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Notions clés

Le management des connaissances, en anglais « Knowledge Management », ou KM, est une discipline professionnelle, apparue au milieu des années 1990, dont l’objet est de faciliter la création, la formalisation, la pérennisation et la valorisation des connaissances, savoirs et savoir-faire, nécessaires à l’accomplissement des activités de l’organisation.

Que ce soit pour des PME, des entreprises, des administrations, ou des institutions en charge du développement territorial, les enjeux du Management des Connaissances sont majeurs :

o    Pour l’organisation, il promet des gains d’efficience, coût-qualité-délais, par une meilleure réutilisation des bonnes pratiques, règles et standards métiers, aide à la décision, en évitant de reproduire des erreurs déjà commises, et en se dé-vulnérabilisant par rapport aux départs de personnes.

o    Il soutient la création de connaissances nouvelles, par un décloisonnement culturel et fonctionnel, une fertilisation croisée des idées, informations et connaissances ; par là il renforce l’innovation, source de différenciation concurrentielle.

o    Pour les hommes, il valorise l’expérience, le développement personnel, la reconnaissance et par là, la motivation et fidélisation à une entreprise devenue « apprenante » ;

o    en instaurant une culture de partage des connaissances, il inscrit l’homme dans ses réseaux sociaux interculturels et interdisciplinaires.

Le Knowledge Management concrétise l’avènement de la Société du Savoir, ou société Post-Capitaliste, annoncée par Peter Drucker, dans laquelle les Hommes et leurs Savoirs deviennent le principal « actif » de nos économies.

Le Knowledge Management dispose d’une boîte à outil méthodologique et technologique conséquente, mais sa mise en œuvre dans les organisations ne va pas de soi : il se heurte aux barrières organisationnelles et freins au changement : culture du pouvoir, culture de profitabilité court-terme, cultures administratives… De plus, la « connaissance » est une matière complexe qui ne se gère pas comme un « objet » mais comme un flux, et qui est très liée par des facteurs humains : confiance, réciprocité, réputation…

Loin de n’être qu’une simple boîte à outils, le KM est une véritable démarche d’entreprise, qui suppose un pilotage et une gouvernance appropriés.

Sommaire

1  Les Enjeux et les Concepts

1.1  Histoire : le Knowledge Management naît au confluent de nombreux courants scientifiques

La création du Savoir et sa transmission a toujours été l’un des moteurs de nos civilisations ; l’épistémologie a préoccupé des générations de philosophes, depuis l’antiquité ; et beaucoup d’organisations professionnelles pourraient prétendre « manager leur savoir » depuis longtemps sans le nommer. Mais en tant que discipline professionnelle organisée, le « Knowledge Management ou KM » est né au milieu des années 1990, au confluent de nombreux courants scientifiques, managériaux et technologiques :

  • Son corpus scientifique puise dans les sciences humaines, en forte évolution depuis les années 50 : sciences cognitives (, ), théories du langage, de l’apprentissage et psychologie du développement (, , ), théories de la décision () théories de l’information et de la communication ( , , , et l’école de Palo Alto : , ), théories de la complexité (, )
  • Il se présente aussi comme un prolongement des sciences de l’Intelligence Artificielle et des systèmes experts et d’aide à la décision …
  • Il est propulsé par les technologies de l’époque et notamment l’avènement des moteurs de recherche linguistiques, la gestion documentaire et les premières plate-formes collaboratives ;
  • Sur le plan des disciplines managériales, on le voit comme un prolongement naturel des démarches de Qualité (ISO9000, TQM, EFQM), de la formation professionnelle, de la veille et intelligence économique, mais aussi comme un outil d’aide au développement personnel des collaborateurs et de GPEC (RH), et enfin comme le « bras armé » de la valorisation du capital immatériel des firmes et précurseur de l’avènement de la Société Post-Capitaliste ou « Société du Savoir » (, )

Il est d’usage d’admettre que c’est la publication du livre des japonais Ijukiro Nonaka et Hirotaka Takeuchi « The Knowledge Creating Company » qui symbolise, en 1995, la naissance du Knowledge Management (KM) en tant que discipline professionnelle officielle.

1.2  Définitions : de la gestion des savoirs au management des connaissances

Les premières définitions que l’on trouve dans la littérature managériale, notamment anglo-saxonne, présentent le KM comme une réponse à l’attente : « apportez-moi l’information dont j’ai besoin, au moment où j’en ai besoin et si possible sans que j’en fasse la demande » (« the right info to the right person at the right moment »). Elles traduisent bien la réponse des technologies (moteurs) au contexte de « pollution informationnelle » du moment, mais finalement ne définissent pas le KM, car elles traitent « d’information » et non de « connaissance ».

On trouve ensuite des définitions qui tentent de décrire le KM par ses fonctions : ensemble des méthodes permettant de percevoir, d'identifier, d'analyser, d', de mémoriser, et de partager des entre les membres des organisations. C’est une vision très « fonctionnelle » voire procédurale du KM ; « organiser, mémoriser, analyser des connaissances » n’a que peu d’intérêt pour une organisation, si ce n’est « au service d’une finalité stratégique » ; il faut donc introduire le « pourquoi » pour que la définition du KM prenne tout son sens.

Une troisième définition : « Combiner les savoirs et savoir-faire dans les processus, produits, organisations, pour créer de la Valeur ». En s’attachant davantage à montrer comment « réutiliser » la connaissance et « pourquoi » le faire, elle est beaucoup plus dynamique ; en incluant la notion de combinatoire de différents facteurs (modèle EFQM, ) elle introduit à la pensée systémique et complexe des organisations.

Modèle EFQM

Le modèle EFQM, pour se lit de gauche à droite :

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Fig. 2 : le modèle EFQM montre que le KM doit être combiné avec d’autres facteurs pour contribuer à la performance.

  • Une entreprise doit d’abord se fixer une cible stratégique, par exemple à 3 ou 5 ans : « qui sommes nous, qui voulons-nous être, quelle est notre mission » et partager cette vision avec l’ensemble des collaborateurs afin que chacun polarise son énergie vers le cap ;
  • puis cette cible doit être déclinée en objectifs opérationnels (« comment nous allons nous y prendre pour atteindre la cible »), par ex. à 1 an ;
  • qui seront endossés par le management (leadership) ;
  • puis l’atteinte de ces objectifs pourra s’appuyer sur des ressources ad hoc :
    • tangibles (équipements, biens…)
    • compétences (« quels sont les compétences-clés nécessaires pour atteindre les objectifs opérationnels ? »),
    • connaissances : KM
  • puis ces ressources seront appliquées aux processus opérationnels.
  • Et ce n’est que la combinatoire de tous ces facteurs qui donnera des résultats évaluables en termes de
    • satisfaction du client,
    • satisfaction des salariés
    • impact sur l’environnement,
  • ces impacts feront l’objet d’une évaluation,
  • et en fonction de l’évaluation on pourra reconduire (boucle de retour) une optimisation du système. Cela forme une boucle de progrès permanent.

