Les services publics et la réglementation européenne des aides d’Etat

Modifié le 16 mai 2023

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Notions clés

La fourniture des services publics ou services d’intérêt général (SIG) suppose un financement permettant d’assurer leur continuité, leur universalité, leur accessibilité, leur adaptabilité, ainsi que les autres objectifs, principes ou valeurs qui sont définis par les autorités publiques et dont les SIG sont porteurs. Selon les secteurs et les pays, le financement des SIG peut prendre des formes très diverses, qui comportent le plus souvent une participation plus ou moins importante de financements publics ainsi que d’autres formes de soutien économique apportées par les autorités publiques.

Dans le cadre de la construction européenne, le financement des services d’intérêt économique général (SIEG), plus particulièrement la compensation des obligations de service public, a été de plus en plus encadré, afin de ne pas venir avantager les opérateurs qui les reçoivent au détriment de leurs concurrents. Ce régime intéresse aujourd’hui toutes les autorités publiques des Etats membres de l’Union européenne, qu’elles soient nationales, régionales ou locales. Cette contribution propose un retour sur l‘évolution de cet encadrement européen et des principaux enjeux et questions qu’il soulève pour sécuriser les services publics locaux. 

La fourniture des services publics ou services d’intérêt général (SIG) suppose un financement permettant d’assurer leur continuité, leur universalité, leur accessibilité, leur adaptabilité, ainsi que les autres objectifs, principes ou valeurs qui sont définis par les autorités publiques et dont les SIG sont porteurs. Selon les secteurs et les pays, le financement des SIG peut prendre des formes très diverses, qui comportent le plus souvent une participation plus ou moins importante de financements publics ainsi que d’autres formes de soutien économique apportées par les autorités publiques.

Dans le cadre de la construction européenne, le financement des services d’intérêt économique général (SIEG), plus particulièrement la compensation des obligations de service public, a été de plus en plus encadré, afin de ne pas venir avantager les opérateurs qui les reçoivent au détriment de leurs concurrents. Ce régime intéresse aujourd’hui toutes les autorités publiques des Etats membres de l’Union européenne, qu’elles soient nationales, régionales ou locales. Cette contribution propose un retour sur l‘évolution de cet encadrement européen et des principaux enjeux et questions qu’il soulève pour sécuriser les services publics locaux.

1. L’évolution et la situation actuelle du droit de l’UE

1.1 Les aides d’Etat et les SIEG dans le traité fondateur de 1957 (TCEE)

Dès 1957, le traité CEE posait le principe général d’interdiction des aides d’Etat, déclarées « incompatibles avec le marché commun » dans la mesure où elles relèvent de plusieurs caractères :

« Sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions » [article 92(1) TCEE]

Dans le cadre des dérogations admises, le traité déclarait comme étant considérées comme compatibles avec le marché commun certaines catégories d’aides1 et disposait que pouvaient être considérées comme « compatibles » les aides destinées, par exemple, à promouvoir la réalisation d’un projet important d’intérêt européen commun (articles 92-93 de l’époque, aujourd’hui 107-109 TFEU), ou, dans le domaine des transports, les aides qui correspondent au remboursement de certaines servitudes inhérentes à la notion de service public (Article 77 TCEE, aujourd’hui Article 93 TFEU).

Le traité a conféré à la Commission européenne des pouvoirs décisionnels concernant la compatibilité des aides d’Etat avec le marché commun. Dans l’exercice de ses compétences, la Commission a considéré [COM(1978) 221, 25 mai 1978, Commission Policy on sectoral aid schemes] qu’elle ne devrait pas adopter une attitude restrictive en ce qui concernait les aides destinées à remédier des situations dans lesquelles les conditions de marché entravent la réalisation de certains objectifs économiques et sociaux, ou permettent l’atteinte de ces objectifs seulement dans des délais inacceptables ou avec des répercussions sociales inacceptables, ou qui intensifient la concurrence dans une mesure telle qu’elle risque de s’autodétruire (point 3.2.). Elle souligné que les règles du traité ne sont pas des instruments statiques/figés mais elles donnent à la Commission la flexibilité de prendre en compte les situations concrètes tant au niveau communautaire qu’à celui des Etats membres (point 6) ; la principale méthode d’intervention au niveau de la Commission consiste en un examen au cas par cas des propositions d’octroi d’aides par les Etats membres (point 8).

