Santé et cultures : former et soutenir les professionnels

Modifié le 16 mai 2023

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Notions clés

La mise en valeur du lien entre culture et santé se construit notamment grâce à l'anthropologie médicale. Cette dernière permet de montrer comment, de la naissance à la mort, les faits de santé sont aussi des faits sociaux et culturels. 

1. Pourquoi des formations sur la thématique "Santé et cultures" ?

L’OMS a défini la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. » Mais la santé est aussi enracinée dans la culture de chacun; c’est la raison d’être de l’anthropologie médicale de questionner les rapports entre santé et cultures. Cette discipline, pourtant essentielle, est toujours trop peu connue et enseignée aujourd’hui à tous les acteurs de soins, que ce soit en formation initiale ou continue. Aussi, proposer des formations sur cette thématique et les associer à la communication interculturelle, remplit une mission essentielle auprès des professionnels soignants de la fonction publique territoriale, que ce soit en PMI, en santé scolaire, dans les centres de santé communaux, dans les MDPH ou pour ceux qui interviennent auprès de personnes âgées dépendantes.

Lors de la naissance ou de la mort, la culture est très présente sans que l’on en ait conscience si l’on ne prend pas de recul pour se questionner. Mais elle l’est aussi aussi dans l’expérience de la maladie, du handicap, dans la notion prévention ou encore dans le rapport à son corps. En effet, si la naissance, la maladie, le vieillissement, la mort sont des faits biologiques, ils sont aussi des faits culturels et sociaux, empreints de soins particuliers et de rituels. Ce vécu, toujours singulier, bien qu’universel, est différent selon les cultures et les époques. Il s'inscrit dans le corps et la psyché de chacun mais aussi dans un contexte culturel dont il importe de tenir compte Nous sommes au cœur du questionnement anthropologique qui nous renvoie à la fois à l’universalité de la vie des hommes en société, mais aussi aux grandes variations d’expression d’une culture à l’autre, pouvant être source d'incompréhension.

Si la médecine a fait d'immenses progrès concernant la mortalité et la morbidité maternelle et infantile, si la dimension psychologique est davantage prise en compte dans le vécu de la grossesse et des soins aux enfants, la dimension culturelle est encore trop souvent peu considérée ou ignorée. Il en est de même pour les questions de fin de vie, de handicap, de maladie chronique ou encore de médecine préventive, et plus généralement dans tout le secteur de la santé.

Considérons la question de la maternité. Les migrations internationales conduisent un nombre croissant de femmes à accoucher loin de chez elles. Cet événement «loin de chez soi», surtout s'il s'agit d'un premier enfant, peut représenter une épreuve difficile, voire insurmontable, même si la migration correspond à un choix personnel et/ou pleinement assumé, même si le contexte médical de la périnatalité assure une sécurité incomparable à ce que beaucoup vivraient chez elles.

De plus, dans le contexte migratoire, certaines femmes vont avoir des réactions et des attitudes vis-à-vis de leur santé d'autant plus incompréhensibles au regard des soignants qu'elles peuvent mettre en danger la vie de la femme et/ou de l'enfant. Par exemple, une femme refusera de s'arrêter de travailler alors qu'elle présente une menace d'accouchement prématuré, une autre ne fera pas les bilans sanguins nécessaires ou ne se présentera pas à la maternité le jour de la césarienne. À ce moment, les soignants risquent de développer des positions de jugement voire de rejet: «Elle ne comprend rien », « Elle le fait exprès », « Elle ne s'intéresse pas son bébé », « Elle le met en danger »...

Prenons un exemple. Si une femme refuse d'ouvrir la fenêtre de sa chambre à la maternité par une chaleur accablante par peur que des esprits pénètrent et s'en prennent au bébé, elle risque ici d'être étiquetée « délirante». Or, la croyance dans le monde des esprits est très forte dans de nombreuses parties du monde, notamment au sein des sociétés dites « traditionnelles », rurales, et l’attitude de cette femme correspond là-bas à la norme.

