Le paquet Almunia 5 ans après : Quelle mise en œuvre ?

Modifié le 16 mai 2023

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Notions clés

Cet article fait suite à deux articles déjà publiés : 1ère partie et 2ème partie.

En 2017, deux études analysant la mise en œuvre du cadre juridique européen des aides d’Etat aux SIEG ont été conduites.

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En 2017, deux études analysant la mise en œuvre du cadre juridique européen des aides d’Etat aux SIEG ont été conduites.

La première, initiée par le Comité économique et social européen (CESE) concerne un « Examen des rapports des États membres sur la mise en œuvre de la décision de la Commission européenne relative à l’octroi d’aides d’État pour la prestation de services d’intérêt économique général » (rapports pour les périodes 2012-2014 et 2015-2016). Elle a donné lieu à un avis d’initiative du CESE intitulé « Application des règles relatives aux aides d’État pour les compensations des prestations de services d’intérêt économique général ».

La deuxième étude, publiée exclusivement en anglais, par le Comité des régions (CdR), porte sur la mise en œuvre de la Décision et de l’Encadrement sur les SIEG et le rôle des autorités locales et régionales dans les rapports des Etats membres concernant les services sociaux d’intérêt économique général (« Implementation of the Decision and the Framework on SGEIs: involvement of LRAs in the reporting exercise and state of play as regards the assessment of social services as economic activities »). Elle est en relation avec l’avis du Comité des régions intitulé « Aides d’Etat et services d’intérêt général », adopté en octobre 2016.

Nous avons sélectionné ci-après quelques aspects critiques ou propositions d’initiatives avancées par ces études ou les organismes consultatifs commanditaires en vue de l’amélioration du cadre politique et juridique existant.

Les études montrent en effet que les États membres peuvent rencontrer des difficultés et/ou des problèmes d’application du paquet Almunia et invitent à une amélioration du cadre juridique pour en accroître la clarté et la sécurité juridique.

1. Problèmes concernant la définition (participative) des services (sociaux) d’intérêt (économique) général [S(S)I(E)G]

Les deux études reviennent sur la question de la définition par les Etats membres de ce que constitue un service (social) d’intérêt général, concernant respectivement la distinction entre un S(S)IG économique ou non économique et le pouvoir de contrôle par la Commission européenne de l’erreur manifeste de définition des SIEG par les Etats membres, sous le contrôle de la Cour de justice de l’UE. Elles réitèrent les demandes nationales de disposer d’orientations supplémentaires en ce qui concerne les principes et les critères de distinction entre les activités de SIG économiques et non économiques, ainsi qu’entre les activités compatibles et non compatibles avec les règles des traités, afin de sécuriser l’application des règles en matière d’aides d’État.

En ce qui concerne la consultation prévue par le point 14 de l’Encadrement dans la définition des SIEG, la première étude souligne que les possibilités et contraintes offertes par la participation des utilisateurs et prestataires de services sont largement ignorées dans les rapports bisannuels des Etats membres analysés ; la publication du Comité des régions a permis de remonter les questionnements de certaines collectivités territoriales quant au caractère obligatoire de cette consultation, sa mise en œuvre et sa valeur ajoutée, ainsi que les tensions qui peuvent apparaître entre l’intérêt du public et les possibilités des élus.

Ces questionnements ont d’autant plus d’intérêt que l’étude du CESE montre que le processus concernant les aides d’Etat n’implique directement que les autorités centrales des Etats membres et la Commission, alors que les niveaux inférieurs d’administration et les bénéficiaires de ce processus sont tout autant intéressés à y prendre part puisque la plupart des SIEG sont définis et/ou organisés et gérés au niveau régional ou local. En effet, l’étude des rapports nationaux bisannuels fait apparaître qu’en général, seuls les services définis par les pouvoirs publics nationaux sont abordés dans ces rapports. Or pour les aides qui bénéficient d’une dispense de notification l’exigence de compatibilité avec les normes européennes demeure alors que, dans le cadre de la Décision, les collectivités territoriales n’ont pas la possibilité d’engager un dialogue ex ante avec la Commission. Cela légitime la proposition d’établir le recueil des meilleures pratiques et de clarifier davantage les règles au moyen d’instruments non contraignants pour dissiper le plus grand nombre possible d’incertitudes et pour clarifier un maximum de zones d’ombre qui s’avèrent représenter des obstacles difficiles à franchir pour les autorités autres que nationales.