Toutefois, notait la Commission dix ans plus tard dans sa première enquête sur les aides d’Etat dans la CEE [SEC(88)1981], la complexité des problèmes fait que la Commission ne peut pas exercer ces compétences de manière effective sur une base ad hoc au cas par cas, mais a besoin de transparence de l’ensemble du système d’aide dans son environnement politique, légal et économique.

Les SIEG (« public utilities », selon la formule de ce texte) n’ont pas fait l’objet de ce rapport par manque d’informations complètes (pour le gaz, l’eau, l’électricité, la poste, les télécommunications), ni les aides pour les services de transport (autres que les transports par chemin de fer et par voie navigable), les aides pour les activités culturelles et de loisir. En ce qui concerne les services d’intérêt économique général, cette première enquête a eu seulement comme objet le niveau des aides pour le transport par chemin de fer pour lesquels les données ont été fournies en conformité avec le Règlement n° 1107/702. Les aides pour assurer les obligations de service public ont été octroyées dans le cadre du Règlement n° 1191/69, la plupart d’entre elles, notait la Commission, pour compenser l’imposition des obligations sociales ou des charges héritées du passé. Les montants d’aide octroyés dans ce secteur étaient, selon la Commission « extrêmement élevés », « massifs ». Elle observait également qu’alors qu’il peut n’y avoir qu’une concurrence limitée entre les transports ferroviaires dans les différents Etats membres, l’impact de ces aides sur les marchés de transport plus larges ne peut pas être ignoré. Comme les marchés nationaux dans les secteurs du transport et de l’énergie deviennent intégrés avec la réalisation du marché intérieur, la concurrence pourrait devenir très importante.

Il faut rappeler également que le contrôle des aides d’Etat dans la Communauté était aussi le résultat de certaines obligations internationales (par ex. accords GATT – qui ne font pas l’objet de ce document).

1.2 L’impact du processus d’européanisation des SIEG sur les compensations des obligations de service public

Le processus d’européanisation progressive des services d’intérêt économique général engagé par l’Acte unique de 1986 a conduit dans plusieurs secteurs à des stratégies de libéralisation, alors que le traité de Rome ne mentionnait que les transports ferroviaires, par route et voies navigables intérieures comme politique commune, d’ailleurs peu développée à l’époque.

L’européanisation des SIEG est passée également par le développement d’un « droit mou/soft law » de la Commission. Cependant, dans la première Communication sur les SIG de 1996, la Commission européenne n’a pas abordé la question des relations entre ces services et les règles de concurrence et du marché intérieur. Elle sera amenée à le faire les années suivantes sous l’impact de l’évolution du processus de libéralisation et de la jurisprudence de la Cour de Justice de la Communauté européenne.

Dans une première étape, en ce qui concerne l’application des règles sur les aides d’Etat, la jurisprudence communautaire a considéré que les compensations octroyées par l’Etat à une entreprise pour assurer des obligations de service d’intérêt général constituaient des aides d’Etat au sens de l’article 87(1) du traité CE (aujourd’hui article 107 TFUE) [affaires T-106/95 FFSA, C-174/97P FFSA, T-46/97 SIC]. Toutefois, dans la mesure où elle ne bénéficie pas des exemptions prévues à l’article 73 ou 87 TCE, une telle aide pouvait être compatible avec le traité CE sur la base de l’article 86(2) [aujourd’hui Article 106(2) TFUE].

En actualisant sa Communication de 1996 sur les SIG [COM(2001)598], la Commission européenne a affirmé vouloir apporter plus de clarté dans ce domaine et augmenter la sécurité juridique. Par ailleurs, cette initiative est venue comme réponse à la demande du Conseil européen de Nice du 7, 8 et 9 décembre 2000 et à une déclaration du Conseil marché intérieur du 28 septembre 2000 qui a affirmé parmi les préoccupations spécifiques la nécessité de préciser « l'articulation des modes de financement des services d'intérêt économique général avec l'application des règles relatives aux aides d'État. En particulier devrait être reconnue la compatibilité des aides destinées à compenser les coûts supplémentaires entraînés par l'accomplissement de mission d'intérêt économique général, dans le plein respect de l'article 86.2. »

