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Chapitre III

1. Du système communal en Amérique

Ce n’est pas par hasard que j’examine d’abord la commune. La commune est la seule association qui soit si bien dans la nature, que partout où il y a des hommes réunis, il se forme de soi-même une commune. La société communale existe donc chez tous les peuples, quels que soient leurs usages et leurs lois ; c’est l’homme qui fait les royaumes et crée les républiques ; la commune paraît sortir directement des mains de Dieu. Mais si la commune existe depuis qu’il y a des hommes, la liberté communale est chose rare et fragile. Un peuple peut toujours établir de grandes assemblées politiques ; parce qu’il se trouve habituellement dans son sein un certain nombre d’hommes chez lesquels les lumières remplacent jusqu’à un certain point l’usage des affaires. La commune est composée d’éléments grossiers qui se refusent souvent à l’action du législateur. La difficulté de fonder l’indépendance des communes, au lieu de diminuer à mesure que les nations s’éclairent, augmente avec leurs lumières. Une société très civilisée ne tolère qu’avec peine les essais de la liberté communale ; elle se révolte à la vue de ses nouveaux écarts, et désespère du succès avant d’avoir atteint le résultat final de l’expérience.

Parmi toutes les libertés, celle des communes, qui s’établit si difficilement, est aussi la plus exposée aux invasions du pouvoir. Livrées à elles-mêmes, les institutions communales ne sauraient guère lutter contre un gouvernement entreprenant et fort ; pour se défendre avec succès, il faut qu’elles aient pris tous leurs développements et qu’elles se soient mêlées aux idées et aux habitudes nationales. Ainsi tant de liberté communale n’est pas entrée dans les mœurs, il est facile de la détruire, et elle ne peut entrer dans les mœurs qu’après avoir longtemps subsisté dans les lois.

La liberté communale échappe donc, pour ainsi dire, à l’effort de l’homme. Aussi arrive-t-il rarement qu’elle soit créée ; elle naît en quelque sorte d’elle-même. Elle se développe presque en secret au sein d’une société demi-barbare. C’est l’action continue des lois et des mœurs, les circonstances et surtout le temps qui parviennent à la consolider. De toutes les nations du continent de l’Europe, on peut dire qu’il n’y en a pas une seule qui la connaisse.

C’est pourtant dans la commune que réside la force des peuples libres. Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science ; elles la mettent à la portée du peuple ; elles lui en font goûter l’usage paisible et l’habituent à s’en servir. Sans institutions communales, une nation peut se donner un gouvernement libre, mais elle n’a pas l’esprit de la liberté. Des passions passagères, des intérêts d’un moment, le hasard des circonstances, peuvent lui donner les formes extérieures de l’indépendance ; mais le despotisme refoulé dans l’intérieur du corps social reparaît tôt ou tard à la surface.

Pour faire bien comprendre au lecteur les principes généraux sur lesquels repose l’organisation politique de la commune et du comté aux États-Unis, j’ai cru qu’il était utile de prendre pour modèle un État en particulier ; d’examiner avec délai ce qui s’y passe, et de jeter ensuite un regard rapide sur le reste du pays.

J’ai choisi l’un des États de la Nouvelle-Angleterre. La commune et le comté ne sont pas organisés de la même manière dans toutes les parties de l’Union ; il est facile de reconnaître, cependant, que dans toute l’Union les mêmes principes, à peu près, ont présidé à la formation de l’un et l’autre.

Or, il m’a paru que ces principes avaient reçu dans la Nouvelle-Angleterre des développements plus considérables et atteint des conséquences plus éloignées que partout ailleurs. Ils s’y montrent donc pour ainsi dire plus en relief et se livrent ainsi plus aisément à l’observation de l’étranger.

Les institutions communales de la Nouvelle-Angleterre forment un ensemble complet et régulier ; elles sont anciennes ; elles sont fortes par les lois, plus fortes encore par les mœurs ; elles exercent une influence prodigieuse sur la société entière. À tous ces titres, elles méritent d’attirer nos regards.

2. Circonscription de la commune

La commune de la Nouvelle-Angleterre (Township) tient le milieu entre le canton et la commune de France. On y compte en général de deux à trois mille habitants1 ; elle n’est donc point assez étendue pour que tous ses habitants n’aient pas à peu près les mêmes intérêts, et, d’un autre côté, elle est assez peuplée pour qu’on soit toujours sûr de trouver dans son sein les éléments d’une bonne administration.

3. Pouvoirs communaux dans la Nouvelle-Angleterre

Le peuple, origine de tous les pouvoirs dans la commune comme ailleurs. Il y traite les principales affaires par lui-même. Point de conseil municipal. La plus grande partie de l’autorité communale concentrée dans la main des select-men. Comment les select-men agissent. Assemblée générale des habitants de la commune (Town-Meeting). Énumération de tous les fonctionnaires communaux. Fonctions obligatoires et rétribuées.

Dans la commune, comme partout ailleurs, le peuple est la source des pouvoirs sociaux, mais nulle part il n’exerce sa puissance plus immédiatement. Le peuple, en Amérique, est un maître auquel il a fallu complaire jusqu’aux dernières limites du possible.

Dans la Nouvelle-Angleterre, la majorité agit par représentants lorsqu’il faut traiter les affaires générales de l’État. Il était nécessaire qu’il en fût ainsi ; mais dans la commune où l’action législative et gouvernementale est plus rapprochée des gouvernés, la loi de la représentation n’est plus admise. Il n’y a point de conseil municipal ; le corps des électeurs, après avoir nommé ses magistrats, les dirige lui-même dans tout ce qui n’est pas l’exécution pure et simple des lois de l’État2.

Cet ordre de choses est si contraire à nos idées, et tellement opposé à nos habitudes, qu’il est nécessaire de fournir ici quelques exemples pour qu’il soit possible de bien le comprendre. Les fonctions publiques sont extrêmement nombreuses et fort divisées dans la commune, comme nous le verrons plus bas ; cependant, la plus grande partie des pouvoirs administratifs est concentrée dans les mains d’un petit nombre d’individus élus chaque année et qu’on nomme les select-men3.

Les lois générales de l’État ont imposé aux select-men un certain nombre d’obligations. Ils n’ont pas besoin de l’autorisation de leurs administrés pour les remplir, et ils ne peuvent s’y soustraire sans engager leur responsabilité personnelle. La loi de l’État les charge, par exemple, de former, dans leur commune, les listes électorales ; s’ils omettent de le faire, ils se rendent coupables d’un délit. Mais, dans toutes les choses qui sont abandonnées à la direction du pouvoir communal, les select-men sont les exécuteurs des volontés populaires comme parmi nous, le maire est l’exécuteur des délibérations du conseil municipal. Le plus souvent, ils agissent sous leur responsabilité privée et ne font que suivre, dans la pratique, la conséquence des principes que la majorité a précédemment posés. Mais veulent-ils introduire un changement quelconque dans l’ordre établi : désirent-ils se livrer à une entreprise nouvelle, il leur faut remonter à la source de leur pouvoir. Je suppose qu’il s’agit d’établir une école ; les select-men convoquent à certain jour, dans un lieu indiqué d’avance, la totalité des électeurs ; là, ils exposent le besoin qui se fait sentir ; ils font connaître les moyens d’y satisfaire, l’argent qu’il faut dépenser, le lieu qui convient de choisir. L’assemblée, consultée sur tous ces points, adopte le principe, fixe le lieu, vote l’impôt, et remet l’exécution de ses volontés dans les mains des select-men. Les select-men ont seuls le droit de convoquer la réunion communale (town-meeting), mais on peut les provoquer à le faire.

Si dix propriétaires conçoivent un projet nouveau et veulent le soumettre à l’assentiment de la commune, ils réclament une convocation générale des habitants ; les select-men sont obligés d’y souscrire, et ne conservent que le droit de présider l’assemblée4.

Ces mœurs politiques, ces usages sociaux sont sans doute bien loin de nous. Je n’ai pas en ce moment la volonté de les juger ni de faire connaître les causes cachées qui les produisent et les vivifient ; je me borne à les exposer.

