédure, en cas de rejet par le Congrès à travers l’organisation d’un référendum prévu par l’article 89.

Les membres du Comité consultatif constitutionnel (Comité Vedel) ont estimé qu’en cas d’échec d’une révision devant le Congrès le recours au référendum était « toujours possible même si le Congrès ne s’est pas prononcé à la majorité des trois cinquièmes et même si le Congrès avait repoussé le projet de révision »

Toutefois on peut se demander si une telle interprétation ne doit pas être écartée en raison même de la formulation de l’article 89 : « toutefois, le projet de révision n’est pas présenté au référendum lorsque le président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ».
Rappelons que l’adoption définitive du projet ou de la proposition de loi constitutionnelle nécessite en principe une approbation par référendum. Toutefois, pour les seuls projets de lois constitutionnelles, le Président de la République peut écarter le recours au référendum en les soumettant à l’approbation des deux assemblées réunies en Congrès. Les vingt-quatre révisions réussies étant toutes issues d’initiatives de l’exécutif, les Présidents de la République ont choisi dans vingt-trois cas la voie parlementaire et donc le Congrès. Cette solution une fois de plus semblait avoir été retenue par François Hollande, mais il n’a pas pu aller jusque-là.

Seul, Jacques Chirac en 2000 a préféré organiser un référendum pour ratifier l’instauration du quinquennat présidentiel.

Le Congrès, on le sait réunit tous les députés (577) et tous les sénateurs (348) Il est présidé par le Président de l'Assemblée nationale et se réunit à Versailles sur convocation par décret du Président de la République soumis à contreseing.
Lors de l’examen du projet de loi constitutionnelle, aucun amendement ne peut être déposé. Le débat se réduit en conséquence à une explication de vote présentée par chaque groupe politique de l’Assemblée et du Sénat.
Puis intervient le vote qui a lieu soit par appel nominal à la tribune soit, depuis la modification du Règlement du 28 juin 1999, selon d’autres modalités fixées par le Bureau du Congrès. Pour que le projet de loi constitutionnelle soit approuvé, le vote doit être acquis à une majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Ce qui veut dire au minimum 555 votes favorables si tous les membres du Congrès participent au vote.
Si cette majorité qualifiée est atteinte, le texte est transmis au président de la République aux fins de promulgation de la loi constitutionnelle.

1.2. L’acte : la loi constitutionnelle

1.2.1. Son domaine

La loi constitutionnelle a un domaine quasiment illimité. L’article 89 de la Constitution précise seulement que la révision ne peut porter sur la forme républicaine du gouvernement. C’est ce que le Conseil constitutionnel rappelait dans sa Décision n° 92-312 DC du 2 septembre 1992 :
« sous réserve … du respect des prescriptions du cinquième alinéa de l’article 89 en vertu desquelles « la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision », le pouvoir constituant est souverain ; qu'il lui est loisible d'abroger, de modifier ou de compléter des dispositions de valeur constitutionnelle dans la forme qu'il estime appropriée ; qu'ainsi rien ne s'oppose à ce qu'il introduise dans le texte de la Constitution des dispositions nouvelles qui, dans le cas qu'elles visent, dérogent à une règle ou à un principe de valeur constitutionnelle ; que cette dérogation peut être aussi bien expresse qu'implicite».
C’est pourquoi, l’inscription de la déchéance de nationalité et de l’état d’urgence dans la Constitution est parfaitement possible.
Rien ne s’y oppose en droit positif, même si une partie de la doctrine estime qu’il existe une Constitution matérielle, c’est-à-dire un ensemble des textes relatifs au pouvoir politique. Reste à définir précisément les contours de cette Constitution. Est-ce que la déchéance de nationalité et l’état d’urgence font partie de cette constitution matérielle ?
Quoiqu’il en soit, si aucune disposition de la Constitution ne peut échapper à une révision alors aucune disposition de la Constitution n’est au-dessus de la Constitution. Il n’y a pas de norme supra constitutionnelle. D’ailleurs, aucun recours n’est possible aux fins de constatation d’une éventuelle irrégularité dans la procédure de révision.

