Ordonnances et referendums: le contournement du Parlement

Modifié le 16 mai 2023

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Notions clés

Lors de la campagne des primaires et de celle des élections présidentielles, nombreux ont été les candidats qui ont promis de recourir au référendum ou de mettre en œuvre telle ou telle partie de leur programme par ordonnance. C’est pour éviter une obstruction du Parlement ou les lenteurs inhérentes à la procédure législative que le recours à ces deux procédés a été mis en avant, dans un contexte général de remise en cause du « système ».

Les principaux candidats à la primaire de la droite et du centre étaient favorables à l’utilisation de ces deux procédés. Prôné par Nicolas Sarkozy, le référendum était rejeté par Jean-François Copé et Alain Juppé, qui préféraient les ordonnances, tandis que François Fillon et Bruno Le Maire entendaient utiliser les deux.

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Sommaire

Lors de la campagne des primaires et de celle des élections présidentielles, nombreux ont été les candidats qui ont promis de recourir au référendum ou de mettre en œuvre telle ou telle partie de leur programme par ordonnance. C’est pour éviter une obstruction du Parlement ou les lenteurs inhérentes à la procédure législative que le recours à ces deux procédés a été mis en avant, dans un contexte général de remise en cause du « système ».

Les principaux candidats à la primaire de la droite et du centre étaient favorables à l’utilisation de ces deux procédés. Prôné par Nicolas Sarkozy, le référendum était rejeté par Jean-François Copé et Alain Juppé, qui préféraient les ordonnances, tandis que François Fillon et Bruno Le Maire entendaient utiliser les deux.

A gauche, les candidats étaient tous hostiles aux ordonnances, mais préconisaient le recours au référendum. Ainsi, Jean-Luc Mélenchon voulait instaurer le référendum d’initiative citoyenne et le droit des citoyens de proposer une loi. Benoît Hamon voulait inscrire dans la Constitution ce qu’il appelait « le 49.3 citoyen », qui devait permettre à 1 % du corps électoral d'imposer au Parlement d’examiner une proposition de loi émanant des citoyens (droit d’initiative citoyenne), de suspendre l’application d’une loi adoptée par le Parlement pour la soumettre à référendum (référendum d’initiative citoyenne).

A l’extrême droite, Nicolas Dupont-Aignan voulait créer un référendum d’initiative populaire, Marine Le Pen également.

Quant aux « petits candidats » François Asselineau voulait lui aussi ainsi que Jean Lassalle instaurer le référendum d’initiative populaire.

Le vainqueur de l’élection, Emmanuel Macron a annoncé et répété qu’il recourra aux ordonnances pour faire passer la réforme du Code du travail, mais il n’a pas évoqué l’utilisation du référendum. Il ne le fera qu’une fois élu, dans son discours devant le Congrès.

La loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social a constitué la première étape du recours aux ordonnances. Le 22 septembre, cinq ordonnances étaient adoptées en Conseil des ministres et signées de manière ostentatoire par le Président de la République, le lendemain elles étaient publiées au Journal officiel :

Reste la troisième étape : la loi de ratification qui interviendra avant le 22 décembre.

Pour ce qui est du recours au référendum, seules des déclarations ont été faites par le Président de la République, sans qu’aucune décision n’ait été prise. Mais l’échec subi lors des sénatoriales rend difficile, sinon impossible, la révision de la Constitution par la voie de l’article 89. Dans ces conditions, le recours au référendum de l’article 11 évoqué à demi-mots par le Président devant le Congrès pourrait devenir réalité.

Dans les deux cas, ordonnances et référendum, le Parlement est contourné. Mais, dans le premier cas, le contournement est consenti par le Parlement (1) alors que dans le second il est imposé (2).

1. UN CONTOURNEMENT CONSENTI : LES ORDONNANCES

En autorisant le recours aux ordonnances, l’article 38 de la Constitution de 1958 reprend la pratique des décrets-lois apparue sous la Troisième République (1870-1940). C'est la loi du 10 février 1918 qui a mis en place la technique des décrets-lois, dans l’urgence de la guerre. Par cette loi le Gouvernement était habilité exceptionnellement et temporairement à prendre des mesures à la place du Parlement. Les décrets pouvaient modifier des lois, d’où le nom qui leur sera donné. Si le procédé demeurait relativement exceptionnel au lendemain de la Guerre, il se généralisera progressivement. Onze lois habiliteront le Gouvernement à prendre des mesures par décret-loi pendant l’entre deux-guerres. A partir de 1934, presque tous les Gouvernements y auront recours. Durant la période 1934-1940, la technique a été utilisée pendant 31 mois sur 72. Les ordonnances de l’article 38 sont bien l’équivalent des décrets-lois des Républiques précédentes. Toutefois, la Cinquième République a reconnu leur nécessité et plutôt que d’utiliser des subterfuges comme ce fut le cas précédemment, le procédé sera constitutionnalisé.

Cette reconnaissance de la technique des ordonnances s’inscrit dans un mouvement global de transfert du pouvoir législatif vers le pouvoir exécutif observé dans toutes les démocraties du monde. Mais ce transfert est resté, pendant de nombreuses années, relativement exceptionnel. Ce fut le cas sous les présidences du Général De Gaulle, de Georges Pompidou et de Valéry Giscard d’Estaing. Mais avec François Mitterrand le procédé sera plus fréquemment utilisé. Il permettra en particulier de mettre en œuvre les promesses de campagne du Président en instituant les 39 heures, la cinquième semaine de congés payés et l’âge de la retraite à 60 ans pour 37,5 années de cotisation. En 1986, pourtant, pendant la première cohabitation François Mitterrand refusera de signer les ordonnances élaborées par le Gouvernement de Jacques Chirac. Dans ces conditions le Gouvernement est revenu à la procédure normale : le texte des ordonnances a été transformé en projet de loi et même en amendement pour la troisième ordonnance, ce que l’on a appelé l’amendement Séguin, annulé par le Conseil Constitutionnel.