Cet exemple ne signifie pas pour autant que cette femme ne croit pas, par ailleurs, aux apports de la biomédecine1. Elle peut conjuguer plusieurs croyances, plusieurs rationalités pour «mettre toutes les chances de son côté», et protéger son bébé, considéré comme un être particulièrement vulnérable dans toutes les cultures. Ainsi, chaque femme chemine dans un «itinéraire de soins» individuel porteur de sens et marqué par sa culture. Cette illustration évocatrice dans le domaine de la maternité peut aider à comprendre ce se passe de façon plus générale dans le domaine de la santé.

2. Un peu de théorie à propos des cultures

Parmi les nombreuses définitions de la «culture», nous retenons celle de Maurice Godelier: «ensemble des représentations de l’univers, des principes d’organisation de la société, des valeurs et des normes de conduites, positives et négatives auxquelles se réfèrent les individus et les groupes qui composent une société lorsqu’ils agissent sur les autres, sur eux-mêmes et sur le monde qui les entoure.2»

Les codes, les comportements, mais aussi les croyances imprègnent chacun de nous et se transmettent de génération en génération. Cependant, la transmission ne se fait pas à l'identique et les sociétés se modifient dans le temps, notamment au contact de personnes venant d'autres cultures qui laissent des apports définitifs. Ainsi, si nous nous reconnaissons dans la même culture que nos grands-parents, nous savons combien pourtant la société a changé depuis.

« S’il est clair que la transmission d'une culture ne relève pas de l'«hérédité», il est important de comprendre qu'elle ne relève pas non plus de l'«héritage», la culture ne pouvant être confondue avec un patrimoine qui se léguerait tel quel de génération en génération, car elle est une élaboration quasi permanente en rapport avec le cadre social environnant et les modifications de celui-ci.»3

3. L’anthropologie sociale et culturelle

Le concept de culture ne s'applique pas seulement à l'autre, au lointain; il concerne chacun de nous. C'est un des enseignements de l'anthropologie sociale et culturelle. Ainsi, nous devons prendre conscience que notre façon de vivre est un fait tout aussi observable que celui de populations lointaines et que les faits les plus évidents pour nous ne le sont pas pour d'autres.

Prenons l’exemple de l’alimentation : Les manières de table, ce que l’on mange, avec qui, où, quand, comment, avec des couverts, des baguettes ou des doigts,; tout ceci ne constitue une évidence que pour celui qui est intégré dans un groupe culturel et peut se révéler d’une totale étrangeté pour celui qui vient d’ailleurs.

Toutes les cultures se valent; il n'y a pas de culture supérieure ou inférieure, de culture primitive ou évoluée, mais chacune représente une façon différente de voir le monde et de le vivre. Cette position très forte de l'enseignement de Claude Lévi-Strauss dans les années 1950 a considérablement modifié la discipline anthropologique en France, rompant avec une position coloniale -toujours possible du reste- qui voudrait que l'autre, le «différent» soit celui à qui on apporte «La Culture», c'est-à-dire «La Civilisation».

La position anthropologique est une position d'observation qui nécessite de se décentrer, de prendre de la distance pour tenter de comprendre l’autre.

«Notre démarche, qui consiste d'abord à nous étonner de ce qui nous est le plus familier (ce que nous vivons quotidiennement dans la société dans laquelle nous sommes nés) et à rendre plus familier ce qui nous est étranger (les comportements, les croyances, les coutumes des sociétés qui ne sont pas les nôtres, et vers lesquelles nous aurions pu naître).»4

Cette position de l'anthropologue apporte curiosité et ouverture d'esprit. Dans le contexte de la santé et des soignants, elle ne doit cependant pas faire céder à une sorte de fascination pour les autres cultures, au risque de tout expliquer et accepter sous prétexte de tradition culturelle, pouvant entraîner, à l'extrême, des défauts de soins. Au contraire, elle doit aider à se pencher sur soi-même, sur sa propre culture, ses propres représentations et croyances, permettant ainsi de tenter de mieux comprendre celles des autres. Elle doit favoriser la communication, notamment lors d'un problème grave de santé obligeant à prendre des décisions qui peuvent être incomprises par la personne concernée.