1.2.2 Les recours

Dans la mesure où « le pouvoir constituant est souverain ; qu'il lui est loisible d'abroger, de modifier ou de compléter des dispositions de valeur constitutionnelle dans la forme qu'il estime appropriée », il n’est pas étonnant que le Conseil constitutionnel refuse de contrôler la constitutionnalité d’une loi constitutionnelle.
Toutefois, l’article 89 de la Constitution précise qu’une révision n’est pas possible « en cas d’atteinte à l’intégrité du territoire », pas plus que pendant l’intérim présidentiel comme le précise l’article 7 de la Constitution in fine et pendant la période d’application de l’article 16 comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel lui-même dans sa Décision 92-312 DC du 2 septembre 1992 « Maastricht II ».
De plus le même article 89 précise également que « la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision ». On pouvait penser qu’un contrôle de constitutionnalité sur ces différents points était possible. C’est ce que croyaient plusieurs sénateurs en 2003 qui ont saisi le Conseil constitutionnel estimant que la loi constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République ratifiée le 17 mars 2003 par le Parlement réuni en Congrès n’était pas conforme à la Constitution dans la mesure où elle portait atteinte à « la forme républicaine du gouvernement ».
Mais le Conseil constitutionnel a rejeté ce recours dans les termes suivants :
«Considérant que l’article 61 de la Constitution donne au Conseil constitutionnel mission d’apprécier la conformité à la Constitution des lois organiques et, lorsqu’elles lui sont déférées dans les conditions prévues par cet article, des lois ordinaires ; que le Conseil constitutionnel ne tient ni de l’article 61, ni de l’article 89, ni d’aucune autre disposition de la Constitution le pouvoir de statuer sur une révision constitutionnelle. » Décision n° 2003-469 DC du 26 mars 2003
En conséquence, aucun recours n’est possible contre une loi constitutionnelle quelle qu’elle soit.

2. LE FOND

Projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation
Article 1er

Après l’article 36 de la Constitution, il est inséré un article 36-1 ainsi rédigé :
« Art. 36-1. – L’état d’urgence est déclaré en conseil des ministres, sur tout ou partie du territoire de la République, soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’évènements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique.
« La loi fixe les mesures de police administrative que les autorités civiles peuvent prendre pour prévenir ce péril ou faire face à ces évènements.
« La prorogation de l’état d’urgence au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi. Celle-ci en fixe la durée. »

Article 2

L’article 34 de la Constitution est ainsi modifié :
1° Le troisième alinéa est remplacé par les dispositions suivantes :
« – la nationalité, y compris les conditions dans lesquelles une personne née française qui détient une autre nationalité peut être déchue de la nationalité française lorsqu’elle est condamnée pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ; »
2° Après le troisième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« – l’état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités ; ».