Au cours des trente premières années de la Cinquième République quelques 25 lois d’habilitation ont été adoptées sur le fondement desquelles 158 ordonnances ont été prises, mais depuis 2000, le nombre d’ordonnances s’est multiplié dans des proportions importantes. Ainsi, sous le second mandat de Jacques Chirac (2002-2007) 218 ordonnances ont été adoptées. Sous la présidence de Nicolas Sarkozy (2007-2012) : 271 ordonnances ont été publiés.

Les objectifs poursuivis ont été divers, du maintien de l’ordre en Algérie à la transposition de directives européennes, en passant par la codification, l’adaptation du droit à l'outre-mer, les privatisations... Dans certains cas, il s'agissait de faire face à des situations d'urgence, dans d'autres cas, la technicité de la matière en cause imposait un traitement du problème par les administrations.

Ces ordonnances de l’article 38 ne doivent pas être confondues avec celles prévues par l’article 47 de la Constitution : les « ordonnances budgétaires ». Elles permettent de sanctionner l’inaction du Parlement. En effet, celui-ci dispose de 70 jours pour se prononcer définitivement sur le projet de loi de finances. En cas de non-respect de ce délai, le Gouvernement peut mettre en vigueur les dispositions du projet par ordonnance. En 1996, avec la création des lois de financement de la sécurité sociale, l’article 47-1 a mis en place des ordonnances similaires : « les ordonnances sociales ». Elles permettent de sanctionner le non-respect d’un délai de 50 jours au terme duquel le Parlement doit se prononcer définitivement sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Contrairement aux ordonnances de l’article 38, ces ordonnances (47 et 47-1) ne nécessitent pas de loi d’habilitation donc pas d’accord du Parlement : dans ces cas, l’ordonnance est la sanction de l’obstruction parlementaire. C’est donc l’existence d’une situation qui permet au gouvernement d’y recourir. Mais, leur régime juridique est calqué sur celui des ordonnances de l’article 38 : tant qu’elles ne sont pas ratifiées, elles demeurent des actes administratifs. A ce jour aucun Gouvernement n’a eu recours à ces ordonnances.

Les ordonnances de l’article 38 ont donc comme particularité d’être autorisées par le Parlement. Ce consentement à être dessaisi s’exprime à travers deux lois : la loi d’habilitation, puis la loi de ratification.

1.1. Un consentement donné par une loi d’habilitation

La loi d’habilitation autorise le Gouvernement à légiférer par ordonnance.

1.1.1. La procédure

La loi d’habilitation est une loi ordinaire, elle suit donc pour son élaboration la même procédure que celle de ces lois. Cependant, l’initiative appartient au Gouvernement de manière exclusive.

Depuis la loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001 relative à Mayotte, les habilitations peuvent résulter parfois d'un ou de plusieurs articles d'une loi ayant un objet plus large. De plus des habilitations sont parfois introduites par amendement du Gouvernement, comme ce fut le cas dans la loi pour le retour à l'emploi.

Le Conseil constitutionnel a précisé, dans sa décision n° 2006-534 DC du 16 mars 2006, qu'aucune disposition constitutionnelle n'interdisait au Gouvernement de déposer un amendement l'autorisant à prendre des ordonnances devant la seconde assemblée saisie, « fût-ce immédiatement avant la réunion de la commission mixte paritaire ».

Encore faut-il que cet amendement respecte les conditions de recevabilité de droit commun et qu’il ne soit pas dépourvu de tout lien avec l’objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie. C’est pourquoi, le Conseil constitutionnel a censuré une mesure d’habilitation, introduite par un amendement, qu’il a jugé dépourvu de tout lien avec l’objet initial du texte dans sa décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007.

La proportion d'ordonnances publiées sur la base d'un article d'habilitation adopté par voie d'amendement n’est pas négligeable. Ainsi par exemple, entre 2007 et 2011, 37 % des 145 ordonnances résultaient d’une habilitation donnée par un amendement du Gouvernement.

Mais les parlementaires ne peuvent eux, par ce procédé ou d’autres, prendre l’initiative. C’est ce que le Conseil constitutionnel a rappelé dans sa décision n° 2004-510 DC du 20 janvier 2005. Il a notamment précisé qu'il résultait du premier alinéa de l'article 38 de la Constitution que « seul le Gouvernement [pouvait] demander au Parlement l'autorisation de prendre de telles ordonnances».

De manière tout à fait exceptionnelle l’habilitation a pu être donnée par une loi référendaire, mais le destinataire était le Président de la République et non pas le Gouvernement.

En effet, les deux premiers référendums de la Cinquième République, celui du 8 janvier 1961 et celui du 8 avril 1962, ont habilité le Président de la République à prendre par ordonnance ou par décret un certain nombre de mesures relevant normalement de la loi.

Non prévues par la Constitution, ces « ordonnances référendaires » comme on les a appelées ont été assimilées par le Conseil d’Etat (CE, Canal, Robin et Godot, 19 octobre 1962) aux ordonnances de l’article 38.

La discussion des projets de loi d’habilitation se fait selon les mêmes procédures que celles qui s’appliquent aux lois ordinaires. Il est ainsi possible au Parlement, d'amender le texte du projet de loi et de réduire l’habilitation mais pas de l’élargir.

La procédure accélérée est souvent utilisée, c’était le cas notamment lors de la discussion du « projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social » en juin dernier.

Les procédures particulières d’adoption des lois peuvent également être appliquées aux lois d’habilitation. Ainsi, l’engagement de responsabilité du Gouvernement sur un texte prévu par l’article 49.3 de la Constitution peut être utilisé et l’a été à plusieurs reprises. Georges Pompidou y a eu recours par trois fois les 18 mai, 7 et 4 juin 1967. Quant à Jacques Chirac, il s’en servira deux fois, les 13 et 20 mai 1986.

De même, le « dernier mot » peut être donné à l'Assemblée nationale en cas de désaccord entre les deux assemblées après la réunion de la commission mixte paritaire. Enfin, rien ne s’oppose en principe à ce que le vote bloqué soit utilisé lors de l’examen d’un projet de loi d’habilitation.

1.1.2. Le contenu

La loi d’habilitation précise l’objet de l’habilitation et fixe des délais.