Un autre concept important est celui de «micro-culture» ou «sous-culture»: chacun de nous est traversé par différentes sous-cultures qui vont contribuer à fonder son identité: culture d'origine, culture professionnelle, culture de classe (sociale), culture religieuse, culture familiale, etc.

4. L’anthropologie médicale

Dans le domaine médical, la culture professionnelle, fondée sur la médecine scientifique (mais aussi imprégnée de la philosophie des Lumières et de l’idée d’individu rationnel) entre en résonance avec les cultures des malades. Dans toute société, la maladie se situe entre biologie et interprétation sociale. L'anthropologie médicale s’intéresse à ce qui, dans une société, est santé ou maladie. Elle concerne autant la façon de se soigner que les institutions de santé. Elle vise à «mettre à jour les composantes des divers systèmes de santé qui peuvent être considérées comme universelles et celles qui sont le produit original de telle ou telle culture. En nous sensibilisant à d’autres systèmes diagnostiques, thérapeutiques ou étiologiques, elle nous amène à relativiser, non seulement les vertus mais aussi les défauts de notre propre système de santé et jette les bases d’un recul critique.»5

Le monde biomédical a tendance à considérer les thérapeutiques et leurs effets comme indépendants de la culture. Or, les personnes cheminent selon des logiques sociales et culturelles et non biomédicales. Ainsi, une femme pourra faire suivre médicalement sa grossesse mais aussi écouter les conseils d’amies, les recommandations de médecines alternatives, surfer sur Internet, aller voir le marabout ou faire un pèlerinage selon ses croyances…

Pour tout ce qui concerne la naissance, l'anthropologie a montré que chaque femme se tourne vers sa culture d'origine, ayant besoin d’être sécurisée, entourée, protégée. Mais les mesures de protection sont très différentes en fonction des cultures. Par exemple, le fait de ne pas déclarer une grossesse peut-être une protection contre le mauvais oeil ou la sorcellerie. Le fait de travailler jusqu'à la fin de la grossesse peut être considéré comme une préparation à accouchement qui fortifie la femme. Influencer la date de l'accouchement (et donc modifier le destin) par une césarienne programmées peut entraîner des frayeurs telles que certaines femmes vont tenter par tous les moyens de s'y soustraire mettant en danger leur vie et celle de l'enfant.

5. L’importance de la formation

Les exemples cités montrent l'importance de la prise en compte de la culture dans les soins. Il importe néanmoins de mettre en garde contre la tentation de répondre à un certain type de demandes formulées par les professionnels: «nous rencontrons beaucoup de patients de tel pays. Pouvez-vous nous parler des particularités de leur culture ?»

Répondre directement à ces questions serait tomber dans un piège, celui de plaquer sur l'autre des préjugés, des représentations dans lesquels il ne se reconnaît pas. Il est important de donner aux professionnels des bases leur permettant d'entrer en contact avec les personnes de toute origine, dans une démarche d'ouverture à l’autre, et non de leur apporter des savoirs sur une communauté donnée qui risqueraient de se transformer en recettes, prêtes à être appliquées. Il s’agit bien de fournir les bases permettant une pensée ouverte, dans le but d'aider à rencontrer l'Autre quel qu'il soit et d'où qu'il vienne.

La formation des professionnels soignants mais aussi de l’éducation et des services sociaux, concernés eux aussi par la santé, devrait systématiquement intégrer des éléments d’anthropologie sociale et culturelle (et plus spécifiquement d’anthropologie médicale) ainsi que de communication interculturelle. Des connaissances plus approfondies sur telle ou telle société peuvent venir dans un deuxième temps, une fois que les soignants ont acquis cette posture de décentrement et d'ouverture à l’Autre indispensable pour éviter de plaquer leurs propres représentations.

