Les grandes étapes et logiques de l’européanisation des services publics

Modifié le 16 mai 2023

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Notions clés

Dans tous les pays européens, la définition et l’organisation de ce que l’on appelle en France (et dans certains autres pays) « services publics » s’est faite dans le cadre de la construction de chaque Etat national, dans son histoire longue, en relation avec son mode de construction, ses traditions, ses institutions, sa culture, les mouvements sociaux et les rapports de forces qui l’ont structuré.

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1. Introduction : pourquoi l’européanisation des services publics ?

1.1. Les services publics inscrits dans la construction des Etats-nation en Europe. Diversité et unité

Dans tous les pays européens, la définition et l’organisation de ce que l’on appelle en France (et dans certains autres pays) « services publics » s’est faite dans le cadre de la construction de chaque Etat national, dans son histoire longue, en relation avec son mode de construction, ses traditions, ses institutions, sa culture, les mouvements sociaux et les rapports de forces qui l’ont structuré.

Existent ainsi en Europe toute une série de diversités :

  • les termes utilisés sont différents et pas toujours transposables dans les différentes langues, ce qui a conduit, on va le voir, le traité fondateur puis, sur ses bases, les institutions européennes à inventer de nouveaux termes permettant de construire un langage commun– « services d’intérêt économique général » (SIEG), « services d’intérêt général » (SIG), « services non économiques d’intérêt général » (SNEIG), « services sociaux d’intérêt général (SSIG) ;
  • il y a de fortes différences en matière de doctrines et de concepts (en particulier juridiques) ;
  • deux conceptions se chevauchent : organique, qui assimile le service public à l’instance publique qui preste le service ; fonctionnelle, qui le définit par ses objectifs, finalités et missions ;
  • les échelons territoriaux compétents ne sont pas les mêmes selon les activités et la structuration de chaque Etat, entre le local, le régional et le national ;
  • selon les activités concernées, elles ont un caractère marchand ou pas ;
  • les modes de prestation peuvent relever de différents types d’acteurs, public, mixte, privé ou associatif.

Mais, au sein même de ces diversités existe en Europe une profonde unité : dans tous les pays européens, les autorités publiques locales, régionales ou nationales ont été amenées à considérer que certaines activités ne pouvaient pas relever du seul droit commun de la concurrence et des seules règles du marché, mais de normes spécifiques d’organisation et de régulation, dans trois objectifs :

  • permettre l’exercice du droit de chaque habitant d'accéder à des biens ou services fondamentaux (droit à l’éducation, à la santé, à la sécurité, aux transports, aux communications, etc.) ;
  • construire des solidarités, assurer la cohésion économique, sociale et territoriale, développer le lien social, promouvoir l'intérêt général de la collectivité concernée ;
  • prendre en compte le long terme et les intérêts des générations futures, créer les conditions d’un développement durable à la fois économique, social et environnemental.

Ces finalités et objectifs d'intérêt général sont au cœur du système de valeurs qui caractérise tous les Etats européens et sont une valeur commune de l'Union européenne. Les services publics (ou leur équivalent) représentent ainsi un élément clé du modèle social européen caractérisé par les interactions et l’intégration du progrès économique et du progrès social, qui en font une économie sociale de marché.

Ainsi donc, les services publics sont caractérisés tout à la fois par leur forte spécificité nationale, porteuse de réelles diversités, et par une unité de problématique, résultante d’une longue histoire. Plus que beaucoup d’autres, la France a construit un concept fort de « service public », avec une doctrine juridique, une série de justificatifs économiques et un contenu politique, l’assimilant au lien social, à la République, à l’identité nationale.

1.2. L’intégration européenne débouche par étapes sur la construction d’une nouvelle autorité publique originale

L’histoire particulière des relations entre des nations marquées par deux guerres mondiales, leurs rapports au marché et les tensions entre les peuples expliquent que le processus d’intégration européenne soit structuré depuis deux tiers de siècle par une triple unité contradictoire.