Au sein de cette boucle, on voit que le KM intervient en combinaison avec les autres facteurs. Une bonne démarche KM doit prendre en compte les dimensions stratégiques, organisationnelles, humaines et technologiques.

1.3  Pourquoi une organisation doit-elle faire du Knowledge Management ?

Pour une organisation professionnelle, privée ou publique, le KM n’est pas un fin en soi ; dès lors, la première question qu’une organisation doit se poser n’est pas tant « qu’est ce que le KM ? » mais plutôt « pourquoi doit-on en faire ? » c'est-à-dire « qu’est-ce qu’on en attend ? ». La réponse fournira des axes stratégiques, un cap vers lequel les actions concrètes KM vont s’orienter (en anglais « drivers »).

Au niveau des entreprises peuvent être regroupées en trois grandes catégories :

  Gain d’efficience (Coût/Qualité/Délai) – attentes typiques du « cœur métier »

  • Capitaliser, diffuser et réutiliser les règles et standards Métiers
  • Faciliter l’accès à la connaissance utile à la fonction ou à la tâche
  • Partager et réutiliser les bonnes pratiques, tirer les leçons de l’expérience
  • Ne pas refaire les erreurs déjà commises dans le passé
  • Maintenir une traçabilité des décisions au cours des projets
  • Éviter une perte de savoir-faire due au départ d'un salarié
  • Ne pas se vulnérabiliser lors du recours à la sous-traitance

  Développement des collaborateurs – attentes RH

  • Faciliter l'intégration des nouveaux embauchés
  • Favoriser le développement personnel des collaborateurs (organisation apprenante)
  • Identifier les expertises cruciales dans un domaine
  • Doter une équipe projet des capacités humaines, techniques, organisationnelles et matérielles
  • Partager ses connaissances dans un contexte post-fusion
  • Manager des équipes interculturelles, intergénérationnelles

  Créer des connaissances nouvelles – R&D/Innovation/Veille

  • Favoriser l'innovation / l'émergence d'idées par fertilisation croisée : décloisonner
  • Détecter/anticiper les signaux faibles du marché, des concurrents, technologies, les évolutions réglementaires
  • Mieux comprendre ses clients, leurs motivations, leurs besoins
  • Analyser les attentes fondamentales, le « client du client »
  • Valoriser le capital immatériel
  • Valoriser l’image ou la réputation de la firme

 

Au niveau académique, Recherche & Développement

  Les enjeux sont majeurs ; on peut citer :

  • évaluation des performances et applications des résultats afin que cela puisse servir à la société, même de façon qualitative.
  • visibilité et valorisation des activités des institutions R&D dans un contexte de concurrence mondiale.
  • Attractivité : capacité à attirer des talents, des projets…
  • optimisation du transfert de connaissances et des technologies entre la recherche fondamentale, la recherche appliquée et l’industrie.décloisonnements interdisciplinaires et « dogmatiques » (culture de « chapelles »).

Au niveau du développement territorial

Tous les territoires (Région, État, Europe, Pays en Voie de Développement) sont concernés par leur développement et leur compétitivité.

Dévoilée en mars 2000, la a pour ambition de faire de l’Union Européenne l’économie de la connaissance la plus compétitive et dynamique du monde d'ici à 2010, « capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale. »

Cette stratégie est relayée en 2004 au niveau français par la politique des . Un pôle de compétitivité est, « sur un territoire donné : - l’association d’entreprises, de centres de recherche et d’organismes de formation, - engagés dans une démarche partenariale (stratégie commune de développement), - destinée à dégager des synergies autour de projets innovants conduits en commun ».

Si ces visions stratégiques sont louables sur le plan politique, et si on ne peut qu’y souscrire… en théorie, --elles posent néanmoins un grand nombre de problèmes, voire révèlent des ignorances et des contradictions flagrantes quand il s’agit de les mettre en œuvre sur le terrain : La gouvernance d’une stratégie basée sur la mobilisation d’acteurs indépendants, de leur créativité, de la mutualisation de leur savoir-faire, idées…nécessite un renversement à 180° du pilotage opérationnel : on ne peut pas instaurer le partage des connaissances par décret ! Par ailleurs la notion de territoire est antagoniste avec la notion de réseau.

Au niveau des politiques de soutien au développement, et notamment dans les PVDs, on se souvient de la phrase de J.D. Wolfensohn, ancien président de la Banque Mondiale « Être pauvre, ce n’est pas seulement avoir moins d’argent, c’est avoir moins de connaissance ». Mais, de la même manière, les grands bailleurs de fonds ont du mal à soutenir des politiques de soutien au développement s’appuyant vraiment sur les partenaires locaux, ONGs et Société Civile.

Il en résulte que, en dépit de ces grandes déclarations et grands programmes, la réalité de l’action des grandes institutions sur le développement local est très mitigée ; une étude récente, a révélé 6 facteurs de succès à la transmission des bonnes pratiques au développement territorial :

  • Personnaliser les bonnes pratiques ou recommandations au contexte local : culturel, environnemental, législatif…
  • Identifier les agents-clés du changement : l’idéal est de s’appuyer sur des agents locaux (PMEs, ONGs) en leur fournissant un apport de connaissances, une « professionnalisation » ;
  • Construire une dynamique durable de changement en utilisant des dispositifs d'échange de connaissances qui motivent la participation et inspirent les acteurs locaux ;
  • Comprendre ce que l'on entend par « résultats » en mettant l'accent sur les changements de capacités — tant institutionnelles qu’à des niveaux intermédiaires ;
  • Gérer la traçabilité du processus de changement pour éclairer comment, quand et où l'échange de connaissances contribue aux changements institutionnels ;
  • Assigner des indicateurs pour monitorer le changement, afin d’aider les praticiens à suivre leurs progrès, documenter les leçons apprises dans la mise en œuvre et faire des ajustements.

1.4  Trois générations de Knowledge Management

1.4.1Contenu

Dans un premier temps le KM est vu comme un outil de capitalisation et gestion de la mémoire d’entreprise, avec une attente claire de gains de productivité :

  • accès à la bonne information utile à l’exécution d’une tâche ou à la résolution d’un problème,
  • mise à disposition des règles, des standards métiers, des modes opératoires,
  • partage de bonnes pratiques…

Cependant la limite d’une telle conception du KM est de réduire la démarche KM à une simple gestion de contenu, avec la tentation de la pousser par des procédures internes (parfois justifiée par des obligations réglementaires), vécues par l’utilisateur comme une contrainte sans bénéfice. L’expérience montre que beaucoup d’organisations qui se sont lancées dans des programmes de capitalisation sans jamais vraiment se soucier, -ni de la réutilisation effective, -ni de l’évaluation de l’impact de cette réutilisation, ont rencontré des échecs. D’autres ont généré par ce biais des postures de « compliance » (conformité aux règles administratives) : puisque tel document est obligatoire à tel jalon du projet (pour obtenir le financement), on le produit… mais c’est un document stérile, qui n’expose pas l’analyse de ce qui s’est vraiment passé dans le projet : obstacles rencontrés, enseignements que l’on en a tiré… recommandations pour faire mieux la prochaine fois.