2.1. L’état d’urgence

2.1.1. Champ d’action

L’article 1er du projet prévoit l’inscription dans la Constitution de l’état d’urgence. Ce régime d’exception existait déjà avant même le début de Cinquième République, puisque la loi du 3 avril 1955 en avait organisé le régime juridique.
La loi du 3 avril 1955 prévoit en effet que, l’état d’urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ou des collectivités d’outre-mer, dans deux hypothèses : soit en cas de « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public », soit en cas d’« événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamités publiques ».
A la suite des attentats du 13 novembre, l’état d’urgence a été déclaré par le Président de la République sur l’ensemble du territoire métropolitain, puis le 14 novembre sur l’ensemble du territoire de la République.
L’état d’urgence est décrété pour une durée maximale de douze jours en Conseil des ministres. Néanmoins, il peut être prolongé. A cette fin, une loi est nécessaire.
La loi du 20 novembre 2015 a procédé à cette prolongation pour une période de trois mois que la loi du 19 février 2016 a de nouveau prorogé pour trois mois à compter du 26 février 2016 à zéro heure. L’état d’urgence est donc applicable sur le territoire métropolitain et sur le territoire des collectivités d’outre-mer jusqu’au 25 mai 2016 à minuit.
Dans le cadre de l’état d’urgence les préfets peuvent interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par arrêté et instituer des zones de protection ou de sécurité dans lesquelles le séjour des personnes est réglementé. Ils peuvent également prononcer des assignations à résidence, des remises d’armes.
Le ministre de l’Intérieur, peut décider la fermeture provisoire des salles de spectacles, de débits de boissons et de lieux de réunion, ainsi que l’interdiction de réunions. Ils peuvent également, ordonner des perquisitions à domicile « de jour et de nuit ».
La loi du 20 novembre 2015 a renforcé l’efficacité des mesures prévues dans le cadre de l’état d’urgence et a modifié plusieurs dispositions de la loi de 1955.
Elle revoit les règles de l’assignation à résidence. La personne assignée à résidence peut être astreinte à domicile dans la limite de douze heures par vingt-quatre heures, être obligée de se présenter périodiquement aux services de police ou de gendarmerie dans la limite de trois présentations par jour, être obligée de remettre à ces services son passeport ou tout document d’identité. La personne en question peut se voir interdire d’entrer en contact avec des personnes soupçonnées de constituer une menace pour la sécurité et l’ordre public, elle peut être pourvue d’un bracelet électronique, si elle a été condamnée par le passé pour des actes de terrorisme et a purgé sa peine.
La loi du 20 novembre 2015 autorise la dissolution, en Conseil des ministres, d’associations ou groupements de fait qui participent, facilitent ou incitent à des actes portant atteinte grave à l’ordre public.
Le ministre de l’Intérieur et les préfets peuvent ordonner des perquisitions en tout lieu, y compris au domicile, de jour et de nuit, lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics. Le procureur de la République est informé de toute décision de perquisition, qui se déroule en présence d’un officier de police judiciaire. Un compte rendu de la perquisition est communiqué sans délai au procureur de la République.
Le ministre de l’Intérieur peut prendre toute mesure pour bloquer des sites internet faisant l’apologie du terrorisme ou incitant à des actes terroristes.
Enfin, la loi supprime le contrôle de la presse, de la radio, des projections cinématographiques ou des représentations théâtrales prévu par la loi de 1955.
Ce renforcement du régime juridique des mesures de l’état d’urgence est accompagné de garanties en plaçant toutes les décisions prises, sous le contrôle du juge administratif, y compris en référé. De plus, la loi prévoit également l’information du Parlement. « L’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement pendant l’état d’urgence. Ils peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures »
La version initiale du projet de loi constitutionnelle permet d’inscrire dans la Constitution les conditions du recours à l’état d’urgence, de son renouvellement ainsi que l’existence d’un contrôle par le Parlement.
Mais, l'Assemblée nationale et le Sénat ont adopté des textes qui diffèrent sur quelques points. Ainsi, le Sénat est plus restrictif sur les conditions du recours à l’état d’urgence. L'Assemblée nationale reprend les termes de la loi de 1955 : « soit en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public, soit en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». Pour le Sénat, la deuxième hypothèse est exclue.
La Chambre haute semble plus protectrice des libertés publiques puisqu’elle introduit dans son texte un certain nombre de garanties. Ainsi, elle tient à préciser que « Les mesures … prises … sont strictement adaptées, nécessaires et proportionnées». Elle ajoute qu’ « Il ne peut être dérogé à la compétence que l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, tient de l'article 66». Enfin, elle prévoit que « Pendant la durée de l'état d'urgence, une proposition de loi ou de résolution ou un débat relatifs à l'état d'urgence sont inscrits par priorité à l'ordre du jour à l'initiative de la conférence des présidents de chaque assemblée ou d'au moins deux groupes parlementaires ». Sur ce dernier point, l’Assemblée nationale semble aller plus loin puisqu’elle prévoit que « Pendant toute la durée de l'état d'urgence, le Parlement se réunit de plein droit. »
Quant aux mesures qui peuvent être prises, l'Assemblée nationale renvoie à une loi ordinaire alors que le Sénat préfère une loi organique.

