L’européanisation des services de transport et les collectivités territoriales

Modifié le 16 mai 2023

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Notions clés

Chaque Etat, dans son histoire longue, a construit des infrastructures de transports, a défini une politique et mis en place des services afférents, chacun en fonction de ses caractéristiques de géographie physique et humaine, de ses institutions et traditions. Il suffit de comparer les cartes des réseaux ferroviaires en France et en Allemagne pour avoir un aperçu de ces différences historiques.

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Chaque Etat, dans son histoire longue, a construit des infrastructures de transports, a défini une politique et mis en place des services afférents, chacun en fonction de ses caractéristiques de géographie physique et humaine, de ses institutions et traditions. Il suffit de comparer les cartes des réseaux ferroviaires en France et en Allemagne pour avoir un aperçu de ces différences historiques.

Nous nous limiterons ici à deux modes de transport, pour lesquels les responsabilités des collectivités territoriales sont importantes : le transport ferroviaire, qui s’était engagé au cours du dernier demi-siècle dans un déclin lent mais progressif avec en particulier la concurrence de la route, mais qui enregistre un renouveau dans certains domaines, compte tenu de ses avantages comparatifs en matière de protection de l’environnement et de réponse à des besoins spécifiques (grande vitesse, trains régionaux et même fret) ; les transports publics urbains, qui disposent eux aussi d’avantages comparatifs essentiels sur l’automobile dans les agglomérations.

Dès le traité de Rome de 1957, les transports ont fait l’objet d’une des premières politiques communes de la Communauté économique européenne. La raison en était simple : la stratégie d’intégration retenue reposant sur la constitution d’un « marché commun », avec élimination progressive des obstacles aux échanges entre les six États fondateurs, impliquait que les transports soient conçus et organisés à la maille du nouveau territoire pour permettre la libre circulation des marchandises et personnes.

Mais l’européanisation des transports ne s’est faite depuis 60 ans que par petites touches successives. Si le TCEE prévoyait qu’une politique commune serait introduite dans le domaine des transports, le traité n’avait pas défini le contenu de cette politique. Il énonçait toutefois certains principes, prévoyait certaines règles et indiquait la procédure à suivre. Quand le traité a été négocié il s’est avéré impossible de trouver un accord complet sur la forme et les dispositions de la politique commune des transports. Les auteurs du traité ont donc préféré laisser les institutions de la CEE définir le contenu de cette politique et les ont investi de larges pouvoirs en ce sens, pour définir les lignes générales de cette politique et les moyens de sa mise en œuvre. Les propositions de la Commission européenne ont été nombreuses et fréquentes, mais les concrétisations ont pris du temps, au fur et à mesure que les Etats membres de l’Union européenne ont consenti à accepter que certaines règles communes viennent se conjuguer avec leurs politiques nationales1. C’est pourquoi la présentation de l’européanisation des transports nécessite de faire une série d’aller-retours entre la situation française et les règles communes.

Nous aborderons successivement l’émergence et le contenu de la politique commune des transports, et en France la LOTI de 1982 ; les transports ferroviaires avec la politique communautaire et les « paquets ferroviaires », les « règlements OSP » et les réformes en France ; les transports urbains.

1. La politique commune des transports

Aujourd’hui, le titre VI du TFUE (art. 90 à 100) est consacré à la politique commune des transports. Il reprend les objectifs initiaux et les compléments qui leur ont été apportés au fil des soixante dernières années. Dès l’origine, il était souligné que les objectifs généraux du traité seraient poursuivis dans le cadre d’une politique commune de transport.

La politique commune repose sur la définition de règles communes applicables aux transports internationaux exécutés au départ ou à destination du territoire d’un État membre, ou traversant le territoire d’un ou de plusieurs États membres ; sur les conditions d’admission de transporteurs non résidents aux transports nationaux dans un État membre ; sur des mesures permettant d’améliorer la sécurité des transports (art. 91 TFUE).

Elle fait référence à la « notion de service public », puisque sont compatibles avec les traités les aides qui répondent aux besoins de la coordination des transports ou qui correspondent au remboursement de certaines servitudes inhérentes à la notion de service public (art. 93 TFUE).

Le traité interdit en particulier dans le trafic à l’intérieur de l’Union toute discrimination en raison du pays d’origine ou de la destination des produits transportés (art. 95) et les dispositifs de soutien ou de protection dans l’intérêt d’une ou de plusieurs entreprises ou industries particulières (art. 96).