Les six États qui ont engagé le processus d’intégration européenne au lendemain de la Seconde guerre mondiale l’ont fait parce qu’il est apparu qu’ils pouvaient avoir un intérêt commun complémentaire des intérêts nationaux de chacun, ce qui les a amené à déléguer progressivement une partie de leur souveraineté à des institutions supranationales ; mais cet intérêt commun, qui a évolué au fil des années, des débats et des mutations, ne fait pas disparaître les intérêts nationaux spécifiques voire égoïstes. Ainsi coexistent de manière constitutive et structurelle, en tension, un intérêt commun et les intérêts nationaux.

Cette première tension permanente s’accompagne d’une double légitimité. D’un côté, ce sont des États qui décident de signer des traités (CECA, puis CED – qui ne sera pas ratifié -, puis les traités de Rome – CEE et Euratom -, puis leurs amendements successifs jusqu’au traité de Lisbonne). Cette démarche relève, comme pour tout traité « international », de l’accord unanime des signataires, de la ratification unanime, donc d’une logique intergouvernementale. Mais en même temps, les institutions progressivement mises en place relèvent d’une logique de « communautarisation », avec des compétences et des modes de décision et d’action, qui au départ sont essentiellement ceux de l’« interétatique » (l’unanimité, donc le droit de véto de chacun, le « compromis », le « consensus »), avant que les mécanismes de vote ne viennent progressivement compléter cette première logique, avec en particulier l’élection du Parlement européen au suffrage universel à partir de 1979 et la montée progressive de ses pouvoirs, notamment depuis l’entrée en vigueur de l’Acte unique de 1986. Ainsi, coexistent en tension deux logiques et deux légitimités : interétatique et démocratique.

Cette seconde caractéristique structurelle de l’intégration européenne se retrouve dans un agencement institutionnel très particulier et dans la tension permanente entre d’une part ce qu’il est convenu d’appeler la « méthode communautaire », qui repose sur des compétences et des mécanismes de décision au plan de l’UE et d’autre part le vaste champ de l’intergouvernemental, fondé sur la négociation, le marchandage, le « bargaining », et qui débouche le plus souvent sur des compromis a minima.

De par ces caractéristiques, l'Union européenne ne correspond, ni par ses objectifs, ni par ses institutions, ni par sa gouvernance, ni par ses mécanismes de participation démocratique, à un « État-nation », à une fédération ou une confédération. Elle est un construit social original d’une nouvelle autorité publique, qui repose sur une série tensions spécifiques, sans précédent dans l'histoire de l'humanité.

Il n’y a donc rien d’anormal à ce que le processus d’intégration européenne n’ait pas été fondé sur la définition et la construction d’une conception commune de services publics.

1.3. La légitimité de l’Union européenne en matière de services publics fondée sur la subsidiarité

Au cœur de cette construction figure un principe essentiel, qui ne correspond pas aux traditions d’un Etat unitaire et centralisé comme la France : le principe de subsidiarité. Même s’il n’a été explicité qu’avec le traité de Maastricht de 1992, il sous-tend le processus d’intégration européenne depuis ses débuts.

Le principe de subsidiarité s’applique dès lors qu’il y a compétence partagée entre l’Union européenne et les Etats membres1. Il implique d’examiner au cas par cas, et de manière évolutive, ce qui doit relever de l’Union européenne dans la mesure où elle est plus efficace que chacun des États agissant séparément, là où donc son intervention apporte une « valeur ajoutée ». En même temps, l’Union européenne doit limiter son action à ses compétences et n’utiliser que les moyens nécessaires aux objectifs ainsi définis.

Article 5 TUE2

« L'Union n'agit que dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées dans les traités pour atteindre les objectifs que ces traités établissent. Toute compétence non attribuée à l'Union dans les traités appartient aux États membres. En vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l'Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu'au niveau régional et local, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union. En vertu du principe de proportionnalité, le contenu et la forme de l'action de l'Union n'excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités ». 