On ne décrète pas le KM par des procédures obligatoires, et le KM ne se résume pas à de la documentation.

1.4.2  Contexte

Une armoire pleine de documents, léguée par un collègue parti à la retraite, ne présente qu’un faible intérêt car on a perdu deux éléments essentiels :

  • la mémoire de l’adressage : qu’est-ce qu’il y a dans ces cartons, et comment c’est classé ?
  • la mémoire du contexte : quel est le degré de validité des données contenues dans ces documents hors du contexte particulier où elles ont été mesurées ?

C’est pourquoi il est important de ne pas oublier le rôle que les réseaux humains de connaissance jouent sur le KM. Les données et bases documentaires sont un support mais il est souvent nécessaire de pouvoir s’adresser à la personne qui vécu une situation : elle sera en capacité de répondre à NOS question, et nous donnera une réponse riche et contextuée ; en plus elle se sentira valorisée. Les réseaux sociaux et l’esprit du Web 2.0 s’inscrivent dans cette perspective.

1.4.3  Culture

Le partage des connaissances est parfois confronté à des freins humains liés à la culture de pouvoir, à la nécessité d’établir la confiance. Pour dépasser ces blocages, il faut développer le Knowledge Management tout en établissant une culture du partage de connaissance ; cela suppose de comprendre les mécanismes de dynamique sociale : confiance, réciprocité, reconnaissance, et de changer les organisations (transversalité) et les postures managériales, où la relation d’autorité n’est plus de mise.

La sérendipité, la machine à café

La liste des découvertes faites par erreur ou par hasard atteste de l’importance de cette sérendipité sur l’innovation : -l'imprimante à jet d'encre, -le simulateur cardiaque, -le Walkman, -le Viagra, -le Post-It, -le nylon, -les polymères conducteurs (prix Nobel 2000), le langage Java, la pénicilline, -l'aspirine, -les rayons X, -la radioactivité, sans oublier le madère, le Sauternes, les Bêtises de Cambrai, la tarte Tatin, le Nutella et le Caprice des Dieux.

Les contacts sociaux basés sur des interactions informelles (conversationnelles) favorisent la probabilité de « rencontre fortuite entre une attente tacite ou implicite » et la connaissance disponible : c’est ce qu’on appelle la sérendipité, ou l’art de « découvrir les choses qu’on ne cherchait pas. Plus exactement, on les cherchait sans savoir encore les nommer (donc impossible de formuler une « requête ») – dès lors lorsque le « hasard » fait qu’un collègue raconte une histoire ayant trait à cette attente non conscientisée, cela déclenche une sorte « d’illumination ». Des lieux et des moments de rencontres informelles (pause café) ainsi que des attitudes (assertivité, empathie, interculturalité) sont des facteurs favorables.

Le Ba, voie japonaise du management des connaissances

Le Ba, 場, représente un lieu d’interaction et de partage, où se crée une culture partagée : confiance, estime mutuelle, empathie ; chacun s’enrichit de l’autre, puise son énergie dans le groupe, on y recherche le consensus social, tout en y respectant les différences de points de vue, les tensions nécessaires à l’apprentissage.

C’est à partir du Ba, seulement, que peut s’élaborer une connaissance collective et innovante : de la tension positive entre des points-de vue antagoniste naît un nouveau concept (emerging pattern). Mais l’accumulation de connaissance n’a aucun intérêt si elle n’est pas tirée par un facteur d’ordre supérieur. C’est là qu’intervient la notion de Chi (wisdom of knowledge), où la Sagesse est vue comme l’intention d’atteindre une cible et où la connaissance est au service de l’action.

« Finalement, on n’oppose pas une conception du KM tournée vers la capitalisation documentaire à une autre conception antagoniste d’un KM entièrement basé sur des réseaux humains, mais on concilie les deux et considère le KM comme un flux permanent d’un état vers l’autre.

C’est pourquoi nous préférons conserver le mot « management » (qui est un mot français) est plus approprié que le mot gestion, parce qu’il traduit cette nécessité « d’animation » d’un réseau de personnes qui, -d’un côté formalisent leurs connaissances sous forme documentaire (capitalisation), et -de l’autre, s’approprient les connaissances contenues dans les documents, pour les mettre en œuvre (appropriation). »

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Figure 2 : Le Knowledge Management vu comme le management de flux de transition entre deux états :

              -les savoirs documentés, explicites, d’un côté et les savoir-faire humains, souvent tacites, de l’autre

2  Définitions des principaux concepts : donnée, information, connaissance, compétence…

Il y a un risque à s’engager dans une démarche KM sans en avoir clarifié les concepts « information, connaissance, compétence » et des mécanismes qui les régissent. Plusieurs personnes impliquées dans la mise en œuvre de la démarche peuvent en effet avoir des représentations (implicites) différentes, voire antagonistes, sur ces concepts, ce qui peut contribuer à des blocages importants au moment de la mise en œuvre.

2.1  Donnée

Une donnée est un fait discret, brut ; elle résulte d’une observation, d’une acquisition ou d’une mesure effectuée par un instrument naturel ou artificiel. Elle peut être qualitative (les participants sont satisfaits) ou quantitative (la température est de 24°C). Il n’y a normalement pas d’intention dans la donnée.

Mais si la donnée est réputée objective, l’instrument lui ne l’est pas toujours ; l’intentionnalité de l’observateur peut être tellement forte qu’elle fausse la fiabilité de l’acquisition ; par exemple, dans une manifestation, l’estimation du nombre de manifestants varie grandement selon les organismes qui les commanditent et les forces de l’ordre, alors qu’on pourrait penser qu’il suffit de les compter ! En fait, c’est dans la standardisation de l’instrument de mesure que réside l’objectivité de la donnée : lorsque plusieurs données sont acquises avec un instrument normalisé, alors elles sont objectives.

Comment peut-on travailler collectivement avec des données ?

Pour qu’un travail collectif puisse se faire à base de données il faut s’assurer d’une unité de format, et d’un standard de mesure. Le système métrique, par exemple, nous offre un standard qui permet d’objectiver des mesures et d’être efficaces collectivement.

2.2  Information

Une information est une collection de données organisées dans le but de délivrer un message, le plus souvent sous une forme visible, imagée, écrite ou orale. La façon d’organiser les données résulte d’une intention de l’émetteur, et est donc parfaitement subjective. Pour Bateson, « l’information produit un nouveau point de vue sur des événements ou des objets, qui rend visible ce qui était invisible ».

Mais pour que l’information transmise soit considérée comme telle par le récepteur, et non comme du bruit, il faut que ce dernier partage un même code linguistique et sémantique.

Comment peut-on travailler collectivement avec des informations ?

Pour qu’un travail collectif puisse se faire à base d’échange d’informations, il faut que les acteurs partagent la même unité sémantique. La sémantique suppose que les personnes affectent le même sens aux mots. Bien entendu cela suppose au préalable une unité linguistique.