2. Problèmes concernant la référence « entreprise moyenne » et la définition du profit raisonnable

Le critère de l’entreprise moyenne a été posé par l’arrêt Altmark. Il est repris aussi dans la décision et l’encadrement du paquet Almunia. L’étude du CESE souligne les difficultés pratiques, voire parfois la quasi-impossibilité d’identifier, selon le marché concerné, la bonne entreprise pouvant faire référence.

L’étude du Comité de régions apporte une analyse similaire et montre en particulier les difficultés de certaines autorités locales à collecter les informations nécessaires à la définition de cet indicateur qui est une référence pour le calcul du profit raisonnable en vertu de l’art. 5(5) de la Décision. En effet, ce critère suppose que chaque autorité responsable du SIEG ait connaissance des informations concernant le taux de rendement d’une entreprise moyenne. Dans certains secteurs (services sociaux, santé, aéroports), la difficulté d’obtenir des informations comparables et de calculer le profit raisonnable tient à l’absence d’un marché comparable. Dans tous les cas, l’obtention de telles informations amène des démarches, voire des coûts supplémentaires pour les autorités. Plus généralement, la complexité des méthodologies du paquet Almunia exige l’adaptation des capacités des collectivités et des fournisseurs, avec, parfois, des coûts supplémentaires pour une expertise externe.

En ce qui concerne le calcul du profit raisonnable, l’étude du CESE apporte toutefois quelques nuances d’analyse. Alors qu’elle souligne la crainte manifestée vis-à-vis de ce critère considéré comme complexe, l’analyse de la pratique de la Commission montre qu’elle a été encline à accepter les propositions équilibrées qui ont été faites par les autorités nationales.

La question du bénéfice raisonnable est reprise dans les propositions avancées par les deux avis des organes consultatifs de l’UE. Pour sa part, le CESE propose la définition d’une méthode facile à utiliser pour le calcul du bénéfice raisonnable, les méthodes actuelles lui apparaissant bien trop complexes pour un SIEG local, qui est obligé de recourir à d’onéreux services de conseil qui sont hors de portée de la plupart des SIEG. Le Comité des régions estime que la révision de la définition du bénéfice raisonnable d’un SIEG s’impose en particulier afin de tenir compte du fait que ce bénéfice est souvent réinvesti dans les SIEG.

3. Problèmes concernant la compensation et la surcompensation

Les deux études montrent l’existence pour certaines autorités de difficultés dans la détermination anticipée des paramètres de la compensation.

L’étude CESE montre que de telles difficultés associées à l’exigence de contrôles réguliers visant à éviter les surcompensations (au minimum tous les trois ans pendant la durée du mandat et au terme de celui-ci – art. 6§1 de la Décision) peuvent conduire en pratique à négliger de manière volontaire la définition ex ante objective et détaillée des paramètres de compensation pour favoriser le contrôle tout au long de la prestation et la correction de la compensation en fonction des paramètres réels, alors qu’une méthode préalable formelle pourrait s’avérer non (complètement) appropriée. Ainsi, les pratiques de remboursement ex post des coûts et d’autres mécanismes compensatoires restent en usage (par exemple, la couverture des déficits dans le secteur hospitalier). Toutefois, l’existence de bonnes pratiques montre non seulement de possibles solutions aux problèmes rencontrés en la matière, mais aussi des opportunités en termes d’efficacité dans la gestion des services. L’étude CESE n’exclue pas que la structure des incitations soit éventuellement modifiée et accompagnée d’orientations méthodologiques sectorielles claires, spécifiquement en matière de paramètres de compensation et de prévention ex ante des surcompensations. En outre, l’étude suggère une attitude plus flexible de la Commission vis-à-vis des dépassements mineurs (n’excédant pas 10% du montant de la compensation annuelle moyenne).

L’étude CdR insiste non seulement sur les difficultés pratiques de calcul du niveau et des paramètres de la compensation (en particulier pour les services sociaux d’intérêt général et la manière d’intégrer dans le calcul tous les aspects pertinents, autres que le profit raisonnable), mais aussi sur celles concernant le choix de l’instrument de compensation le plus pertinent. Toutefois, l’étude CESE montre que les rapports nationaux ne semblent pas être exhaustifs dans la présentation de toutes les méthodes de compensation utilisées et ne permettent donc pas d’identifier si les Etats membres font l’usage de toutes les méthodes de compensation prévues par le droit européen. Ainsi, par exemple, quasiment aucun État membre n’a inclus les données collectées concernant la compensation en nature dans son rapport pour la période 2012-2014. De même, les informations contenues dans les rapports ne permettent pas de conclure que la méthode du coût net évité (considérée par l’Encadrement comme la méthode la plus précise pour déterminer le coût d'une obligation de service public) est appliquée de façon générale ou systématique. La nécessité d’établir un scénario contrefactuel impliquant l’absence d’obligations de service public soulève une difficulté sérieuse, étant donné que les cas concernent fréquemment des environnements de marché atypiques. Par contre, selon les rapports bisannuels des Etats membres, le mécanisme le plus commun de compensation est l’aide directe (subvention), suivi par les indemnisations.