Les select-men, sont élus tous les ans au mois d’avril ou de mai. L’assemblée communale choisit en même temps une foule d’autres magistrats municipaux5, préposés à certains détails administratifs importants. Les uns, sous le nom d’assesseurs, doivent établir l’impôt ; les autres, sous celui de collecteurs, doivent le lever. Un officier, appelé constable, est chargé de faire la police, de veiller sur les lieux publics, et de tenir la main à l’exécution matérielle des lois. Un autre, nommé le greffier de la commune, enregistre toutes les délibérations ; il tient note des actes de l’état civil. Un caissier garde les fonds communaux.

Ajoutez à ces fonctionnaires un surveillant des pauvres, dont le devoir, fort difficile à remplir, est de faire exécuter la législation relative aux indigents ; des commissaires des écoles, qui dirigent l’instruction publique ; des inspecteurs des routes, qui se chargent de tous les détails de la grande et petite voirie, et vous aurez la liste des principaux agents de l’administration communale. Mais la division des fonctions ne s’arrête point-là : on trouve encore, parmi les officiers municipaux6, des commissaires des paroisses, qui doivent régler les dépenses du culte ; des inspecteurs de plusieurs genres, chargés, les uns de diriger les efforts des citoyens en cas d’incendie ; les autres, de veiller aux récoltes ; ceux-ci, de lever provisoirement les difficultés qui peuvent naître relativement aux clôtures ; ceux-là, de surveiller le mesurage du bois, ou d’inspecter les poids et mesures.

On compte en tout dix-neuf fonctions principales dans la commune. Chaque habitant est contraint, sous peine d’amende, d’accepter ces différentes fonctions ; mais aussi la plupart d’entre elles sont rétribuées, afin que les citoyens pauvres puissent y consacrer leur temps sans en souffrir de préjudice. Du reste, le système américain n’est point de donner un traitement fixe aux fonctionnaires. En général, chaque acte de leur ministère a un prix, et ils ne sont rémunérés qu’en proportion de ce qu’ils ont fait.

4. De l’existence communale

Chacun est le meilleur juge de ce qui ne regarde que lui seul.

Corollaire du principe de la souveraineté du peuple. Application que font les communes américaines de ces doctrines. La commune de la Nouvelle-Angleterre, souveraine pour tout ce qui ne se rapporte qu’à elle, sujette dans tout le reste.

Obligation de la commune envers l’État. En France, le Gouvernement prête ses agents à la commune. En Amérique, la commune prête les siens au Gouvernement.

J’ai dit précédemment que le principe de la souveraineté du peuple plane sur tout le système politique des Anglo-Américains. Chaque page de ce livre fera connaître quelques applications nouvelles de cette doctrine. Chez les nations où règne le dogme de la souveraineté du peuple, chaque individu forme une portion égale du souverain, et participe également au gouvernement de l’État.

Chaque individu est donc censé aussi éclairé, aussi vertueux, aussi fort qu’aucun autres de ses semblables. Pourquoi obéit-il donc à la société, et quelles sont les limites naturelles de cette obéissance ?

Il obéit à la société, non point parce qu’il est inférieur à ceux qui la dirigent, ou moins capable qu’un autre homme de se gouverner lui-même ; il obéit à la société, parce que l’union avec ses semblables lui paraît utile et qu’il sait que cette union ne peut exister sans un pouvoir régulateur.

Dans tout ce qui concerne les devoirs des citoyens entre eux, il est donc devenu sujet. Dans tout ce qui ne regarde que lui-même, il est libre et ne doit rendre compte de ses actions qu’à Dieu. De là cette maxime, que l’individu est le meilleur comme le seul juge de son intérêt particulier et que la société n’a le droit de diriger ses actions que quand elle se sent lésée par son fait, ou lorsqu’elle a besoin de réclamer son concours.

Cette doctrine est universellement admise aux États-Unis. J’examinerai autre part quelle influence générale elle exerce jusque sur les actions ordinaires de la vie ; mais je parle en ce moment des communes.

La commune, prise en masse et par rapport au gouvernement central, n’est qu’un individu comme un autre, auquel s’applique la théorie que je viens d’indiquer.

La liberté communale découle donc, aux États-Unis, du dogme même de la souveraineté du peuple ; toutes les républiques américaines ont plus ou moins reconnu cette indépendance ; mais chez les peuples de la Nouvelle-Angleterre, les circonstances en ont particulièrement favorisé le développement.

Dans cette partie de l’Union, la vie politique a pris naissance au sein même des communes ; on pourrait presque dire qu’à son origine, chacune d’elles était une nation indépendante. Lorsque, ensuite, les rois d’Angleterre réclamèrent leur part de la souveraineté, ils se bornèrent à prendre la puissance centrale. Ils laissèrent la commune dans l’état où ils la trouvèrent ; maintenant, les communes de la Nouvelle-Angleterre sont sujettes ; mais dans le principe elles ne l’étaient point ou l’étaient à peine. Elles n’ont donc pas reçu leurs pouvoirs ; ce sont elles au contraire qui semblent s’être dessaisies, en faveur de l’État, d’une portion de leur indépendance ; distinction importante, et qui doit rester présente à l’esprit du lecteur.

Les communes ne sont en général soumises à l’État que quand il s’agit d’un intérêt que j’appellerai social, c’est-à-dire, qu’elles partagent avec d’autres. Pour tout ce qui n’a rapport qu’à elles seules, les communes sont restées des corps indépendants ; et parmi les habitants de la Nouvelle-Angleterre, il ne s’en rencontre aucun, je pense, qui reconnaisse au gouvernement de l’État le droit d’intervenir dans la direction des intérêts purement communaux.

On voit donc les communes de la Nouvelle-Angleterre vendre et acheter, attaquer et se défendre devant les tribunaux, charger leur budget ou le dégrever, sans qu’aucune autorité administrative quelconque, songe à s’y opposer7.

Quant aux devoirs sociaux, elles sont tenues d’y satisfaire. Ainsi, l’État a-t-il besoin d’argent, la commune n’est pas libre de lui accorder ou de lui refuser son concours8. L’État veut-il ouvrir une route, la commune n’est pas maîtresse de lui fermer son territoire. Fait-il un règlement de police, la commune doit l’exécuter. Veut-il organiser l’instruction sur un plan uniforme dans toute l’étendue du pays, la commune est tenue de créer les écoles voulues par la loi9. Nous verrons, lorsque nous parlerons de l’administration aux États-Unis, comment et par qui les communes, dans tous ces différents cas, sont contraintes à l’obéissance. Je ne veux ici qu’établir l’existence de l’obligation.

Cette obligation est étroite, mais le gouvernement de l’État, en l’imposant, ne fait que décréter un principe ; pour son exécution, la commune rentre en général dans tous ses droits d’individualité. Ainsi, la taxe est, il est vrai, votée par la législature, mais c’est la commune qui la répartit et la perçoit ; l’existence d’une école est imposée, mais c’est la commune qui la bâtit, la paie et la dirige.

En France, le percepteur de l’État lève les taxes communales ; en Amérique le percepteur de la commune lève la taxe de l’État. Ainsi, parmi le Gouvernement central prête ses agents à la commune ; en Amérique, la commune prête ses fonctionnaires au Gouvernement. +

Cela seul fait comprendre à quel degré les deux sociétés diffèrent.

5. De l’esprit communal dans la Nouvelle- Angleterre

Pourquoi la commune de la Nouvelle-Angleterre attire les affections de ceux qui l’habitent. Difficulté qu’on rencontre en Europe à créer l’esprit communal. Droits et devoirs communaux concourant en Amérique à former cet esprit. La patrie a plus de physionomie aux États-Unis qu’ailleurs. En quoi l’esprit communal se manifeste dans la Nouvelle-Angleterre. Quels heureux effets il y produit.

En Amérique, non seulement il existe des institutions communales, mais encore un esprit communal qui les soutient et les vivifie. La commune de la Nouvelle-Angleterre réunit deux avantages qui, partout où ils se trouvent, excitent vivement l’intérêt des hommes, à savoir : l’indépendance et la puissance. Elle agit, il est vrai, dans un cercle dont elle ne peut sortir, mais ses mouvements y sont libres. Cette indépendance seule lui donnerait déjà une importance réelle, quand sa population et son étendue ne la lui assureraient pas.