2.1.2. Intérêt

La Constitution de 1958 prévoit deux régimes d’exception. D’abord l’article 16 qui permet au Président de la République, lorsque le fonctionnement régulier des pouvoirs publics est interrompu, de prendre les mesures exigées par les circonstances. Ensuite l’article 36 prévoit l’état de siège qui peut être décidé par décret en Conseil des ministres, en cas de péril imminent résultant d’une guerre étrangère ou d’une insurrection à main armée, pour une durée maximale de douze jours. Passé ce délai, sa prolongation doit être décidée par le Parlement. Dans ce cas, différentes compétences sont transférées de l’autorité civile à l’autorité militaire.
Aucun de ces deux régimes ne correspond à la situation que la France connait depuis le 13 novembre 2015. Seul l’état d’urgence y est adapté. Or ce régime n’est pas prévu par la Constitution, mais par une loi, comme on l’a vu. La logique voudrait que l’on corrigeât cet oubli. C’est d’ailleurs ce qu’avait proposé en 2007, le comité Balladur.
Mais en dehors de cet argument assez formel, l’intérêt d’une constitutionnalisation de l’état d’urgence semble réduit puisque ce régime d’exception existe déjà à travers la loi de 3 avril 1955 et que cette loi n’est pas contraire à la Constitution. En effet, dès 1985, le Conseil constitutionnel avait précisé que « si la Constitution, dans son article 36, vise expressément l’état de siège, elle n’a pas pour autant exclu la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d’état d’urgence pour concilier, […], les exigences de la liberté et la sauvegarde de l’ordre public » Décision n° 85-187, DC du 25 janvier 1985).
Plus récemment, le Conseil constitutionnel, saisi dans le cadre d’une question prioritaire, a jugé conforme à la Constitution la mesure d’assignation à résidence précisée par loi du 3 avril 1955 modifiée par celle du 20 novembre 2015 (Décision n° 2015-527, QPC du 22 décembre 2015). Deux autres questions prioritaires lui ont été transmises, relatives à la constitutionnalité des mesures de perquisition administrative et de fermeture des lieux de réunion.
Dans le premier cas, le Conseil constitutionnel, a validé le principe des perquisitions administratives prononcées sur le fondement de la loi modifiée du 3 avril 1955 et la possibilité pour le ministre de l’intérieur ou le préfet d’ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles. (Décision n° 2016-535 QPC du 19 février 2016).
Dans le deuxième cas, la loi permet, lors des perquisitions que des données stockées dans tout système ou équipement informatique soient copiées. Or, cette disposition a été annulée par le Conseil constitutionnel.
« que ni cette saisie ni l’exploitation des données ainsi collectées ne sont autorisées par un juge,… que, ce faisant, le législateur n’a pas prévu de garanties légales propres à assurer une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et le droit au respect de la vie privée ; que, par suite… les dispositions de la seconde phrase du troisième alinéa du paragraphe I de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955, qui méconnaissent l’article 2 de la Déclaration de 1789, doivent être déclarées contraires à la Constitution » Décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016.
La loi modifiée du 3 avril 1955 n’est donc pas intégralement conforme à la Constitution. L’intégration dans la Constitution de l’état d’urgence permettrait de couvrir totalement les dispositions en question. La constitutionnalisation de ce régime d’exception donnerait un fondement incontestable à toutes les mesures de police administrative prises par les autorités civiles pendant l’état d’urgence.
S’agissant d’autres dispositions, le projet de loi constitutionnelle reste fondé puisqu’il encadre la déclaration et le déroulement de l’état d’urgence en apportant des précisions de fond et de procédure qui ne relevaient jusqu’ici que de la loi ordinaire et que le législateur ordinaire pouvait donc modifier.
Comme le remarque le Conseil d’Etat dans son avis du 11 décembre 2015, le nouvel l’article 36-1 aurait permis d’interdire au législateur, d’ajouter d’autres motifs de déclaration de l’état d’urgence à ceux qui sont définis au premier alinéa de cet article ; ou de n’imposer la première intervention du Parlement qu’au terme d’un délai supérieur à 12 jours ; ou de décider que la prorogation peut ne pas comporter de durée déterminée.