Les dispositions du présent titre s’appliquent aux transports par chemin de fer, par route et par voie navigable. Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent établir les dispositions appropriées pour la navigation maritime et aérienne (art. 100).

On le voit, les dispositions des traités sont marquées par des principes de transparence et de non-discrimination, l’établissement de conditions d’accès aux marchés nationaux, ainsi que de possibles aménagements pour répondre à certains problèmes régionaux, et rien dans le droit primaire européen n’empêche la coopération entre opérateurs nationaux pour répondre ainsi aux besoins communautaires.

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Force cependant est de constater la lenteur et la faible avancée des objectifs de la politique commune pendant les premières décennies de l’intégration européenne.

Les premières décisions ont été prises avec l’adoption de deux règlements :

  • le règlement CEE 1169/69 du 26 juin 1969 concerne les obligations de service public, que nous aborderons ci-dessous,
  • le règlement CEE 1107/70 du 4 juin 1970 relatif aux aides accordées dans certains domaines des transports.

Ce n’est pour l’essentiel qu’après l’Acte unique de 1986 que s’engagera la réflexion sur l’européanisation de ce vaste secteur, ainsi que de chaque sous-secteur spécifique, avec des contenus et des rythmes différents.

Une série de Livres verts et blancs sur la politique européenne des transports - en particulier, COM(2001) 370 du 12 septembre 2001 et COM(2009) 44 du 4 février 2009 - a permis de clarifier les enjeux et de définir des perspectives d’européanisation.

La Commission européenne a publié le 28 mars 2011 un nouveau Livre blanc sur les transports, intitulé « Feuille de route pour un espace européen unique des transports – Vers un système de transport compétitif et économe en ressources » [COM(2011) 144], qui avance un double objectif : assurer le développement d’un transport indépendant du pétrole et contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre (en tablant sur une baisse d’au moins 60% en 2050 par rapport au niveau de 2008). Les actions proposées sont déclinées en dix objectifs de moyen (2030) et long terme (2050), devant combiner à la fois des mesures technologiques, de marché et d’optimisation de chaque mode de transport. Sont ainsi proposés : le développement des carburants alternatifs au pétrole ; la maximalisation de la « multi-modalité », en favorisant le transport ferroviaire ; l’accroissement de l’efficacité du transport et des infrastructures, en particulier en développant l’utilisation des systèmes d’information. En matière de financement, la Commission insistait sur l’application des principes d’« utilisateur payeur » et de « pollueur payeur », ainsi que sur une plus grande implication du secteur privé.

Soulignons ici que contrairement aux situations constatées dans d’autres secteurs, le marché européen des services de transport n’a pas encore les traits d’une structuration oligopolistique, même si émergent quelques grands opérateurs européens. Un mouvement de privatisations tend à se développer en Europe, mais de façon progressive et pragmatique selon les États et les collectivités territoriales.

2. La LOTI de 1982

En France, la LOTI (loi n°82-1153 d’orientation des transports intérieurs) constitue le texte fondamental d’organisation des transports. Promulguée le 30 décembre 1982, elle affirme un droit au transport devant permettre de se déplacer « dans des conditions raisonnables d’accès, de qualité et de prix ainsi que de coût pour la collectivité » (art. 2). La Loti clarifie également les relations entre autorités organisatrices et opérateurs (lorsque la collectivité y a recours) en imposant la passation d’un contrat entre les deux parties.

Elle redéfinit le statut de la SNCF, qui était depuis 1938 une société d’économie mixte devant expirer le 31 décembre 1982. La Loti en fait un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) à compter du 1er janvier 1983.

L’article 5 de la LOTI précise que le service public des transports comporte l’ensemble des missions qui incombent aux pouvoirs publics en vue d’organiser et de promouvoir le transport des personnes et des biens. Ces missions sont les suivantes :

a) la réalisation et la gestion d’infrastructures et d’équipements affectés au transport et leur mise à la disposition des usagers dans des conditions normales d’entretien, de fonctionnement et de sécurité ;

b) la réglementation des activités de transport et le contrôle de son application ainsi que l’organisation des transports pour la défense ;

c) le développement de l’information sur le système de transports ;

d) le développement de la recherche, des études et des statistiques de nature à faciliter la réalisation des objectifs assignés au système de transports ;

e) l’organisation du transport public.

L’exécution de ces missions est assurée par l’État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics en liaison avec les entreprises privées ou publiques qui en sont chargées ou qui y participent en vertu des dispositions de la présente loi.