Les Etats membres restent responsables pour assurer le financement des SIG même si des fonds communautaires peuvent apporter un certain financement notamment pour les infrastructures (par exemple, les fonds structurels). De plus, des directives sectorielles spécifiques qui concernent des services d’intérêt économique général permettent la création des fonds ou d’autres mécanismes de compensation pour financer la fourniture de ces services. Toutefois, « en principe, les règles communautaires en matière d'aides d'État peuvent restreindre les possibilités offertes aux États membres d'accorder une aide financière pour la prestation d’un service d'intérêt économique général » [COM(2001)598]. Alors que la Commission a pris un certain nombre de mesures importantes par rapport aux services d’intérêt général3, elle notait que les débats engagés suite à l’adoption de la Communication de septembre 2000 ont montré notamment que « la compensation financière des obligations de service public selon les règles relatives aux aides d'État était une question nécessitant encore un examen spécifique. »

1.3 La jurisprudence fluctuante de la Cour de Justice de l’Union Européenne

C’est ensuite la Cour de Justice qui est venue, au fil des contentieux qui lui ont été soumis quant à l’application des traités, (re-)définir certaines conditions de compatibilité des compensations d’obligations de service public versées par les autorités publiques à des opérateurs avec le droit communautaire en matière d’« aides d’Etat ». Les principaux aspects développés dans ce cadre ont visé : la qualification des compensations d’obligations de service public en tant qu’aides d’Etat ou non, et, si elles sont qualifiées d’aides d’Etat, les conditions de leur compatibilité ou non avec les dispositions du traité CE.

Avant 2000, la Cour a oscillé entre des prises de position faisant relever ou non les « compensations d’obligations de service public » du régime des aides d’Etat (article 107 du TFUE).

Dans un jugement du 22 mars 1977 dans l’affaire 78/76, la Cour a apprécié que « l'article 92 du traité [sur les aides d’Etat] appréhende l'ensemble des entreprises, privées ou publiques, et l'ensemble des productions desdites entreprises, sous la seule réserve de l'article 90, paragraphe 2, du traité ».

Ensuite, dans les années 1990, la jurisprudence du Tribunal de Première Instance dans les affaires FFSA (T-106/95) et SIC (T-46/97) a qualifié les compensations de service public d’aides d’Etat : une compensation financière octroyée par l’Etat au fournisseur d’un SIEG constitue un avantage économique dans le sens de l’article 87(1). Comme l’a résumé la Commission, en référence au fait que l’article 87(1) ne distingue pas entre les mesures de l’intervention de l’Etat par rapport à leurs causes ou buts, mais les définit par rapport à leur effet, le Tribunal de première instance a établi que les avantages financiers octroyés par les autorités publiques à une entreprise pour compenser les coûts des obligations de service public sont des aides au sens de l’article 87(1).

L’arrêt Ferring du 22 novembre 2001 (Affaire C-53/00) relatif à la distribution en gros des médicaments en France est venu, au contraire, préciser que l’exonération fiscale accordée à l’entreprise chargée d’exploiter un SIEG n’a fait que compenser le surcoût du service public et donc l’entreprises bénéficiaire n’a pas reçu un avantage au sens de l’article 87 paragraphe 1, et la mesure en cause ne constitue pas une aide d’Etat. En effet, les obligations de service public peuvent impliquer des surcoûts que les concurrents ne doivent pas supporter, et la compensation permet de placer l’entreprise bénéficiaire dans la même situation que ses concurrents. Par contre, le montant de l’exonération qui excède ce qui est nécessaire pour accomplir la mission de service public, constitue une aide d’Etat.

« l’article 92 CE (107 TFUE) doit être interprété en ce sens qu’une mesure (…) ne constitue une aide d’État (…) que dans la mesure où l’avantage (…) excède les surcoûts (…) qu’ils supportent pour l'accomplissement des obligations de service public qui leur sont imposées par la réglementation nationale » (point 29).

En ce qui concerne l’article 90, paragraphe 2, du traité CE, il « doit être interprété en ce sens qu’il ne couvre pas un avantage fiscal dont bénéficient les entreprises chargées de la gestion d’un service public telles que celles en cause au principal, dans la mesure où cet avantage excède les surcoûts du service public » (point 33).