2.2. La déchéance de nationalité

2.2.1. Champ d’action

Le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation introduit dans la Constitution une procédure de déchéance de la nationalité française.
Il ne s’agit pas d’une nouveauté dans notre histoire, puisque dès la Révolution, en 1791, le retrait de la citoyenneté française apparaît dans la première Constitution. La notion de déchéance de nationalité remonte à un décret de 1848 et l'abolition de l'esclavage : toute personne exploitant encore des êtres humains peut être déchue de la nationalité française. Plus tard, la loi du 7 avril 1915 prévoyait que la déchéance de la nationalité française, de certains étrangers naturalisés pouvait être décidée par décret. La loi du 18 juin 1917 confiait aux tribunaux judiciaires le soin de la prononcer et la loi du 10 août 1927 précisait les motifs de déchéance :

  • « pour avoir accompli des actes contraires à la sûreté intérieure et extérieure de l’État français » ;
  • « pour s’être livré, au profit d’un pays étranger, à des actes incompatibles avec la qualité de citoyen français et contraires aux intérêts de la France » ;
  • «  pour s’être soustrait aux obligations militaires. »

Le régime de Vichy avec la loi du 22 juillet 1940, va reprendre et élargir les dispositions existantes et dénaturaliser de nombreux Français dont plus de la moitié étaient juifs.
C’est pourquoi, au lendemain de la guerre, l’ordonnance du 19 octobre 1945 qui réservait cette mesure aux Français par acquisition, en a précisé les motifs.

Aujourd’hui encore, le Code civil prévoit la déchéance de nationalité. Aux termes de l’article 25, la déchéance de la nationalité française est prononcée par décret pris après avis conforme du Conseil d’État dans les cas suivants :
« 1° S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ;
2° S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit prévu et réprimé par le chapitre II du titre III du livre IV du code pénal ;
3° S'il est condamné pour s'être soustrait aux obligations résultant pour lui du code du service national ;
4° S'il s'est livré au profit d'un Etat étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France. »

Mais la déchéance ne s’applique qu’à des individus « ayant acquis la nationalité française » par opposition à des individus nés français. De plus la déchéance de nationalité ne peut pas avoir pour résultat de rendre l’individu apatride. Ainsi, les dispositions du Code civil ne prévoient la déchéance de nationalité que pour les binationaux ayant acquis la nationalité française. La procédure de déchéance est mise en œuvre par décret à raison de crimes et de délits.
Le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation élargit et précise le champ d’application de cette mesure.
D’abord et surtout, le projet étend la déchéance de nationalité à tous le binationaux qu’ils aient acquis la nationalité française ou qu’ils soient Français par naissance. Voilà le point essentiel de la réforme.
Avec la révision constitutionnelle, s’ajouteraient donc aux binationaux ayant acquis la nationalité française, les binationaux, Français de naissance. La déchéance de nationalité ne s’appliquerait donc qu’à des binationaux, mais à tous les binationaux. Aussi pour de nombreux parlementaires socialistes cette réforme pourrait stigmatiser cette catégorie de Français.