5.1. L’apport de Margalit Cohen-Emerique

Il faut souligner l’apport de la psychosociologue Margalit Cohen-Emerique6 qui a travaillé auprès de travailleurs sociaux au contact de populations migrantes pour leur permettre d'améliorer la communication interculturelle. Elle a voulu rompre avec l’attitude qui consiste à enseigner aux professionnels des connaissances sur les cultures étrangères, attitude dont elle a vu les limites. Ella a ainsi effectué un changement de perspective pour se consacrer aux difficultés vécues par ces professionnels dans les rencontres avec des personnes migrantes. Son but a été de les amener à décoder les situations, à changer de regard et d’attitudes. Pour cela, elle a cherché à identifier ce qui fait obstacle à la relation, partant du postulat qu’il y a deux acteurs en présence et que chacun est porteur d’une culture, posant ainsi les bases d’une démarche interculturelle.

Sa démarche se fonde sur l’approche des chocs culturels7, à partir de ce qu’elle nomme la méthode des incidents critiques: un incident peut sembler disproportionné par les répercussions qu’il induit chez l’autre. Le choc culturel est causé par des incompréhensions entre deux personnes qui ne partagent pas les même valeurs ni les mêmes cadres de références. Elle invite les professionnels, quand des situations interculturelles les ébranlent ou les choquent, à ne pas porter de jugement de valeurs, à émettre plusieurs hypothèses et à cerner les menaces qu’ils ressentent dans leur identité.

Si les valeurs des migrants et des minorités sont en contradiction avec celles de la société d’accueil, un processus de médiation/négociation doit permettre d’assurer la coexistence des individus dans le respect de chacun.

Elle identifie, à l’origine des chocs culturels, trois catégories d’obstacles à la communication qui agissent comme des filtres ou des écrans :

  • Les préjugés, stéréotypes, idées reçues concernant l’autre, étranger. Ce sont des processus normaux et universaux liés à la nature humaine qui tolère mal l’inconnu, source d’insécurité. Ils constituent cependant le terreau de la discrimination, avec transformation du groupe désigné en bouc émissaire.
  • L’ethnocentrisme : c’est tout interpréter selon son propre système de valeurs, ses propres modèles culturels, ses propres normes et valeurs. C’est l’incapacité de se représenter quelque chose, quelqu'un ou une attitude qui ne nous ressemble pas.
  • Les modèles professionnels qui se sont développés sur un substrat de connaissances scientifiques et une conception individualiste de la personne, dimension très importante de la modernité. Cette représentation de l’homme privilégie la primauté du sujet sur le lien social, valorise l’autonomie et la différenciation de la personne par rapport au collectif, à la famille, à la communauté. Mais ceci se heurte à une conception « holiste »8, « communautaire » de la personne, présente dans les sociétés dites traditionnelles, qui valorise l’appartenance et la fidélité au groupe (famille, clan, tribu, communauté nationale ou religieuse, etc.) et l’interdépendance de ses membres.

Face à un choc culturel, il importe d’identifier ces obstacles pour pouvoir les lever. Elle propose une méthode en trois temps, à partir des « incidents critiques » :

  • Se décentrer. Prendre du recul, par rapport à l’événement pour prendre conscience de son propre cadre de références et accéder à une certaine neutralité culturelle, ce qui ne veut pas dire nier son identité mais en prendre conscience.
  • Pénétrer dans le système de l’autre. Chercher à le connaître de l’intérieur, à comprendre ce que l’évènement peut signifier pour lui.
  • Négocier, au cas par cas, en recherchant ensemble à trouver un minimum d’accord, un compromis où chacun se voit respecté dans son identité, dans ses valeurs de base, tout en se rapprochant de l’autre. Ce rapprochement se fait des deux côtés alors qu‘habituellement il est uniquement attendu du côté des migrants.

5.2. La formation des professionnels de santé

Cette approche de la communication interculturelle conjuguée à des connaissances en anthropologie apporte une richesse aux professionnels, leur permettant d’aborder différemment les patients, les parents en crèche cou à l’école ou encore les familles de personnes âgées ou handicapées. Considérer que chacun ( y compris soi-même) est porteur de cultures différentes permet d’accompagner chacune de façon singulière.