La Cour pose donc comme condition commune dans l’interprétation des deux articles le non dépassement des « surcoûts » supportés pour l’accomplissement des obligations spécifiques de service public.

La Commission européenne a ensuite déclaré avoir changé sa pratique décisionnelle conformément à cette nouvelle jurisprudence de la Cour de justice.

Puis l’arrêt Altmark du 24 juillet 2003 (C-280/00) a considéré que « l’article 92, paragraphe 1, du traité énonce les conditions suivantes. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence » (75).

Il a ajouté que « dans la mesure où une intervention étatique doit être considérée comme une compensation représentant la contrepartie des prestations effectuées par les entreprises bénéficiaires pour exécuter des obligations de service public, de sorte que ces entreprises ne profitent pas, en réalité, d’un avantage financier et que ladite intervention n’a donc pas pour effet de mettre ces entreprises dans une position concurrentielle plus favorable par rapport aux entreprises qui leur font concurrence, une telle intervention ne tombe pas sous le coup de l’article 92, paragraphe 1, du traité » (87).

Mais c’était pour ajouter que « pour que, dans un cas concret, une telle compensation puisse échapper à la qualification d’aide d’État, un certain nombre de conditions doivent être réunies » (88) et avait ensuite défini 4 conditions cumulatives précises :

«  - premièrement, l'entreprise bénéficiaire a effectivement été chargée de l'exécution d'obligations de service public et ces obligations ont été clairement définies ;

- deuxièmement, les paramètres sur la base desquels est calculée la compensation ont été préalablement établis de façon objective et transparente ;

- troisièmement, la compensation ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l'exécution des obligations de service public, en tenant compte des recettes y relatives ainsi que d'un bénéfice raisonnable pour l'exécution de ces obligations ;

- quatrièmement, lorsque le choix de l'entreprise à charger de l'exécution d'obligations de service public n'est pas effectué dans le cadre d'une procédure de marché public, le niveau de la compensation nécessaire a été déterminé sur la base d'une analyse des coûts qu'une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée en moyens de transport afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises, aurait encourus pour exécuter ces obligations, en tenant compte des recettes y relatives ainsi que d'un bénéfice raisonnable pour l'exécution de ces obligations. »

Ainsi, sous ces 4 conditions, une compensation d’obligation de service public qui ne fait que correspondre au surcoût lié aux obligations ne doit pas être considérée comme une aide d’Etat.

L’arrêt Altmark a été prononcé dans le domaine des compensations pour un service de transport régional des voyageurs, secteur qui fait l’objet des dispositions spéciales du traité (non applicable en l’espèce), et la quatrième condition fait référence spécifique à l’exigence d’être « adéquatement équipée en moyens de transport afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises ». Toutefois, la Cour généralise à l’ensemble des SIEG l’application des quatre conditions devant être satisfaites pour qu’une telle compensation échappe à la classification d’aide d’Etat dans des cas particuliers (point 87 et suiv.).

« 87. Il découle de cette jurisprudence4 que, dans la mesure où une intervention étatique doit être considérée comme une compensation représentant la contrepartie des prestations effectuées par les entreprises bénéficiaires pour exécuter des obligations de service public, de sorte que ces entreprises ne profitent pas, en réalité, d'un avantage financier et que ladite intervention n'a donc pas pour effet de mettre ces entreprises dans une position concurrentielle plus favorable par rapport aux entreprises qui leur font concurrence, une telle intervention ne tombe pas sous le coup de l'article 92, paragraphe 1, du traité.

88. Cependant, pour que, dans un cas concret, une telle compensation puisse échapper à la qualification d'aide d'État, un certain nombre de conditions doivent être réunies. »

La Commission a bien vite avancé le fait que selon elle peu de compensations versées dans l’Union européenne respectaient les quatre critères cumulatifs fixés par l’arrêt Altmark et en particulier le quatrième ; la plupart des « opérateurs historiques » des Etats membres auraient en effet été désignés de façon discrétionnaire et la compensation qui leur est versée n’est pas calculée sur un standard d’entreprise efficace comparable. Ce quatrième critère relevant d’une appréciation de l’efficience des entreprises de SIEG au regard des coûts qu’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée en moyens de transports afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises, risquait de conduire à aligner toute entreprise publique ou « in house » sur les entreprises privées. De plus, la Commission européenne risquait de voir affluer un nombre considérable de « notifications » pour l’ensemble des compensations supérieures à la règle de minimis (jusqu’à 200 000 € pour 3 ans).

