les 55 ans de la constitution de la 5ème republique

Modifié le 16 mai 2023

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Notions clés

La  Cinquième  République a 55 ans.  C’est long pour une République en France, car depuis 1789, seule la Troisième République a duré plus longtemps. (65 ans de 1875 -1940).

Mais au-delà de la durée, ce qui frappe c’est l’adaptabilité pour ne pas dire la souplesse de la Constitution du 4 octobre 1958. A cette époque, pour beaucoup, elle avait été élaborée sur mesure pour De Gaulle, or en 1969 quand il démissionnera, elle résistera. Elle avait déjà résisté aux évènements de mai 68, elle résistera à l’alternance en 1981, et aux cohabitations.

L’explication est sans doute à rechercher dans le fait qu’en réalité deux Constitutions se superposent ce qui conduit  au fonctionnement de deux Républiques différentes.

Sommaire

1  En réalité deux constitutions se superposent ...

A la Constitution formelle de 1958 se superpose en effet la Constitution informelle de 1962.

1.1  La constitution formelle : la Constitution de 1958

Elle est parlementaire, mais avec un correctif présidentiel

1.1.1  Une constitution parlementaire

1.1.1.1 Parlementaire par la volonté de ses pères

La loi constitutionnelle du 3 juin 1958 qui dessine le cadre dans lequel doit s’inscrire la nouvelle République prévoit un régime parlementaire. Parmi les cinq grands principes que la future Constitution doit respecter figure en effet celui selon lequel : « le Gouvernement doit être responsable devant le Parlement » ce qui correspond à la définition de ce régime.
Qui plus est, Michel Debré, l’un des pères de la Constitution est un fervent défenseur du régime parlementaire, mais d’un régime parlementaire rénové à l’image du régime parlementaire anglais, Quant aux ministres d’État, ils sont favorables à un régime parlementaire rationalisé. C’est notamment Guy Mollet et Pierre Pflimlin qui introduiront dans la Constitution une meilleure organisation des mécanismes de mise en jeu de la responsabilité du Gouvernement. Ainsi vont-ils rédiger l’article 49.3, qui instaure l’engagement de responsabilité du Gouvernement sur un texte de loi, de plus ils vont rendre plus difficile encore le dépôt d’une motion de censure en renversant le fardeau de la preuve.

1.1.1.2 Parlementaire par ses dispositions

La Constitution énonce les deux critères du régime parlementaire. L’article 20 précise en effet « [Le Gouvernement] est responsable devant le Parlement dans les conditions et suivant les procédures prévues aux articles 49 et 50 ». Quant à l’article 12, il rappelle que : « Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale ».

1.1.2 Une constitution parlementaire avec un correctif présidentiel

1.1.2.1 Un correctif voulu par le général De Gaulle

Dans son fameux discours de Bayeux prononcé en 1946, le général De Gaulle faisait le choix du régime parlementaire, mais, il réservait une place particulière au Président de la République:
« C'est donc du chef de l'État, placé au-dessus des partis… que doit procéder le pouvoir exécutif ». Arrivé au pouvoir et l’exerçant, il rappellera à plusieurs reprises sa conception, notamment en 1964 lors d’une conférence de presse : « …le Président, qui, suivant notre Constitution, est l'homme de la nation, mis en place par elle-même pour répondre de son destin…».

1.1.2.2 Un correctif présidentiel inscrit dans la constitution

L’article 5 de Constitution reconnait ce correctif présidentiel puisqu’il précise :
« Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État.
Il est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités»
Et d’ailleurs les pouvoirs propres du Président de la République donnent corps à ce statut

1.2  La Constitution informelle : la Constitution de 1962

Cette Constitution n’est pas un texte, mais un ensemble de faits qui concourent à créer ce que l’on appelle une convention de la Constitution, c’est-à-dire, en simplifiant quelque peu, une coutume constitutionnelle.

1.2.1 L’élection du Président au suffrage universel direct

L’élection du Président au suffrage universel direct sera présentée comme la «deuxième Constitution » de la Vème par le Doyen Vedel, c’est dire l’importance de ses conséquences.

1.2.1.1 Une nouvelle légitimité présidentielle

D’abord, en étant investi par le peuple, le chef de l’Etat, va bénéficier de l’onction du suffrage universel, sa légitimité en est bien sûr grandie et renforcée. Ce faisant, le Président de la République devient un représentant du peuple. Il met fin ainsi au monopole dont disposaient jusqu’alors les députés en ce domaine. Mais, si le Président est désormais élu par le peuple comme les députés, sa légitimité est plus grande encore. Cette légitimité accrue va permettre selon l’expression consacrée une nouvelle lecture de la Constitution. Désormais, la place du Président n’est plus tout à fait la même.

1.2.1.2 De nouveaux pouvoirs

L’onction populaire ne peut que conduire au développement des prérogatives présidentielles. C’est là un phénomène quasiment mécanique que l’on a pu vérifier au lendemain des élections présidentielles de 1988 et de 1995. François Mitterrand comme Jacques Chirac avaient annoncé avant leur élection qu’ils exerceraient une présidence plus modeste. Or il n’en a rien été dans un cas comme dans l’autre. Il semble même que ce soit le cas de François Hollande qui après avoir fait campagne sur le thème d’un Président « normal » évolue lentement vers un autre profil.
En réalité la nouvelle légitimité transforme les pouvoirs présidentiels, de nominaux qu’ils étaient deviennent des pouvoirs réels.

1.2.2 Le phénomène majoritaire

1.2.2.1 La consistance du phénomène

Ce que l’on appelle le phénomène majoritaire est en réalité un double phénomène.

> Le phénomène majoritaire à l’anglaise : une majorité parlementaire stable et disciplinée.
En Grande Bretagne, les élections législatives débouchent systématiquement sur l’existence à la Chambre des Communes d’une majorité stable et disciplinée. Ce phénomène méconnu en France sous les Troisième et Quatrième Républiques apparaitra finalement sous la Cinquième. Au lendemain de la mise en place des institutions, le système de partis de la Quatrième va être profondément transformé, dans ses éléments mais aussi dans son fonctionnement. Dans ces conditions seront créés de nouveaux partis destinés à soutenir le nouveau régime et se réclamant de son fondateur, le général De Gaulle. Ainsi, en 1958, l’UNR (Union pour la Nouvelle République) deviendra le noyau dur de la nouvelle majorité. Elle sera rejointe par les Républicains indépendants de Valéry Giscard d’Estaing. Lors des élections de 1962, ces deux formations disposeront de la majorité absolue à l’Assemble nationale. Qui plus est en 1968, le parti gaulliste (UDR) sera majoritaire à lui tout seul. Cette majorité se renforce en se stabilisant, qui plus est, elle est disciplinée tellement d’ailleurs que les députés gaullistes se définiront comme les « godillots du général ». A cette majorité « gaullienne » succèdera une majorité de gauche à partir de 1981 qui se stabilisera pendant cinq ans, puis à chaque élection une alternance interviendra, mais, ces majorités seront disciplinées. La Cinquième, a donc rompu avec l’instabilité de la Quatrième. Elle s’est rapprochée du modèle anglais. Mais le phénomène majoritaire connait en France une dimension supplémentaire.