Dans ces conditions, lors de la discussion du projet de loi constitutionnelle devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, le Gouvernement a proposé une nouvelle rédaction de l’article 2 du projet :
«La loi fixe les conditions dans lesquelles une personne peut être déchue de la nationalité française ou des droits attachés à celle-ci lorsqu’elle est condamnée pour un crime ou un délit constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ».
Selon le rapporteur du texte, Dominique Raimbourg, cette nouvelle rédaction modifie le présent projet sur plusieurs points :
« 1. Aucune référence à la binationalité ne figurera dans le texte constitutionnel, ni même dans la loi ordinaire.
2. Le principe d’égalité de tous les citoyens commande d’unifier les régimes applicables aux personnes condamnées encourant la déchéance, qu’elles soient naturalisées ou nées françaises.
3. Seules des infractions d’un niveau de gravité très élevé pourront justifier la procédure de déchéance. [Les crimes certes, mais sans doute aussi les délits les plus graves, tels que l’association de malfaiteurs à caractère terroriste, le financement direct du terrorisme ou l’entreprise terroriste individuels, tous punis d’une peine de dix ans d’emprisonnement].
4. Le champ sera strictement limité au terrorisme et aux autres formes graves d’atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, parmi lesquels l’espionnage et la trahison.
5. La loi ordinaire comprendra un article instaurant un régime global concernant l’ensemble des personnes condamnées pour les atteintes graves aux intérêts fondamentaux de la Nation et couvrant à la fois la déchéance de nationalité et la déchéance de tout ou partie des droits attachés à la nationalité actuellement prévus par le code pénal. »

Le nouveau texte semble élargir encore plus le champ d’application de la déchéance puisque les binationaux n’apparaissent plus. Aucune mention n’y est faite. Il s’applique donc à « tout Français » et donc il peut avoir pour conséquence de créer des apatrides.
Le Premier ministre a démenti dans un premier temps en déclarant que la France ratifiera la Convention du 30 août 1961 portant la réduction des cas d’apatridie. Seuls pourront donc être déchus de nationalité ceux qui en possèdent une autre. Cependant, il faut nuancer puisque la Convention n’interdit pas le retrait de nationalité pour une personne pourvue d’une seule nationalité dans certains cas et en particulier :

« Si un individu, ( …)
ii) A eu un comportement de nature à porter un préjudice grave aux intérêts essentiels de l’Etat » Article 8 de la Convention du 30 août 1961

Finalement, le nouveau texte malgré quelques précautions et arguties permettra de rendre apatrides certains Français.

Le nouveau texte précise également les cas dans lesquels la déchéance de la nationalité pourrait être prononcée. Il s’agirait en effet de personnes « condamnée pour un crime ou un délit constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ». Par rapport au texte initial, il y a là une extension aux délits, puisque seul était visé « un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation », mais le texte de l’article 25 du Code civil vise également un crime ou un délit. Reste à savoir précisément quel crime ou quel délit peut est retenu. Sur ce point, une loi ordinaire devrait intervenir.
Un autre point important n’est pas précisé pas plus dans le texte initial que dans le texte de la commission : qui prononce la déchéance ? Est-ce l’exécutif par décret sur avis conforme du Conseil d’État est-ce le juge à titre de peine complémentaire ? C’est la loi qui devrait le faire ?
La version définitive du texte adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture reprend ces dispositions de manière identique.
Mais le Sénat, est revenu à un texte proche de celui présenté initialement par le Président de la République. Les sénateurs, d’accord sur le principe de la déchéance tenaient fermement à ce que son application ne crée pas d’apatride en rappelant que François Hollande dans son discours au Congrès l’avait lui-même exigé : « La déchéance de nationalité ne doit pas avoir pour résultat de rendre quelqu’un apatride ».