Les modalités des relations entre les autorités publiques et les entreprises de transport public varient en fonction du mode de transport et de la nature des activités selon qu’il s’agit notamment de transports de personnes ou de marchandises. Dans le cadre des dispositions de la loi, la liberté de gestion des entreprises privées est garantie par l’État.

Sont considérés comme des transports publics tous les transports de personnes ou de marchandises, à l’exception des transports qu’organisent pour leur propre compte des personnes publiques ou privées.

3. Les transports ferroviaires

En France, le chemin de fer naît en 1827 avec la ligne Saint-Étienne - Andrézieux. Les réseaux se développent entre 1840 et 1860 dans un contexte où s’entrecroisent le privé (concessions de l’État pour les réseaux du Nord, de l’Est ou du Sud-Est) et le public (réseau de l’Ouest), mais avec comme point focal Paris. En 1842, par une loi du 11 juin relative à l’établissement des grandes lignes de chemin de fer, l’État devient propriétaire des terrains choisis pour les tracés des voies et finance la construction des infrastructures (ouvrages d’art et bâtiments), dont il concède l’usage à des compagnies qui construisent les superstructures (voies ferrées, installations), investissent dans le matériel roulant et disposent d’un monopole d’exploitation sur leurs lignes. Ces compagnies se solidifient au cours du Second Empire et le réseau se développe sous la forme de concessions, sous la tutelle de la loi du 15 juillet 1845 sur la police des chemins de fer. La loi du 2 juillet 1861 propose de compléter le réseau des grandes artères, concédé aux compagnies, par la construction d’une série de lignes transversales ou régionales – avec un maillage fin de l’ensemble du territoire, chaque chef-lieu de canton voulant être desservi avec « sa » gare, dont le financement de l’infrastructure est, en partie, réalisé par les autorités publiques.

Cette organisation se maintient, pour l’essentiel, jusqu’aux années 1930, où la crise et l’apparition de la concurrence routière conduisent les compagnies à une situation financière avoisinant la faillite. La nationalisation de 1937 (création de la SNCF – société d’économie mixte) en est la conséquence. Son statut sera transformé en 1982 par la loi d’orientation sur les transports intérieurs (LOTI) du 30 décembre 1982 déjà citée, dont l’article 18 précise que la SNCF est chargée « d’exploiter, d’aménager et de développer, selon des principes du service public, le réseau ferré national ».

La situation évoluera peu jusqu’à la fin des années 1990 qui verront la mise en œuvre progressive des réformes décidées dans les paquets ferroviaires européens.

3.1. La politique ferroviaire communautaire et les « paquets ferroviaires »

La politique communautaire de transport ferroviaire s’est d’abord concrétisée dès le 13 mai 1965 par une Décision du Conseil (65/271/CEE) relative à l'harmonisation de certaines dispositions ayant une incidence sur la concurrence dans le domaine des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable. Ensuite, le 26 juin 1969, le Conseil a adopté le règlement 1191/69 du Conseil (dit « règlement OSP » – obligations de service public), que nous aborderons avec ses développements ci-dessous, puis le règlement 1107/70 du Conseil du 4 juin 1970 (aides concernant notamment les coûts d’infrastructures), également applicables aux transports routiers et par voie navigable.

Depuis le début des années 1990, une série de « paquets ferroviaires » sont venus préciser par étape la politique européenne des transports ferroviaires.

En 1991 est adoptée, dans la perspective de l’accomplissement du marché intérieur, la directive 91/440/CEE du Conseil du 29 juillet 1991 relative au développement de chemins de fer communautaires ; elle marque un pas décisif vers l’européanisation du secteur. Ses dispositions visent notamment l’indépendance de gestion, la séparation entre l’exploitation des services de transport et la gestion de l’infrastructure, les droits d’accès aux réseaux et de transit pour les regroupements européens des entreprises ferroviaires et pour les entreprises ferroviaires effectuant des transports combinés internationaux de marchandises, ainsi que l’amélioration de la structure financière des entreprises. La directive souligne qu’« il convient que les États membres gardent la responsabilité générale du développement d’une infrastructure ferroviaire appropriée » et que, sur la base d’une consultation avec le gestionnaire de l’infrastructure, ils doivent définir les modalités régissant les paiements des redevances d’utilisation de l’infrastructure ferroviaire. Même si elle est souvent présentée comme une première étape de libéralisation du transport ferroviaire, la directive 91/440 permet de développer des coopérations entre opérateurs nationaux et n’oblige qu’à la séparation comptable des activités. Elle ne met pas en cause les responsabilités des États et leur permet même de prendre en charge l’annulation des endettements antérieurs, sans que cela tombe sous le registre de l’interdiction des   aides d’État ».