>  Le phénomène majoritaire à la française : une majorité présidentielle conforme.
Depuis que le Président de la République est élu au suffrage universel direct il existe une majorité présidentielle. Il se trouve que le plus souvent cette majorité a été politiquement du même bord que la majorité parlementaire. Cette majorité présidentielle est certes assez différente dans sa consistance de la majorité parlementaire. En effet, elle n’a pas de réalité physique : ce ne sont pas des députés que l’on peut regrouper pour les encadrer, pour les discipliner. La majorité présidentielle consiste dans la confiance que le peuple exprime au Président de la République. Cette confiance est pour lui un soutien qui peut s’exprimer directement mais aussi indirectement.
Lors de l’élection du Président de la République au suffrage universel la majorité apparaît dans sa forme la plus directe. Si les français élisent un Président, c’est évidemment pour qu’il applique le programme politique qu’il a défendu pendant la campagne électorale. Mais cette majorité peut s’exprimer également à l’occasion d’un référendum.
Dans les quatre référendums organisés, par le général De Gaulle, le chef de l’Etat a toujours menacé de démissionner en cas de rejet du texte proposé. On peut y voir une question de confiance semblable à celle que pose un chef de Gouvernement pour faire passer un texte considéré comme fondamental. Simplement, comme c’est le Président de la République qui intervient ce n’est pas devant le Parlement, mais devant le peuple directement que la responsabilité est engagée.
Le phénomène majoritaire à la française c’est non seulement l’existence d’une majorité présidentielle, mais c’est aussi l'identité politique de cette majorité présidentielle et de la majorité parlementaire. C’est ce que l’on appelle aussi la « coïncidence des majorités » ou encore la « concordance des majorités ». Cette identité a d’abord été le fruit des circonstances. Les conditions dans lesquelles la Cinquième a été instaurée, ont évidemment favorisé cette conjonction. Passé les premiers temps, l’identité a été entretenue par la volonté des dirigeants, mais le couplage des majorités devenant de plus en plus incertain après les trois cohabitations, l’instauration du quinquennat complétée par l’inversion du calendrier électoral a permis en 2001 de rendre quasiment automatique la coïncidence des majorités.

1.2.2.2 Ses conséquences : l’hégémonie présidentielle

Elle se traduit par la domination du Gouvernement et du Parlement par le Président de la République.

> La domination du Gouvernement
Sous la Vème, le Gouvernement procède du Président de la République et celui-ci préside le Conseil des ministres, aussi peut-on parler d’un Gouvernement présidentiel au sens fonctionnel du terme. Si l’on en arrive à cette extrémité c’est parce que les pouvoirs du Gouvernement remontent vers le Président et que celui-ci exerce pleinement les pouvoirs partagés.

  • Le faux partage des pouvoirs

Le Président de la République exerce pleinement les pouvoirs dits partagés qui ne le sont plus effectivement.
Le contreseing qui est l’instrument principal de ce partage lui est en effet acquis d’avance. Traditionnel en régime parlementaire, le contreseing des actes présidentiel par le chef du Gouvernement permet à ce dernier d’exercer en réalité les pouvoirs que la Constitution reconnaît nominalement au Président de la République. Or, en raison de son élection au suffrage universel, les pouvoirs ne sont plus nominaux, mais réels. Le Président les exerce pleinement. Le contreseing lui est acquis d’avance, le contreseing est un dû : quel Premier ministre pourrait le lui refuser puisque politiquement parlant le chef du Gouvernement voit dans le Président de la République son chef ! Si le Premier ministre n’est pas d’accord, c’est à lui de céder et non l’inverse. C’est d’ailleurs ce que reconnaissait Jacques Chaban-Delmas : «que serait ce Premier ministre qui s'accrocherait à son poste, qui se dresserait contre le chef de l'Etat ? Ah ce serait un triste sire!».
De même la proposition préalable, autre technique de partage, sera sollicitée par le Président de la République et bien sûr obtenue devenant une simple formalité. Ainsi, le référendum de l’article 11 est-il décidé par le Président de la République seul, le décret l’instituant n’étant pas contresigné. Mais, c’est « sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées » que le Président prend sa décision. Or cette proposition de référendum a toujours été des plus formelles. Le général De Gaulle et Georges Pompidou, annonçaient aux français leurs intentions référendaires avant la proposition officielle du Gouvernement. Par cette pratique le Président « s’octroie… un pouvoir entier ».

  • L'absorption des pouvoirs

Les différents Présidents ont eu tendance à déterminer eux-mêmes la politique de la Nation, en contradiction avec l’article 20. Ils se sont ainsi substitués au Gouvernement dans ce qu’il faut bien appeler la fonction gouvernementale. François Mitterrand ne déclarait-il pas : « La politique de la France, je l’ai moi-même définie et (…) elle est conduite sous mon autorité ». Ils ne laissaient au Gouvernement que le soin de « conduire » cette politique, cantonnant l’hôte de Matignon à l’exercice de la seule fonction exécutive au sens strict du terme.

> La domination du Parlement

  • Sur le plan politique : le Président, chef de la majorité

Bien que formellement le Premier ministre soit le chef de la majorité parlementaire, celle-ci se reconnaît d’abord et surtout dans le Président de la République. Le Premier ministre n’est que le chef tactique. C’est lui qui sur le « terrain », à l’Assemblée nationale ou au Sénat conduit cette majorité.

  • Sur le plan technique : le Président-législateur

Cette expression venue des États-Unis souligne le rôle important pour ne pas dire fondamental du Président dans le domaine législatif dans lequel en principe il ne peut pas intervenir à l’exception bien sûr de la promulgation des lois qui est obligatoire pour lui.
Ne disposant pas du droit d’initiative, plusieurs projets de lois ont cependant été sinon rédigés par le Président mais voulus par lui.

2.…Ce qui conduit au fonctionnement de deux républiques différentes

L’une est présidentialiste, l’autre parlementaire.

2.1 La Cinquième, présidentialiste

Selon Jean Gicquel, « Le présidentialisme s’identifie à un circuit décisionnel fermé, au sein duquel tout procède et revient au Président de la République, conformément à l’unité du pouvoir d’Etat ».
Tout cela n’étant possible que parce qu’il existe une majorité.