2.3  Connaissance

La connaissance implique une réappropriation cognitive par l’homme ; elle diffère de l’information dans plusieurs aspects fondamentaux :

  • Pour qu’une information devienne connaissance, il faut que le sujet puisse construire une représentation qui fasse sens.
  • Pour cela, l’information reçue subit une série d’interprétations (filtres, retraitements), liées aux croyances générales (paradigme), au milieu socioprofessionnel, au point de vue, à l’intention, au projet de l’individu porteur.
  • Contrairement à l’information, la connaissance n’est pas seulement mémoire, item figé dans un stock, mais toujours activable selon une finalité, une intention, un projet. Il y a dans la connaissance une notion de process, la construction d’une représentation finalisante d’une situation.

Le biologiste Francisco Varela décrit le fonctionnement du système nerveux comme un effort constant d’équilibration avec l’environnement : «…le système nerveux ne recueille pas des informations dans l’environnement comme on l’entend souvent dire. Au contraire, il fait émerger un monde, en spécifiant quelles configurations dans l’environnement constituent des perturbations et quels sont les changements que ces perturbations déclenchent sur l’organisme. La métaphore populaire désignant le cerveau comme une machine de traitement de l’information n’est pas seulement ambiguë, elle est totalement fausse ».

Comment peut-on échanger collectivement des connaissances ?

L’échange de connaissance peut se réaliser selon deux modalités :

  • Modalité « épistémologique » : celui qui possède un savoir-faire va devoir le « déconstruire » sous forme d’information, par exemple une séquence verbale d’action, et en valider chaque élément – puis, celui qui reçoit l’information, va devoir « reconstruire » une capacité à agir en suivant les instructions. La formation et la documentation sont des modalités de transmission de la connaissance par l’information. Elles permettent un partage de 1 à N, asynchrone et distant, mais au prix d’une absence d’interaction.
  • Modalité « ontologique » : les acteurs partagent la même unité d’action. Le tuteur montre le geste, l’élève l’imite et le reproduit jusqu’à « co-naître » le geste. Dans la tradition japonaise des katas des arts martiaux, la connaissance tacite s’acquiert par le corps ; on dit qu’entre le maître et l’élève elle se transmet « de ventre à ventre » et suppose que l’adepte « fasse un » avec la chose. Le tutorat, le compagnonnage, l’apprentissage (sportif) sont des modalités de transmission de la connaissance par l’action. Ce sont des modalités d’échanges synchrones, de proximité, en petit nombre, mais permettent une très grande richesse d’interaction entre le maître et les élèves.
  • Ajoutons que le e-Learning, quand il est scénarisé sur la base d’études de cas, permet par l’infographie de simuler les heuristiques d’apprentissage par l’erreur/par le tâtonnement et se situe donc à mi-chemin des deux modalités de transmission évoquées ci-dessus.

2.4  Connaissance tacite, implicite, explicite

Il est important de distinguer ces trois « états » de la connaissance :

  • Le tacite n’est pas verbalisable : le praticien sait « faire », mais ne sait pas l’expliquer avec des mots– parfois il « ne sait pas qu’il sait ». Le recours à la métaphore, la mayeutique, les boucles successives essai-erreur peuvent aider à la formalisation et transmission entre le praticien et l’apprenant – le tutorat est propice à cet échange.
  • L’implicite est ce qui n’est pas dit parce que « cela va de soi » - le praticien omet de citer un facteur important car pour lui c’est tellement évident qu’il ne le conscientise pas – là encore la boucle essai-erreur va révéler l’omission et permettre sa verbalisation.
  • L’explicite est un savoir transmissible sous forme d’instructions verbales : formation, documentation

2.5  Compliqué vs Complexe

Il est également important de distinguer deux types de situations : compliqué et complexe.

Une situation compliquée est modélisable et les modèles sont valides, donc « prédictibles ». Il est donc rationnel que le KM cherche à léguer un référentiel de connaissances constituées de modèles, règles, normes et standards, d’aide à la décision, etc… La réutilisation de ces connaissances constituera un gain de productivité, efficience.

Exemples : température de cuve dans procédé de raffinage de métal, conformité aux règles du Plan d’Occupation des Sols…

Une situation complexe n’est pas modélisable. Deux propositions antagonistes peuvent être « vraies » en même temps, selon la « perspective » de ceux qui les énoncent. Il y a de la complexité quand il y a de l’humain. Dès lors le KM ne doit surtout pas chercher à capitaliser un référentiel de règles, normes, bonnes pratiques mais plutôt s’appuyer sur la participation et la recherche de consensus (doctrine, conduite à tenir) au sein de groupes interculturels.

Exemple : développement durable de la Mer Baltique : on voit difficilement la Pologne dicter à la Russie sa conduite en matière d’arsenal de sous-marins nucléaires. La Suède indiquer à la France comment réformer son éducation nationale. L’UE interdire aux populations rurales malgaches la culture par brulis qui détruit les forêts...ou votre voisin vous dire comment élever votre adolescent.

2.6  Compétence

La compétence a un caractère opératoire ; elle est définie comme l’application effective des connaissances à une situation donnée (résolution de problème, décision, action) ; le mot effective implique une évaluation. La compétence est donc une capacité à agir « prouvée », qui s’appuie sur trois composantes : savoir, savoir-faire, savoir-être.

Une compétence est un « savoir-agir reconnu » : on ne se déclare pas soi-même compétent ; cela dépend d’une appréciation sociale. Dans les organisations professionnelles, la notion de compétence est encadrée par un « référentiel de compétences » au sein duquel chaque personne fait l’objet d’une évaluation (de type « débutant, -confirmé, -autonome, -expert » ; dans les entreprises la compétence est souvent liée à la classification et donc à la pesée des postes (rémunération) établie par les RH.

Le développement des compétences se fait par la « professionnalisation » (Guy Le Boterf) qui alterne des formations avec des expériences en contexte.

La compétence est différente de l’expérience professionnelle, que l’on désigne ci-dessous sous le terme « expertise ».

Attention à l’utilisation détournée du mot dans l’administration, où le « domaine de compétence » désigne un « champ de responsabilité ».

2.7  Expertise ou expérience professionnelle déclarable

L’expertise est déclarable et factuelle – elle n’est pas soumise à un jugement de capacité.

Notons que, dans ce contexte, le mot expertise est un emprunt à l’anglais, expertise – qu’il n’a pas de rapport avec la notion d’expert.

Quelqu’un qui déclare avoir été «  en charge des achats des ABS pour la Laguna dans l’usine de Flins en 1995 », livre une simple déclaration factuelle d’une expérience professionnelle, non soumise à une évaluation. L’intérêt de cette déclaration est la base de toute la construction actuelle des réseaux sociaux professionnels et en particulier de ce qu’on appelle les « ELS » (expertise locator system) : chaque mot clé de la phrase devient une « balise », un tag, qui permet de me localiser. Deux personnes peuvent ainsi se « localiser » et entrer en relation sur la base d’un sujet commun.