1.4 La création d’un droit européen dérivé horizontal

Dans ce contexte, l’établissement d’un droit communautaire dérivé concernant l’application des règles d’aides Etats aux SIEG a été initié par la Commission européenne au début des années 2000. Les communications de la Commission [(COM(2001)598), COM(2004)374] débouchent sur l’adoption en 2005 du « paquet Monti-Kroes » (en vigueur entre 2005 et 2013), puis du « paquet Almunia » (en vigueur depuis 2013).

L’objectif a été de fournir davantage de sécurité juridique dans les situations dans lesquelles la compensation de service public est considérée comme étant une aide d’Etat, par la création d’un régime légal spécifique pour, d’un coté, les aides de faible montant, qui sont a priori considérées comme étant compatibles avec le marché intérieur et sont donc exclues de notification à la Commission européenne (exemption en bloc par Décision de la Commission), et, d’autre part, les aides à grande échelle qui doivent être individuellement notifiées à la Commission pour vérifier leur compatibilité avec les règles de marché intérieur (Encadrement adopté par la Commission européenne).

En adoptant ce paquet, la Commission européenne a considéré que la quasi-totalité des compensations d’obligations de service public doivent être considérées comme des aides d’Etat5 et qu’elle est dès lors compétente pour apprécier leur compatibilité en conformité avec les exigences établies dans ses actes. Ainsi, la Commission européenne reprend la compétence et le pouvoir de décision dans ce domaine qui pouvait être largement réduit par l’arrêt Altmark. De plus, la Commission souligne que l’aspect qui permet de considérer la compatibilité de telles aides est déterminé par le stade actuel de développement du marché intérieur dans le domaine des SIEG (Encadrement de 2005, point 8; Encadrement de 2011, point 11) ; ainsi, le marché intérieur apparaît comme une variable obligatoire dans l’évolution des critères de compatibilité. Notons par ailleurs, que le premier paquet aides d’Etat aux SIEG est connu comme le « paquet Monti-Kroes », c’est-à-dire du nom des deux commissaires en charge du Marché intérieur et de la Concurrence. Cela pourrait suggérer leur étroite coopération sur ces questions. Le second paquet, adopté en 2011, est devenu familier sous l’appellation « paquet Almunia », selon le nom du seul commissaire en charge de la Concurrence.

Progressivement, cette conception a tendu à devenir commune en transformant la dérogation contenue dans les dispositions de l’Article 106(2) TFUE en exemption de notification avec des conséquences pratiques importantes tant le non-respect du cadre légal peut amener à exiger en particulier le remboursement des aides d’Etat incompatibles ou de toute surcompensation.

Les paquets créent aussi un cadre légal plus complexe et évolutif. Ils relèvent de profondes inflexions par rapport à la jurisprudence Altmark selon laquelle les compensations de service public ne sont pas des aides d’Etat. En les considérant comme aides d’Etat (si les critères Altmark ne sont pas tous remplis et si les critères généraux pour l’application de l’article 87(1) [actuellement article 107 TFUE] sont satisfaites), les paquets créent un critère général d’évaluation de la compatibilité des aides avec les règles du marché intérieur qui s’appliquent si aucune règle sectorielle spécifique n’existe. Certains principes sont également inspirés de la pratique au cas par cas de la Commission ; d’autres représentent des exigences complémentaires. D’autre part, la Commission européenne reprend ses pouvoirs de décision tout en réduisant le nombre de notifications des compensations aux SIEG. Par ailleurs, elle revient à la compensation des coûts additionnels nécessaire pour l’accomplissement des missions particulières des SIEG, alors que le quatrième critère Almark6 est celui d’une entreprise moyenne.

Le paquet de 2005 comporte trois actes : une décision (concernant les aides à petit échelle) prise sur la base de l’article (actuel) 106(3) TFUE7 ; un « encadrement » en vigueur jusqu’en novembre 20118 et une modification de la directive « transparence »9. Cette dernière vise à s’assurer que les entreprises publiques qui reçoivent des compensations de service public constituant ou non des aides d’Etat soient soumises à l’obligation de tenue de comptes séparés.