2.1.1 Le présidentialisme triomphant

Ce triomphe s’affirmera de différentes manières

2.1.1.1 De Gaulle ou le présidentialisme populaire

A partir de 1962, le régime se présidentialise de plus en plus, dans la mesure où le phénomène majoritaire nait vraiment cette année-là. Le Président disposant d’une majorité dans le pays et à l’Assemblée nationale est au faîte de sa puissance. Le présidentialisme du général de Gaulle peut être qualifié de populaire, car c’est d’abord en raison du soutien que le peuple apporte au Président de la République que le système fonctionne, il se traduit aussi par l’effacement concomitant des autres pouvoirs.

> Le fort soutien populaire
Depuis la Libération, le général de Gaulle disposait d’un fort soutien populaire sur lequel le chef de l’Etat s’appuiera, ce qui donnera un caractère plébiscitaire au régime que prolongera l’instauration de l’élection présidentielle au suffrage universel direct.

  • Le caractère plébiscitaire

Le général De Gaulle ne pouvait mener à bien sa politique algérienne d’autodétermination, qu’avec le soutien du peuple. C’est pourquoi il organisera un premier référendum le 8 janvier 1961 pour faire approuver cette orientation et recommencera le 8 avril 1962 pour faire approuver cette fois le résultat de cette politique : les accords d'Evian. A cette époque le référendum fonctionne donc comme un substitut de l’élection présidentielle. Deux autres référendums suivront en 1962 et plus tard en 1969.
Le général de Gaulle a également utilisé la dissolution pour provoquer l’expression du soutien populaire en 1962 et en 1968. A chaque fois, il s’agit pour le Président de s’appuyer sur le peuple.

  • L’instauration de l’élection au suffrage universel direct

C’est la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 adoptée le 28 octobre 1962 par le peuple français qui instaure l'élection du Président de la République au suffrage universel direct. Ce mode d’élection va définitivement donner au Président sa nouvelle stature.
Puisqu’il est désormais investi par le peuple, le chef de l’Etat, bénéficie de l’onction du suffrage universel, sa légitimité en est bien sûr grandie et renforcée. Ce faisant, le Président de la République devient un représentant du peuple. Il met fin ainsi au monopole dont disposaient jusqu’alors les députés en ce domaine. Mais, si le Président est élu par le peuple comme les députés, sa légitimité est plus grande encore car, ainsi que le faisait remarquer Valéry Giscard d’Estaing, sa circonscription c’est la France entière.

> L’effacement des autres pouvoirs
C’est non seulement le Gouvernement qui s’efface, mais aussi le Parlement.

  • L’effacement du Gouvernement

Pour le général De Gaulle les choses sont claires. Il a d’ailleurs dit précisément qu’elle était sa conception du rôle du Gouvernement et du Président dans une célèbre conférence de presse.
« Il est normal chez nous que le Président de la République et le Premier ministre ne soient pas un seul et même homme. Certes, on ne saurait accepter qu'une dyarchie existât au sommet. Mais, justement, il n'en est rien. …
Le Président est évidemment seul à détenir et à déléguer l'autorité de l'Etat. Mais, précisément, la nature, l'étendue, la durée de sa tâche impliquent qu'il ne soit pas absorbé, sans relâche et sans limite, par la conjoncture politique, parlementaire, économique et administrative. Au contraire, c'est là le lot, aussi complexe et méritoire qu'essentiel, du Premier ministre français ».
Les différents gouvernements du général De Gaulle appliqueront à la lettre cette conception.
Ainsi, Michel Debré mettra-t-il en œuvre la politique algérienne du chef de l’Etat sans protester, alors même qu’il y est opposé.
L’effacement du Gouvernement se traduira également par le choix du Premier ministre. Georges Pompidou, nommé en 1962, n’est pas un parlementaire, il n’est donc pas élu. Il est simplement et seulement le directeur de cabinet du général De Gaulle. Ce sera également le cas de Maurice Couve de Murville qui, éphémère Premier ministre en 1968 n’exercera un mandat parlementaire qu’après son passage à Matignon. Ce qui est vrai pour les Premiers ministres l’est aussi pour certains ministres qui sont nommés sans avoir exercé auparavant un mandat parlementaire. Le Gouvernement est de la sorte délégitimé.
Cet abaissement du Gouvernement se traduit aussi par le rôle de plus en plus important du Secrétariat général de l’Elysée. Etienne Burin des Roziers et Bernard Tricot à la tête de cette institution, joueront en effet un rôle certes moins visible que celui du Premier ministre, mais néanmoins tout aussi important.

  • L’effacement du Parlement

Le Parlement joue un rôle de plus en plus effacé. Certes la Constitution a limité les pouvoirs des assemblées, mais l’assujettissement de celles-ci résulte plus d’une situation politique nouvelle.
Ainsi en 1962 après les élections législatives on se retrouve dans une situation de « Chambre introuvable ». Pour la première fois depuis bien longtemps, il existe à l’Assemblée nationale une majorité stable et solide. En 1968, l’UDR, nouvelle appellation du parti gaulliste dispose de la majorité absolue à elle toute seule, ce qui ne s’était jamais vu.
Qui plus est, ces députés gaullistes sont disciplinés et dévoués. Alexandre Sanguinetti, Secrétaire général de l’UNR ne déclare-t- il pas « Nous, à l'UNR, nous sommes les godillots du Général »
Quant au Président de l’Assemblée, Jacques Chaban-Delmas il ne défendra pas systématiquement les droits de l’Assemblée, notamment quand il interprétera les prérogatives du Parlement en période d’application de l’article 16.

2.1.1.2 Pompidou ou le présidentialisme technique

Georges Pompidou se veut le continuateur du général De Gaulle, mais il a une vision quelque peu différente de l’exercice du pouvoir. Sa pratique se coule dans celle du général pour ce qui est de la neutralisation des autres pouvoirs, mais il se fait une idée plus technique et moins populaire du soutien présidentiel.

> Les nouvelles formes du soutien présidentiel
Pour Georges Pompidou le soutien accordé par le peuple au Président passe uniquement par l’élection. Le référendum qui avait pu sous De Gaulle jouer ce rôle et devenir un substitut à l’élection directe, n’est plus entre les mains du Président qu’un instrument, qui à la limite se transforme en outil politicien.
Ainsi, Georges Pompidou organisera-t-il un référendum le 23 avril 1972 relatif à l’élargissement de la CEE. Il s’agissait certes de se prononcer sur cette question importante qu’était l’entrée du Royaume Uni dans la CEE, mais il s’agissait aussi d’embarrasser l’opposition. Le parti socialiste et le parti communiste venait en effet de rédiger leur programme commun de gouvernement. Mais les négociations préalables avaient mis en lumière le désaccord des deux formations sur la question européenne. En organisant un tel référendum, le Président de la République mettait l’opposition dans l’embarra. Il voulait montrer combien l’accord politique qui venait d’être signé était factice.
Les communistes ayant décidé de voter « NON» ont mis les socialistes dans une situation délicate, puisque que, favorables au « OUI », ils ne pouvaient explicitement se ranger dans le camp de la majorité et souligner ainsi leur désaccord avec leurs alliés. C’est pourquoi, le parti socialiste recommandera l’abstention ou le vote nul. Dans ces conditions, ce référendum fut un demi succès ou un demi échec puisque, certes le « OUI » l’emportera avec 68,31 % des exprimés, mais comme l’abstention avait atteint 39,76 %, et les nuls 7 %, le « OUI » ne représentait que 36,37 % des inscrits.
Dans ces conditions, le référendum disparaîtra de la pratique politique jusqu’en 1988. De plus, Georges Pompidou n’avait pas, contrairement au général De Gaulle engagé sa responsabilité à l’occasion du référendum.
Ainsi, le présidentialisme change de nature. De populaire il devient purement technique, mais il demeure un présidentialisme puisque les autres pouvoirs continuent de la même manière à être neutralisés.