2.2.2. Intérêt

2.2.2.1. Sur le plan juridique

Apparemment la mesure ne présente pas grand intérêt sur ce plan, puisque la loi ordinaire prévoit déjà la déchéance de nationalité. Comme on l’a souligné précédemment, les articles 25 et 25-1 du Code civil organisent la déchéance de nationalité pour un individu qui a acquis la nationalité française et en détient une autre, mais pas pour une personne née française. La loi constitutionnelle élargit simplement le champ d’application de la mesure aux binationaux nés français.
Or ces dispositions ne sont pas inconstitutionnelles. En effet, la déchéance de l’article 25 qui ne s’applique qu’aux binationaux ayant acquis la nationalité française et non à ceux qui sont nés français. Or certains pouvaient penser qu’il y avait rupture du principe d’égalité entre les binationaux de ce fait.
Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de se prononcer sur ce point en 1996. Il a d’abord rappelé « que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que dans l'un et l'autre cas la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit »
Puis venant à la question précise des binationaux, il a ajouté « qu'au regard du droit de la nationalité, les personnes ayant acquis la nationalité française et celles auxquelles la nationalité française a été attribuée à leur naissance sont dans la même situation ; que, toutefois, le législateur a pu, compte tenu de l'objectif tendant à renforcer la lutte contre le terrorisme, prévoir la possibilité, pendant une durée limitée, pour l'autorité administrative de déchoir de la nationalité française ceux qui l'ont acquise, sans que la différence de traitement qui en résulte viole le principe d'égalité ; qu'en outre, eu égard à la gravité toute particulière que revêtent par nature les actes de terrorisme, cette sanction a pu être prévue sans méconnaître les exigences de l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen » Décision n° 96-377 DC du 16 juillet 1996

Plus récemment et dans le cadre d’une QPC, le Conseil constitutionnel a non seulement, repris la démarche qui vient d’être rappelée, mais de plus, il a affirmé, toujours à propos de l’article 25 du Code civil que :

« en fixant les conditions dans lesquelles l'acquisition de la nationalité peut être remise en cause, les dispositions contestées ne portent pas atteinte à une situation légalement acquise »
et  
« que la déchéance de la nationalité d'une personne ne met pas en cause son droit au respect de la vie privée ; que, par suite, le grief tiré de l'atteinte au respect de la vie privée est inopérant ; Décision n° 2014-439 QPC du 23 janvier 2015

Dans ces conditions, puisque les dispositions législatives relatives à la déchéance de nationalité ne sont pas contraires à la Constitution, pourquoi vouloir les constitutionnaliser ?
Pour le Gouvernement la réponse est simple. Au vu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui s’est toujours prononcé sur des dispositions législatives qui ne prévoyaient la déchéance exclusivement pour des binationaux non nés en France ; il se pourrait qu’il existe un principe fondamental reconnu par les lois de la République relatif à l’absence de possibilité de déchéance de nationalité pour une personne née française même si elle possède une autre nationalité.
Le Conseil d’État dans son avis du 11 décembre 2015 estime effectivement que « cette mesure pourrait se heurter à un éventuel principe fondamental reconnu par les lois de la République interdisant de priver les Français de naissance de leur nationalité », mais il reconnait immédiatement « à supposer que les conditions de reconnaissance d'un tel principe soient réunies ».

On le voit, la constitutionnalisation de la déchéance de nationalité ne présente pas un grand intérêt sur le plan juridique. C’est peut-être parce que la mesure présentait pour le Président de la République et le Gouvernement un intérêt plus important sur un plan plus politique qu’ils l’ont mise en avant.

2.2.2.2. Sur un plan politique

C’est pour répondre aux attentats du 13 novembre que la révision constitutionnelle a été présentée. Or, nombreux sont ceux qui ont souligné le caractère inefficace d’une telle mesure. Ce n’est pas la menace d’une perte de la nationalité qui va faire hésiter un terroriste. Mais comme le souligne le Président de la République dans l’exposé des motifs de la loi constitutionnelle :

« …il s’agit pour la communauté nationale de pouvoir décider de sanctionner ceux qui par leurs comportements visent à détruire le lien social. Il en va fondamentalement ainsi pour ceux qui commettent des actes de terrorisme et frappent aveuglément des victimes innocentes, en niant le respect dû à la vie humaine et les valeurs qui sont le fondement de notre Nation ».