Deux directives du Conseil du 19 juin 1995 viennent ensuite préciser la nature des licences des entreprises ferroviaires (95/18/CE), la répartition des capacités d’infrastructure ferroviaire et la perception de redevances d’utilisation de l’infrastructure (95/19/CE).

En 1996, la Commission européenne publie un Livre blanc « Une stratégie pour revitaliser les chemins de fer communautaires » [COM(96)42 du 30 juillet] et, sur la base de cette initiative, une nouvelle série de directives (« premier paquet ferroviaire ») est adoptée en 2001 : directive 2001/12/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 février, qui renforce la séparation entre l’infrastructure et les opérations de transport, établit des droits d’accès au réseau transeuropéen de fret ferroviaire et, au plus tard à partir de 2008, à l’ensemble du réseau ferré européen pour les services de fret internationaux ; directive 2001/13/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 février, qui crée le cadre pour qu’une licence accordée dans un État membre soit valide dans l’ensemble de l’Union et la directive 2001/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 février, qui établit un cadre transparent pour l’allocation des capacités sur l’infrastructure et sa tarification, requérant la création d’autorités de régulation indépendantes.

Sur la base d’un nouveau Livre blanc, « La politique européenne des transports à l’horizon 2010. L’heure des choix » [COM(2001) 370 du 12 septembre 2001] et d’une nouvelle communication de la Commission en 2002 [COM(2002) 18 du 23 janvier 2002], un « deuxième paquet » ferroviaire est adopté en 2004, visant à renforcer la sécurité, l’interopérabilité et l’ouverture à la concurrence du marché ferroviaire des marchandises au 1er janvier 2006 pour le fret international et au 1er janvier 2007 pour l’ensemble du fret (y compris domestique : directive 2004/51/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004) et instituant une Agence ferroviaire européenne.

En 2004, quelques semaines avant l’adoption du deuxième paquet ferroviaire, la Commission européenne publie le projet de « troisième paquet ferroviaire », « Poursuivre l’intégration du système ferroviaire européen  » [COM(2004) 140 du 3 mars 2004], visant la certification des conducteurs, les droits des passagers du transport ferroviaire international, l’ouverture du marché pour les services internationaux de transport de passagers (et le cabotage) et la qualité des services de transport de marchandises par chemins de fer. Le paquet est adopté en 2007 : outre le règlement CE n°1370/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route (voir ci-dessous), le règlement CE n°1371/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires, la directive 2007/58/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 sur la répartition des capacités d’infrastructure ferroviaire et la tarification de l’infrastructure ferroviaire, la directive 2007/59/CE sur la certification des conducteurs de trains.

Une nouvelle communication de la Commission européenne du 17 septembre 2010 « concernant l’élaboration d’un espace ferroviaire unique européen » [COM(2010)474] souligne clairement que « le transport ferroviaire est un mode de transport écologique qui peut contribuer à établir de nouvelles formes de mobilité peu consommatrices d’énergie, limitant ainsi les risques d’aggravation de la pollution, de l’encombrement des voies de transport et (surtout s’il utilise de l’électricité issue de sources non fossiles) des changements climatiques. Il peut assurer des services de qualité, fiables et sûrs et facilite par là même le développement durable de l’économie européenne ».

Ces éléments font du transport ferroviaire, avec la voie d’eau, le mode de transport qui est le plus en adéquation avec les objectifs de l’UE, tels qu’ils figurent dans les traités comme dans la stratégie 2020.

La communication souligne la nécessité de « garantir des conditions de concurrence équitables avec les autres modes de transport », en particulier par « des mesures visant à internaliser les coûts externes du transport de manière coordonnée et équilibrée pour tous les modes afin que la tarification prenne en compte le niveau des coûts externes pesant sur la société au sens large ».

C’est effectivement d’abord au regard de la concurrence intermodale rail-route qu’il convient de resituer les enjeux du marché intérieur et de la concurrence, afin de mettre en œuvre les avantages comparatifs du chemin de fer, bien davantage qu’au sein même du secteur ferroviaire.