Le temps de la formation aide prendre conscience que sa propre position de soignant n'est pas universelle mais imprégnée par notre culture occidentale, marquée par une médicalisation de l’existence dans laquelle les professionnels ont un rôle important dans les événements de la vie, comme en témoigne le temps de la périnatalité confié aux professionnels de la santé alors que c’était auparavant une «affaire de femmes».

Changer le regard sur l'Autre et sur soi-même, modifier les rôles en considérant qu’il y a deux partenaires en présence et non l'un qui sait et impose son savoir à un autre ignorant, considérer que les patients, les usagers, ont des savoirs qui vont se croiser avec ceux des professionnels, admettre que le fait de ne pas connaître et ne pas comprendre les logiques médicales ne signifie pas pour autant ne pas penser… Autant de remises en question qui enrichissent les professionnels, les obligeant à se décentrer et à prendre du recul, à respecter chacun comme ayant des pratiques, des savoirs, des croyances.

Ainsi peuvent se construire des pratiques nouvelles, originales, pleines de créativité. Leur validation par l’institution constitue, quand elle existe, une réelle reconnaissance de cette modification du savoir des professionnels.

Le temps de ce type de formation n’est pas un temps immédiat. Il va continuer à se développer au retour sur le lieu de travail, modifiant en profondeur la pratique. Les questionnements surgissent, nécessitant un approfondissement qui pourra être donné lors de sessions supplémentaires. C’est pourquoi il faut pouvoir proposer ce type de formation en trois temps : un module de base de trois jours suivi de deux modules d’approfondissement de deux jours à plusieurs mois d’intervalles. Ce temps va permettre une mise en application des concepts, un aller-retour entre pratique et théorie et une intégration progressive de la méthode de communication interculturelle. Il importe aussi d’ajouter la nécessité pour tout professionnel directement concerné par les un travail de relations interhumaines (soins, petite enfance, éducation, service social) d’arriver à distinguer ce qui est grave de ce qui ne l’est pas et de pouvoir bénéficier régulièrement de temps d’analyse des pratiques professionnelles.

6. Paroles de stagiaires

Après avoir été «déstabilisée» dans certaines de leurs certitudes, les stagiaires ayant suivi une formation à l’anthropologie et à la communication interculturelle se posent plus de questions, laissant la place à une pensée ouverte. Ils témoignent aussi d’une pratique plus respectueuse de l’autre, enrichissante, moins angoissante, apaisante et apaisée, d’une pratique qui permet de ne traiter en urgence que ce qui le nécessite vraiment, laissant au temps de la rencontre sa valeur essentielle dans le soin et le « prendre soin » de l’autre.