2.8  Compétences collectives et capacités organisationnelles

Pour qu’un ensemble de compétences individuelles assurent une performance collective, il faut que ces compétences s’adaptent les unes aux autres, et soient mises en mouvement par le management en vue d’une production, d’une action collective finalisée. On introduit la notion de capacités organisationnelles lorsque l’ensemble des ressources (organisation, processus, répartition des rôles et des tâches, style de management, ressources matérielles) sont en alignement avec les compétences. On retrouve l’esprit de combinatoire de facteurs de performance du modèle EFQM présenté plus haut.

3  Les méthodes et outils du KM

Les méthodes mises en œuvre par le Knowledge Management vont se répartir selon une boucle permanente, selon la figure 3 ci-dessous – nous en décrirons quelques unes :

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Figure 2 : Le Knowledge Management vu comme un management des flux de transition entre deux états :

               -les savoirs documentés, explicites, d’un côté, et -les savoir-faire humains, souvent tacites, de l’autre

3.1  Méthodes de modélisation du système de connaissances

Le principe commun de ces méthodes est de livrer une représentation formelle de l’ensemble d’un domaine de connaissance ou d’un système ; un système peut en effet être vu :

  • comme un ensemble hiérarchisé d’objets : modèle ontologique, structurel ou organique,
  • comme « agissant » : modèle par processus, causal, ou fonctionnel
  • comme évoluant dans le temps : modèle génétique…

Ce modèle permet ensuite de définir des classes d’objets de connaissance de manière très fine, avec une certaine garantie d’exhaustivité, et surtout « participative ».

Plusieurs méthodes existent : MKSM (Jean-Louis Ermine), KADS (projet Esprit), KOD (C. Vogel) et KALAM (J.Y.Prax) que nous décrivons ci-dessous :

Méthode KALAM : cartographie des connaissances cruciales appliquées au processus

Il est souvent non justifié, ou non économique de vouloir tout documenter ; le principe de la méthode KALAM est de cartographier, de manière participative, les connaissances critiques et vulnérables appliquées à un processus, afin de concentrer son énergie sur la capitalisation des éléments les plus prioritaires. Les 4 premières étapes de la construction de cette cartographie sont :

3.1.1  Étape 1 : qualification d’un processus critique

Choisir un processus particulièrement important dans l’activité de la compagnie. Réunir les acteurs intervenant dans ce processus et dessiner le logigramme du processus de manière participative. Le dessin doit figurer l’enchaînement des tâches ou activités dans le temps, depuis l’événement déclencheur (demande, incident) jusqu’à réalisation finale. Il précise à quelle division ou département est affectée chaque tâche (transversalité de l’approche par processus).

3.1.2  Étape 2 : flux d’information

Décrire le flux d’information accompagnant le processus : pour effectuer cette tâche, de quelle info a-t-on besoin, qui la donne, sous quelle forme, à quelle fréquence, etc…

3.1.3  Étape 3 : décrire le Qui fait Quoi

Quelle est la fonction en charge de chaque tâche, et quelle est/quelles sont les personnes affectées à cette fonction ?

3.1.4  Étape 4 : indice de criticité et vulnérabilité

Cet exercice consiste à affecter à chaque tâche un indice de criticité et à chaque personne un indice de vulnérabilité.

La criticité de la tâche est directement liée à l’impact de la non-conformité de cette tache, par exemple :

  • Niveau 0 : aucun impact, on le fera plus tard
  • Niveau 1 : occasionne une perte de temps sur les travaux avals
  • Niveau 2 : occasionne une perte de qualité du produit/service, réclamation client
  • Niveau 3 : incident majeur, perte du client
  • Niveau 4 : incident grave, accident de personne…

La vulnérabilité de la personne est liée à la difficulté de remplacer cette personne sans perte d’efficacité ; cela va s’échelonner depuis un niveau faible : tout le monde sait faire cela (recharger du papier dans l’imprimante), jusqu’à un niveau d’extrême vulnérabilité où la personne est seule à effectuer une tâche, elle est proche de la retraite, et il faut 6 ans pour la remplacer au poste.

Encore une fois, l’exercice va être fait de manière participative et livrera une carte désignant les priorités de transmission de connaissances sans ambiguïté. En fonction de la nature des tâches, cette transmission pourra s’effectuer par la documentation, par la formation ou le e-learning, par le tutorat, par recrutement, externalisation…

Notons que, plus le processus est transversal, c'est-à-dire fait appel à des départements non soumis à la même tutelle hiérarchique, plus l’exercice du KALAM est bénéfique.

3.2  Le Recueil ponctuel des connaissances d’un expert

Les opérations dites de « capitalisation ponctuelle » ou « recueil de connaissances » sont mises en œuvre à l’occasion du départ d’un praticien ou expert (en mobilité interne, externe ou à la retraite) ou de l’arrêt momentané ou définitif d’une activité. Elles visent à produire un référentiel explicite des connaissances détenues par l’individu concerné, pour une utilisation ultérieure.

Les principes pour réussir une capitalisation ponctuelle

De nos expériences, nous retenons 4 principes de base pour guider les entreprises dans la conduite d’une opération de capitalisation ponctuelle de connaissances et enrichir la démarche générale de Knowledge Management.

Principe 1 : Le premier principe est de former dès le démarrage de l’opération une équipe de personnes qui seront exposées à continuer l’activité après le départ de notre expert, que l’on va appeler ici les « récepteurs » (en anglais on les désigne sous les noms de GiverTakers).

Principe 2 : On ne part pas de l’inventaire de « tout ce que sait le praticien dans tous les domaines », mais de l’analyse des besoins et des attentes des récepteurs. Si eux-mêmes ne savent ce dont ils pourront avoir besoin, on peut recourir à une méthode comme KALAM® pour établir la cartographie du domaine d’activité, et ensuite d’identifier les éléments cruciaux. Avec l’aide d’un cogniticien, le praticien-expert va préparer des modules, exactement comme s’il s’agissait d’un programme d’enseignement.

Principe 3 : Impliquer les utilisateurs dans le transfert, puis la rédaction et validation du recueil de connaissances Chaque module fera l’objet d’une session de formation très interactive, au cours de laquelle les questions posées par les récepteurs seront capitalisées avec les réponses données par le praticien. Ainsi la rédaction du recueil de connaissance résultera d’un véritable travail d’équipe, avec une forte appropriation des récepteurs… c’est cela qui garantit que, plus tard, le document sera effectivement réutilisé !

Principe 4 : Créer un référentiel multidisciplinaire, consultable par de multiples points de vue, et enrichi en permanence. Si le départ de l’expert a servi de déclencheur à l’opération de capitalisation, il n’y a pas de raison de s’arrêter ensuite : notre groupe constitué pourra continuer à enrichir le référentiel avec de nouveaux retours d’expériences, règles, données de veille, etc…

3.3  REX : Retour d’expérience Projet

REX est une méthodologie de formalisation des Retours d’EXpérience, initiée et développée à l’origine pour le CEA, dans le but de préserver les savoirs et savoir-faire acquis pendant les phases de conception et de mise en route des réacteurs nucléaires. La méthodologie s’applique à tous les secteurs professionnels (industrie, tertiaire) et peut s’appliquer à plusieurs situations, par exemple :

3.3.1  Situation 1 : capture de savoir-faire (gestes, savoirs tacites) en condition d’exploitation :

  • observer sur site (peut passer par une vidéo) comment travaillent les agents, puis,
  • organiser des séances d’interviews, collectives et individuelles, pendant lesquelles les acteurs pourront décrire leur travail. Le caractère participatif d’un REX est donc essentiel.