Après une analyse des effets du premier paquet [SEC(2011)397 final], le paquet 2011-2012 (« paquet Almunia ») vise une démarche plus différenciée pour rendre l’examen des aides d’Etat dépendant de la nature et de la portée des services fournis. Il inclut quatre actes : une communication10 qui veut clarifier les concepts de base ; un règlement de minimis relatif aux SIEG11 qui dispose que le financement public des SIEG n’excédant pas 500 000 EUR accordé sur une période de trois exercices fiscaux n’est pas considéré comme une aide d’État ; une décision12 et un encadrement13, qui précisent dans quelles conditions les compensations de service public qui constituent des aides d'État sont compatibles avec le TFUE.

Comme pour le paquet de 2005, la principale différence entre la décision et l’encadrement réside dans le fait que les compensations de service public couvertes par la décision ne doivent pas être notifiées à la Commission. Dès lors que les critères de la décision sont remplis, l'État membre concerné peut immédiatement accorder la compensation. Toutefois, le contrôle ex post reste possible – la Décision de 2005 a déjà prévu que les États membres tiennent à la disposition de la Commission, pendant dix ans au moins, tous les éléments nécessaires pour établir si les compensations attribuées sont compatibles avec la présente décision. Par ailleurs, « chaque État membre présente tous les trois ans à la Commission un rapport périodique sur la mise en œuvre de la présente décision, comprenant une description détaillée des conditions d’application de celle-ci dans tous les secteurs, dont ceux du logement social et des hôpitaux. Le premier rapport est communiqué le 19 décembre 2008. »

En revanche, si les conditions énoncées dans la décision ne sont pas remplies, la compensation relève de l’encadrement qui prévoit les conditions selon lesquelles de telles aides d’Etat peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur. Elles doivent alors être notifiées au préalable à la Commission, afin que celle-ci puisse vérifier que l'aide d'État concernée est compatible avec le TFUE. De plus, étant donné que les affaires relevant de l'encadrement sont habituellement des affaires de grande ampleur pouvant potentiellement créer des distorsions de concurrence plus importantes, les conditions de compatibilité sont généralement plus sévères que celles mentionnées dans la décision. En particulier, l’Encadrement de 2011 demande aux autorités nationales, régionales et locales de mettre en œuvre des conditions d’efficacité pour les SIEG comme critère de compatibilité des aides d’Etat.

Les deux autres instruments sont nouveaux. D’un coté, il est institué un règlement de minimis spécifique pour les SIEG14, d’un autre coté la Communication apporte des précisions conceptuelles.

Dans son Guide relatif à l’application aux services d’intérêt économique général, et en particulier aux services sociaux d’intérêt général, des règles de l’Union européenne en matière d’aides d’État, de « marchés publics » et de « marché intérieur » [SWD(2013) 53 final/2 du 29 avril 2013], la Commission a tenté de présenter de manière synthétique les règles s’appliquant avec ce nouveau paquet :

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Ainsi, quand une mesure n’est pas considérée comme remplissant les conditions de l’arrêt Altmark ou ne fait pas l’objet du Règlement de minimis, sa compatibilité avec le marché intérieur doit être évaluée.

La réalité est plus complexe que le schéma ci-dessus, si l’on prend en considération le fait que les dispositions des paquets de la Commission s’appliquent principalement dans les secteurs pour lesquels il n’existe pas de règles spécifiques. En particulier, depuis le traité de Rome de 1957, le transport par chemins de fer, route et par voie navigable relève de dispositions spécifiques sur les aides qui représentent le « remboursement de certaines servitudes inhérentes à la notion de service public » ou qui « répondent aux besoins de la coordination des transports », qui « sont compatibles avec les traités ». Dans ces secteurs, les SIEG restent soumis aux dispositions de l’article 93 TFUE et aux règlements du législateur européen15, mais les paquets ne sont pas applicables. Après l’adoption des nouveaux règlements dans ces secteurs, la Commission européenne a adopté des Guides communautaires sur les aides d’Etat pour les entreprises ferroviaires [C(2008) 184] qui s’appliquent également dans ce domaine.