  • « Ce n'est pas une formation anodine. On en sort imprégné. Elle m’a permis de mettre des mots sur ce que je savais intuitivement. Comment se situer entre l'acceptation des différences, la conservation de l'identité culturelle de chacun et la nécessité d'intégration ? Je vais essayer de changer les pratiques, petit à petit. »
  • « Je ne porte pas de jugement sur les personnes; j’essaye d'être au plus près d'elles et me questionne quand je ne comprends pas: est-ce qu'il n'y a pas une explication due à la culture ? »
  • « J'ai compris que la couverture qui enveloppait un bébé en pleine canicule n'était pas de la négligence ou de l'ignorance mais une mesure de protection, selon une rationalité différente qui faisait sens pour la mère. Maintenant je discute avec les mères nous essayons de trouver un tissu plus léger ! »
  • « Parler des différentes façons de naître, dire qu’on sait que cela se passe différemment ailleurs, cela rassure les femmes de voir que l’on connaît des méthodes différentes autour de la naissance et de l’accouchement. »
  • « Cela permet de faire alliance avec les mères et les familles, cela rassure. »
  • « A une période de ma carrière professionnelle, je me suis demandée comment mes conseils de médecin de PMI pouvaient être perçus, interprétés, compris ou rejetés par les familles de cultures différentes de la mienne. Grâce à des situations cliniques, j'ai appris à utiliser la méthode de Margalit  Cohen-Emerique d'analyse des micro-chocs culturels. J'ai depuis appliqué cette technique d'analyse dans des situations complexes ; cela me permets de me décentrer, de ne plus être dans un modèle de celui qui détient le savoir mais dans une relation d'échange et de négociation entre ce qui est grave et ce qui ne l'est pas. »
  • « En consultation, je n'osais pas questionner sur le passé, que je pouvais imaginer douloureux, pour certaines familles, notamment migrantes... Le fameux terme médical "interrogatoire" qui me semblait inquisiteur. Depuis, je suis plus dans un échange : qu'est-ce que je vais pouvoir apporter à cette personne et qu'est-ce que cette personne va m’apporter c'est-à-dire tout ce que je ne sais pas sur elle, sa culture, son passé, son histoire, son pays...En lui expliquant que cela est important pour sa prise en charge et celle de sa famille, et contrairement à ce que j'avais pu imaginer, à ce jour, aucun père ou mère ne s'est opposé à me répondre. »
  • « J'ai été amenée à voir récemment une mère soudanaise, isolée, avec son bébé de un mois. Elle ne parle que l'arabe littéraire et dans le foyer où elle était hébergée depuis trois semaines, personne n'arrivait à communiquer avec elle. Suite à la formation, je me suis inquiétée de trouver un interprète pour qu'il puisse être présent lors de notre rencontre. Le sourie radieux de cette mère  quand ce monsieur s'est adressée à elle dans sa langue maternelle est un moment inoubliable. Depuis combien de temps n'avait-elle pas parlé à quelqu'un ? Une véritable relation de confiance s'est établie entre elle et notre service ; les échanges ont été très riches. »

7. Pour conclure

S’ouvrir à une pensée critique ne veut pas dire que les professionnels perdent leurs savoirs et leurs repères. Si l’approche interculturelle bouscule les deux protagonistes, « au risque de la rencontre », elle doit permettre de modifier les attitudes face à toute personne, chacune étant porteuse de sa propre culture, différente aux yeux des autres. Respectueuse des sujets, elle rassure, rend plus serein, aide à ne plus dire ou entendre: « cela ne sert à rien, elles ne comprennent rien, etc. » Dans certaines situations, il peut être nécessaire de trouver des «médiateurs» entre les professionnels et des personnes issues de cultures différentes. Il importe, pour cela, de connaître et d'utiliser les ressources existantes sur le terrain (notamment les associations mais aussi des personnes ressources avec lesquelles la confiance est établie) et de trouver localement qui pourra servir de «passeur». Cette position est tout aussi valable pour les personnes en grande précarité, dont la culture est si différente de celle des classes moyennes, comme le souligne l’association ATD Quart Monde.

Parions que s’ouvrir à la rencontre apporte une certaine sécurité intérieure aux professionnels, mais aussi aux personnes usagères des services, et entraîne une meilleure qualité de soins pour tous.

  1. ^ La biomédecine est la médecine occidentale
  2. ^ Godelier M. Les métamorphoses de la parenté. Paris. Fayard 2004
  3. ^ Cuche D., La notion de culture dans les sciences sociales, La Découverte, 2004
  4. ^ Laplantine F. L’anthropologie, Paris. Payot, 2001
  5. ^ Massé R., Culture et santé publique, Gaëtan Morin, Montréal, 1995
  6. ^ Cohen-Emerique M., Pour une approche interculturelle en travail social, Rennes, Presses de l’EHESP, 2011
  7. ^ Choc culturel : «réaction de dépaysement, de frustration, de rejet, de révolte et d’anxiété, en un mot une situation émotionnelle et intellectuelle qui apparaît chez les personnes qui, placées par occasion ou profession hors de leur contexte socioculturel, se trouvent engagées dans l’approche de l’étranger.» (M. Cohen-Emerique, 1980)
  8. ^ Selon cette conception, l’homme fait partie d’un tout ; le "holisme" d’une société s’oppose à « l’individualisme »

Auteur(s) :

CADART Marie-Laure

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