1.1.2.1. L’objet de l’habilitation

Selon l’article 38, les ordonnances ne peuvent être prises par le Gouvernement que « pour l’exécution de son programme ». On a prétendu que le programme dont il s’agissait était celui visé à l’article 49.1 de la Constitution, c’est à dire celui sur lequel le Gouvernement engage sa responsabilité devant l'Assemblée nationale. Or le Conseil Constitutionnel a démenti cette interprétation dans sa Décision 76-72 DC du 12 janvier 1977 « Territoire des Afars et des Issas », simplement, les matières dans lesquelles le Gouvernement légifère par ordonnance doivent être indiquées avec précision. Par la suite le Conseil dans sa décision 86-207 DC du 26 juin 1986 sera plus précis encore puisqu’il affirmera que la notion de « programme » de l’article 38 fait « obligation au Gouvernement d'indiquer avec précision au Parlement, afin de justifier la demande qu'il présente, la finalité des mesures qu'il se propose de prendre par voie d'ordonnances ainsi que leur domaine d'intervention ». Pour autant, le Gouvernement n’est pas tenu de faire connaître la teneur des ordonnances dans cette loi.

La loi d’habilitation doit donc fixer les domaines strictement législatifs, c’est-à-dire issus de l’article 34 de la Constitution dans lesquels le Gouvernement intervienra. Aucune habilitation générale n’est possible. Cependant, il ne suffit pas que la matière pour laquelle le Gouvernement a reçu une habilitation soit une matière législative. De manière plus précise, la loi d'habilitation doit indiquer les dispositions d'ordre législatif sur lesquelles le Gouvernement pourra intervenir et elle ne peut se contenter de renvoyer de manière générale aux rubriques de l’article 34. L'autorisation doit être adaptée au cas par cas.

Mais la précision de l’habilitation législative ne limite pas pour autant l’ampleur des délégations autorisées par le législateur.

En effet, le champ des habilitations est souvent très vaste. Ainsi en 2004, les domaines ouverts au Gouvernement pour légiférer par ordonnance couvraient les relations des usagers avec les administrations, le droit des sociétés, la santé et la protection sociale, la filiation, le droit de l'urbanisme et de la construction, le droit de la concurrence, l'agriculture ou encore le droit de l'environnement.

L’ampleur des habilitations peut se traduire, pas seulement par la variété des domaines ouverts, mais aussi dans un même domaine par le nombre de points qui pourront être précisés par ordonnances. Ainsi, la loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social du 15 septembre 2017 énonce trente-huit points qui pourront faire l’objet d’ordonnances.

La finalité de ces mesures doit être précisée par le Gouvernement comme le rappelle le Conseil constitutionnel dans sa Décision n° 86-207 DC du 26 juin 1986 : « le Gouvernement doit définir avec précision les finalités de l'habilitation qu'il demande en vue de la réalisation de son programme »

C’est ce que fait la loi d’habilitation du 15 septembre dernier, puisque la finalité visée est très précisément indiquée :

1° (De) renforcer la prévisibilité et ainsi (de)sécuriser la relation de travail ou les effets de sa rupture pour les employeurs et pour les salariés de droit privé

Puis les mesures permettant d’atteindre cet objectif sont énoncées :

En :

a) Facilitant l’accès par voie numérique de toute personne au droit du travail et aux dispositions légales et conventionnelles qui lui sont applicables et définissant les conditions dans lesquelles les personnes peuvent se prévaloir des informations obtenues dans ce cadre;

b) Modifiant les dispositions relatives à la réparation financière des irrégularités de licenciement, d’une part en fixant un référentiel obligatoire, établi notamment en fonction de l’ancienneté, pour les dommages et intérêts alloués par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, à l’exclusion des licenciements entachés par une faute de l’employeur d’une particulière gravité, d’autre part en modifiant le cas échéant en conséquence les dispositions relatives au référentiel indicatif mentionné à l’article L. 1235-1 du code du travail ainsi que les planchers et les plafonds des dommages et intérêts fixés par ce même code pour sanctionner les autres irrégularités liées à la rupture du contrat de travail ;

Toutefois, seules les matières législatives ordinaires peuvent faire l’objet d’une délégation sur la base de l’article 38. Sont donc exclues les matières législatives organiques (Décision n° 81-134 DC du 5 janvier 1982), sont également exclues les matières exclusivement réservées à la loi de finances (Décision n° 84-170 DC du 4 juin 1984) ainsi qu’aux lois de financement de la Sécurité sociale. (Décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999).

L’habilitation donnée à un Gouvernement n’est pas pour autant personnelle. Elle est donnée au Gouvernement de la France. De nombreuses lois d'habilitation ont été utilisées par un autre Gouvernement que celui initialement habilité à légiférer par ordonnance. Ainsi, les ordonnances publiées entre la date de prise de fonctions de François Hollande, Président de la République, le 15 mai 2012 et le 13 février 2013 se fondent sur des habilitations accordées au Gouvernement précédent.

Une fois adoptée la loi d’habilitation peut comme n’importe quelle loi être déférée au Conseil constitutionnel. Le juge constitutionnel examine alors les dispositions de la loi d'habilitation, qui ne doivent être « ni par elles-mêmes, ni par les conséquences qui en découlent nécessairement, contraires aux règles et principes de valeur constitutionnelle » (Décision n° 2005-521 DC du 22 juillet 2005 et tout récemment à propos des ordonnances relatives au dialogue social : Décision n° 2017-751 DC du 7 septembre 2017)

Le rappel de ce respect de la Constitution est une constante dans la jurisprudence du Conseil, sous la réserve que « la Constitution » est devenue « les règles et principes de valeur constitutionnelle », ce qui renvoie à la Constitution comprise dans son ensemble.

1.1.2.2. Les délais de l’habilitation

Dès que la loi d’habilitation est adoptée, le Gouvernement rédige les ordonnances, elles sont ensuite adoptées en Conseil des ministres après avis du Conseil d’Etat, voire du Conseil économique et social. Puis, en vertu de l’article 13 de la Constitution, elles sont signées par le Président de la République et entrent en vigueur dès leur publication.

Mais le Gouvernement ne peut agir que pendant un délai qui est fixé par la loi d’habilitation. Le plus souvent la durée de ce délai est comprise entre trois et dix-huit mois. Ce délai d'habilitation s’est sensiblement allongé ces dernières années. Jusqu'en 2001, il n'était qu’exceptionnellement d'un an ou davantage, tandis qu'à partir de 2002 une année devient la norme.