> La neutralisation des autres pouvoirs

  • L’effacement du Gouvernement

Au lendemain de son élection Georges Pompidou nomme Jacques Chaban-Delmas, Premier ministre. Celui-ci annoncera dans son discours de politique générale la mise en place d’une « Nouvelle société ». Cette politique ne plait guère au Président de la République qui supporte encore moins la trop grande autonomie de son Premier ministre. Celui-ci se croit à l’abri d’une réaction du Président de la République en engageant le 24 mai 1972, la responsabilité de son Gouvernement et en obtenant la confiance de l’Assemblée nationale. Mais le 5 juillet suivant le Président de la République accepte la démission du Gouvernement. Avec la nomination de Pierre Messmer, le chef de l’Etat dispose à Matignon d’un homme-lige. Le Gouvernement est désormais neutralisé, mais à quel prix ! Selon Michel Jobert, Secrétaire général de l’Élysée « une symbiose parfois gênante succède à une dyarchie parfois humiliante ».
La reprise en main du Gouvernement se traduira également par la nomination comme ministre d’un certain nombre de signataires du manifeste de juillet 1971 (hostile à Chaban-Delmas) : Jean Charbonnel, Jean Foyer, Hubert Germain. De plus Jacques Chirac un pompidolien de toujours et Edgard Faure qui symbolise l’ouverture vers le centre et « sans qui l’ouverture ne serait qu’une fermeture sans éclair » selon ses propres mots, seront également nommés.

  • Le lien majorité présidentielle/parlementaire

La prééminence de Président de la République sur le Parlement dépend de la force du lien entre le chef de l’Etat et la majorité parlementaire. Le 23 septembre 1971, lors d’une conférence de presse Georges Pompidou avait souligné qu’il n’y avait « pas toujours forcément, accord ou parallélisme entre la majorité présidentielle et la majorité législative ». Il faut dire que depuis 1971 et notamment depuis les assises de Strasbourg de l’UDR, l’influence de Jacques-Chaban sur le parti s’était confortée. N’affirmait-t-il pas « Comme mes prédécesseurs, j’aurais donc à être à la fois le chef de la majorité et le leader de l’UDR ». Il est par conséquent nécessaire pour le Président de la République de maîtriser le parti majoritaire. C’est pourquoi, en septembre 1972 tout sera fait pour nommer Alain Peyrefitte à la tête de l’UDR en écartant André Fanton, jugé trop proche de Michel Debré et Alexandre Sanguinetti jugé trop peu fiable.
Dans ces conditions, la discipline à l’intérieur du parti va être rétablie et renforcée pour appréhender de la meilleure manière les élections législatives de mars 1973.

2.1.1.3 Mitterrand I ou le présidentialisme paradoxal

Durant les cinq premières années de son premier septennat, François Mitterrand va exercer le pouvoir sur un mode présidentialiste affirmé et accentué, alors même qu’il avait condamné avec force l’exercice du pouvoir par le Général de Gaulle parlant même d’un « coup d’Etat permanent ».

> Le soutien conserve ses formes classiques
Le soutien populaire s’exprimant à travers l’élection présidentielle n’est pourtant pas considérable puisqu’au premier tour avec 25,9 % des suffrages exprimés il est à l’époque le Président le moins bien élu, par la suite seul Jacques Chirac fera moins bien que lui. Mais au deuxième tour, la situation s’améliore quelque peu, puisque avec 51,8 % il fait mieux que son prédécesseur sans toutefois atteindre les résultats du général De Gaulle et encore moins de Georges Pompidou.
Sa cote de popularité forte au début (75 %) ne cessera de décroitre jusqu’en 1983 où elle passera sous les 50 % et se stabilisera autour de 40 %.

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Source : Baromètre TNS Sofres / Figaro-Magazine

Quant au soutien parlementaire il est relativement important puisque lors des élections législatives qui suivent l’élection présidentielle, le parti socialiste sort grand vainqueur. Il obtient, en effet, 285 sièges à lui tout seul alors que la majorité absolue est de 246. Seule l’UDR en 1968 disposait à elle seule de la majorité absolue à l’Assemblée avec 293 députés.
Le soutien parlementaire est d’autant plus fort que la majorité parlementaire est composée non seulement des socialistes mais aussi des communistes qui disposent de 44 sièges. Ainsi, la majorité parlementaire compte-t-elle en tout 329 députés sur les 491 qui composent l’Assemblée nationale.
Le Président de la République est d’autant plus fort que le lien entre les deux majorités est fort. L’ascendant de François Mitterrand sur le parti socialiste est encore très important, c’est lui en effet qui au congrès d’Epinay a conquis le parti et lui a donné la possibilité d’arriver au pouvoir. Les députés lui en sont reconnaissants. Qui plus est, il a fait élire à la tête du groupe parlementaire l’un de ses plus fidèles lieutenants, Pierre Joxe qui est un homme à poigne, capable de discipliner ses troupes et de les conduire. C’est d’ailleurs ce qu’il reconnaissait en ces termes :
« On m’a souvent demandé pourquoi Mitterrand n’avait pas cherché à modifier les institutions et en particulier en ce qui concerne le Parlement.
« Je pense qu’à cet égard, il n’en éprouvait pas le besoin car il a disposé, lorsqu’il avait la majorité, d’un groupe socialiste important, solidaire et discipliné. Certes, les choses étaient beaucoup plus faciles entre 1981 et 1986, où nous avions la majorité absolue, qu’entre 1988 et 1993 où la marge était très étroite... Pendant ces deux législatures, à part quelques cas marginaux, il y avait une grande entente et même une certaine complicité entre Mitterrand et le groupe dont il était issu après en avoir été l’actif rénovateur. »