Le Premier ministre, Manuel Valls, est plus clair et plus abrupt encore puisqu’il a déclaré que la mesure avait « un caractère symbolique évident », tout en rappelant qu’il ne s’agissait pas d’une « arme pour lutter contre le terrorisme ».
Il est clair, dans ces conditions, que l’enjeu est celui des symboles parce que la constitutionnalisation de la déchéance de nationalité, traduit la volonté de l’exécutif de défendre la République contre ses agresseurs. Le substrat de la politique, c’est le symbole.
Dans des situations exceptionnelles et graves les symboles peuvent jouer un rôle important. C’est sans doute ce que confirment les différents sondages d’opinion qui montraient que 80% des personnes interrogées étaient favorables à la déchéance de nationalité alors même qu’ils mesuraient son inefficacité.
Comme le souligne Gérard Mauger : « La « politique du symbole », en effet, laisse « le réel » – celui qui « compte » (au deux sens du terme), le réel « sonnant et trébuchant » – intact, mais elle pèse sur les croyances qui « font l’opinion ».
Aussi paradoxal que cela puisse paraitre, au-delà des symboles, c’est bien aussi une bataille politicienne qui s’est joué.
Dans le meilleur des cas, le Président de la République voulait, face à ces évènements hors du commun, montrer que c’était la Nation toute entière qui réagissait. Pour cela il préconisait une mesure , la déchéance de nationalité qu’il présentait pourtant jadis, comme « une atteinte intolérable aux principes constitutifs de la Nation ». C’est pour bien montrer sa volonté de dépasser les clivages traditionnels, de faire bouger les lignes, comme on dit chez les politiques, bref pour donner des gages à l’opposition qui avait réclamé une telle mesure depuis longtemps. L’Unité nationale pouvait se faire, conduite par le chef de l’Etat qui bien sûr en aurait cueilli les fruits.

C’est ce qu’il exprimait devant le Congrès réuni à son initiative le 16 novembre :

« Monsieur le Président du Congrès, Monsieur le Président du Sénat, Mesdames, Messieurs les Parlementaires, vous qui représentez la Nation toute entière, vous la représentez dans toutes ses sensibilités, dans toute sa diversité mais aussi dans son unité. Vous êtes les représentants d’un peuple libre qui est invincible quand il est uni et rassemblé. C’est notre bien le plus précieux et nous devons éviter surenchères et dérives, c’est aussi notre devoir de républicain ».

C’est ce qu’il rappelait aussi dans l’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle :
«Tous les Français doivent pouvoir se rassembler autour de cette ambition partagée ».

Derrière les grands discours et les belles déclarations se cachent aussi parfois des calculs cyniques que l’on ne peut négliger. Ainsi, la constitutionnalisation de la déchéance de nationalité permettait d’aller sur le terrain de la droite pour la mettre en porte à faux. C’est ce qu’on appelle la stratégie de la «triangulation»: cet art du contre-pied qui consiste à emprunter au camp opposé une partie de son discours ce qui doit permettre au pouvoir d’élargir son assise politique tout en neutralisant les critiques de l’opposition.
Au-delà de l’opposition, le Président de la République et le Premier ministre s’adressaient à l’opinion. On l’a dit tous les sondages montraient que la mesure était des plus populaires. En caressant l’opinion dans le sens du poil on était sûr d’aller dans le bon sens.

Comme le souligne Elodie Derdaele :

«  Les représentants sont de fait tentés, à l'heure de la démocratie d'opinion, d'utiliser la Constitution comme outil de communication politique.

Autres avantages, non des moindres, ces réformes si spectaculaires soient-elles ne coûtent rien à la collectivité et instillent l'idée que nos dirigeants sont dans l'action ».

*

* *

La Constitution ne connaîtra pas une vingt-cinquième révision. Cet échec s’explique sans doute par son caractère contestable.

Sur le plan strictement juridique son apport n’était pas vraiment utile et sur le plan politique elle était critiquée par une partie importante des députés socialistes et d’une partie non négligeable de la droite.

Ce recul du Président de la République sera d’autant plus néfaste pour la majorité que d’autres reculs sur d’autres textes pourront sembler possibles.

Auteur(s) :

FERRETTI Raymond

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