Les plus courts étaient de deux mois s’agissant par exemple des mesures d’urgence pour l'emploi prévues par la loi d'habilitation n° 2005-846 du 26 juillet 2005. Les plus longs ont atteint les trente-six mois par exemple pour le code de l’énergie et le code des mines prévus par l’article 109 de la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005. Mais le délai le plus fréquemment choisi est de douze mois.

La loi du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, prévoit pour la plupart des ordonnances un délai de six mois, mais pour l’une d’entre elles il est d’un an.

L’habilitation ne peut donc pas valoir pour une durée indéterminée. Mais on suppose que le Conseil constitutionnel sanctionnerait l’erreur manifeste d’appréciation qui consisterait à octroyer un délai excessivement long (par exemple la durée de toute une législature).

Il est cependant arrivé que le délai d’une habilitation ait couru au-delà de la fin de la législature. Il est même arrivé que le délai d’habilitation ait permis à deux Gouvernements différents de légiférer par ordonnances (Gouvernement Raffarin et Villepin).

Tant que ce délai court le Gouvernement peut agir. De sorte que, si les ordonnances sont entrées en vigueur avant la fin du délai, il est toujours loisible au Gouvernement de les compléter ou de les modifier jusqu’au terme du délai.

Mais n’étant pas ratifiées, elles demeurent des actes administratifs dont la légalité peut être contestée devant le juge administratif soit par voie d’action, soit par voie d’exception. (CE, 24 novembre 1961, Fédération nationale des syndicats de police). Durant cette même période, les dispositions de l’ordonnance ne peuvent faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité. Le Conseil d’Etat a estimé en effet que les dispositions d’une ordonnance qui n’auront pas été expressément ratifiées « ont un caractère réglementaire et ne sont pas au nombre des dispositions législatives visées par l’article 61-1 de la Constitution et l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 » (CE, 11 mars 2011, M. Alexandre A.). Le Conseil constitutionnel a également eu l’occasion de le confirmer (CC n° 2011-219 QPC du 10 février 2012).

Dans le cadre de son contrôle, le juge administratif vérifie également que l’ordonnance respecte le cadre de l’habilitation consentie (Arrêt d'Assemblée du Conseil d'État du 3 juillet 1998, Syndicat des médecins d’Aix et de sa région) et que les mesures prises sont proportionnées à l'objectif défini (CE, 26 novembre 2001, Association Liberté Information Santé).

Le juge administratif exerce donc à ce stade un contrôle de la légalité et un contrôle de la conventionnalité sur les ordonnances.

Pendant ce même délai, le Parlement, est dessaisi : seul le Gouvernement est compétent dans les matières visées par la loi d’habilitation jusqu’à la fin du délai d’habilitation. Il peut donc s’opposer à toute tentative parlementaire contrevenant à la délégation accordée. A cet effet, l’article 41 de la Constitution prévoit que « s’il apparaît au cours de la procédure législative qu’une proposition ou un amendement [...] est contraire à une délégation accordée en vertu de l’article 38, le Gouvernement peut opposer l’irrecevabilité ».

A l’inverse, le Parlement retrouve sa compétence après la fin du délai d’habilitation et lui-seul peut intervenir pour modifier, voire annuler les dispositions intervenues dans les matières relevant du pouvoir législatif. C’est ce que le Conseil d'Etat a affirmé dans un arrêt d’assemblée du 11 décembre 2006, Conseil national de l'ordre des médecins : « si une ordonnance prise sur le fondement de l’article 38 de la Constitution conserve, aussi longtemps que le Parlement ne l'a pas ratifiée expressément ou de manière implicite, le caractère d'un acte administratif, celles de ses dispositions qui relèvent du domaine de la loi ne peuvent plus, après l'expiration du délai d'habilitation conféré au Gouvernement, être modifiées ou abrogées que par le législateur ou sur le fondement d'une nouvelle habilitation qui serait donnée au Gouvernement ; que l'expiration du délai fixé par la loi d'habilitation fait ainsi obstacle à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire fasse droit à une demande d'abrogation portant sur les dispositions d'une ordonnance relevant du domaine de la loi, quand bien même seraient-elles entachées d'illégalité ».

Il peut arriver qu’au terme du délai d’habilitation aucune ordonnance n’ait été rédigée. C’est arrivé à plusieurs reprises. Dans ce cas, soit on en reste là et aucune mesure ne sera adoptée. Ce fut le cas par exemple de la loi du 2 juillet 2003, habilitant le Gouvernement à prendre des mesures destinées à préciser les conditions d'établissement de la possession d’état de Français qui est restée inutilisée et aucune mesure législative n’a été adoptée en ce domaine.

Mais il peut arriver aussi que l’habilitation n’ayant pas été mise en œuvre, les mesures prévues aient fait l’objet non pas d’une ordonnance mais d’une loi, le Parlement ayant repris sa compétence.

Une troisième possibilité existe. Au terme d’un délai non utilisé, le Gouvernement peut demander au Parlement une prorogation de ce délai d'habilitation. C’est une pratique qui s’est développée à partir de 2002.

La loi d’habilitation doit également fixer un second délai. A l’issu de ce délai le Gouvernement doit avoir déposé un projet de loi de ratification. Dans l’hypothèse où ce ne serait pas le cas, l’ordonnance deviendrait caduque. Cela signifie qu’elle cesse d’exister. Elle disparait de l’ordonnancement juridique. L’état du droit qui avait cours avant son entrée en vigueur est rétabli.

Ce délai est le plus souvent de quelques mois soit à compter de l’entrée en vigueur de la loi d'habilitation elle-même, soit, de plus en plus souvent, à compter de celle des ordonnances. C’est cette solution que reprend l’article 8 de la loi du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social :

« Pour chacune des ordonnances prévues aux articles 1 à 7, un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de sa publication ».

1.2. Un consentement donné par une loi de ratification

La deuxième intervention du Parlement qui exprime son consentement prend la forme d’une loi de ratification. Comme le dit très bien son nom, cette loi permet la ratification des ordonnances. En d’autres termes le législateur exprime son accord avec le travail du Gouvernement.