Il faut bien se persuader que les affections des hommes ne se portent en général que là où il y a de la force. On ne voit pas l’amour de la patrie régner longtemps dans un pays conquis. L’habitant de la Nouvelle-Angleterre s’attache à sa commune, non pas tant parce qu’il y est né que parce qu’il voit dans cette commune une corporation libre et forte dont il fait partie, et qui mérite la peine qu’on cherche à la diriger.

Il arrive souvent, en Europe, que les gouvernants eux-mêmes regrettent l’absence de l’esprit communal ; car tout le monde convient que l’esprit communal est un grand élément d’ordre et de tranquillité publique ; mais ils ne savent comment le produire. En rendant la commune forte et indépendante, ils craignent de partager la puissance sociale et d’exposer l’État à l’anarchie. Or, ôtez la force et l’indépendance de la commune, vous n’y trouverez que des administrés et point de citoyens.

Remarquez d’ailleurs un fait important : la commune de la Nouvelle-Angleterre est ainsi constituée qu’elle peut servir de foyer à de vives affections, et en même temps, il ne se trouve rien à côté d’elle qui attire fortement les passions ambitieuses du cœur humain.

Les fonctionnaires du comté ne sont point élus et leur autorité est restreinte. L’État lui-même n’a qu’une importance secondaire ; son existence est obscure et tranquille. Il y a peu d’hommes qui, pour obtenir le droit de l’administrer, consentent à s’éloigner du centre de leurs intérêts et à troubler leur existence. Le gouvernement fédéral confère de la puissance et de la gloire à ceux qui le dirigent ; mais les hommes auxquels il est donné d’influer sur ses destinées sont en très petit nombre. La présidence est une haute magistrature à laquelle on ne parvient guère que dans un âge avancé ; et quand on arrive aux autres fonctions fédérales d’un ordre élevé, c’est en quelque sorte par hasard, et après qu’on s’est déjà rendu célèbre en suivant une autre carrière.

L’ambition ne peut pas les prendre pour le but permanent de ses efforts. C’est dans la commune, au centre des relations ordinaires de la vie, que viennent se concentrer le désir et l’estime, le besoin d’intérêts réels, le goût du pouvoir et du bruit ; ces passions, qui troublent si souvent la société, changent de caractère lorsqu’elles peuvent s’exercer ainsi près du foyer domestique et en quelque sorte au sein de la famille.

Voyez avec quel art, dans la commune américaine, on a eu soin, si je puis m’exprimer ainsi, d’éparpiller la puissance, afin d’intéresser plus de monde à la chose publique. Indépendamment des électeurs appelés de temps en temps à faire des actes de gouvernement, que de fonctions diverses, que de magistrats différents, qui tous, dans le cercle de leurs attributions, représentent la corporation puissante au nom de laquelle ils agissent ! Combien d’hommes exploitent ainsi à leur profit la puissance communale et s’y intéressent pour eux-mêmes !

Le système américain, en même temps qu’il partage le pouvoir municipal entre un grand nombre de citoyens, ne craint pas non plus de multiplier les devoirs communaux. Aux États-Unis, on pense avec raison que l’amour de la patrie est une espèce de culte auquel les hommes s’attachent par les pratiques.

De cette manière, la vie communale se fait en quelque sorte sentir à chaque instant ; elle se manifeste chaque jour par l’accomplissement d’un devoir ou par l’exercice d’un droit. Cette existence politique imprime à la société un mouvement continuel, mais en même temps paisible, qui l’agite sans la troubler.

Les Américains s’attachent à la cité par une raison analogue à celle qui fait aimer leur pays aux habitants des montagnes. Chez eux, la patrie a des traits marqués et caractéristiques ; elle a plus de physionomie qu’ailleurs.

Les communes de la Nouvelle-Angleterre ont en général une existence heureuse. Leur gouvernement est de leur goût aussi bien que de leur choix. Au sein de la paix profonde et de la prospérité matérielle qui règnent en Amérique, les orages de la vie municipale sont peu nombreux. La direction des intérêts communaux est aisée. De plus, il y a longtemps que l’éducation politique du peuple est faite, ou plutôt il est arrivé tout instruit sur le sol qu’il occupe. Dans la Nouvelle-Angleterre, la division des rangs n’existe pas même en souvenir ; il n’y a donc point de portion de la commune qui soit tentée d’opprimer l’autre, et les injustices, qui ne frappent que des individus isolés, se perdent dans le contentement général. Le gouvernement présentât-il des défauts, et certes il est facile d’en signaler, ils ne frappent point les regards. Parce que le gouvernement émane réellement des gouvernés, et qu’il lui suffit de marcher tant bien que mal, pour qu’une sorte d’orgueil paternel le protège. Ils n’ont rien d’ailleurs à quoi le comparer. L’Angleterre a jadis régné sur l’ensemble des colonies, mais le peuple a toujours dirigé les affaires communales.

La souveraineté du peuple dans la commune est donc non seulement un état ancien, mais un état primitif. L’habitant de la Nouvelle-Angleterre s’attache à sa commune, parce qu’elle est forte et indépendante ; il s’y intéresse, parce qu’il concourt à la diriger ; il l’aime, parce qu’il n’a pas à s’y plaindre de son sort ; il place en elle son ambition et son avenir ; il se mêle à chacun des incidents de la vie communale ; dans cette sphère restreinte qui est à sa portée, il s’essaie à gouverner la société ; il s’habitue aux formes sans lesquelles la liberté ne procède que par révolutions, se pénètre de leur esprit, prend goût à l’ordre, comprend l’harmonie des pouvoirs, et rassemble enfin des idées claires et pratiques sur la nature de ses devoirs ainsi que sur l’étendue de ses droits.

6. Du comté dans la Nouvelle-Angleterre

Le comté de la Nouvelle-Angleterre, analogue à l’arrondissement de France. Créé dans un intérêt purement administratif. N’a point de représentation. Est administré par des fonctionnaires non électifs.

Le comté américain a beaucoup d’analogie avec l’arrondissement de France. On lui a tracé, comme à ce dernier, une circonscription arbitraire ; il forme un corps dont les différentes parties non point entre elles de liens nécessaires et auquel ne se rattachent ni affection ni souvenir, ni communauté d’existence. Il n’est créé que dans un intérêt purement administratif.

La commune avait une étendue trop restreinte pour qu’on pût y renfermer l’administration de la justice. Le comté forme donc le premier centre judiciaire. Chaque comté a une cour de justice10, un shérif pour exécuter les arrêts de tribunaux, une prison qui doit contenir les criminels. Il y a des besoins qui sont ressentis d’une manière à peu près égale par toutes les communes du comté ; il était naturel qu’une autorité centrale fût chargée d’y pourvoir. Au Massachusetts, cette autorité réside dans les mains d’un certain nombre de magistrats, que désigne le gouverneur de l’État, de l’avis11 de son conseil12.

Les administrateurs des comtés n’ont qu’un pouvoir borné et exceptionnel qui ne s’applique qu’à un très petit nombre de cas prévus à l’avance. L’État et la commune suffisent à la marche ordinaire des choses. Ces administrateurs ne font que préparer le budget du comté, la législature le vote13. Il n’y a point d’assemblée qui représente directement ou indirectement le comté.

Le comté n’a donc point, à vrai dire, d’existence politique. On remarque, dans la plupart des constitutions américaines, une double tendance qui porte les législateurs à diviser le pouvoir exécutif et à concentrer la puissance législative. La commune de la Nouvelle-Angleterre a par elle-même, un principe d’existence dont on ne le dépouille point ; mais il faudrait créer fictivement cette vie dans le comté, et l’utilité n’en a point été sentie : toutes les communes réunies n’ont qu’une seule représentation, l’État, centre de tous les pouvoirs nationaux ; hors de l’action communale et nationale, on peut dire qu’il n’y a que des forces individuelles.