> L’autorité présidentielle n’a jamais été aussi forte
Dans ces conditions, François Mitterrand dispose de pouvoirs étendus. Il va endosser le costume de Président de la République avec une aisance et une majesté qui étonnera en raison des critiques acerbes qu’il avait exprimées pendant toute la période où il se trouvait dans l’opposition.
Assimilant les règles de fonctionnement de la Cinquième, il s’adressera au Parlement en ces termes dès le 8 juillet 1981 :
« J’ai dit à plusieurs reprises que mes engagements constituaient la charte de l’action gouvernementale. J’ajouterais, puisque le suffrage universel s’est prononcé une deuxième fois qu’ils sont devenus la charte de votre action législative »
Il ira même jusqu’à dire :
« C’est à moi de décider ce qu’il convient de décider » ou encore : « La politique de la France, je l’ai moi-même définie et (…) elle est conduite sous mon autorité »

2.1.1.4 Sarkozy ou l’hyper présidentialisme

L'élection de Nicolas Sarkozy à la tête de l'État et sa manière active et volontariste d'exercer ses fonctions ont fait parler d’ « hyper présidence ». Il est vrai que le quinquennat et l'inversion du calendrier électoral ont produit les conséquences que l'on attendait à savoir le renforcement de la position présidentielle. Le Président était traditionnellement présenté comme un arbitre doublé d'un capitaine, du fait de la réduction du mandat à 5 ans, en 2000 on peut, sur un mode quelque peu ironique, avancer qu'il est l'arbitre et le général.
En soi, le phénomène de la présidentialisation n'est pas nouveau, il a simplement été occulté depuis 1986 en raison de la succession des trois cohabitations dont une de 5 ans, mais aussi de la période de majorité relative (1988-1992) et enfin en raison du relatif effacement de Jacques Chirac durant son quinquennat, dû à son élection par 80 % des électeurs, donc sans mandat véritable. L’hyper présidentialisation est bien dans le prolongement de ce qu'était la Cinquième à ses débuts.
Elle est due à un fort soutien du Président de la République, mais paradoxalement une révision de la Constitution renforcera le Parlement et les prérogatives des citoyens.

> Le soutien du Président de la République
Sur le plan quantitatif le soutien est important puisque au premier tour (31,18 %) il est en cinquième position derrière Charles De Gaulle, Georges Pompidou, François Mitterrand II et Giscard d’Estaing. Au second tour avec (53,06 %), il est également en cinquième position, mais, derrière Jacques Chirac II, Georges Pompidou, Charles De Gaulle, François Mitterrand II.
 

1er tour% exprimés2ème tour% exprimés
DE GAULLE (1965)44,6 %CHIRAC (2002)82,21 %
POMPIDOU (1969)44,5 %POMPIDOU (1969)58,2 %
MITTERRAND (1988)34,1 %DE GAULLE (1965)55,2 %
GISCARD D’ESTAING (1974)32,6 %MITTERRAND (1988)54,0 %
SARKOZY (2007)31,18%SARKOZY (2007)53,06%
HOLLANDE (2012)28,63%CHIRAC (1995)52,6 %
MITTERRAND (1981)25,9 %MITTERRAND (1981)51,8 %
CHIRAC (1995)20,8 %HOLLANDE (2012)51,64%
CHIRAC (2002)19,88 %GISCARD D’ESTAING (1974)50,8 %

Il est vrai que sa popularité va très vite décroitre comme le montre ce tableau :

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Source: Baromètre TNS Sofres / Figaro-Magazine

Quant à son soutien parlementaire il est particulièrement fort. Son parti l’UMP dispose largement de la majorité absolue sans compter l’apport du nouveau centre.
Le lien entre les majorités présidentielle et parlementaire est renforcé par la concomitance des élections (Présidentielles: 22 avril et 6 mai ; Législatives : 10 et 17 juin 2007). Avec l'inversion du calendrier électoral, l'élection présidentielle est devenue celle qui incontestablement attribue le pouvoir et qui l'attribue évidemment au Président, ce qui a pour effet de diminuer l'importance des élections législatives puisque celles-ci ne servent qu'à donner au Président les moyens parlementaires de son action. La prééminence présidentielle est ainsi sinon consacrée, du moins renforcée.

Le lien entre les majorités présidentielle et parlementaire est également renforcé par la pratique présidentielle qui reçoit régulièrement à l’Élysée les États-majors de l’UMP, mais aussi ce qui est une première sous la Cinquième, tous les députés et tous les sénateurs de son parti.
Fort de ces soutiens, le Président de la République occupera systématiquement l’espace médiatique et imposera son agenda politique, c’est pourquoi, plutôt que d’hyper présidence il faudrait parler d’hyper présence. Mais au lieu de renforcer son audience, cette présence exacerbée s’est traduite par un rejet de plus en plus fort, comme en témoigne la courbe de sa cote de popularité.

> La tentative de rééquilibrage des pouvoirs
La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a introduit ou modifié 47 articles de la Constitution. Il s’agit d’une révision parmi les plus importantes de toute la Cinquième, même si ses résultats concrets sont loin d’être à la hauteur des espérances de certains.

  • Une refonte importante de la constitution

La présidence de la République est mieux contrôlée du fait de la limitation du nombre de mandats à deux et par l'instauration d'un nouveau droit de message devant le Congrès.
Quant au Parlement il est renforcé d’abord à travers sa fonction législative puisque l'Assemblée nationale et le Sénat déterminent désormais la moitié de l’ordre du jour. Quant à l'examen des textes par les parlementaires il se fait sur le texte de la commission et non plus sur le texte du Gouvernement. Enfin le recours à l’article 49.3 est limité.
Pour ce qui est de la fonction de contrôle, elle est également renforcée du fait de l’intervention des parlementaires dans les nominations à un certain nombre de poste de la haute administration, ou encore en matière d’intervention militaire où l’avis demandé est suivi de la possibilité de veto au bout de quatre mois.
Les citoyens n’ont pas été oubliés, leurs droits sont mieux garantis par la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) et par la création du Défenseur des droits.
En outre, ils peuvent mieux participer au fonctionnement de l'Etat à travers le référendum d'initiative minoritaire et la possibilité de saisir plusieurs institutions: le Défenseur des droits, le Conseil économique, social et environnemental ainsi que le Conseil supérieur de la magistrature.

  • Des résultats ambivalents

Le Président reste certes omniprésent. Le Parlement est dopé, mais guère renforcé dans la réalité. Certes, la rationalisation a presque disparu, ce qui a eu pour effet de renforcer la combativité des parlementaires, mais le phénomène majoritaire subsiste et donc le Président de la République et le Gouvernement conservent leur ascendant politique sur les parlementaires de la majorité. Si le Parlement reste tributaire du phénomène majoritaire, c’est parce qu’il est d’ordre politique et non pas juridique. Ce phénomène est donc hors de portée de toute révision constitutionnelle.
Sans doute, ce sont les citoyens qui sont les plus grands bénéficiaires de la réforme avec notamment la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel par le biais de la QPC. Ainsi, ont-ils la possibilité de faire respecter leurs droits fondamentaux.