Au sein de ce secteur, il faut distinguer ce qui relève des infrastructures, qui participent d’un « monopole naturel » et qu’il serait absurde de prétendre dupliquer pour leur appliquer des règles de concurrence – ce caractère n’enlève en rien la nécessité d’assurer un réel contrôle public et une évaluation de leur efficacité, ce qui implique l’intervention et la participation démocratiques de toutes les parties prenantes. La concurrence peut davantage porter sur les services entre opérateurs, mais avec des limites, car infrastructures et services ferroviaires ne sont pas complètement séparables, les systèmes de sécurité étant de plus en plus souvent « embarqués » dans les trains.

La communication souligne à juste titre les investissements à réaliser pour les réseaux à grande vitesse, ainsi que pour les réseaux transeuropéens de fret, les initiatives à prendre pour assurer une réelle interopérabilité au niveau européen, mais néglige ce qui relève des « transports de la vie quotidienne », en particulier dans les agglomérations, où les avantages concurrentiels des transports ferroviaires par rapport aux autres modes sont également considérables.

Le nouveau Livre blanc de la Commission européenne du 28 mars 2011 sur les transports (cf. supra) vise clairement à favoriser le transport ferroviaire, aussi bien pour le fret que pour les voyageurs. S’il souligne le fait qu’« il subsiste des obstacles au bon fonctionnement du marché intérieur et à une véritable concurrence en son sein », il met l’accent sur la nécessité de créer « un véritable espace européen unique des transports en supprimant les entraves restantes entre modes et entre systèmes nationaux, en favorisant le processus d’intégration et en facilitant l’émergence d’opérateurs multinationaux et multimodaux », davantage que sur l’application des règles de concurrence à chaque mode de transport. Il se prononce également pour « une meilleure mise en œuvre des règles en matière sociale, environnementale, de sécurité et de sûreté, ainsi que des normes de service minimum et des droits des usagers ».

L’ouverture du fret à la concurrence a amené quelques nouveaux opérateurs, qui sont parfois transnationaux. Pour le trafic de voyageurs, la concurrence est encore marginale, d’autant que des coopérations continuent à exister entre certains anciens opérateurs historiques. Peu de privatisations réelles sont jusqu’ici intervenues, compte tenu des caractéristiques spécifiques du transport ferroviaire.

En 2013 la Commission européenne a proposé un « quatrième paquet » ferroviaire [COM(2013)25] comportant six propositions législatives concernant en particulier l’ouverture des marchés nationaux de transport de voyageurs à la concurrence, l’amélioration de la gestion de l’infrastructure, de normes et d’autorisations, la qualité de l’emploi ferroviaire. La procédure législative en cours a conduit à un compromis politique entre le Conseil et le Parlement européen en avril 2016 visant l’ouverture à la concurrence des lignes commerciales de transport de voyageurs au plus tard décembre 2020 (en France, essentiellement les TGV) et des lignes soumises à l’obligation de service public en décembre 2023.

3.2. Les règlements « OSP »

Dès le 13 mai 1965, le Conseil prend une Décision (65/271/CEE) relative à l'harmonisation de certaines dispositions ayant une incidence sur la concurrence dans le domaine des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable, visant en particulier « à la réduction dans toute la mesure du possible des obligations de service public, à une compensation équitable des charges résultant de celles qui seront maintenues et de celles correspondant à des réductions tarifaires pour des motifs sociaux ». La décision précise que « les obligations inhérentes à la notion de service public imposées aux entreprises de transport ne devront être maintenues que dans la mesure où leur maintien est indispensable pour garantir la fourniture des services de transport suffisants ». Ainsi, alors que le traité de Rome avait reconnu la légitimité des obligations de service public (« sont compatibles avec les traités les aides qui répondent aux besoins de la coordination des transports ou qui correspondent au remboursement de certaines servitudes inhérentes à la notion de service public »), la Décision du Conseil en fait des dérogations devant être transitoires.

Le règlement CEE 1169/69 du 26 juin 1969 relatif à l'action des États membres en matière d'obligations inhérentes à la notion de service public dans le domaine des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable, « considère qu'un des objectifs de la politique commune des transports est l'élimination des disparités qui se manifestent par l'imposition aux entreprises de transport par les États membres d'obligations inhérentes à la notion de service public et qui sont de nature à fausser substantiellement les conditions de concurrence et qu'il est nécessaire, dès lors, de supprimer les obligations de service public, mais que, toutefois, leur maintien est indispensable dans certains cas pour garantir la fourniture de services de transport suffisants ; que cette fourniture s'apprécie en fonction de l'offre et de la demande de transport existantes ainsi que des besoins de la collectivité ».