7. De l’administration dans la Nouvelle-Angleterre

En Amérique, on n’aperçoit point l’administration. Pourquoi. Les Européens croient fonder la liberté en ôtant au pouvoir social quelques-uns de ses droits ; les Américains, en divisant son exercice. Presque toute l’administration proprement dite renfermée dans la commune, et divisée entre les fonctionnaires communaux. On n’aperçoit la trace d’une hiérarchie administrative ni dans la commune, ni au-dessus d’elle. Pourquoi il en est ainsi. Comment il arrive cependant que l’État est administré d’une manière uniforme. Qui est chargé de faire obéir à la loi les administrations de la commune et du comté. De l’introduction du pouvoir judiciaire dans l’administration. Conséquence du principe de l’élection étendue à tous les fonctionnaires. Du juge de paix dans la Nouvelle-Angleterre. Par qui nommé. Administre le comté. Assure l’administration des communes. Cour des sessions. Manière dont elle agit. Qui la saisit. Le droit d’inspection et de plainte, éparpillé comme toutes les fonctions administratives. Dénonciateurs encouragés par le partage des amendes.

Ce qui frappe le plus l’Européen qui parcourt les États-Unis, c’est l’absence de ce qu’on appelle chez nous le gouvernement ou l’administration. En Amérique, on voit des lois écrites ; on en aperçoit l’exécution journalière ; tout se meut autour de vous, et on ne découvre nulle part le moteur. La main qui dirige la machine sociale échappe à chaque instant.

Cependant, de même que tous les peuples sont obligés, pour exprimer leurs pensées, d’avoir recours à certaines formes grammaticales constitutives des langues humaines, de même toutes les sociétés, pour subsister, sont contraintes de se soumettre à une certaine somme d’autorité sans laquelle elles tombent dans l’anarchie. Cette autorité peut être distribuée de différentes manières ; mais il faut toujours qu’elle se retrouve quelque part. Il y a deux moyens de diminuer la force de l’autorité chez une nation.

Le premier est d’affaiblir le pouvoir dans son principe même, en ôtant à la société le droit ou la faculté de se défendre en certains cas : affaiblir l’autorité de cette manière, c’est en général ce que l’on appelle en Europe fonder la liberté.

Il est un second moyen de diminuer l’action de l’autorité : celui-ci ne consiste pas à dépouiller la société de quelques-uns de ses droits, ou paralyser ses efforts, mais à diviser l’usage de ses forces entre plusieurs mains ; à multiplier les fonctionnaires en attribuant à chacun d’eux tout le pouvoir dont il a besoin pour faire ce qu’on le destine à exécuter. Il se rencontre des peuples que cette division des pouvoirs sociaux peut encore mener à l’anarchie ; par elle-même, cependant, elle n’est point anarchique. En partageant ainsi l’autorité, on rend, il est vrai, son action moins irrésistible et moins dangereuse, mais on ne le détruit point.

La révolution aux États-Unis a été produite par un goût mûr et réfléchi pour la liberté, et non par un instinct vague et indéfini d’indépendance. Elle ne s’est point appuyée sur des passions de désordre ; mais, au contraire, elle a marché avec l’amour de l’ordre et de la légalité.

Aux États-Unis donc on a point prétendu que l’homme, dans un pays libre, eût le droit de tout faire ; on lui a au contraire imposé des obligations sociales plus variées qu’ailleurs ; on n’a point eu l’idée d’attaquer le pouvoir de la société dans son principe et de lui contester ses droits, on s’est borné à le diviser dans son exercice. On a voulu arriver de cette manière à ce que l’autorité fût grande et le fonctionnaire petit, afin que la société continuât à être bien réglée et restât libre.

Il n’est pas au monde de pays où la loi parle un langage aussi absolu qu’en Amérique, et il n’en existe pas non plus où le droit de l’appliquer soit divisé entre tant de mains. Le pouvoir administratif aux États-Unis n’offre dans sa constitution rien de central ni de hiérarchique ; c’est ce qui fait qu’on ne l’aperçoit point. Le pouvoir existe, mais on ne sait où trouver son représentant.

Nous avons vu plus haut que les communes de la Nouvelle-Angleterre n’étaient point en tutelle. Elles prennent donc soin elles-mêmes de leurs intérêts particuliers. Ce sont aussi les magistrats municipaux que, le plus souvent, on charge de tenir la main à l’exécution des lois générales de l’État, ou de les exécuter eux-mêmes14.

Indépendamment des lois générales, l’État fait quelquefois des règlements généraux de police ; mais ordinairement, ce sont les communes et les officiers communaux qui, conjointement avec les juges de paix et suivant les besoins des localités, règlent les détails de l’existence sociale et promulguent les prescriptions relatives à la santé publique, au bon ordre et à la moralité des citoyens15.

Ce sont enfin les magistrats municipaux qui, d’eux-mêmes, et sans avoir besoin de recevoir une impulsion étrangère, pourvoient à ces besoins imprévus que ressentent souvent les sociétés16.

Il résulte de ce que nous venons de dire qu’au Massachusetts, le pouvoir administratif est presque entièrement renfermé dans la commune17 ; mais il s’y trouve divisé entre beaucoup de mains. Dans la commune de France, il n’y a, à vrai dire, qu’un seul fonctionnaire administratif, le maire.

Nous avions vu qu’on en comptait dix-neuf dans la commune de la Nouvelle-Angleterre. Ces dix-neuf fonctionnaires ne dépendent pas en général les uns des autres. La loi a tracé avec soin autour de chacun de ces magistrats un cercle d’action. Dans ce cercle, ils sont tout puissants pour remplir les devoirs de leur place et ne relèvent d’aucune autorité communale.

Si l’on porte ces regards au-dessus de la commune, on aperçoit à peine la trace d’une hiérarchie administrative. Il arrive quelquefois que les fonctionnaires du comté réforment la décision prise par les communes ou par les magistrats communaux18, mais en général on peut dire que les administrateurs du comté n’ont pas le droit de diriger la conduite des administrateurs de la commune19. Ils ne les commandent que dans les choses qui ont rapport au comté.

Les magistrats de la commune et ceux du comté sont tenus, dans un très petit nombre de cas prévus à l’avance, de communiquer le résultat de leurs opérations aux officiers du gouvernement central20. Mais le gouvernement central n’est pas représenté par un homme chargé de faire des règlements généraux de police ou des ordonnances pour l’exécution des lois ; de communiquer habituellement avec les administrateurs du comté de la commune ; d’inspecter leur conduite, de diriger leurs actes et de punir leurs fautes.

Il n’existe donc nulle part de centre auquel les rayons du pouvoir administratif viennent aboutir. Comment donc parvient-on à conduire la société sur un plan à peu près uniforme ? Comment peut-on faire obéir les comtés et leurs administrateurs, les communes et leurs fonctionnaires ?

Dans les États de la Nouvelle-Angleterre, le pouvoir législatif s’étend à plus d’objets que parmi nous. Le législateur pénètre, en quelque sorte, au sein même de l’administration ; la loi descend à de minutieux détails ; elle prescrit en même temps les principes et le moyen de les appliquer ; elle renferme ainsi les corps secondaires et leurs administrateurs dans une multitude d’obligations étroites et rigoureusement définies.

Il résulte de là que, si tous les corps secondaires et tous les fonctionnaires se conforment à la loi, la société procède d’une manière uniforme dans toutes ses parties ; mais reste toujours à savoir comment on peut forcer les corps secondaires à leurs fonctionnaires à se conformer à la loi.

On peut dire, d’une manière générale, que la société ne trouve à sa disposition que deux moyens pour obliger les fonctionnaires à obéir aux lois : elle peut confier à l’un d’eux le pouvoir discrétionnaire de diriger tous les autres et de les destituer en cas de désobéissance. Ou bien elle peut charger les tribunaux d’infliger des peines judiciaires aux contrevenants.