2.1.2 Le présidentialisme contesté

Lorsque le phénomène majoritaire s’atténue ou lorsque le Président de la République s’efface délibérément, le présidentialisme ainsi contesté, s’affaiblit. Cette situation s’est présentée à plusieurs reprises.

2.1.2.1 Giscard d’Estaing ou le présidentialisme tempéré

Durant les deux premières années de son septennat, Valéry Giscard d’Estaing a exercé un pouvoir sans partage. Son modèle était incontestablement celui du présidentialisme triomphant. Mais, après le départ de son Premier ministre, Jacques Chirac, le rapport de force politique change, ses soutiens ne sont pas suffisants et il doit en tenir compte. On se dirigera alors vers un présidentialisme tempéré, par notamment, le développement de contre-pouvoirs.

> L’affaiblissement des soutiens
Giscard d’Estaing est le Président de la République le plus mal élu au second tour puisqu’il ne rassemble que 50,8 % des suffrages exprimés. Il l’emporte avec seulement 424 599 voix d’avance sur son adversaire, François Mitterrand.
Cependant le Président bénéficiera tout au long de son septennat d’une confiance non négligeable puisqu’elle se situait autour de 55% sauf durant les derniers mois du mandat.

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Source: Baromètre TNS Sofres / Figaro-Magazine

Quant à la majorité parlementaire, elle est tout juste suffisante, qui plus est, elle n’est pas véritablement et totalement acquise au Président. Il s’agit de la majorité élue en 1973 dans laquelle l’UDR est majoritaire (183 députés), le parti du Président de la République, les Républicains indépendants, ne dispose que de 55 sièges. Il peut également compter sur les centristes, mais qui ne lui sont pas tous acquis.
Tant que Jacques Chirac sera Premier ministre, le Président sera soutenu par la majorité et le présidentialisme s’accentuera. La démission de Jacques Chirac, le 25 août 1976 allait entraîner une situation inédite : celle d’une majorité parlementaire fracturée. Le nouveau Gouvernement conduit par Raymond Barre devra en effet affronter une véritable guérilla parlementaire, le groupe RPR de Jacques Chirac ne le soutenant plus sur un certain nombre de textes.
« Est-il normal que la majorité de la majorité parlementaire veuille imposer sa loi au Premier ministre qui a la confiance du chef de l’État ? » se demandait Jacques Chapsal. Cette question montre à quel point la rupture de la majorité entraîne une remise en cause de la prééminence présidentielle.
Le Gouvernement doit alors recourir aux armes du parlementarisme rationalisé. Mais le Président de la République est quelque peu affaibli.
La rupture entre les députés et le Président de la République n’était pas totale, le RPR n’était pas prêt à franchir le Rubicon politique que représente le vote d’une motion de censure, aussi le Premier ministre saura en tirer parti. Il aura recours à l’article 49.3 qu’il utilisera «en cascade ». Avec un Premier ministre aux avant-postes et servant de bouclier, le Chef de l’État a pu sauver en partie les apparences d’un présidentialisme qui n’était plus tout à fait majoritaire. Une situation assez proche se présentera quelques années plus tard.

> Le développement des contre-pouvoirs : la société libérale avancée
Le Président de la République prônait la mise en place d’une société libérale avancée. Elle sera mise en place progressivement d’abord grâce à une réforme constitutionnelle ensuite par quelques lois ordinaires
En 1974, la loi constitutionnelle n° 74-904 du 29 octobre a modifié l’article 61.2 de la Constitution. Désormais outre le Président de la République, le Premier ministre et les présidents des deux assemblées parlementaires, 60 députés ou 60 sénateurs peuvent saisir le Conseil constitutionnel en vue de vérifier la constitutionnalité d’une loi ordinaire. Cette réforme qui, de prime abord a l’air technique et secondaire est loin de l’être. En effet, elle permet à l’opposition de saisir le Conseil. De manière générale, c’est l’opposition, quelle qu’elle soit, qui a intérêt à faire annuler une loi qu’elle a combattue. C’est la raison pour laquelle jusqu’en 1974, la plupart des saisines avait été le fait du Président du Sénat qui, centriste, était le seul parmi les autorités de saisine à être dans l’opposition. Or, en 1974, après l’élection de Valéry Giscard d’Estaing, les centristes rejoignent la majorité présidentielle et par conséquent, la saisine du Conseil constitutionnel risque de devenir rare pour ne pas dire exceptionnelle.
Pour que la décision fondatrice « liberté d’association » du 16 juillet de 1971 puisse porter ses fruits, il fallait mettre en place cette saisine de l’opposition comme on l’a fort justement appelée. Sans cette réforme, le bloc de la constitutionnalité n’aurait pas pu se développer, le Conseil constitutionnel ne serait pas devenu le protecteur des libertés publiques ou si peu.
Plusieurs lois ordinaires vont apporter à la société française un vent de réformes. Ce sera le cas notamment, de la loi du 5 juillet 1974 qui abaisse à 18 ans l’âge de la majorité, de la loi du 7 août 1974 qui fait éclater l’ORTF, de la loi du 17 janvier 1975 dite loi Veil, sur l’interruption de grossesse et quelques autres encore.

2.1.2.2 Mitterrand II ou le présidentialisme relatif

De 1988 à 1993 la majorité parlementaire pour la première fois, n’est plus absolue mais relative. Cette nouvelle situation va entrainer la relativisation du Président, mais celui-ci tentera avec un certain succès de rétablir sa position.

> La relativisation du Président
Réélu en 1988, François Mitterrand ne disposait pas à l’Assemblée Nationale de la majorité, aussi utilisera-t-il à nouveau la dissolution, mais le parti socialiste qui seul le soutenait vraiment n’obtiendra que la majorité relative au Palais Bourbon (275 sièges). Une figure nouvelle de la Ve allait se mettre en place : celle d’une «présidence relative »
Une fois de plus le Président de la République ne disposant pas pleinement du soutien parlementaire devra s’effacer quelque peu et mettre en première ligne le Premier ministre. A lui reviendra la tâche de réunir une majorité pour faire passer ses projets de loi. Que ce soit en douceur, en convainquant certains députés de voter pour le texte ou au moins de s’abstenir. Que ce soit de manière plus brutale en recourant à l’article 49.3.
Dans ces situations d’incertitude majoritaire que l’on avait déjà connu sous Valéry Giscard d’Estaing le recours aux instruments du parlementarisme rationalisé redevient la règle.