Il s’agira alors de faire expliciter par les acteurs les méthodes personnelles qu’ils ont adoptées, les justifier auprès de leurs pairs, et ainsi de capturer les savoir-faire non décrits dans la documentation officielle. Une bonne manière de procéder est d’amener les personnes à décrire successivement, sur un même objet, où se trouve la connaissance -en marche normale, -en événements programmés, et -en cas d’anomalie, dysfonctionnement ou tous événements anormaux.

3.3.2  Situation 2 : REX à l’issue d’un projet ayant rencontré des incidents

Le REX sur incident ou échec (parfois appelé, « leçons apprises », ou « Post-Mortem ») est sans doute l’une des meilleures sources d’apprentissage collectif. L’idée est simple : il s’agit de se réunir et de s’interroger sur « qu’est-ce qui n’a pas marché ? Pourquoi ? Qu’est-ce qu’on ferait pour l’éviter si on recommençait ? Peut-on formaliser des recommandations, des bonnes pratiques, voire des règles ? S’agit-il d’un simple traitement curatif ou peut-on remonter à la cause racine du problème ? »

Il existe des méthodologies pour assister cette analyse des causes d’incident, comme , ou le :

  • Matériau : le Pb vient des différents consommables utilisés, matières premières…
  • Milieu : le Pb vient du lieu de travail, son aspect, son organisation physique…
  • Méthodes : le Pb vient des procédures, des flux d’information…
  • Matériel : le Pb vient des équipements, machines, outillages, pièces de rechange…
  • Main d’œuvre et Management et : le Pb vient des ressources humaines, des qualifications, mais aussi du manager, de sa posture, conflits sociaux….

3.4  Communautés de Pratiques

La communauté professionnelle, et notamment la communauté de pratique, est un regroupement intentionnel (spontané parfois décrété) de personnes dans le but de mettre en commun leurs connaissances respectives sur un thème donné.

Le nom générique est Communauté de Pratique, mais il peut exister des communautés ayant un objectif de veille (mutualisation de la veille sur un sujet émergent), des communautés d’apprentissage.

La communauté professionnelle oblige à prendre en compte la dimension humaine (facteurs affectifs et émotionnels, styles cognitifs, facteurs de tropisme) et les participants s’assurent d’ailleurs de la réciprocité des échanges, de l’assertivité. Elle fonctionne hors hiérarchie, car c’est un « lieu » d’intelligence collective, d’innovation, de création de connaissance collective.

Les facteurs de succès et de pérennité d’une Communauté sont :

  • Un thème réellement fort, motivant les membres à participer, et bien périmétré ;
  • Un leader charismatique et légitime sur le thème et un petit groupe (« core group ») de personnes assurant le noyau dur de la Communauté (5 personnes par ex.) ;
  • Un calendrier précis de travaux, avec des livrables, des rôles/responsabilités, des dates ;
  • Une alternance de réunions physiques (car il s’agit aussi d’apprendre à se connaître) et virtuelles ;
  • La capitalisation des productions sur un espace partagé (portail dédié à la Communauté, espace collaboratif) et protégé dans un premier temps ;
  • Une transversalité des membres et de leurs points-de-vue : c’est l’un des objectifs des communautés que d’amener des juristes/commerciaux/chercheurs, ou des ingénieurs/exploitants/maintenance à travailler ensemble
  • Cette transversalité peut d’ailleurs amener la Communauté à inviter des participants extérieurs pour des apports ponctuels de connaissance : cotraitants, experts externes…
  • La communauté doit officialiser son existence et contractualiser sa production avec la Direction de l’Entreprise, avoir un « Sponsor » au niveau de la Direction Générale : elle ne peut en effet pas fonctionner longtemps de manière « clandestine ».

3.5  Localisateur d’expertise

Dans la plupart des organisations françaises, la culture des réseaux humains prédomine : lorsqu’un professionnel rencontre un obstacle et a besoin d’une aide, il ne va pas spontanément chercher la solution sur un média électronique, il va plutôt consulter ses collègues. Là où ce comportement, bien qu’humain, n’est pas très professionnel, c’est que notre professionnel ne va pas consulter les collègues sur la base de leur compétence, mais plutôt sur la base des affinités qu’il a avec eux (attitude latine assez opposée à celle de la culture anglo-saxonne). Par ailleurs il risque d’obtenir à ses questions des « avis », plutôt que des réponses valides.

Dans ce contexte, nous avons cherché non pas à « interdire » les contacts humains, mais à les professionnaliser.

Le principe d’un « localisateur d’expertise » est de fournir un outil permettant sur la base d’une requête de localiser toutes les personnes ayant déclaré détenir une expérience professionnelle sur le domaine.

L’outil s’appuie sur un moteur linguistique qui interroge une base textuelle comportant, pour chaque personne une fiche auto-déclarative d’expérience (proche, dans l’esprit de ce que proposent les outils internet de réseaux sociaux, comme LinkedIn, ou Viadeo) ; nous préconisons de structurer la fiche en 5 champs :

  • Identité : Nom, fonction, âge, sexe, coordonnées… (peut être synchronisé avec un annuaire d’entreprise, de type LDAP ou yellow pages)
  • Activité actuelle : Il ne s’agit pas de donner ici son titre, mais de décrire son activité actuelle : fonction – domaine d’activité – bénéficiaire – lieu géographique
  • Activités passées : selon le même modèle, en chronologie
  • Formation et bagage académique
  • Sujets de veille et d’intérêt

Au delà de son côté utilitaire, ce genre d’outil à montré :

  • Que les professionnels étaient très motivés par la « reconnaissance » que l’outil leur donnait auprès de leurs pairs et supérieurs hiérarchiques,
  • Que l’outil permettait de révéler des « pépites » à savoir, toute la somme des expériences précédentes des salariés – en effet, dans les organisations on connaît au mieux « qui fait quoi », mais rarement ce que les personnes ont fait dans des « vies précédentes » - or c’est se priver d’expertises potentiellement précieuses.

3.6  SNA (Social Network Analysis), ou Analyse des Réseaux Sociaux

Une autre fonction des réseaux sociaux est la cartographie des liens déclarés entre des personnes. L’outil représente graphiquement les relations déclarées entre des personnes, si possible sur un sujet ou thème donné.La carte peut révéler

  • des « leaders d’opinion » : personnes qui sont citées de nombreuses fois comme référent
  • des îlots et fragmentation : groupes de personnes non reliés au reste du réseau social,
  • des densités, vulnérabilités,
  • des « personnes-hub » qui ont un degré de connectivité nettement supérieur à la moyenne et vont donc faciliter la mise en relation, etc…
  • Certains outils peuvent aussi calculer la « distance » qui vous sépare d’une personne, en identifiant les intermédiaires, ce qui peut faciliter la mise en relation.