Pour la première fois dans le droit communautaire, le règlement définit les obligations de service public : « Par obligations de service public, il faut entendre les obligations que, si elle considérait son propre intérêt commercial, l’entreprise de transport n’assumerait pas ou n’assumerait pas dans la même mesure ni dans les mêmes conditions ».

La définition sera précisée dans le règlement 1370/2007 du 23 octobre comme « exigence définie ou déterminée par une autorité compétente en vue de garantir des services d’intérêt général de transports de voyageurs qu’un opérateur, s’il considérait son propre intérêt commercial, n’assumerait pas ou n’assumerait pas dans la même mesure ou dans les mêmes conditions sans contrepartie ».

Ce règlement n°1370/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route est le résultat d’un débat de 10 ans qui a traversé les institutions européennes pour revoir et actualiser le règlement de 1969. La Commission européenne voulait que tout transport ferroviaire comportant des obligations de service public fasse l’objet d’un contrat de service public et qu’il fasse l’objet d’un appel d’offres qu’il soit confié à un opérateur interne ou délégué à une entreprise privée, ce que refusaient aussi bien le Parlement européen que le Conseil.

Le règlement prévoit que « lorsqu’une autorité compétente décide d’octroyer à l’opérateur de son choix un droit exclusif et/ou une compensation, quelle qu’en soit la nature, en contrepartie de la réalisation d’obligations de service public, elle le fait dans le cadre d’un contrat de service public ». Le contrat de service public doit définir clairement les obligations de service public que l’opérateur doit remplir ainsi que les zones géographiques concernées et les contreparties convenues (art. 3). Le règlement précise en son article 5 que « sauf interdiction en vertu du droit national […] toute autorité locale compétente […] peut décider de fournir elle-même des services publics de transport de voyageurs ou d’attribuer directement des contrats de service public à une entité juridiquement distincte sur laquelle l’autorité locale compétente […] exerce un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services [“opérateur interne”] ». « Toute autorité compétente qui recourt à un tiers autre qu’un opérateur interne attribue les contrats de service public par voie de mise en concurrence, sauf dans les cas visés aux paragraphes 4 [lorsque le contrat porte sur des sommes ou des distances peu importantes], 5 [en cas d’urgence] et 6 [transport par chemin de fer, à l’exception du métro ou du tramway ».

La Commission européenne a ainsi dû s’incliner devant la volonté des co-législateurs. Mais elle est revenue à la charge par un document de travail [SEC(2011) 391] du 28 mars 2011 accompagnant le Livre blanc « Feuille de route pour un espace européen unique des transports – Vers un système de transport compétitif et économe en ressources » [COM(2011) 144 du 28 mars 2011]. La Commission rappelle que le règlement 1370/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 demande aux États membres de fournir à la Commission avant juin 2015 un « rapport d’avancement mettant l’accent sur la mise en œuvre de l’attribution progressive des contrats de service public conformément à l’article 5. Sur la base des rapports d’avancement des États membres, la Commission peut proposer des mesures appropriées, adressées aux États membres » (art. 8, § 2 du règlement). Et la Commission annonce d’ores et déjà qu’elle « proposera une initiative pour l’introduction de la mise en concurrence des contrats de service public, visant à assurer la fourniture efficace des services de haute qualité ».

Dans sa proposition de 4ème paquet ferroviaire (cf. supra), la Commission européenne a voulu relancer l’idée d’une mise en concurrence obligatoire de tout contrat de service public, mais le Parlement et le Conseil ont exigé qu’après 2026 le futur règlement préserve la possibilité pour les autorités organisatrices de choisir entre le recours à une attribution directe et la mise en concurrence par appel d’offre.

Une fois en 2026 par contre, les autorités organisatrices auront le choix, y compris celui de renoncer à la concurrence. La Commission, qui voulait forcer l’ouverture des réseaux en imposant les appels d’offre obligatoires pour la passation des contrats de service public, a dû faire marche arrière.

Le compromis politique auquel sont parvenus les ministres européens – qui est à l’été 2016 en cours d’adoption formelle par le Parlement européen et le Conseil dans un nouveau règlement - laisse aux autorités publiques la possibilité́ de choisir l’attribution directe des contrats ou la mise en concurrence par appel d’offres.

Officiellement, la Commission européenne souligne que la mise en concurrence doit devenir la règle et l’attribution directe l’exception. Dans les faits, les exemptions qui permettent l’attribution des contrats de gré à gré sont extrêmement vastes : pour les petits contrats, les petits marchés, les réseaux isolés, les situations d’urgence… et surtout si le contrat attribué directement a « pour effet d’améliorer la qualité des services et/ou la rentabilité par rapport à l’ancien contrat de service public attribué ». Il assure une large flexibilité et conforte la liberté de choix des autorités organisatrices.