> Le retour à une situation plus conforme
Si selon le mot de Jean Gicquel la présidence fut en retrait, elle ne cessa pas d’être active. François Mitterrand su en effet tirer parti de toutes les situations. En particulier, il fut servi par la Guerre du Golfe qui lui permit de jouer un rôle de premier plan, de même que par la question de la ratification du Traité de Maastricht. Se concentrant sur le domaine éminent, mais ne délaissant pas complètement les questions sociales, le chef de l’Etat laissait au Premier ministre le soin d’assumer «son devoir de grisaille ».
La guerre concentre toujours le pouvoir. Ce faisant, elle confirme qui le détient au niveau suprême. Le 17 janvier 1990, François Mitterrand donne à la Division Daguet l'ordre d'intervenir contre l'Irak, au sein de la coalition alliée; le 24 février, celui de passer à l'action terrestre; le 28 celui de suspendre les opérations.
Du 16 janvier au 3 mars, le chef de l’Etat intervient à la télévision à six reprises, sous forme d'allocution et par des entretiens avec des journalistes entre temps. Le Président décide, mais il ne pense ni n'agit seul.
Pour François Mitterrand, l’Europe est une question fondamentale aussi s’engagera-t-il à fond dans la bataille du Traité de Maastricht et ce malgré son état de santé chancelant.
La ratification du Traité de Maastricht impliquait la révision de la Constitution qui se fera par voie parlementaire (art 89), mais la ratification proprement dite se fera par voie référendaire (art 11). C’est le choix que fera le Président. Le 20 septembre 1992 le « OUI » l’emportera avec 51 % des suffrages exprimés.
Et la conduite de la guerre et le recours au référendum permirent au chef de l’Etat de renforcer sa position malgré la faiblesse de son soutien parlementaire.

2.1.2.3 Chirac ou le présidentialisme rééquilibré

> Un Président en retrait
Pendant ses deux mandats, Jacques Chirac sera le plus souvent en retrait. Cela s’explique essentiellement par la faiblesse de son soutien.
Ainsi, il est le président qui a obtenu les plus mauvais résultats au premier tour de l’élection présidentielle. Mais au deuxième tour, il est dans le bas du tableau en 1995. Quant à l’élection de 2002, elle est tout à fait paradoxale, puisque avec le plus mauvais score au premier tour, Jacques Chirac obtient le meilleur au second tour, 82,21 %. Ce qui pourrait passer pour une situation avantageuse ne l’est pas en réalité. D’abord parce qu’il ne s’agit pas d’un vote d’adhésion, mais de rejet de son adversaire, Jean–Marie Le Pen. Ensuite, et c’est lié, l’image du Président élu s’est brouillée. Représentant d’une certaine politique qu’il a présenté aux français, il est aussi et seulement pour d’autres le garant de la République. De ce fait, la position du Président s’est fragilisée.

 

1er tour% exprimés2ème tour% exprimés
DE GAULLE (1965)44,6 %CHIRAC (2002)82,21 %
POMPIDOU (1969)44,5 %POMPIDOU (1969)58,2 %
MITTERRAND (1988)34,1 %DE GAULLE (1965)55,2 %
GISCARD D’ESTAING (1974)32,6 %MITTERRAND (1988)54,0 %
SARKOZY (2007)31,18%SARKOZY (2007)53,06%
HOLLANDE (2012)28,63%CHIRAC (1995)52,6 %
MITTERRAND (1981)25,9 %MITTERRAND (1981)51,8 %
CHIRAC (1995)20,8 %HOLLANDE (2012)51,64%
CHIRAC (2002)19,88 %    GISCARD D’ESTAING (1974)50,8 %

Quant à la majorité parlementaire lors du premier mandat, elle disparaîtra en 1997 avec la dissolution manquée. Pendant le second mandat, le grand parti unique de la droite (UMP) voulu et créé par le président lui échappera puisque Nicolas Sarkozy qui s’affirme de plus en plus comme le concurrent du chef de l’Etat réussira son OPA sur l’UMP.
Cet affaiblissement du soutien s’amplifie avec deux graves échecs présidentiels. C’est d’abord, celui de la dissolution du 21 avril 1997. Espérant renforcer sa majorité législative et du même coup son soutien, le président va commettre, une grave erreur, puisqu’il perd les élections. Aucun président n’avait jusque-là été dans cette situation. La sanction sera la cohabitation et du même coup sa mise sur la touche.
La deuxième grave erreur sera le référendum du 29 mai 2005 relatif à la ratification du Traité constitutionnel. Le « NON » l’emportera avec 54,6% des suffrages exprimés. En ce domaine il y avait un précédent, celui du général De Gaulle en 1969. Mais le fondateur de la Cinquième, à la suite de cet échec avait démissionné. Or Jacques Chirac, lui, restera en place. Bien sûr son autorité s’en ressentira et un rééquilibrage des pouvoirs s’opérera.

> Un rééquilibrage des pouvoirs
Il est d’abord voulu et institutionnel. Il se fait au profit de Parlement par la loi constitutionnelle du 4 août 1995. Celle-ci instaure la session unique de 9 mois et la « niche parlementaire » qui permet aux parlementaires de disposer d’une séance par mois dont il fixe l'ordre du jour. Bien sûr, ces réformes ne vont pas très loin, l’équilibre général des institutions n’est pas fondamentalement remis en cause, mais c’est un signe d’ouverture vers le Parlement.
L’autre rééquilibrage est imposé et se situe sur le plan politique. Il profite d’abord au Premier ministre. Puisque le président est en retrait, c’est le Chef du Gouvernement qui en profite. Ainsi, Alain Juppé pendant le premier mandat sera encensé par le Président de la République qui verra en lui le « meilleur d’entre nous tous », mais c’est surtout Dominique de Villepin qui jouera un rôle de premier plan. Secrétaire général de l’Élysée, c’est lui qui s’est imposée au Président comme Premier ministre. De Matignon, c’est lui qui constamment était au premier plan et servait comme Alain Juppé de paravent et de bouclier au Président de la République.
Ce déséquilibre se fera également au profit de la rue. Ainsi, la volonté du Premier ministre d’instaurer le « contrat première embauche » (CPE) provoquera un rejet se traduisant par de nombreuses manifestations. La loi sera néanmoins promulguée, mais son exécution sera reportée, en réalité supprimée. Enfin, en novembre 2005 des émeutes dans plusieurs banlieues éclateront pendant plusieurs nuits mettant ainsi en lumière la faiblesse du pouvoir.

2.1.2.4 Hollande ou la présidence normale

Il est difficile de se prononcer sur la pratique du pouvoir d’un Président élu depuis seulement un an et demi. Néanmoins, François Hollande s’est présenté à tous comme un président « normal » par réaction à la présidence de Nicolas Sarkozy. Si ce profil était maintenu, il y a fort à parier que l’on assisterait alors à un retour du présidentialisme contesté.

2.2 La Cinquième, parlementaire

La Cinquième fonctionnera sur un mode parlementaire dans deux situations bien précises. D’une part, dans les premières années du régime, c’est ce que l’on peut appeler le parlementarisme gaullien et d’autre part, pendant les années de cohabitation.