Les transports aérien et maritime ne font pas l’objet de ces règles spécifiques du traité. Dans ces domaines, les dispositions spécifiques des décisions de la Commission s’appliquent mais pas l’Encadrement. En fait, le Règlement service aérien (Règlement n° 1008/2008) limite le type de routes pour lesquelles des obligations de service public peuvent être imposées ; c’est pourquoi il n’y a pas des larges SIEG dans ce domaine. Par ailleurs, la compensation pour des obligations de service public peut être payée seulement aux compagnies aériennes qui ont été sélectionnées par une procédure de mise en concurrence. C’est pourquoi, dans de nombreux cas, la compensation de services publics dans ce secteur peut ne pas constituer une aide d’Etat. La Commission européenne a publié des guides spécifiques dans ce domaine également16. Dans le secteur du transport maritime, le règlement du cabotage maritime s’applique (No 3577/92 du 7 décembre 1992), ainsi que les Lignes directrices sur le transport maritime17. Dans le cadre des paquets Monti-Kroes ou Almunia, les décisions s’appliquent aux fournisseurs de SIEG s’ils atteignent des seuils généraux (sur le chiffre d’affaires et la compensation) ou des seuils spécifiques (basés sur le nombre des passagers).

Au contraire, les paquets s’appliquent dans le domaine de l’énergie (électricité et gaz), des services postaux et de communication, des déchets, de l’eau et de l’assainissement, même si les dispositions concernant le financement des SIEG existent dans les Directives sectorielles correspondantes (la troisième directive électricité, la troisième Directive postale n° 2008/6/CE – dont l’Annexe I fixe une méthode de calcul plus sévère pour les coûts qui peuvent être compensés, la Directive service universel 2002/21/CE dans le domaine des télécommunications – qui prévoit des mécanismes de compensation des coûts nets résultant des obligations de service public18; la Directive cadre sur l’eau impose le principe du « pollueur-payeur »). La Commission européenne a également adopté des Lignes directrices pour l’application des règles d’aides d’Etat en lien avec le déploiement rapide des réseaux à haut débit19, qui s’appliquent avec les dispositions des paquets, ainsi que des Lignes directrices pour la protection de l’environnement, qui s’appliquent en particulier dans le domaine des services des déchets.

Les services publics de radiotélévision font l’objet du Protocole n° 29 annexé aux traités de Lisbonne, de la Décision de la Commission (si les conditions qu’elle pose sont remplies) et de Lignes directrices spécifiques20.

Les services sociaux d’intérêt général font l’objet de règles spécifiques contenues dans les paquets de 2005 et 2011. Dans le cadre des Décisions, ils (ou certains d’entre eux) sont exemptés de notification quel que soit le niveau de la compensation impliquée, si les conditions de la Décision SIEG sont remplies.

Dans le cadre de l’article 107(3)(d) du TFUE, les services culturels bénéficient d’une exemption spécifique de l’interdiction des aides d’Etat. Toutefois, ils peuvent aussi apparaître et être traités comme des SIEG s’ils remplissent les conditions imposées.