3.7  Applications collaboratives

3.7.1  Blogs et Wiki

Un wiki est un système de gestion de contenu de site Web qui rend les pages Web librement et également modifiables par tous les visiteurs autorisés. Les wikis sont utilisés pour faciliter l'écriture collaborative de documents avec un minimum de contrainte. L’avantage du wiki sur les autres solutions collaboratives (forums de discussion, messagerie, blogs) est qu’il produit un « livrable documentaire » plus tangible, plus finalisé, directement lisible.

Mais à l’inverse, l’intérêt sur les procédures documentaires, archives est que le Wiki produit un document qui reste « vivant », sans arrêt remis à jour.

Quelle différence entre blogs et wikis : les blogs sont davantage des lieux d’expression d’opinions (expérience, storytelling) alors que les Wikis offrent une garantie plus importante de validité des informations publiées.

3.7.2  Les plate-formes collaboratives

Les applications collaboratives apportent un soutien efficace à l’échange d’idées et d’informations, à l’élaboration collective de connaissances et de documents, à la communication, la coordination et la coopération des équipes géographiquement dispersées et sur un mode asynchrone.

Si l’échange doit se faire de manière plutôt discrétionnaire (je communique quand j’en ai besoin, où et quand je veux), l’outil approprié sera le forum et la messagerie ; si l’échange obéit à des règles et des procédures fixes, alors l’outil sera un workflow.

3.8  Les portails KM

3.8.1  Les portails de communauté de pratiques

L’intérêt de focaliser la création d’une communauté sur la conception de son portail est :

  • Ce portail devient l’expression tangible de l’activité de la communauté.
  • Au delà de leurs réunions physiques, les membres ont besoin d’une plate-forme d’échanges, de travail collaboratif distant et asynchrone,
  • Il permet une capitalisation des échanges et des productions, ce que ne permettent pas les échanges oraux.
  • A terme il peut devenir une véritable base de connaissances, ou référentiel métier, en un lieu unique
  • Notre expérience concrète montre que des gens qui ne se connaissent pas beaucoup entrent plus facilement dans un travail collectif de rubriquage « métier », que dans des réponses à des questions un peu « philosophiques » au départ.

3.8.2  Les portails par processus

Une autre représentation possible, très utile, d’un portail est la représentation par processus. Ce type de portail peut être conçu comme le « livrable » de la mise en œuvre de la méthode KALAM décrite plus haut.

Le principe est de représenter les grandes étapes d’un « macro-processus » et de permettre à l’internaute d’obtenir, pour chaque étape, les connaissances strictement contextuées à cette activité : documents-type (Template), normes et règles, bons exemples (REX), personnes à contacter (ELS).

Ce type de représentation est non seulement très performant, puisqu’il évite à l’internaute de se noyer dans des tonnes d’informations qui ne concernent pas son activité, mais également très pédagogique, car il donne à voir une représentation simple des grands processus de l’entreprise.

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Figure 9.14 – Exemple d’un portail orienté processus

Dans l’exemple ci-dessus on peut voir :

  • Une représentation simplifiée des grandes étapes du processus qui a sélectionné. L’utilisateur se positionne sur l’étape ou l’activité de son choix, ici « Étude d’opportunité » et va alors voir l’ensemble des ressources de connaissance, à droite, disponibles et strictement contextués par rapport à l’activité sélectionnée :
  • Procédure, guides, normes, standards et bons exemples d’études d’opportunité,
  • Communautés existantes et formation disponible sur le thème,
  • Le moteur a également trouvé, en s’appuyant sur un ELS, 5 personnes susceptibles d’aider notre utilisateur sur ce thème.

4  Le pilotage de la démarche KM

Le Knowledge Management est une démarche d’entreprise ambitieuse et durable qui vise des progrès permanents ; elle suppose un changement culturel de la part de toutes les strates de l’organisation. C’est une démarche participative. Elle suppose une gouvernance et un phasage appropriés.

4.1  Phasage

Une démarche KM se conduit en trois phases principales :

  • la phase 1 d’analyse et de diagnostic, qui aboutit au document fondateur de la démarche ;
  • la phase 2 d’expérimentation de projets pilotes, dits projets de percée, qui aboutit à des prototypes opérationnels ;
  • la phase 3 de déploiement ou de généralisation, sur la base des retours d’expérience de la phase 2.

4.1.1  Phase 1 – Analyse, diagnostic et plan fondateur de la démarche KM

La phase 1 peut comporter les lots suivants :

  • Lot 1 : écoute des attentes du terrain (attentes, freins, leviers…).
  • Lot 2 : écoute de la vision des dirigeants (enjeux, stratégie).
  • Lot 3 : identification des initiatives existantes et analyse (raisons des échecs).
  • Lot 4 : benchmarking, (que font les autres ?).
  • Lot 5 : brainstorming pour transformer les attentes en plan d’action.
  • Lot 6 : rédaction du document fondateur.
  • Lot 7 : restitution en Direction Générale et validation pour la phase 2.
  • Lot 8 : séminaires de sensibilisation au KM pour mobiliser les agents

4.1.2  Phase 2 : projets pilotes

Nous préconisons une mise en œuvre itérative et incrémentale ; une période intermédiaire, la phase 2, consiste à expérimenter un nombre limité de projets pilotes de KM. D’une durée typique de 9 à 12 mois, cette phase est nécessaire pour constituer les retours d’expérience qui seront ensuite utilisés pour la généralisation en phase 3.

Cette phase 2 peut être conduite selon l’esprit du « management par percée », qui a largement fait ses preuves dans les processus de conduite du changement au sein des organisations professionnelles complexes : un projet de percée est un projet concret, avec un objectif visible et facile à atteindre, porté par des acteurs motivés. Il permet d’expérimenter en grandeur réelle et collectivement, de réaliser des « démonstrateurs » et d’apprendre « chemin faisant ». Il crée une communauté (groupe projet) d’acteurs qui focalisent leur énergie et leur intelligence sur l’objectif à atteindre. Les différents projets de percée sont fédérés au sein d’une démarche KM globale. Le plan d’action se définit alors comme un ensemble cohérent d’actions complémentaires, retenues parce que chacune d’entre elles, par ses effets et ceux de ses synergies avec les autres, contribue aux objectifs affichés dans la stratégie.

4.1.3  Phase 3 – Déploiement

La fin de la période expérimentale doit être marquée par une réunion générale des acteurs porteurs de projets de percée, une évaluation du travail fourni et de ses bénéfices et une restitution en Direction Générale. Chaque porteur de projet a la mission d’identifier les ressources et coûts nécessaires pour passer dans une logique opérationnelle : coûts d’investissement, coûts d’exploitation, coûts d’accompagnement. Le guide méthodologique joue un rôle important dans cette transition : il restitue le retour d’expérience des percées sous forme de recommandations : comment s’y prendre, les pièges à éviter, les bonnes pratiques, les outils à choisir, des contacts utiles… chaque recommandation est parlante et concrète car elle est signée par un « pair » et non issue d’un ouvrage théorique.