1.2.1. La forme

Depuis 1972 et jusqu'en 2008, le Conseil constitutionnel a accepté qu’une ordonnance puisse faire l'objet d'une ratification implicite. Ainsi lorsque le Parlement modifiait une disposition d’une ordonnance ou y faisait référence, le juge constitutionnel considérait que le législateur la ratifiait implicitement.

Dans sa décision n° 72-73 L du 29 février 1972, le Conseil constitutionnel a reconnu que « l'article 38, non plus qu'aucune autre disposition de la Constitution ne [faisait] obstacle à ce qu'une ratification intervienne selon d'autres modalités que celle de l'adoption du projet de loi » de ratification et que « par suite, cette ratification [pouvait] résulter d'une manifestation de volonté implicitement mais clairement exprimée par le Parlement ».

La révision constitutionnelle de 2008, a mis fin à cette pratique. Seule la ratification expresse est en effet admise comme le précise l’article 38 de la Constitution dans son alinéa 2 : « Elles ne peuvent être ratifiées que de manière expresse ».

Ce retour à la pratique initiale s’explique d’abord par le fait que la ratification implicite interdisait un véritable débat sur les dispositions d’une ordonnance. Ensuite, elle entretenait le doute sur la possibilité de contester devant le juge une mesure prise par ordonnance. Ce qui entrainait une réelle insécurité juridique. Enfin, les ratifications tacites faisaient naitre des doutes sur le champ de la ratification. Et c’est au juge qu’il revenait alors de le délimiter.

La ratification prend donc la forme d’un projet de loi spécifique. Mais La forme de la ratification peut être autre. La ratification peut résulter de l’adoption d’une loi ordinaire qui comporterait un ou plusieurs articles énonçant explicitement la ratification de telle ou telle ordonnance. Ces articles pouvant d’ailleurs figurer dans le texte du projet de loi tel qu’il a été déposé ou même être introduit par voie d’amendement, ceux-ci étant souvent d’origine parlementaire.

1.2.2. Les effets

Le projet de loi de ratification doit être déposé au terme du délai. Ce seul dépôt évite la caducité des ordonnances. Quand le projet est déposé à temps, plusieurs situations peuvent se présenter.

Si le Parlement ne se prononce jamais sur le texte, les ordonnances demeurent alors des textes réglementaires qui peuvent être annulés par le juge administratif mais qui ne peuvent être modifiés que par une loi.

Si le Parlement rejette le projet de loi, les ordonnances deviennent caduques. Enfin si le Parlement les ratifie, elles acquièrent valeur législative.

En tant que telles, elles peuvent faire l’objet d’un contrôle de constitutionalité par le Conseil constitutionnel soit directement soit indirectement.

En effet la loi de ratification comme la loi d’habilitation peut faire l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel. Ce dernier a notamment a rappelé dans sa décision du 7 septembre 2017 :

« Lors de la ratification d'une ordonnance entrée en vigueur, le législateur est tenu au respect de ces mêmes règles et principes de valeur constitutionnelle. »

De plus par le biais d’une question prioritaire de constitutionalité (QPC), posée à l’occasion d’un conflit née de l’application de l’ordonnance ayant acquis valeur législative, le Conseil pourra alors se prononcer directement sur la constitutionalité de celle-ci.

Les assemblées ont bien deux occasions de s’opposer efficacement au principe d’une ordonnance, puis à son contenu ou de l’accepter. Le contournement du Parlement réalisé par la technique des ordonnances est donc consenti par ce dernier. Il n’en va pas de même avec le référendum.

2. UN CONTOURNEMENT IMPOSE : LE REFERENDUM

Le référendum est apparu en France avec la République. La Constitution de l’an I a non seulement été adoptée par le peuple lui-même mais avait prévu la possibilité pour le peuple de s’opposer aux lois proposées par le Corps législatif - le veto législatif - dans ce cas un référendum était organisé.

Certes les deux Constitutions suivantes seront à leur tour ratifiées par le peuple. Mais, avec l’instauration du césarisme napoléonien notre histoire constitutionnelle va découvrir un avatar du référendum : le plébiscite. C'est un vote non pas sur un texte, comme les apparences le laissent croire, mais bien sur un homme, sans qu’il n’ait d’adversaires.

Louis-Napoléon Bonaparte comprendra tout l’intérêt d’une telle procédure et après son coup d’Etat du 2 décembre 1851, il fera confirmer son action par le peuple. Cette dérive plébiscitaire expliquera l’abandon du procédé sous la Troisième République.

C'est le Général De Gaulle qui réintroduira le référendum en 1945. La Quatrième République en sortira péniblement aux termes de deux référendums constituants. Mais, jamais cette République n’organisera de référendum qui pourtant était possible pour réviser la Constitution. Il faudra attendre le retour du Général De Gaulle en 1958, pour voir le référendum à nouveau inscrit dans la Constitution. C'est sous l’influence de René Capitant, reprenant la démarche de Carré de Malberg que le référendum fut réhabilité. S’il le fut, c'est parce qu’il pouvait devenir un « correctif des tendances ultra-représentatives du régime parlementaire »

Le référendum est un instrument polymorphe selon ses conditions de déclenchement, son objet, son ressort territorial ou sa force décisionnelle, Le référendum peut également être facultatif ou obligatoire. Il peut se dérouler au niveau national ou local. Il peut être législatif ou constituant ou porter sur une décision administrative. Enfin, le référendum peut être consultatif ou décisionnel et, dans ce dernier cas, il peut être suspensif ou abrogatif. Tous ces référendums ou presque sont prévus par notre Constitution, mais c’est le référendum législatif de l’article 11 et le référendum constituant de l’article 89 qui sont les plus importants. Par ces référendums l’exécutif peut imposer à des degrés variables, le contournement du Parlement dans ces deux domaines.

2.1. Un contournement imposé dans le domaine législatif

C’est l’article 11 de la Constitution qui permet le contournement du Parlement dans le domaine législatif. La technique du référendum mise en place par cet article accorde au pouvoir exécutif et en fait au Président de la République des prérogatives importantes. C’est l’exécutif en effet qui propose et décide l’organisation d’un référendum. De ce fait la loi est adoptée par le peuple et non pas par le Parlement. Cependant, des améliorations en faveur de ce dernier ont pu être mises en place sans toutefois renforcer sensiblement la place des parlementaires.