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  1. ^ « Article 92§2. Sont compatibles avec le marché commun : a) les aides à caractère social octroyées aux consommateurs individuels, à condition qu'elles soient accordées sans discrimination liée à l'origine des produits ; b) les aides destinées à remédier aux dommages causés par les calamités naturelles ou par d'autres événements extraordinaires ; c) les aides octroyées à l'économie de certaines régions de la République fédérale d'Allemagne affectées par la division de l'Allemagne, dans la mesure où elles sont nécessaires pour compenser les désavantages économiques causés par cette division. »
  2. ^ En 2012, dans son Tableau de bord annuel sur les aides d’Etat [COM(2012) 778 final], la Commission européenne notait que « Le total des aides d'État non liées à la crise englobe les aides à l'industrie et aux services, à l'industrie houillère, à l'agriculture, au secteur de la pêche et à celui des transports, mais exclut, en raison de l'absence de données comparables, les aides au secteur ferroviaire et les aides accordées à titre de compensation pour la prestation de services d'intérêt économique général ».
  3. ^ Le 12 janvier 2001, la Commission a adopté trois règlements d’exemption par catégorie sur les aides d’Etat, l’aide de minimis et sur les aides aux petites et moyennes entreprises. En outre, la Commission a adopté des lignes directrices sur les aides d’Etat pour la protection de l’environnement (OJ C 37, 3.2.2001, p. 3), une communication sur la méthodologie d’analyse des aides d’Etat liées à certains coûts dans le secteur électrique et une communication sur l’application des règles d’aides d’Etat au service public de radiotélévision (C(2001) 3063, 17.10.2001). Dans sa communication concernant certains aspects juridiques liés aux oeuvres cinématographiques et autres oeuvres audiovisuelles (COM(2001) 534, 26.09.2001) la Commission a fourni une orientation générale concernant les aides d’Etat au secteur cinématographique. Par ailleurs, depuis 2001 [avec la COM(2001) 412 du 18.7.2001], la Commission adopte un tableau de bord annuel et met en libre accès son registre des aides d’Etat.
  4. ^ Elle se réfère, entre autres, à l’arrêt Ferring qui concerne l’interprétation de l’article 90(2) [106(2) TFUE] sur les SIEG et ses relations avec l’article 87 TCEE (107 TFUE).
  5. ^ « Comme il est apparu difficile pour la plupart des compensations de service public octroyées » de remplir les quatre conditions de la jurisprudence Altmark. (traduction des auteurs) [SEC(2011)1581] 
  6. ^ L’entreprise moyenne reste un critère seulement par rapport à la condition du “profit raisonnable” dans l’Encadrement de 2011.
  7. ^ Décision de la Commission du 28 novembre 2005 concernant l'application des dispositions de l'article 86, paragraphe 2, du traité CE aux aides d'État sous forme de compensations de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général C(2005) 2673. 
  8. ^ Encadrement communautaire des aides d'État sous forme de compensations de service public (2005/C 297/04). 
  9. ^ Actuellement la Directive 2006/111/CE de la Commission du 16 novembre 2006 relative à la transparence des relations financières entre les Etats membres et les entreprises publiques ainsi qu’à la transparence financière dans certaines entreprises. 
  10. ^ Communication de la Commission relative à l'application des règles de l'Union européenne en matière d'aides d'État aux compensations octroyées pour la prestation de services d'intérêt économique général (2012/C 8/02) (en vigueur depuis le 31.01.2012).
  11. ^ Règlement (UE) n° 360/2012 de la Commission du 25 avril 2012 relatif à l’application des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux aides de minimis accordées à des entreprises fournissant des services d’intérêt économique général (en vigueur pour la période 29.04.2012 au 31.12.2018).
  12. ^ Décision de la Commission du 20 décembre 2011 relative à l’application de l’article 106, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux aides d’État sous forme de compensations de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général.
  13. ^ Encadrement de l'Union européenne applicable aux aides d'État sous forme de compensations de service public (2012/C 8/03).
  14. ^ Jusqu’à l’adoption du règlement spécial de minimis, était applicable le Règlement de la Commission (EC) No 1998/2006 du 15 décembre 2006 sur l’application des Articles 87 et 88 du Traité. 
  15. ^ Règlement n° 1370/2007 (en vigueur depuis le 3 décembre 2009) qui a annulé le Règlement n° 1191/69 et 1107/70.
  16. ^ Les Lignes directrices sur le transport aérien de 1994 et les Lignes directrices sur le financement des aéroports et les aides d’Etat au démarrage pour les compagnies aériennes au départ d'aéroports régionaux (2005/C 312/01). 
  17. ^ Voir également, Communication de la Commission établissant des orientations en matière d’aide d’État aux sociétés gestionnaires de navires et Communication de la Commission fournissant des orientations sur les aides d'État complétant le financement communautaire pour le lancement des autoroutes de la mer
  18. ^ Elle prévoit également la possibilité de mandater des services additionnels en dehors de la portée du service universel défini au niveau de l’UE dans le secteur des télécommunications, mais dans ce cas, aucun mécanisme de compensation impliquant des entreprises spécifiques ne peut pas être imposé. 
  19. ^ L’aide est souvent octroyée non comme compensation de service public mais comme investissement sectoriel dans le cadre de l’article 107(3)(c) TFUE.
  20. ^ Communication de 2009 sur l’application des règles d’aides d’Etat au service public de radiotélévision (auparavant, Communication de 2001).

Auteur(s) :

BAUBY Pierre

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