 

Dans le domaine des « services d’intérêt économique général », le principe de subsidiarité donne ainsi une grande marge d’initiatives, une réelle autonomie aux Etats membres, un « large pouvoir discrétionnaire » aux autorités publiques nationales, régionales et locales pour « fournir, faire exécuter organiser » (Protocole 26 du traité de Lisbonne consacré aux services d’intérêt général) et « financer » ces services (article 14 TFUE). L’Union européenne est une conjugaison d’unité et de diversité et non une harmonisation ou une convergence systématiques.

Le processus d’intégration européenne allait-il laisser les services publics en dehors du processus d’intégration communautaire, donc continuant à être définis et organisés dans le cadre de chaque Etat membre, ou allaient-ils être soumis à un processus d’européanisation ? La question n’est pas tranchée dans le traité de Rome de 1957, dont l’objet est d'éliminer progressivement les différents obstacles aux échanges, en particulier de marchandises.

2. Des origines à 1986 : chaque Etat membre reste compétent

2.1. CECA, CED, CEE

Aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, se développe en Europe une intense réflexion sur deux enjeux clés : comment essayer d’empêcher le retour des conflits séculaires, en particulier entre la France et l'Allemagne, ainsi que toute forme de résurgence du fascisme et du nazisme et donc de maintenir la paix ; comment reconstruire des économies et des pays dévastés. L'idée d'intégration européenne, présente dès le XVIIe siècle, devient motrice.

Cette effervescence se traduira par plusieurs initiatives majeures : le congrès de La Haye de 1948, qui débouche sur la création le 5 mai 1949 du Conseil de l’Europe, puis de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Convention éponyme ; l’institution en 1948 de l’OECE (Organisation européenne de coopération économique - qui deviendra OCDE en 1961) dans le cadre du plan Marshall ; la signature du traité de l’OTAN en 1949, qui scelle l’alliance avec les USA face à la « menace soviétique ».

Parallèlement, la France, l’Allemagne, l’Italie et le BENELUX, prennent l’initiative de mettre en commun le charbon et l'acier, qui sont à l’époque à la fois les moteurs de la reconstruction et les bases de l’industrie de guerre, ce qui débouche sur la création en 1951 de la Communauté européenne du charbon de le l'acier (CECA).

Rapidement, est forgé, dans le contexte de la guerre froide et pour encadrer toute velléité de réarmement allemand, le projet d’une armée européenne avec la Communauté européenne de défense (CED) ; mais cela aurait impliqué l'existence d'une communauté politique et la mise en place d’un système fédéral. Les conditions étaient loin d’en être réunies et en 1954 les députés français refusaient la ratification du projet.

Les gouvernements ont alors décidé de reprendre et d’étendre la voie initiée par la CECA, en développant une unification économique progressive, alternative au protectionnisme des années 1930, analysé comme facteur de rivalité et de guerre.

Les Communautés européennes ont été construites sur un système de droit supranational commun aux Etats membres et sur le transfert de certaines compétences étatiques à des institutions communes, en particulier dans le domaine économique, pour atteindre des objectifs communs. Cela a impliqué aussi le transfert de certains pouvoirs décisionnels aux Communautés, qui s’exercent d’une manière propre à la « méthode communautaire » : la Commission européenne, porteuse de l’intérêt général communautaire, élabore des projets de législation et le législateur (le Conseil des ministres des Etats membres, seul ou, plus récemment, avec le Parlement européen) adopte la législation.

2.2. Le traité de Rome : les services publics quasi-absents, les SIEG évoqués sans être définis, pour ce qui concerne les entreprises et les règles de concurrence

Prenant en compte l'internationalisation des échanges, les six Etats fondateurs de la CECA signaient en mars 1957 les traités de Rome instituant la Communauté économique européenne (CEE) et la Communauté européenne de l'énergie atomique (Euratom), fondés sur une intégration économique progressive, en créant un « marché commun ».