2.2.1 Le parlementarisme gaullien (1958-1962)

Plus précisément, il s’agissait d’un régime parlementaire dualiste mais aussi d’un régime parlementaire rationalisé.

2.2.1.1 Un parlementarisme dualiste

C'est un régime parlementaire dans lequel le chef de l’Etat joue un rôle politique important. Il se caractérise par la double responsabilité. Le Gouvernement est non seulement responsable politiquement devant le Parlement, mais aussi devant le chef de l’État. De plus, le droit de dissolution appartient au chef de l’Etat de manière discrétionnaire. Ces deux prérogatives permettent au Président de la République de jouer effectivement un rôle important puisqu’il peut non seulement faire pression et s’appuyer sur le Parlement, mais aussi sur le Gouvernement.
La Constitution de 1958 a mis en place un système qui est proche du parlementarisme dualiste, notamment avant 1962 et l’instauration de l’élection présidentielle au suffrage universel. Le Président dispose en effet du droit de dissolution discrétionnaire qu’il utilisera d’ailleurs le 9 octobre 1962 et bien que la Constitution ne le prévoie pas, Michel Debré et son Gouvernement seront renvoyés par le chef de l’Etat, le 14 avril 1962.

2.2.1.2 Un parlementarisme rationalisé

Comme durant la période 1958-1962, le phénomène majoritaire n’existe pas encore, il faut recourir aux armes du parlementarisme rationalisé qui selon l’expression célèbre du Doyen Boris Mirkine-Guetzevitch « consiste à enfermer dans le réseau du droit écrit l’ensemble de la vie politique ». Ainsi, l’article 49.3 de la Constitution qui est l’emblème de cette technique sera utilisé quatre fois en quatre ans par Michel Debré pour faire adopter deux textes. Le même Michel Debré recourra 23 fois au vote bloqué de l’article 44.3. Mais son Gouvernement résistera à quatre motions de censure.

2.2.2 Le parlementarisme de la cohabitation

Par trois fois, la Cinquième République connaîtra la cohabitation, c’est-à-dire la situation dans laquelle les deux majorités ne coïncident plus. La cohabitation sera la revanche du régime parlementaire comme l’on souligné plusieurs observateurs.
Deux «petites » cohabitations interviendront de 1986 à1988 et de 1993 à 1995. Elles se dérouleront dans le même contexte à savoir à la fin des deux septennats de François Mitterrand. Elles ont donc été perçues comme des parenthèses dans la vie politique. De courte durée et en fin de mandat présidentiel elles sont dominées par la perspective des prochaines élections présidentielles.
Une « grande » cohabitation apparaîtra en 1997 et durera jusqu’en 2002. Elle sera provoquée par une dissolution « perdue » par le Président de la République ce qui rendra sa position délicate. Jean-Marie Colombani parlera d’ailleurs du « Résident de la République ». En effet, la position du Président pendant cette cohabitation paraît encore plus faible ne serait-ce que parce qu’elle est le résultat d’une dissolution manquée qui place le Président dans une situation inconfortable : il a pris ses responsabilités, mais il ne les assume pas.

2.2.2.1 Le Gouvernement retrouve ses pouvoirs « usurpés »

> La nouvelle légitimité du Premier Ministre
Le Premier ministre de la cohabitation n’est certes pas directement élu au suffrage universel. Mais, en raison du phénomène majoritaire il est dans une position voisine de celle du Premier ministre britannique : lors des élections législatives qui ont amené la cohabitation, il était le chef d’une coalition de partis se présentant unis devant les électeurs et leur proposant une plate-forme politique. La victoire de cette coalition transforme son chef en Premier ministre. Et c’est ainsi, que Jacques Chirac, puis Édouard Balladur et ensuite Lionel Jospin ont quasiment été « élu » Chef du Gouvernement. Porteur d’une légitimité qu’il ne tient plus du Président de la République, le Premier ministre ne procède plus du chef de l’État. Sur ce point sa position est très proche de celle du Premier ministre britannique. Enfin, comme ce dernier, il s’appuie sur une majorité de députés qui le soutiennent de manière indéfectible.

> L'exercice de la fonction gouvernementale
Le Premier ministre récupère l’essentiel de la fonction gouvernementale qui jusque-là avait été absorbé par le Président de la République. Mais ce dernier n’est pas complètement éliminé de son exercice.

2.2.2.2 Mais avec un Président qui ne reste pas inerte

Dans le domaine éminent de la politique étrangère et de la défense il va de concert avec le Premier ministre déterminer les grandes options et ce en raison de l’article 5 qui lui confère des responsabilités en tant que « garant de l’indépendance de la Nation, de l’intégrité du territoire et du respect des traités ».
L’article 5 confère également au Président de la République une fonction d’arbitre dans le domaine du fonctionnement régulier des pouvoirs publics et à ce titre il continue d’exercer ses pouvoirs propres parmi lesquels la dissolution.
Enfin, il reste cette faculté d’empêcher et cette capacité de nuire qui trouvent leur origine dans la légitimité populaire acquise par le Président du fait de son élection au suffrage universel direct.
En vertu de cette légitimité populaire, la signature des actes présidentiels ne peut pas être considérée comme devant aller de soi. En effet, le Chef de l’État devient véritablement titulaire des pouvoirs que la Constitution lui attribue. Aussi, dans l’hypothèse des pouvoirs partagés par le contreseing du Premier ministre, le Président de la République dispose d’un véritable droit de veto. C’est la faculté d’empêcher.
Cette même légitimité populaire lui permet de se prononcer sur les projets du Gouvernement, de les critiquer, bref de gêner le Premier ministre sur un plan politique. C’est la capacité de nuire ou encore l’exercice de la fonction tribunitienne. A ce titre il est le chef de l’opposition. Mais, être le chef de l’opposition ne consiste pas simplement à s’opposer, encore faut-il diriger les forces politiques qui s’opposent au Gouvernement. C’est la partie la plus délicate et la plus contestée du rôle du Président.

*

* *

Ce qui a fait la force de la Cinquième République durant ces 55 ans, c’est bien son adaptabilité. La Constitution n’a pas été un carcan et dans ces conditions elle a pu évoluer, d’abord à travers de nombreuses révisions, mais aussi grâce à une pratique institutionnelle particulière fondée sur un fait politique important : le phénomène majoritaire à la française.

Mais résistera-t-elle aux défis et aux changements du futur : le populisme qui risque de remettre en cause la bipolarisation et par conséquent le phénomène majoritaire, le faible niveau de la classe politique qui est de moins en moins apte à jouer un rôle de leader, le présidentialisme implique en effet l’existence de véritables hommes d’État et de manière plus générale le délitement de la culture politique des élites qui cherchent à combler ce vide par un recours forcené à la communication et au marketing politique.

 

Auteur(s) :

FERRETTI Raymond

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