On n’est pas toujours libre de prendre l’un ou l’autre de ces moyens. Le droit de diriger le fonctionnaire suppose le droit de le destituer, s’il ne suit pas les ordres qu’on lui transmet, ou de l’élever en grade s’il remplit avec zèle tous ses devoirs. Or, on ne saurait ni destituer ni élever en grade un magistrat élu. Il est de la nature des fonctions électives d’être irrévocables jusqu’à la fin du mandat. En réalité, le magistrat élu n’a rien à attendre ni à craindre que des électeurs, lorsque toutes les fonctions publiques sont le produit de l’élection. Il ne saurait donc exister une véritable hiérarchie entre les fonctionnaires, puisqu’on ne peut réunir dans le même homme le droit d’ordonner et le droit de réprimer efficacement la désobéissance, et qu’on ne saurait joindre au pouvoir de commander celui de récompenser et de punir.

Les peuples qui introduisent l’élection dans les rouages secondaires de leur gouvernement sont donc forcément amenés à faire un grand usage des peines judiciaires comme moyen d’administration.

C’est ce qui ne se découvre pas au premier coup d’œil. Les gouvernants regardent comme une première concession de rendre les fonctions électives, et comme une seconde concession de soumettre le magistrat élu aux arrêts des juges. Ils redoutent également ces deux innovations ; et comme ils sont plus sollicités de faire la première que la seconde, ils accordent l’élection au fonctionnaire et le laisse indépendant du juge. Cependant, l’une de ces deux mesures est le seul contrepoids qu’on puisse donner à l’autre. Qu’on y prenne bien garde, un pouvoir électif qui n’est pas soumis à un pouvoir judiciaire échappe tôt ou tard à tout contrôle, ou est détruit. Entre le pouvoir central et les corps administratifs élus, il n’y a que les tribunaux qui puissent servir d’intermédiaire. Eux seuls peuvent forcer le fonctionnaire élu à l’obéissance sans violer le droit de l’électeur.

L’extension du pouvoir judiciaire dans le monde politique doit donc être corrélative à l’extension du pouvoir électif. Si ces deux choses ne vont point ensemble, l’État finit par tomber en anarchie ou en servitude.

On a remarqué de tout temps que les habitudes judiciaires préparaient assez mal les hommes à l’exercice du pouvoir administratif.

Les Américains ont pris à leurs pères, les Anglais, l’idée d’une institution qui n’a aucune analogie avec ce que nous connaissons sur le continent de l’Europe, c’est celle des juges de paix. Le juge de paix tient le milieu entre l’homme du monde et le magistrat, l’administrateur et le juge. Le juge de paix est un citoyen éclairé, mais qui n’est pas nécessairement versé dans la connaissance des lois. Aussi ne le charge-t-on que de faire la police de la société ; chose qui demande plus de bon sens et de droiture que de science. Le juge de paix apporte dans l’administration, lorsqu’il y prend part, un certain goût des formes et de la publicité qui en fait un instrument fort gênant pour le despotisme ; mais il ne se montre pas l’esclave de ces superstitions légales qui rendent les magistrats peu capables de gouverner.

Les Américains se sont appropriés l’institution des juges de paix, tout en lui ôtant le caractère aristocratique qui la distinguait dans la mère patrie.

Le gouverneur du Massachusetts21 nomme dans tous les comtés, un certain nombre de juges de paix, dont les fonctions doivent durer sept ans22.

De plus, parmi ces juges de paix, il en désigne trois qui forment dans chaque comté ce qu’on appelle la cour des sessions. Les juges de paix prennent part individuellement à l’administration publique. Tantôt ils sont chargés, concurremment avec les fonctionnaires élus de certains actes administratifs23 ; tantôt ils forment un tribunal devant lequel les magistrats accusent sommairement le citoyen qui refuse d’obéir, ou le citoyen dénonce les délits des magistrats. Mais c’est dans la cour des sessions que les juges de paix exercent les plus importantes de leurs fonctions administratives.

La cour des sessions se réunit deux fois par an au chef-lieu du comté. C’est elle qui, dans le Massachusetts, est chargée de maintenir le plus grand nombre24des fonctionnaires publics dans l’obéissance25 .

Il faut bien faire attention qu’au Massachusetts, la cour des sessions est tout à la fois un corps administratif proprement dit et un tribunal politique.

Nous avons dit que le comté26 n’avait qu’une existence administrative. C’est la cour des sessions qui dirige par elle-même le petit nombre d’intérêt qui se rapportent en même temps à plusieurs communes ou à toutes les communes du comté à la fois, et dont, par conséquent on ne peut charger aucune d’elles en particulier.

Quand il s’agit du comté, les devoirs de la cour des sessions sont donc purement administratifs, et si elle introduit souvent dans sa manière de procéder les formes judiciaires, ce n’est qu’un moyen de s’éclairer27, et qu’une garantie qu’elle donne aux administrés. Mais lorsqu’il faut assurer l’administration des communes, elle agit presque toujours comme corps judiciaire, et dans quelques cas rares seulement, comme corps administratif. La première difficulté qui se présente est de faire obéir la commune elle-même, pouvoir presque indépendant, aux lois générales de l’État.

Nous avons vu que les communes doivent nommer chaque année un certain nombre de magistrats qui, sous le nom d’assesseurs, répartissent l’impôt. Une commune tente d’échapper à l’obligation de payer l’impôt en ne nommant pas les assesseurs. La cour des sessions la condamne à une forte amende28. L’amende est levée par corps sur tous les habitants. Le shérif du comté, officier de justice, fait exécuter l’arrêt. C’est ainsi qu’aux États-Unis le pouvoir semble jaloux de se dérober avec soin aux regards. Le commandement administratif s’y voile presque toujours sous le mandat judiciaire ; il n’en est que plus puissant, ayant alors pour lui cette force presque irrésistible que les hommes accordent à la forme légale.

Cette marche est facile à suivre, et se comprend sans peine. Ce qu’on exige de la commune est, en général, net et défini ; cela consiste dans un fait simple et non complexe, en un principe, et non une application de détail29. Mais la difficulté commence lorsqu’il s’agit de faire obéir, non plus la commune, mais les fonctionnaires communaux.

Toutes les actions répréhensibles que peut commettre un fonctionnaire public rentrent en définitive dans l’une de ces catégories : Il peut faire, sans ardeur et sans zèle, ce que lui commande la loi. Il peut ne pas faire ce que lui commande la loi. Enfin, il peut faire ce que lui défend la loi. Un tribunal ne saurait atteindre la conduite d’un fonctionnaire que dans les derniers deux cas. Il faut un fait positif et appréciable pour servir de base à l’action judiciaire.

Ainsi, les select-men omettent de remplir les formalités voulues par la loi en cas d’élection communale ; ils peuvent être condamnés à l’amende30.

Mais lorsque le fonctionnaire public remplit sans intelligence son devoir ; lorsqu’il obéit sans ardeur et sans zèle aux prescriptions de la loi, il se trouve entièrement hors des atteintes d’un corps judiciaire. La cour des sessions, alors même qu’elle est revêtue de ses attributions administratives, est impuissante pour le forcer dans ce cas à remplir ses obligations tout entières. Il n’y a que la crainte de la révocation qui puisse prévenir ces quasi-délits, et la cour des sessions n’a point en elle l’origine des pouvoirs communaux ; elle ne peut révoquer des fonctionnaires qu’elle ne nomme point.

Pour s’assurer d’ailleurs qu’il y a négligence et défaut de zèle, il faudrait exercer sur le fonctionnaire inférieur une surveillance continuelle. Or, la cour de sessions ne siège que deux fois par an ; elle n’inspecte point, elle juge les faits répréhensibles qu’on lui dénonce.

Le pouvoir arbitraire de destituer les fonctionnaires publics peut seul garantir, de leur part, cette sorte d’obéissance éclairée et active que la répression judiciaire ne peut leur imposer.

En France, nous cherchons cette dernière garantie dans la hiérarchie administrative ; en Amérique, on la cherche dans l’élection.

Ainsi, pour résumer en quelques mots ce que je viens d’exposer : le fonctionnaire public de la Nouvelle-Angleterre commet-il un crime dans l’exercice de ses fonctions, les tribunaux ordinaires sont toujours appelés à en faire justice. Commet-il une faute administrative, un tribunal purement administratif est chargé de le punir, et quand la chose est grave ou pressante, le juge fait ce que le fonctionnaire aurait dû faire31.