Mais, pour les « pères fondateurs »3, l’unification économique n'était qu'un moyen au service d’une ambition politique. Les signataires du traité de Rome visent « à assurer par une action commune le progrès économique et social de leur pays en éliminant les barrières qui divisent l'Europe ». L'article 2 précise que « la Communauté a pour mission, par l'établissement d'un marché commun et par le rapprochement progressif des politiques économiques des États membres, de promouvoir un développement harmonieux des activités économiques dans l'ensemble de la Communauté, une expansion continue et équilibrée, une stabilité accrue, un relèvement accéléré du niveau de vie et des relations plus étroites entre les États qu'elle réunit ».

L’objet du traité de Rome est de définir une première étape de la construction européenne, qui consiste à construire un « marché commun » en éliminant progressivement les différents obstacles aux échanges, d’abord de marchandises, tout en instituant trois politiques communes (commerciale, agricole et de transports) et en définissant un régime commun de concurrence.

Il n’évoque qu’à deux reprises les services publics, qu’il ne s’agit pas à l’époque d’harmoniser : l’article 77 (73 TFUE) fait état des « servitudes inhérentes à la notion de service public » pour le secteur des transports (cf. 2.3 infra) et l'article 90§2 (106-2 TFUE) permet des dérogations à l’application des règles de la concurrence prévues par le traité pour les entreprises chargées de la gestion de « services d'intérêt économique général » (SIEG).

Ce terme SIEG, qui ne préexistait pas pour désigner les services publics, est donc présent dès le traité de Rome de 1957 et vise à pouvoir se comprendre entre représentants de pays aux histoires, cultures et langues différents. Même s’il n’en existe pas, même aujourd’hui, de définition stabilisée, on convient dans les années 1980 que les services d’intérêt économique général recouvrent les services de nature économique que les autorités publiques considèrent comme étant d'intérêt général et soumettent à des obligations spécifiques de service public.

Le terme met l’accent sur le fait que l’existence des SIEG repose d’une part sur une claire responsabilité de définition par les autorités publiques, d’autre part sur leurs objectifs, missions et finalités, « l’intérêt général », renvoyant ainsi à la conception fonctionnelle et non à la conception organique (cf. 1.1 supra).

L’article 90 TCEE (106 TFUE)

1. Les Etats membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du présent traité, notamment aux articles 7 et 85 à 94 inclus (18 et 101 à 109 TFUE).

2. Les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux règles du présent traité, notamment aux règles de la concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de la Communauté.

3. La Commission veille à l'application des dispositions du présent article et adresse, en tant que de besoin, les directives ou décisions appropriées aux Etats membres.

 

L’alinéa 1 est essentiellement consacré aux entreprises publiques, pour stipuler qu’elles doivent respecter les règles communes de concurrence et ne pas disposer d’avantages par rapport à leurs concurrents.

L’alinéa 2 concerne les « entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général » (SIEG). Elles doivent, elles aussi, respecter les « règles du traité, en particulier les règles de concurrence ». Mais c’est pour ajouter que ces règles ne s’appliquent que dans les « limites où leur application en droit ou en fait ne fait pas obstacle à la mission particulière qui leur est impartie ». La Commission européenne elle-même a d’ailleurs reconnu ensuite dans son Livre blanc de 2004 que l’article 106-2 établit le primat de la « mission particulière » sur les « règles du traité, en particulier les règles de concurrence », à condition d’exprimer clairement quelle est la « mission particulière » (principe de transparence) et de mettre en œuvre les moyens adaptés (principe de proportionnalité).