4. Les réformes en France

En France, la fin des années 1990 et les années 2000 ont vu la mise en œuvre progressive des réformes décidées dans les paquets ferroviaires européens.

C’est ainsi qu’avec la loi n° 97-135 du 13 février 1997 est intervenue la séparation de la SNCF en deux établissements publics, avec la création de Réseau ferré de France (RFF), propriétaire et gestionnaire du réseau d’infrastructure ferroviaire, ce qui allait au-delà des exigences de la directive européenne 91/440 du 29 juillet 1991, qui n’imposait qu’une séparation comptable des deux fonctions. RFF a repris la dette de la SNCF liée à l’infrastructure (environ 20 milliards d’euros), alors que ladite directive permettait aux États de prendre en charge les dettes antérieures des « opérateurs historiques » pour faciliter la relance des activités ferroviaires (ce qu’a fait l’Allemagne).

Au sein de la SNCF ont été séparées les activités grandes lignes et transport public pour les voyageurs, le fret et l’infrastructure (dont RFF délègue l’exploitation et la maintenance à la SNCF). Récemment, la loi n° 2014-872 portant réforme ferroviaire a créé un groupement public ferroviaire constitué de trois EPIC - une entité mère - la SNCF - et deux filiales : le gestionnaire d’infrastructure (SNCF Réseau) et l’exploitant ferroviaire (SNCF Mobilités).

Sont également intervenues l’ouverture à la concurrence du fret puis des transports de voyageurs internationaux, avec la possibilité de cabotage (un opérateur d’un État membre qui relie deux ou plusieurs pays peut charger et décharger des voyageurs à l’intérieur d’un autre pays).

La loi n° 2009-1503 du 8 décembre 2009 relative à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires a créé l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF), qui a pour objectif de « concourir au bon fonctionnement du service public et des activités concurrentielles de transport ferroviaire, au bénéfice des usagers et clients des services de transport ferroviaire ». Elle doit notamment veiller à ce que les différentes entreprises ferroviaires accèdent, de manière équitable et non discriminatoire, au réseau ferroviaire et aux prestations associées. Depuis octobre 2015, en vertu de la loi n° 2015-990 (dite « Macron »), les compétences de l’ARAF ont été élargies aux autocars et à partir de 2016 aux autoroutes.

Parallèlement a été ouverte une négociation sociale destinée à élaborer une convention collective nationale du rail, s’appliquant à toutes les entreprises du secteur, afin d’éviter la course au moins disant social.

4.1. Les transports régionaux

L’organisation des transports ferroviaires régionaux de voyageurs a fait l’objet d’une expérimentation de régionalisation, faisant des conseils régionaux les « autorités organisatrices » des transports régionaux. Cette mesure a été généralisée au 1er janvier 2002. Les conseils régionaux signent une convention avec la SNCF sur les trajets à mettre en place, le nombre de liaisons, les tarifs, le niveau de qualité du service à offrir. Depuis 1er janvier 2016, la France compte 12 régions métropolitaines dont les compétences se sont accrues suite aux nouvelles lois de décentralisation qui prévoient le transfert à partir du 1er janvier 2017 de certaines compétences des départements : l’organisation des transports routiers non urbains de personnes et la construction, l’aménagement et l’exploitation de gares publiques routières de voyageurs. Par ailleurs, la loi portant réforme ferroviaire de 2014 a accordé aux régions la liberté tarifaire pour les parcours intra-régionaux.

Alors que la tendance était au déclin du transport ferroviaire régional, la décentralisation a permis une amélioration de l’offre et de la qualité de service, qui, conjuguée avec des politiques tarifaires régionales, a permis une croissance de 55 % du nombre de voyageurs-kms de 1997 à 2007, même si la part modale reste faible. En ne considérant que les déplacements régionaux de province, la part de marché des transports express régionaux (TER) a été de 15% en 2013, alors qu’elle était de 8% avant la décentralisation. Entre 2002 et 2011, les subventions des régions aux TER en France ont progressé de plus de 80%2. Un rapport de la Cour des comptes, tout en soulignant notamment « des politiques tarifaires inventives en faveur des usagers » ou « une plus grande attention portée à la qualité de service »3, considère que « la répartition des responsabilités entre l’État et les régions, ainsi que celle du financement entre contribuable national, contribuable régional et usager, mériteraient d’être clarifiées en fonction des principes qui sous-tendent le système des TER : logique de péréquation, d’aménagement du territoire et d’efficacité économique »4.