Enfin, le même fonctionnaire se rend-il coupable de l’un de ces délits insaisissables que la justice humaine ne peut ni définir, ni apprécier, il comparaît annuellement devant un tribunal sans appel, qui peut le réduire tout à coup à l’impuissance ; son pouvoir lui échappe avec son mandat.

Ce système renferme assurément en lui-même de grands avantages, mais il rencontre dans son exécution une difficulté pratique qu’il est nécessaire de signaler.

J’ai déjà fait remarquer que le tribunal administratif, qu’on nomme la cour des sessions, n’avait pas le droit d’inspecter les magistrats communaux ; elle ne peut, suivant un terme de droit, agir que lorsqu’elle est saisie. Or c’est là le point délicat du système.

Les Américains de la Nouvelle-Angleterre n’ont point institué de ministère public près la cour des sessions32, et l’on doit concevoir qu’il leur était difficile d’en établir un. S’ils s’étaient bornés à placer au chef-lieu de chaque comté un magistrat accusateur, et qu’ils ne lui eussent plus donné d’agents dans les communes, pourquoi ce magistrat aurait-il été plus instruit de ce qui se passait dans le comté que les membres de cour des sessions eux-mêmes ? Si on lui avait donné des agents dans chaque commune, on centralisait dans ses mains le plus redoutable des pouvoirs, celui d’administrer judiciairement. Les lois d’ailleurs sont filles des habitudes, et rien de semblable n’existait dans la législation anglaise.

Les Américains ont donc divisé le droit d’inspection et de plainte comme toutes les autres fonctions administratives. Les membres du grand jury doivent, aux termes de la loi, avertir le tribunal près duquel ils agissent, des délits de tout genre qui peuvent se commettre dans leur comté33. Il y a certains grands délits administratifs que le ministère public ordinaire doit poursuivre d’office34 ; le plus souvent, l’obligation de faire punir les délinquants est imposée à l’officier fiscal, chargé d’encaisser le produit de l’amende ; ainsi le trésorier de la commune est chargé de poursuivre la plupart des délits administratifs qui sont commis sous ses yeux.

Mais c’est surtout à l’intérêt particulier que la législation américaine en appelle35 ; c’est là le grand principe qu’on retrouve sans cesse quand on étudie les lois des États-Unis. Les législateurs américains ne montrent que peu de confiance en l’honnêteté humaine ; mais ils supposent toujours l’homme intelligent et se reposent donc le plus souvent sur l’intérêt personnel pour l’exécution des lois.

Lorsqu’un individu est positivement et actuellement lésé par un délit administratif, l’on comprend, en effet, que l’intérêt personnel garantisse la plainte.

Mais il est facile de prévoir que s’il s’agit d’une prescription légale, qui, tout en étant utile à la société, n’est point d’une utilité actuellement sentie par un individu, chacun hésitera à se porter accusateur. De cette manière, et par une sorte d’accord tacite, les lois pourraient bien tomber en désuétude.

Dans cette extrémité où leur système les jette, les Américains sont obligés d’intéresser les dénonciateurs en les appelant dans certains cas au partage des amendes36.

On conçoit très bien que, dans un cas pareil, il peut arriver que personne n’ait l’intérêt ni le désir de prendre le rôle d’accusateur. Aussi la loi ajoute-t-elle : « Tous les citoyens auront le droit de poursuivre la punition de semblables délits, et la moitié de l’amende appartiendra au poursuivant. » Voyez la loi du 6 mars 1810, vol. II, p. 236.

On retrouve très fréquemment la même disposition reproduite dans les lois du Massachusetts. Quelquefois ce n’est pas le particulier que la loi excite de cette manière à poursuivre les fonctionnaires publics ; c’est le fonctionnaire qu’elle encourage ainsi à faire punir la désobéissance des particuliers. Exemple : un habitant refuse de faire la part de travail qui lui a été assignée sur une grande route. Le surveillant des routes doit le poursuivre ; et s’il le fait condamner, la moitié de l’amende lui revient. Voyez les lois précitées, vol. I, p. 308.) Moyen généreux qui assure l’exécution des lois en dégradant les mœurs.

Au-dessus des magistrats du comté, il n’y a plus, à vrai dire, de pouvoir administratif, mais seulement un pouvoir gouvernemental.

8. Idées générales sur l’administration aux États-Unis

En quoi les États de l’Union diffèrent entre eux, par le système d’administration. Vie communale moins active et moins complète à mesure qu’on descend vers le midi. Le pouvoir du magistrat devient alors plus grand, celui de l’électeur plus petit. L’administration passe de la commune au comté. États de New York, d’Ohio, de Pennsylvanie. Principes administratifs applicables à toute l’Union. Élection des fonctionnaires publics ou inamovibilité de leurs fonctions. Absence de hiérarchie. Introduction des moyens judiciaires dans l’administration.

J’ai annoncé précédemment qu’après avoir examiné en détail la constitution de la commune et du comté dans la Nouvelle-Angleterre, je jetterais un coup d’œil sur le reste de l’Union. Il y a des communes et une vie communale dans chaque État ; mais dans aucun des États confédérés, on ne rencontre une commune identiquement semblable à celle de la Nouvelle-Angleterre.

À mesure qu’on descend vers le midi, on s’aperçoit que la vie communale devient moins active ; la commune a moins de magistrats, de droits et de devoirs ; la population n’y exerce pas une influence si directe sur les affaires ; les assemblées communales sont moins fréquentes et s’étendent à moins d’objets. Le pouvoir du magistrat élu est comparativement plus grand et celui de l’électeur plus petit, l’esprit communal y est moins éveillé et moins puissant37.

On commence à apercevoir ces différences dans l’État de New York ; elles sont déjà très sensibles dans la Pennsylvanie ; mais elles deviennent moins frappantes lorsqu’on s’avance vers le Nord-Ouest. La plupart des émigrants qui vont fonder les États du Nord-Ouest sortent de la Nouvelle-Angleterre, et ils transportent les habitudes administratives de la mère patrie dans leur patrie adoptive. La commune de l’Ohio a beaucoup d’analogie avec la commune du Massachusetts.

Nous avons vu qu’au Massachusetts, le principe de l’administration publique se trouve dans la commune. La commune est le foyer dans lequel viennent se réunir les intérêts et les affections des hommes. Mais il cessa d’en être ainsi à mesure que l’on descend vers des États où les lumières ne sont pas si universellement répandues, et où, par conséquent, la commune offre moins de garantie de sagesse et moins d’éléments d’administration. À mesure donc que l’on s’éloigne de la Nouvelle-Angleterre, la vie communale passe en quelque sorte au comté. Le comté devient le grand centre administratif et forme le pouvoir intermédiaire entre le gouvernement et les simples citoyens.

J’ai dit qu’au Massachusetts les affaires du comté sont dirigées par la cour de sessions. La cour des sessions se compose d’un certain nombre de magistrats, nommés par le gouverneur et son conseil. Le comté n’a point de représentation, et son budget est voté par la législature nationale.

Dans le grand État de New York, au contraire, dans l’État de l’Ohio et dans la Pennsylvanie, les habitants de chaque comté élisent un certain nombre de députés ; la réunion de ces députés forme une assemblée représentative du comté38.

L’assemblée du comté possède, dans de certaines limites, le droit d’imposer les habitants ; elle constitue, sous ce rapport, une véritable législature ; c’est elle en même temps qui administre le comté, dirige en plusieurs cas l’administration des communes et resserre leurs pouvoirs dans des limites beaucoup plus étroites qu’au Massachusetts.

Ce sont là les principales différences que présente la constitution de la commune et du comté dans les divers États confédérés.

Si je voulais descendre jusqu’aux détails des moyens d’exécution, j’aurais beaucoup d’autres dissemblances à signaler encore. Mais mon but n’est pas de faire un cours de droit administratif américain.

J’en ai dit assez, je pense, pour faire comprendre sur quels principes généraux repose l’administration aux États-Unis. Ces principes sont diversement appliqués ; ils fournissent des conséquences plus ou moins nombreuses suivant les lieux ; mais au fond ils sont partout les mêmes. Les lois varient ; leur physionomie change ; un même esprit les anime.