2.1.1. Les prérogatives de l’exécutif

Avec la Constitution de 1958 et son article 11 le peuple peut adopter des lois au même titre que le Parlement. Cette intervention du peuple dans le champ législatif n’est possible que par la volonté de l’exécutif. C’est lui et lui seul qui peut imposer ce contournement du Parlement.

C’est l’exécutif en effet qui peut seul déclencher la procédure, puisqu’il dispose du pouvoir d’initiative et du pouvoir de décision.

L’initiative revient au Gouvernement collégialement, et non pas au Premier ministre, comme prévu initialement. Cela revient à dire que c’est en Conseil des Ministres que la proposition de référendum est faite. C’est en tout cas la pratique qui s’est imposée. D’abord, parce que c’est sur un projet de loi que porte la proposition de référendum. Or les projets de lois sont délibérés en Conseil des Ministres selon l’article 39. D’autre part cette formule a l’avantage de permettre aux différents ministres de se prononcer sur la question.

Mais la proposition de référendum est limitée dans le temps puisqu’elle ne peut être faite que pendant les sessions parlementaires. Cette limitation n’est pas très sévère, c’est plutôt la possibilité pour le Parlement d’agir qui constitue une limite.

Enfin, cette proposition de référendum a souvent été des plus formelles. Le Général De Gaulle et Georges Pompidou, annonçaient aux français leurs intentions référendaires avant la proposition officielle du Gouvernement. Par cette pratique le Président « s’octroie… un pouvoir entier » comme l’affirme Jean Gicquel. Bien sûr cela résulte de la subordination politique du Premier ministre que fait naître la concordance des majorités. En période de cohabitation, il en va autrement, la lettre de la Constitution est alors respectée et l’initiative gouvernementale conditionne la décision présidentielle.

Depuis 1958, le Président de la République a toujours disposé et de l’initiative et de la décision. La seule exception est celle du référendum sur la Nouvelle-Calédonie qualifié justement de « référendum d’initiative gouvernementale » par Jean Gicquel. A l’époque, il n’y avait certes pas cohabitation, mais la position du Président de la République était affaiblie par l’existence d’une majorité relative à l’Assemblée Nationale.

LES REFERENDUMS DE L’ARTICLE 11 DANS LE DOMAINE LEGISLATIF
8 janvier 1961DE GAULLEAutodétermination en AlgérieOUI 75,2 %
8 avril 1962DE GAULLEApprobation des accords d'EvianOUI 90,7 %
23 avril 1972POMPIDOUÉlargissement de la CEEOUI 67, 7 %
6 novembre 1988MITTERRANDAvenir de la Nouvelle-CalédonieOUI 79, 9 %
20 sept. 1992MITTERRANDRatification du traité de MaastrichtOUI 51 %
29 mai 2005CHIRACRatification du traité constitutionnelNON 54,67%

L’exécutif dispose donc des moyens institutionnels pour contourner la Parlement à travers le référendum. La pratique en la matière confirme cette volonté de contournement.

Dans tous les référendums de l’article 11, la volonté de contourner le Parlement était évidente. Dans ses deux premiers référendums relatifs à l’Algérie, le Général De Gaulle savait très bien qu’il ne pouvait pas compter sur les parlementaires pour soutenir sa politique. Dans ces conditions le référendum lui permettait de passer par-dessus une éventuelle, mais probable, obstruction.

Pour Georges Pompidou, faire entrer la Grande Bretagne dans le Marché commun présentait quelques difficultés. Il n’était pas sûr de sa majorité parlementaire. Les gaullistes purs et durs y étaient en effet opposés. Le référendum lui permettait de contourner cet obstacle parlementaire.

Quant à François Mitterrand, il n’était pas sûr lui aussi de pouvoir disposer d’une majorité parlementaire pour ratifier le Traité de Maastricht, comme d’ailleurs pour faire accepter ses mesures relatives à la Nouvelle Calédonie. Il faut souligner qu’avec ce dernier référendum, c’est non seulement le Parlement qui était contourné, mais aussi le Conseil constitutionnel. Le projet de loi comportait en effet des dispositions qui étaient manifestement inconstitutionnelles. Dans ces conditions, passer par la voie référendaire, c’était l’assurance d’échapper au contrôle du Conseil constitutionnel puisque celui-ci avait toujours affirmé qu’il était incompétent pour se prononcer sur la constitutionalité d’une loi référendaire dans laquelle il voit « l’expression directe de la souveraineté nationale » (Décision 62-20 DC du novembre 1962). Ce contrôle étant également impossible par le biais d’une QPC. (Décision 2014-392 QPC du 25 avril 2014).

Enfin, Jacques Chirac espérait refaire l’opération de François Mitterrand, mais le Traité constitutionnel fut rejeté par le peuple comme sans doute il aurait été rejeté par le Parlement.

Dans tous ces cas, le référendum était un moyen de contourner le Parlement qui de plus permettait au Président de la République de renforcer ses pouvoirs. C’est ce dernier aspect qui le plus souvent a été mis en avant, ce qui ne veut pas dire que le contournement du Parlement n’était pas pour autant négligeable.

Si l’exécutif dispose avec le référendum d’un moyen de contourner le Parlement et de l’imposer, ce dernier peut néanmoins intervenir dans la procédure pour la contrôler, sans toutefois pouvoir bloquer l’initiative gouvernementale.

2.1.2. Les améliorations en faveur du Parlement

L’article 11 prévoit en effet la possibilité pour le Parlement de contrôler l’initiative gouvernementale. Ce contrôle résulte de deux dispositions.