4.2. Les transports urbains

Dans le contexte d’une tendance accrue à la décentralisation des compétences liées à l’organisation des services de transport, les transports urbains sont généralement en Europe une compétence des municipalités, d’autant plus importante que plus de 60% de la population européenne vit en milieu urbain.

L’Union européenne a publié en 1990 un Livre vert pour une stratégie communautaire pour l’environnement urbain [COM(90) 218 final du 27 juin], dans lequel le transport urbain est le deuxième domaine stratégique d’action. Les services de transport, en particulier au niveau local, sont un moyen d’accès à d’autres services, activités ou biens communs. Ils contribuent à la compétitivité, à la qualité de la vie et à un système de transport soutenable du point de vue économique et social.

Les initiatives de l’Union européenne en matière de transport urbain s’inscrivent en particulier dans le cadre de la politique commune de transport, de la politique environnementale et de la politique de cohésion.

Le Livre vert de la Commission européenne « Vers une nouvelle culture de la mobilité urbaine » de 2007 [COM(2007) 551 du 25 septembre] a lancé le débat pour des transports urbains plus intelligents, accessibles, sûrs et sécurisants. Les propositions visent à « optimiser l’usage de tous les modes et organiser la co-modalité, entre différents modes de transport collectifs (train, tramway, métro, bus, taxis) et entre différents modes de transport individuel (voiture, deux-roues motorisées, vélo, marche à pied), […] [pour] atteindre les objectifs communs de prospérité économique, de respect du droit à la mobilité par la gestion de la demande de transport, de qualité de vie et de protection de l’environnement, […] [pour] concilier les intérêts du transport de fret et du transport de passagers, quel que soit le mode de transport utilisé ».

*

Dans la plupart des États européens, les transports urbains étaient traditionnellement gérés en interne par les collectivités territoriales. La France a longtemps fait figure d’exception, la plupart des transports urbains faisant l’objet de délégations de service public. Il existe aujourd’hui une tendance générale au développement de partenariats public-privé (PPP) pour la modernisation et la gestion des transports urbains. De grands groupes développent leur influence en Europe (comme Kéolis ou Transdev).

En France, l’organisation des transports publics de personnes est de la compétence des collectivités territoriales ou de leurs groupements, considérés comme « autorités organisatrices », qui décident des formes, modes, objectifs et missions de service public et peuvent soit gérer elles-mêmes le service (en régie), soit en déléguer la gestion à une entreprise privée (cas très nettement majoritaire en France), telle que Kéolis (filiale de la SNCF), Transdev (filiale de la Caisse des dépôts et consignations), qui a fusionné avec Veolia Transport le 3 mars 2011, la RATP, qui a repris une partie des actifs de Transdev, puis dont elle est sortie.

Aujourd’hui, 250 réseaux de transports urbains desservent les agglomérations françaises. Les transports urbains connaissent un mouvement continu de redéveloppement depuis les années 1970, illustré par la mise en place d’une vingtaine de réseaux de métros et de tramways, et de façon générale, une amélioration sensible du niveau et de la qualité de l’offre.

  1. ^ L’arrêt de la Cour de Justice des Communautés européennes du 22 mai 1985 dans l’affaire 13/85 Parlement européen contre Conseil a contribué à inciter Conseil à développer progressivement le processus d’européanisation dans le domaine des transports, la Cour ayant déclaré que « le Conseil s’est abstenu, en violation du traité, d’assurer la libre prestation de services en matière de transports internationaux et de fixer les conditions de l’admission des transporteurs non résidents aux transports nationaux dans un Etat membre ». 
  2. ^ Y. Crozet, « Les transports et le financement de la mobilité », Etude Fondapol, 9 avril 2015, http://www.fondapol.org/etude/yves-crozet-les-transports-et-le-financement-de-la-mobilite/.
  3. ^ Voir aussi Autorité de la qualité de services dans les transports, Bilan à mi-2014 de la qualité de service dans les transports de voyageurs en France, www.qualitetransports.gouv.fr
  4. ^ Cour des comptes. Rapport public thématique. Le transfert aux régions du transport express régional (TER) : un bilan mitigé et des évolutions à poursuivre, novembre 2009.

Auteur(s) :

BAUBY Pierre

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