La commune et le comté ne sont pas constitués partout de la même manière ; mais on peut dire que l’organisation de la commune et du comté, aux États-Unis, repose partout sur cette même idée : que chacun est le meilleur juge de ce qui n’a rapport qu’à lui-même, et le plus en état de pourvoir à ses besoins particuliers. La commune et le comté sont donc chargés de veiller à leurs intérêts spéciaux. L’État gouverne et n’administre pas.

On rencontre des exceptions à ce principe, mais non un principe contraire. La première conséquence de cette doctrine a été de faire choisir, par les habitants eux-mêmes, tous les administrateurs de la commune et du comté, ou du moins de choisir ces magistrats exclusivement parmi eux.

Les administrateurs étant partout élus, ou du moins irrévocables, il en est résulté que nulle part on n’a pu introduire les règles de la hiérarchie. Il y a donc eu presque autant de fonctionnaires indépendants que de fonctions. Le pouvoir administratif s’est trouvé disséminé en une multitude de mains.

La hiérarchie administrative n’existant nulle part, les administrateurs étant élus et irrévocables jusqu’à la fin de leur mandat, il s’en est suivi l’obligation d’introduire plus ou moins les tribunaux dans l’administration. De là, le système des amendes au moyen desquelles les corps secondaires et leurs représentants sont contraints d’obéir aux lois. On retrouve ce système d’un bout à l’autre de l’Union.

Du reste, le pouvoir de réprimer les délits administratifs, ou de faire au besoin des actes d’administration, n’a point été accordé dans tous les États aux mêmes juges.

Les Anglo-Américains ont puisé à une source commune l’institution des juges de paix ; on la retrouve dans tous les États. Mais ils n’en ont pas toujours tiré le même parti. Partout les juges de paix concourent à l’administration des communes et des comtés39, soit en administrant eux-mêmes, soit en réprimant certains délits administratifs ; mais, dans la plupart des États, les plus graves de ces délits sont soumis aux tribunaux ordinaires.

Ainsi donc, élection des fonctionnaires administratifs, ou inamovibilité de leurs fonctions, absence de hiérarchie administrative, introduction des moyens judiciaires dans le gouvernement secondaire de la société, tels sont les caractères principaux auxquels on reconnaît l’administration américaine, depuis le Maine jusqu’aux Florides.

Il y a quelques États dans lesquels on commence à apercevoir les traces d’une centralisation administrative. L’État de New York est le plus avancé dans cette voie.

Dans l’État de New York, les fonctionnaires du gouvernement central exercent, en certains cas, une sorte de surveillance et de contrôle sur la conduite des corps secondaires40. Ils forment, en certains autres, une espèce de tribunal d’appel pour la décision des affaires41. Dans l’État de New York, les peines judiciaires sont moins employées qu’ailleurs comme moyen administratif.

Le droit de poursuivre les délits administratifs y est aussi placé en moins de mains42.

On trouve de loin en loin, dans les lois de l’État de New York, des dispositions analogues à celles que je viens de citer comme exemples. Mais en général, ces tentatives de centralisation sont faibles et peu productives. En donnant aux grands fonctionnaires de l’État le droit de surveiller et de diriger les agents inférieurs, on ne leur donne point le droit de les récompenser ou de les punir.

Le même homme n’est presque jamais chargé de donner l’ordre et de réprimer la désobéissance ; il a donc le droit de commander, mais non le droit de se faire obéir.

En 1830, le surintendant des écoles, dans son rapport annuel à la législature, se plaignait de ce que plusieurs commissaires des écoles ne lui avaient pas transmis, malgré ses avis, les comptes qu’ils lui devaient. « Si cette omission se renouvelle, ajoutait-il, je serai réduit à les poursuivre, aux termes de la loi, devant les tribunaux compétents. »

La même tendance se fait légèrement remarquer dans quelques autres États43. Mais, en général, on peut dire que le caractère saillant de l’administration publique aux États-Unis est d’être prodigieusement décentralisée.

1 Le nombre des communes, dans l’État de Massachusetts, était, en 1830, de 305 ; le nombre des habitants de 610 014 ; ce qui donne à peu près un terme moyen de 2 000 habitants par commune.

2 Les mêmes règles ne sont pas applicables aux grandes communes. Celles-ci ont en général un maire et un corps municipal divisé en deux branches ; mais c’est là une exception qui a besoin d’être autorisée par une loi. Voyez la loi du 22 février 1822, régulatrice des pouvoirs de la ville de Boston. Laws of Massachusetts, vol. II, p. 588. Ceci s’applique aux grandes villes. Il arrive fréquemment aussi que les petites villes soient soumises à une administration particulière. On comptait en 1832, 104 communes administrées de cette manière dans l’État de New York (William’s Register).

3 On en élit trois dans les plus petites communes, neuf dans les plus grandes. Voyez The Town Officer, p. 186. Voyez aussi les principales lois du Massachusetts relatives aux select-men : Loi du 20 février 1786, vol. I, p. 219 ; – du 24 février 1796, vol. I, p. 488 ; – 7 mars 1801, vol. II, p. 45 ; – 16 juin 1795, vol. I, p. 475 ; – 12 mars 1808, vol. II, p. 186 ; – 28 février 1787, vol. I, p. 302 ; – 22 juin 1797, vol. I, p. 539.

4 Voyez Laws of Massachusetts, vol. I, p. 150 ; loi du 25 mars 1786.

5 Voyez Laws of Massachusetts, vol. I, p. 150 ; loi du 25 mars 1786.

6 Tous ces magistrats existent réellement dans la pratique. Pour connaître les détails des fonctions de tous ces magistrats communaux, voyez le livre intitulé Town Officer, par Isaac Goodwin Worcester, 1 827 ; et la collection des lois générales du Massachusetts en 3 vol., Boston, 1 823.

7 Voyez Laws of Massachusetts, loi du 23 mars 1786, vol. I, p. 250.

8 Ibid., loi du 20 février 1786, vol. I, p. 217.

9 Voyez même collection, loi du 25 juin 1789, et 8 mars 1827, vol. I, p. 367, et vol. III, p. 179.

10 Voyez la loi du 14 février 1821, Laws of Massachusetts, vol.I, p. 551.

11 Voyez la loi du 20 février 1819, Laws of Massachusetts, vol.II, p. 494.

12 Le conseil du gouverneur est un corps électif.

13 Voyez la loi du 2 novembre 1791, laws of Massachusetts,vol. I, p. 61.

14 Voyez le Town Officer, particulièrement aux mots Select-men, Assessors, Collectors, Schools, Surveyors of highways… Exemple entre mille : l’État défend de voyager sans motif le dimanche. Ce sont les tyhingmen, officiers communaux, qui sont spécialement chargés de tenir la main à l’exécution de la loi. Voyez la loi du 8 mars 1792, Laws of Massachusetts, vol. I, p. 410. Les select-men dressent les listes électorales pour l’élection du gouverneur et transmettent le résultat du scrutin au secrétaire de la république. Loi du 24 février 1796, id., vol. I, p. 488.

15 Exemple : les select-men autorisent la construction des égouts, Voyez la loi du 7 juin 1785, vol. I, p. 193.

16 Exemple : les select-men veillent à la santé publique en cas de maladies contagieuses, et prennent les mesures nécessaires conjointement avec les juges de paix. Loi du 22 juin 1797, vol. I, p. 539.

17 e dis presque, car il y a plusieurs incidents de la vie communale qui sont réglés, soit par les juges de paix dans leur capacité individuelle, soit par les juges de paix réunis en corps au chef-lieu du comté. Exemple : ce sont les juges de paix qui accordent les licences. Voyez la loi du 28 février 1787, vol. I, p. 297.

18 Exemple : on n’accorde de licence qu’à ceux qui présentent un certificat de bonne conduite donné par les select-men. Si les select-men refusent de donner ce certificat, la personne peut se plaindre aux juges de paix réunis en cour des sessions, et ces derniers peuvent accorder la licence. Voyez la loi du 12 mars 1808, vol. II, p. 186. Les communes ont le droit de faire des règlements (bylaws) et d’obliger à l’observation de ces règlements par des amendes dont le taux est fixé ; mais ces règlements ont besoin d’être approuvés par la cour des sessions. Voyez la loi du 23 mars 1786, vol. I, p. 254.