L’article 106-2 offre ainsi toute la flexibilité nécessaire… Bien souvent on a interprété cet alinéa comme faisant des SIEG des exceptions, alors qu’il s’agit de dérogations légitimes ; l’article 90§2 du traité de Rome n’est pas une « machine de guerre » contre les services publics si l’on veut bien en déployer toutes les potentialités.

Quant à l’alinéa 3, il donne à la Commission européenne des pouvoirs exceptionnels pour décider et légiférer en matière d’application des dispositions des 2 alinéas précédents4.

Dans les années 1970 et 1980, la Cour de justice des Communautés européennes a eu des occasions pour interpréter les dispositions de l’article 90§2 du traité de Rome et pour éclairer quelques conditions de son application, en particulier leur caractère dérogatoire et la nécessité d’un acte de puissance publique confiant la gestion du SIEG à une entreprise, publique ou privée, ainsi que d’une claire définition de la mission d’intérêt économique général qui lui est confiée.

Ainsi, dans un arrêt du 14 juillet 1971 (affaire 10/71), la Cour a montré que cette disposition du traité « n’énonce pas une règle inconditionnelle », n’a pas d’effet direct. Elle laisse une marge d’appréciation des Etats membres sur la conciliation des intérêts nationaux et communautaires dont le contrôle incombe à la Commission européenne. Pour son application, la mission spéciale d’intérêt économique général doit être clairement précisée dans l’acte de l’autorité publique, en l’espèce une loi.Dans l’affaire 127/73 (arrêt du 30 janvier 1974) la Cour a montré que cet article « permet, dans certaines circonstances, une dérogation aux règles du traité ». Selon l’instance, « une entreprise qui invoque les dispositions de l’article 90(2), pour se prévaloir d’un dérogation aux règles du traité » doit avoir « été effectivement chargée par l’Etat membre de la gestion d’un SIEG » ; « (…) si des entreprises privées peuvent relever de cette disposition, elles doivent cependant être chargées de la gestion de services d'intérêt économique général par un acte de la puissance publique ». Toutefois, note la Cour, « s’agissant d’une disposition qui permet, dans certaines circonstances, une dérogation aux règles du traité, la définition des entreprises qui peuvent l’invoquer doit être d’interprétation stricte ».

Dans un arrêt du 18 juin 1975 (affaire 94/74), la Cour affirme que « le traité comporte, en plus dès règles de concurrence applicables aux entreprises, (…), un ensemble diversifié de dispositions relatives aux atteintes portées au fonctionnement normal du régime de la concurrence par l’action des Etats », dont « l’article 90, dans la mesure où il fixe un régime particulier en faveur des entreprises chargées de la gestion de SIEG (…), des articles 92 à 94, concernant le régime des aides publiques ».

Dans un arrêt du 3 février 1977 (affaire 52/76) la Cour affirme que la distinction entre « une entreprise publique, au sens du premier paragraphe de l’article 90 du traité, ou une entreprise chargée de la gestion de SIEG, au sens du deuxième paragraphe de cet article (…) est essentielle pour apprécier dans quelle mesure les règles de concurrence du traité sont applicables. »

Dans son jugement du 6 juillet 1982 (affaires jointes 188-190/80), la Cour affirme que « l’article 90 ne concerne que les entreprises pour le comportement desquelles les Etats doivent assumer une responsabilité particulière en raison de l’influence qu’ils peuvent exercer sur ce comportement. Cet article souligne que lesdites entreprises, sous réserve des précisions apportées par son paragraphe 2, sont soumises à l’ensemble des règles du traité ; il enjoint aux Etats membres de respecter ces règles dans leurs rapports avec ces entreprises et il impose à la Commission un devoir de vigilance à cet égard qui, en tant que besoin, peut être exercé par l’adoption de directives et de décisions adressées aux Etats membres ». En fin, dit la Cour, « la raison pour laquelle les dispositions de l’article 90 ont été insérées dans le traité est justement l’influence que les pouvoirs publics peuvent exercer sur les décisions commerciales des entreprises publiques. »

2.3. Les dispositions spéciales relatives aux transports

Le secteur des transports fait partie de l’une des 4 seules politiques communes définies par le traité de Rome de 1957 (Titre IV des Fondements de la Communauté). Elle visait l’adoption de règles communes applicables aux transports internationaux exécutés au départ ou à destination du territoire d'un État membre, ou traversant le territoire d'un ou plusieurs États membres, ainsi que les conditions d'admission de transporteurs non résidents aux transports nationaux dans un État membre.