4. Les problèmes posés par la complexité croissante de la réglementation

La prestation de SIG doit se conformer à une réglementation d’une complexité croissante, qui exige la mise en oeuvre du cadre juridique européen à différentes étapes du processus.

En matière d’aides d’Etat, les difficultés apparaissent notamment dans l’application combinée des exigences en matière d’aides d’État et des exigences spécifiques aux prestations fondées sur la concurrence ou axées sur le marché (notamment de marchés publics). Cela impacte les stratégies de prestation et de financement des SIEG et peut entraver la capacité des États membres à rechercher des gains d’efficacité sans recourir au marché. Les stratégies à la disposition des autorités publiques semblent limitées (ou du moins encadrées) en cas de présence d’un opérateur privé par un système complexe de règles et de principes européens qui peuvent poser de réels problèmes aux gouvernements et même aux collectivités régionales et locales.

Par exemple, l’étude CdR recense les difficultés posées en pratique pour remplir les conditions posées par la Communication sur la notion d’aide d’État (2016/C 262/01) dans le cas où une seule offre est soumise dans une procédure de mise en concurrence (point 93 de la Communication). En fait, selon la Communication, dans un tel cas, « la procédure ne suffira normalement pas pour garantir un prix du marché, à moins : i) qu'il existe des mesures de sauvegarde particulièrement strictes lors de l'élaboration de la procédure, qui garantissent une concurrence réelle et effective, et qu'il n'apparaisse pas qu'un seul opérateur soit objectivement en mesure de présenter une offre crédible ; ou ii) que les autorités publiques vérifient par des moyens supplémentaires que le résultat correspond au prix du marché. »

Pour simplifier les procédures et réduire les difficultés administratives, éliminer les charges inutiles et éviter les coûts supplémentaires pour les autorités publiques, les deux avis des organes consultatifs de l’UE proposent en particulier une limitation de la procédure de notification des aides. Ainsi, l’avis du Comité des régions réitère son appel en faveur d’une augmentation des seuils dans le cadre des règles de minimis en ce qui concerne les aides aux SIEG. Pour sa part, le CESE s’exprime en faveur de la suppression du seuil d’exemption et pour inclure l’ensemble des SIEG dans la décision, quel que soit le montant compensatoire annuel, en prenant l’exemple des régimes de compensation applicables aux transports de voyageurs. En conséquence, il propose de limiter l’obligation de notification à des formes d’aides ou à des activités particulières dans le cadre desquelles des distorsions potentielles peuvent justifier un examen plus approfondi, afin de garantir des conditions de concurrence équitables.

En outre, l’avis du Comité des régions s’exprime en faveur d’« une extension dynamique de la notion de SIEG », pour que de nouveaux services (par exemple, les services en lien avec le premier accueil et l’intégration des réfugiés et des migrants, ou les services d’accès au haut débit dans certains régions) soient considérés comme relevant de l’intérêt général en raison de la nécessité d’une couverture universelle des citoyens. Le Comité des régions insiste également sur la nécessité de l’évaluation des nouveaux services pour identifier le besoin de leur qualification par les Etats membres en tant que SIEG.

Le CESE souligne la nécessité d’élargir le champ d’application de la Décision du paquet Almunia pour couvrir les services destinés à enrichir les connaissances et les compétences des citoyens et à les aider ainsi à améliorer leurs perspectives d’emploi.

5. L’article 14 TFUE en tant que base juridique pour les aides d’Etat aux SIEG

Les deux organes consultatifs reviennent dans leurs avis aux propositions précédentes invitant la Commission, le Parlement européen et le Conseil à recourir à l’article 14 du TFUE en tant que base juridique pour les règles en matière d’aides d’État dans le domaine des SIEG. Pour le CESE, il s’agit plus largement d’étudier les moyens d’exercice des prérogatives fixées par l’art. 14 TFUE en vue de l’adoption par le législateur européen de règlements fixant les principes et conditions régissant les services d’intérêt économique général, notamment dans le domaine économique et financier, sans préjudice de la compétence des États membres et de l’Union visées dans cet article. Le recours à une procédure législative ordinaire serait de nature à conférer de plus grandes légitimité démocratique et sécurité juridique en la matière.

Auteur(s) :

BAUBY Pierre

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