19 Au Massachusetts, les administrateurs du comté sont souvent appelés à apprécier les actes des administrateurs de la commune ; mais on verra plus loin qu’ils se livrent à cet examen comme pouvoir judiciaire, et non comme autorité administrative.

20 Exemple : les comités communaux des écoles sont tenus annuellement de faire un rapport de l’état de l’école au secrétaire de la république. Voyez la loi du 10 mars 1827, vol. III, p. 183.

21 Nous verrons plus loin ce que c’est que le gouverneur ; je dois dire dès à présent que le gouverneur représente le pouvoir exécutif de tout l’État.

22 Voyez Constitution du Massachusetts, chap. II, section I, paragraphe 9 ; chap. III, paragraphe 3.

23 Exemple entre beaucoup d’autres : un étranger arrive dans une commune, venant d’un pays que ravage une maladie contagieuse. Il tombe malade. Deux juges de paix peuvent donner, avec l’avis des select-men, au shérif du comté l’ordre de le transporter ailleurs et de veiller sur lui. Loi du 22 juin 1797, vol. I, p. 540. En général les juges de paix interviennent dans tous les cas importants de la vie administrative et leur donnent un caractère semi-judiciaire.

24 Je dis le plus grand nombre, parce qu’en effet certains délits administratifs sont déférés aux tribunaux ordinaires. Exemple : lorsqu’une commune refuse de faire les fonds nécessaires pour ses écoles, ou de nommer le comité des écoles, elle est condamnée à une amende très considérable. C’est la cour appelée suprême judicial court, ou la cour de common pleas, qui prononce cette amende. Voyez la loi du 10 mars 1827, vol. III, p. 190. Id. Lorsqu’une commune omet de faire provision de munitions de guerre. Loi du 21 février 1822, vol. II, p. 570.

25 Les juges de paix prennent part, dans leur capacité individuelle, au gouvernement des communes et des comtés. Les actes les plus importants de la vie communale ne se font en général qu’avec le concours de l’un d’eux.

26 Les objets qui ont rapporté au comté, et dont la cour des sessions s’occupe, peuvent se réduire à ceux-ci : 1° L’érection des prisons et des cours de justice ; 2° le projet du budget du comté (c’est la législature de l’État qui le vote) ; 3° la répartition des taxes ainsi votées ; 4° la distribution de certaines patentes ; 5° l’établissement et la réparation des routes du comté.

27 C’est ainsi que, quand il s’agit d’une route, la cour des sessions tranche presque toutes les difficultés d’exécution à l’aide du jury.

28 Voyez la loi du 20 février 1786, vol. I, p. 217.

29 l y a une manière indirecte de faire obéir la commune. Les communes sont obligées par la loi à tenir leurs routes en bon état. Négligent-elles de voter les fonds qu’exige cet entretien, le magistrat communal chargé des routes est alors autorisé à lever d’office l’argent nécessaire. Comme il est lui-même responsable vis-à-vis des particuliers du mauvais état des chemins, et qu’il peut être actionné par eux devant la cour des sessions, on est assuré qu’il usera contre la commune du droit extraordinaire que lui donne la loi. Ainsi, en menaçant le fonctionnaire, la cour des sessions force la commune à l’obéissance. Voyez la loi du 5 mars 1787, vol. I, p. 305.

30 Loi du Massachusetts, vol. II, p. 45.

31 Exemple : si une commune s’obstine à ne pas nommer d’assesseurs, la cour des sessions les nomme, et les magistrats ainsi choisis sont revêtus des mêmes pouvoirs que les magistrats élus. Voyez la loi précitée du 20 février 1787.

32 Je dis « près de la cour des sessions ». Il y a un magistrat qui remplit près des tribunaux ordinaires quelques-unes des fonctions du ministère public.

33 Les grands jurés sont obligés, par exemple, d’avertir les cours du mauvais état des routes. Loi du Massachusetts, vol. I, p. 308.

34 Si, par exemple, le trésorier du comté ne fournit point ses comptes. Loi du Massachusetts, vol. I, p. 406.

35 Exemple entre mille : un particulier endommage sa voiture ou se blesse sur une route mal entretenue ; il a le droit de demander des dommages et intérêts devant la cour des sessions, à la commune ou au comté chargé de la route. Loi du Massachusetts, vol. I, p. 309.

36 En cas d’invasion ou d’insurrection, lorsque les officiers communaux négligent de fournir à la milice les objets et munitions nécessaires, la commune peut être condamnée à une amende de 200 à 500 dollars (175 à 438 euros).

37 Voyez, pour le détail, The Revised Statutes de l’État de New York, à la partie I, chap. XI, intitulé : Of the powers, duties and privileges of towns. Des droits, des obligations et des privilèges des communes, vol. I, p. 336-364. Voyez dans le recueil intitule : Digest of the laws of Pennsylvania, les mots Assessors, Collectors, Constables, Overseers of the poor, Supervisor of highways. Et dans le recueil intitulé : Acts of a general nature of the state of Ohio, la loi du 25 février 1834, relative aux communes, p. 412. Et ensuite les dispositions particulières relatives aux divers officiers communaux, tels que : Township’s Clerks, Trustees, Overseers of the poor, Fence- Viewers. Appraisers of property, Township’s Treasurer, Constables, Supervisors of highways).

38 Voyez Revised Statutes of the State of New York, partie I, chap. XI, vol. I, p. 340. Id., chap. XII ; id., p. 366. Id., Acts of the State of Ohio. Loi du 25 février 1824, relative aux county commissioners, p. 263. Voyez Digest of the laws of Pennsylvania, aux mots County-Rates, and Levies, p. 170. Dans l’État de New York, chaque commune élit un député, et ce même député participe en même temps à l’administration du comté et à celle de la commune.

39 Il y a même des États du Sud où les magistrats des county-courts sont chargés de tout le détail de l’administration. Voyez The Statutes of the State of Tennessee, aux Art. Judiciary, Taxes…

40 Exemple : la direction de l’instruction publique est centralisée dans les mains du gouvernement. La législature nomme les membres de l’université, appelés régents ; le gouverneur et le lieutenant-gouverneur de l’État en font nécessairement partie. (Revised Statutes, vol. I, p. 456.) Les régents de l’université visitent tous les ans les collèges et les académies, et font un rapport annuel à la législature ; leur surveillance n’est point illusoire, par les raisons particulières que voici : les collèges, afin de devenir des corps constitués (corporations) qui puissent acheter, vendre et posséder, ont besoin d’une charte ; or cette charte n’est accordée par la législature, que de l’avis des régents. Chaque année, l’État distribue aux collèges et académies les intérêts d’un fonds spécial créé pour l’encouragement des études. Ce sont les régents qui sont les distributeurs de cet argent. Voyez chap. XV, Instruction publique, Revised Statutes, vol. I, p. 455. Chaque année, les commissaires des écoles publiques sont tenus d’envoyer un rapport de la situation au surintendant de la république. Id., p. 488. Un rapport semblable doit lui être fait annuellement sur le nombre et l’état des pauvres. Id., p. 631.

41 Lorsque quelqu’un se croit lésé par certains actes émanés des commissaires des écoles (ce sont des fonctionnaires communaux), il peut en appeler au surintendant des écoles primaires, dont la décision est finale. Revised Statutes, vol. I, p. 487.

42 Exemple : l’officier du ministère dans chaque comté (district attorney) est chargé de poursuivre le recouvrement de toutes les amendes s’élevant au-dessus de 50 dollars, à moins que le droit n’ait été donné expressément par la loi à un autre magistrat. Revised Statutes, part. I, chap. X, vol. I, p. 383.).

43 Il y a plusieurs traces de centralisation administrative au Massachusetts. Exemple : les comités des écoles communales sont chargés de faire chaque année un rapport au secrétaire d’État. Laws of Massachusetts, vol. I, p. 367.

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