D’abord, dans la mesure où l’initiative gouvernementale ne peut être prise que pendant la durée des sessions, il est possible aux parlementaires de s’opposer à celle-ci. Soit en émettant des réserves qui politiquement peuvent être d’un certain poids, soit, à l’Assemblée Nationale, du moins, en déposant une motion de censure. En période de cohabitation, l’une ou l’autre chambre peut aussi, en soutenant l’initiative gouvernementale, faire pression sur le Président de la République. En réalité, ces possibilités n’ont jamais été mises à profit. Le fait que l’initiative gouvernementale ne puisse être prise que pendant la durée des sessions est plutôt inspiré par la volonté de ne pas froisser les parlementaires, en les plaçant devant le fait accompli.

C’est sans doute dans cet esprit que les parlementaires eux-mêmes, lors de la révision de l’article 11 intervenue en 1995, ont tenu à introduire une nouvelle disposition par laquelle : « Lorsque le référendum est organisé sur proposition du Gouvernement, celui-ci fait devant chaque assemblée, une déclaration qui est suivie d’un débat ».

Ce débat, qui était déjà possible auparavant, devient obligatoire. Ainsi le Parlement est-il associé à la procédure référendaire, mais le référendum peut lui être imposé.

Il faut cependant souligner que l’instauration du référendum d’initiative partagée minoritaire a pu donner l’impression que le référendum n’était plus seulement une technique au service de l’exécutif lui permettant de légiférer sans le Parlement, en le contournant.

La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a en effet introduit ce que le Comité Vedel avait appelé en février 1993, le référendum d’initiative minoritaire. La loi organique du 6 décembre 2013 portant application de l’article 11 de la Constitution et la loi du 6 décembre 2013 ont précisé cette nouvelle technique.

Il ne s’agit pas d’un référendum d’initiative populaire comme il en existe en Italie, en Espagne, dans les Länder allemands ou en Suisse. Cette option a été écartée au profit d’une solution particulière : permettre à une minorité de parlementaires soutenus par une minorité de citoyens de prendre l’initiative d’une consultation populaire.

Une proposition de loi présentée par au moins un cinquième des membres du Parlement (185 parlementaires indifféremment députés ou sénateurs) est déposé sur le bureau de l’une ou de l’autre assemblée. Elle est transmise au Conseil constitutionnel qui statue, dans le délai d’un mois, sur sa recevabilité.

Dans le mois qui suit la publication de la décision du Conseil constitutionnel s’ouvre la période de recueil des soutiens des citoyens qui dure trois mois. Le recueil s’effectue par voie électronique. Le nombre de soutiens nécessaire est d’un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales, soit approximativement 4,5 millions de citoyens. Ce nombre est supérieur à celui exigé dans la plupart des procédures d’initiative populaire existant dans d’autres Etats.

Si l’initiative est déclarée recevable, par le Conseil constitutionnel la proposition de loi devra faire l’objet d’au moins une lecture par chacune des deux assemblées du Parlement dans un délai de six mois. A défaut, le Président de la République devra soumettre la proposition de loi au référendum dans un délai de quatre mois.

Trop compliquée et difficile à mettre en œuvre en raison du trop haut niveau des seuils de soutiens à atteindre, cette nouvelle procédure n’a convaincu personne. Certes la technique met en place un référendum qui n’est plus maîtrisé par l’exécutif, mais comme elle est tellement compliquée, elle est inefficace. D’ailleurs elle n’a jamais été utilisée à ce jour. En d’autres termes, le référendum reste l’arme qui permet à l’exécutif d’imposer le contournement du Parlement.

On a souvent dénoncé l’aspect « plébiscitaire » dans la pratique référendaire et on a surtout voulu y voir un instrument permettant de renforcer la présidentialisation du régime, ce qui n’est pas faux. Mais l’aspect « contournement du Parlement » certes en partie lié avec la problématique en question était rarement soulignée.

Aujourd’hui, les partisans du référendum et on a vu qu’ils étaient nombreux pendant la campagne présidentielle, insistent plutôt sur le fait que le peuple doit reconquérir une place plus importante dans la vie politique. La plupart d’entre eux se disent ennemi du « système » pour ne pas dire explicitement qu’ils rejettent la démocratie représentative. Or ce qui est au cœur de la démocratie représentative c’est bien le Parlement avec ses chambres composées de représentants de la Nation pour l'Assemblée nationale ou de représentants des collectivités territoriales pour le Sénat.

Cette renaissance du référendum du moins dans les projets est le signe d’un antiparlementarisme en vogue depuis quelque temps qui se traduit d’ailleurs de différentes autres manières. Il est aussi le signe d’un retour en force de la démocratie directe et de ses techniques quand ce n’est pas le symbole d’un populisme rampant qui se diffuse de plus en plus. Le référendum n’était-il pas qualifié d’« instrument de démagogie », par Jacques Toubon, dès 1995 ?

Il est assez plaisant de remarquer qu’un bon nombre des partisans du référendum qui surfent sur cette vague populiste dénonçaient à d’autres époques la pratique « plébiscitaire » du référendum.

Mais le référendum ne permet pas seulement à l’exécutif de contourner le Parlement dans le domaine législatif en l’imposant, il le permet également dans le domaine constitutionnel.

2.2. Un contournement imposé dans le domaine constitutionnel

La révision de la Constitution se fait dans le cadre de l’article 89 qui prévoit au terme d’une procédure en trois temps un référendum qui certes peut être écarté par le Président de la République dans certains cas.

Mais dans la pratique le référendum de l’article 11 a été utilisé pour réviser la Constitution, ce qui a soulevé en son temps un débat.

2.2.1. L’utilisation rare du référendum de l’article 89

La procédure de révision telle qu’elle est prévue par l’article 89 de la Constitution peut déboucher sur un référendum. Celui-ci n’est pas obligatoire. Il est d’autre part nécessairement précédé de l’intervention du Parlement.

La révision de la Constitution se déroule en trois temps. L’initiative appartient au Président de la République sur proposition du Premier ministre ou aux parlementaires. Le projet ou la proposition de loi constitutionnelle est ensuite examiné par les deux assemblées du Parlement en vue de son adoption. Si le texte est adopté dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et le Sénat, vient alors la troisième phase, celle de l’adoption définitive. C’est à cette phase que le référendum peut intervenir. Il est obligatoirement organisé s’il s’agit d’une proposition de loi constitutionnelle, mais il est facultatif s’il s’agit d’un projet de loi constitutionnelle. Dans ce dernier cas, le Président de la République qui est à l’origine du texte peut en effet choisir d’écarter la voie populaire qu’est le référendum au profit d’une voie parlementaire : celle du Congrès, c’est-à-dire la réunion de tous les députés et sénateurs. Si ce choix est fait alors le Congrès adopte le texte à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés.