4.2  Gouvernance

Nous préconisons trois niveaux de gouvernance :

4.2.1  Niveau 1 : La MOA (maîtrise d’ouvrage)

  • fixe officiellement le cap,
  • sponsorise la démarche et alloue les ressources (humaines, techniques et financières) nécessaires à l’accomplissement de la démarche,
  • assure la validation (ou recadrage) des étapes jalons-clés.

Qualité : Légitime à la fois du côté de la Direction Générale et du côté des métiers pour  incarner la démarche KM au niveau corporate.

4.2.2  Niveau 2 : la MO (maîtrise d’œuvre)

  • conduit les opérations KM avec l’aide éventuelle d’un expert KM,
  • lance les projets pilotes,
  • les co-anime conjointement avec leur leader,
  • assure la coordination des différentes actions et la communication (éviter l’effet tunnel),
  • fixe avec les leaders des objectifs opérationnels et des critères d’évaluation,
  • Veille au respect du calendrier général et au rendu des livrables de chaque projet pilote,
  • veille à l’application des méthodes KM dans les projets pilotes retenus pour la Ph. 2
  • veille à la mise en œuvre des plate-formes IT selon des spécifications fonctionnelles KM
  • assure la capitalisation des retours d’expérience dans les projets pilotes afin de préparer le déploiement en Ph. 3.

Qualités : Une personne pouvant VRAIMENT dégager du temps opérationnel pour assurer la coordination permanente des différents projets pilotes :

  • fixe contractuellement les objectifs de chaque projet (calendrier de travail, livrables, composition des groupes…),
  • veille au respect des méthodes KM,
  • veille avec la DSI à la conformité des outils IT au cahier des charges fonctionnel KM,
  • communication régulière, évaluation, retours d’expériences, etc.

Le consultant-expert KM

Le consultant-expert doit se mettre en posture d’accompagnement (méthodologique et technique) du Knowledge Manager.

  • Comment choisir un consultant/expert AMOA?

Une entreprise fait appel à une consultant AMOA lorsqu’elle n’a pas de cahier des charges, ou, plus exactement, lorsqu’elle dispose d’un cahier des charges de maîtrise d’ouvrage, qui s’exprime en termes de cible à atteindre et des ressources disponibles, et non sur les moyens d’y arriver. Le cahier des charges et sa déclinaison en moyens (méthodes/outils/ressources) résultera de l’analyse de la Phase 1.

Le choix d’un consultant-expert KM AMOA se fait sur la base de son expertise, et notamment ses références, de ses méthodologies, et de l’expérience des consultants qui seront réellement affectés à la mission.

Inutile de préciser que cette « intelligente utilisation » d’un consultant AMOA est en forte inadéquation avec la procédure observée des AO des marchés publics.

Afin de ne pas tomber dans la tentation des « logiques de moins-disant », une bonne stratégie peut être de fixer le budget dans le cahier des charges. Ainsi les candidats se départageront à partir de leurs capacités.

Au-delà, il est capital que la relation Client-consultant AMOA soit basée sur la confiance, l’apport mutuel d’expertise complémentaire, et la participation : le client ne se déleste pas auprès de son consultant il reste le moteur, le leader de la démarche et se fait accompagner pour cela.

4.2.3  Niveau 3 : Un leader pour chaque projet pilote

Plus la réalisation des projets pilotes est faite par les acteurs-terrain eux-mêmes, plus l’adhésion et la mobilisation est forte. Le leader de projet de percée :

  • Anime le projet pilote dont il assure la conduite opérationnelle,
  • Choisit et réunit les membres de son projet pilote,
  • Valide les orientations de travail (périmètre, définition des contenus, rubriquage), valide les contenus (standards et règles métiers)

Qualités : outre des qualités d’animateur/leader, il doit représenter une légitimité technique aux yeux des membres de son groupe projet.

5  Conclusion

Le Knowledge Management représente aujourd’hui un enjeu stratégique majeur pour les organisations. Il peut décupler les capacités de développement et de compétitivité, en ouvrant la voie à des stratégies coopératives fondées sur l’intelligence collective.

La connaissance n’est pas un objet : c’est une matière humaine en perpétuelle transformation, au contact des phénomènes, des actions, des informations, des échanges avec les autres. Contrairement aux biens matériels, le fait de la partager n’en diminue pas la valeur. Il faut aborder la connaissance dans une logique de lien et de flux, non de stock. La connaissance se transforme dans différents états (tacite, explicite, individuel, collectif). Le Knowledge Manager doit comprendre sa mission en tant que facilitateur de ces flux, et facilitateur d’une culture de partage.

De nombreux outils et méthodes assistent ces flux à chaque stade de maturité de la connaissance et des réseaux professionnels.

Livres et articles en langue française

  • CEFRIO « Travailler, apprendre et collaborer en réseau » Guide de mise en place et d’animation des communautés de pratique intentionnelles, 2005
  • Edvinsson L. et Malone M., Le capital immatériel de l’entreprise, Maxima, 1999
  • Groupe de Recherche sur les Capacités Organisationnelles, Actes des Journées de Réflexion 2009 et 2010, Québec
  • Le Boterf G., L’ingénierie des compétences, Éditions d’Organisation, 1998
  • MORIN E., La Méthode ,  1986, La Connaissance de la connaissance (t. 3), 1991, Les Idées (t. 4), Le Seuil, Nouvelle édition, coll. Points, 1992
  • PRAX J.Y., Le Manuel du Knowledge Management, mettre en réseau les hommes et les savoirs pour créer de la Valeur, 2e édition, DUNOD, 2007
  • Prax J.-Y.,  Les réseaux sociaux changent la donne, l’Expansion Management Review, n°139, déc 2010
  • Prax J.-Y.,  Le KM remet l’Homme au cœur de la création de Valeur, Revue du MEDEF, n°23, mars 2008
  • Argyris C. et Schön D.A., Organizational learning, a theory of action perspective, Add Wesley, 1978
  • Davenport T., Prusak L., Working Knowledge, Harvard Business School Press, 1998
  • Kaplan R.S., Strategy Maps, Converting intangible Assets into tangible outcomes, Harvard Business School Press, 2004.
  • Nonaka I. et Takeuchi H., The Knowledge-Creating Company, Oxford University Press, 1995
  • Senge P., The Fifth discipline, Currency Doubleday, 1994
  • Wenger E., McDermott R., Snyder W., Cultivating Communities of practices, Harvard Business School Press, 2002

Le site de présente de nombreux articles:

  • La confiance :
  • Les communautés de pratiques :
  • La voie japonaise du KM :
    Innovation :

: Propose de nombreux articles en anglais sur le rôle de la connaissance dans le développement – cas d’application dans les PVD

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