Par ailleurs, ce titre affirme la compatibilité des « aides correspondant au remboursement de certaines servitudes inhérentes à la notion de service public ».

Article 77 (73 TFUE)Sont compatibles avec le présent traité les aides qui répondent aux besoins de la coordination des transports ou qui correspondent au remboursement de certaines servitudes inhérentes à la notion de service public.

Cette politique commune a connu de faibles développements, tant chacun des Etats membres est longtemps resté en la matière attaché à sa souveraineté. L’article 73 fera l’objet d’un Règlement d’application adopté par le Conseil en 1969 (1191/69), qui stipule que « les États membres suppriment les obligations inhérentes à la notion de service public, imposées dans le domaine des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable », tout en définissant toute une série d’exemptions ou de dérogations, qui font qu’il aura peu d’effets concrets, même s’il tend à vider l’article 77 de son contenu.

En 1985, un arrêt de la CJUE du 22 mai (affaire 13/1983) a marqué un tournant dans les actions visant la définition d’une politique commune de transports. Dans cette affaire opposant le Parlement au Conseil, la Cour constate la carence du Conseil qui « s’est abstenu, en violation du Traité, d’assurer la libre prestation de service en matière de transports internationaux et de fixer les conditions de l’admission des transporteurs non résidents aux transports nationaux dans un Etat membre ». Cette décision était de nature à obliger le Conseil à prendre les mesures d’exécution dans un délai raisonnable.

2.4. Chaque Etat membre définit, organise, finance

Ainsi donc, de 1957 à 1986 existe pour l’essentiel un consensus entre les Etats membres en matière de services publics : chaque Etat membre reste compétent pour définir, organiser, mettre en œuvre, financer ses services publics ou d’intérêt général, en fonction de son histoire, de ses traditions, de ses institutions, de sa culture. Il n’existe pas pendant près de 30 ans d’intégration européenne des services publics, de processus notable d’européanisation.

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  1. ^ Le traité de Lisbonne limite explicitement les compétences exclusives de l’UE à l'union douanière ; à l'établissement des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur ; à la politique monétaire pour les États membres dont la monnaie est l'euro ; à la conservation des ressources biologiques de la mer dans le cadre de la politique commune de la pêche ; à la politique commerciale commune ; et dans certains cas pour la conclusion d'un accord international. 
  2. ^ Nous citons la numérotation des articles à l’époque de leur insertion en mentionnant celle de l’actuel traité dit de Lisbonne.
  3. ^ Jean Monnet précise le 30 novembre 1954 à Strasbourg que « les États-Unis d'Europe ne sont pas seulement le grand espoir mais aussi la nécessité urgente de notre époque, parce qu'ils commandent l'épanouissement de chacun de nos peuples et l'affermissement de la paix », Repères pour une méthode, propos sur l'Europe à faire, Fayard, 1996.
  4. ^ Si la Commission l’a encore utilisé lors de l’adoption du « paquet Almunia » en 2012, ce pouvoir a essentiellement été mis en œuvre depuis 30 ans comme pression sur le Conseil pour qu’il aboutisse à des décisions mettant en œuvre l’européanisation des services publics et presque toutes les décisions européennes sont prises, sur la base de propositions de la Commission, en « co-décision » par le Conseil et le Parlement (« procédure législative ordinaire »).

Auteur(s) :

BAUBY Pierre

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