On le voit, le contournement du Parlement pour ce qui est de l’adoption définitive, (la troisième phase) est toujours la règle, mais cette règle peut être écartée par le Président de la République uniquement dans l’hypothèse où il s’agit d’un projet de loi constitutionnelle et non pas d’une proposition de loi constitutionnelle.

En ce domaine et contrairement à ce que l’on observe dans le domaine législatif, le contournement du Parlement n’est pas complétement possible. Il ne l’est qu’à la fin de la procédure. Dans la pratique on constate d’abord qu’aucune proposition de loi constitutionnelle n’a abouti et donc le référendum obligatoire d’adoption définitive n’a pas eu lieu. Ensuite on relève que s’agissant des projets de lois constitutionnelles, le Président de la République n’a qu’une seule fois décidé l’organisation d’un référendum pour ratifier la révision, c’était en 2000 pour instaurer le quinquennat présidentiel.

LE REFERENDUM DE L’ARTICLE 89
DATEPRESIDENTOBJETRESULTAT
24 septembre 2000CHIRACQuinquennat présidentielOUI 73,21%

2.2.2. L’utilisation contestée du référendum de l’article 11

LES REFERENDUMS DE L’ARTICLE 11 DANS LE DOMAINE CONSTITUTIONNEL
DATEPRESIDENTOBJETRESULTAT
20 octobre 1962DE GAULLEÉlection du Président au Suffrage universel directOUI 62,2 %
27 avril 1969DE GAULLERéforme régionale et du SénatNON 53,1 %

L’article 11 a été utilisé à deux reprises pour réviser la Constitution ce qui a engendré de vifs débats.

C’est le Général De Gaulle qui a eu recours à l’article 11 pour modifier la Constitution. Par la loi constitutionnelle du 6 novembre 1962 adoptée par référendum le 28 octobre 1962, le mode d’élection du Président de la République était réformé. Du suffrage indirect on passait au suffrage universel direct.

Pourquoi cette voie a-t-elle été empruntée ? Tout simplement parce que le Parlement était opposé à la réforme. Or la voie normale de révision nécessite on l’a vu, l’accord des deux chambres puis et seulement après cette phase, un référendum (celui de l’article 89) ou le Congrès se prononçant à la majorité des trois cinquièmes.

En usant de l’article 11, le Général De Gaulle contournait manifestement le Parlement et lui imposait ce contournement. Cette utilisation de l’article 11 pour réviser la Constitution a engendré de nombreux débats.

La grande majorité de la doctrine et de la classe politique était hostile à cette pratique arguant du fait que l’article 11 met en place un référendum législatif et non pas constituant. Rien en effet ne précise que l’article 11 est une voie exceptionnelle de révision puisque l’article 89 forme à lui seul le Titre XVI de la Constitution intitulé « De la révision ». Il ne renvoie pas explicitement à l’article 11.

Mais, observent les tenants des thèses favorables, l’argument peut être retourné. La procédure de l’article 11 est une procédure exceptionnelle d’élaboration des lois tant ordinaires qu’organiques que constitutionnelles, puisque rien dans l’article 11 lui-même ne précise le type de loi qui peut exceptionnellement faire l’objet d’une telle élaboration.

De plus ajoutent certains, l’article 11 prévoit que l’on peut soumettre à l’approbation du peuple un « projet de loi relatif à l’organisation des pouvoirs publics ». Or la révision de la Constitution se fait par une loi : la loi constitutionnelle qui a justement pour objet de préciser l’organisation des pouvoirs publics.

Quelle est la bonne interprétation de la Constitution ? Pour le savoir le Conseil constitutionnel a été saisi. Il lui était demandé de se prononcer sur la constitutionalité de la loi du 6 novembre 1962. Or le Conseil s’est déclaré incompétent. Par la suite, trente ans plus tard, il a une nouvelle fois mis en avant son incompétence pour contrôler la constitutionalité des lois qui sont l’expression directe de la souveraineté nationale.

Dans ces conditions, il est difficile de remettre en cause l’interprétation présidentielle de la Constitution, et celle-ci s’impose. C’est pourquoi le Général De Gaulle recourra une nouvelle fois au référendum de l’article 11 pour réviser la Constitution le 27 avril 1969. Mais cette fois ce fut un échec.

Ce sont là, les deux seuls précédents d’une telle pratique. Aucun Président par la suite n’imposera un tel contournement au Parlement. Pourtant François Mitterrand avait reconnu lors d’un entretien à la Revue Pouvoir, qu’une telle voie était possible pour réviser la Constitution.

Quant à Emmanuel Macron, il a lors du Congrès réuni à sa demande à Versailles le 3 juillet 2017 annoncé un certain nombre de réformes constitutionnelles. A leurs propos, il a précisé : « Ces réformes seront soumises au vote du Parlement mais si cela est nécessaire, je recourrai au vote de nos concitoyens par voie de référendum ».

Ordonnances et référendums sont bien deux techniques permettant de contourner le Parlement. Toutes deux traduisent à leur manière l’épuisement du régime représentatif et singulièrement des assemblées parlementaires. Leurs membres sont soupçonnés de bénéficier d’avantages incongrus qu’ils sont attachés à défendre ainsi que le « système » dans lequel ils agissent. Ces élites politiques sont condamnées par les populistes de droite et de gauche. C’est pourquoi ces derniers préconisent le recours au référendum, d’autant plus que le contournement du Parlement ainsi réalisé peut lui être relativement facilement imposé.

L’épuisement du régime représentatif se traduit également par la complication des processus décisionnels. La lenteur du Parlement et parfois sa difficulté à envisager des problèmes de plus en plus techniques et complexes encouragent les gouvernants férus d’efficacité quelque peu technocratique à recourir aux ordonnances. Elles permettent, en accord avec les assemblées parlementaires, de les contourner tout en leur permettant de contrôler le travail accompli.

 

Auteur(s) :

FERRETTI Raymond

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