Par Céline Leborgne-Ingelaere, Maitre de Conférences HDR en droit privé
Dernière mise à jour : juillet 2018

Les premières grandes lois d’aide sociale sont apparues en France à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle (loi de 1893 sur l’assistance médicale gratuite, loi en faveur des tuberculeux de 1901...). Les fondements de l’aide sociale moderne ont été proclamés en 1899 dans une Charte de l’assistance : « L’assistance publique est due à ceux qui se trouvent temporairement ou définitivement dans l’impossibilité physique de pourvoir aux nécessités de la vie. L’assistance publique n’est due qu’à défaut d’une autre assistance. L’assistance publique est d’essence communale. C’est par la commune que doivent être désignés les bénéficiaires de l’assistance parce que, seule, elle est en situation de les connaître ».

Jusqu’au siècle dernier, le soin de secourir personnes fragiles et fragilisées par les circonstances de la vie était surtout laissé aux institutions caritatives ou institutions religieuses. Aujourd’hui encore, de nombreuses associations contribuent à promouvoir l’action sociale en faveur des populations démunies.

En 1945, lors de la mise place du système de Sécurité sociale, il n’était pas interdit de penser que la politique traditionnelle d’aide et d’action sociales perdrait peu à peu de son importance. En effet, ce système était destiné à être étendu et généralisé et devait fournir, compte tenu de la situation de plein emploi et de la croissance économique, une sécurité pour tous à un niveau satisfaisant.

Toutefois, ces prétentions originelles ont rapidement connu des limites et les mécanismes d’assistance classiques ont joué un rôle irremplaçable. Dès 1953, un certain nombre de textes sont venus adapter et moderniser les mécanismes d’assistance, face à l’incapacité de la Sécurité sociale, à couvrir la totalité des besoins collectifs. Un décret du 29 novembre 1953 substitue ainsi la notion d’aide sociale à celle d’ « assistance publique » et celle d’insuffisance de ressources à celle d’ « indigence ». Mais, au-delà de la modernisation du vocabulaire et de l’harmonisation des textes, les principes de l’aide sociale restent les mêmes.

A côté de cette obligation des collectivités se développe, à la même époque, l’action sociale, assistance facultative qui n’est plus seulement motivée par le sentiment de charité et de solidarité. Ce sont ainsi développées tant les interventions des collectivités que celles des caisses de sécurité sociale. L’élément important est l’élément facultatif de principe de l’action sociale.

Aujourd’hui, l’aide sociale et l’action sociale se révèlent un complément indispensable du système global de protection en permettant à celui-ci de conserver une relative importance, une relative efficacité.

L’aide sociale est généralement définie comme un ensemble de prestations correspondant à des droits subjectifs, spécialisés, à caractère alimentaire et attribués sans contribution préalable des bénéficiaires. Il s’agit d’un ensemble de prestations en nature ou monétaires constituant une obligation mise à la charge des collectivités publiques par la loi, et qui sont destinées à faire face à un état de besoin pour les bénéficiaires dans l’impossibilité d’y pourvoir.

L’action sociale repose sur l’idée de libre initiative de ses promoteurs : c’est un ensemble d’interventions, librement, ou au moins, discrétionnairement menées par divers acteurs, qui soit viennent pallier les carences des autres formes d’aide, notamment l’aide sociale, soit se proposent de compléter ou élargir les autres formes d’aide. De surcroît, elle recouvre des formes diverses (aide-ménagère, mise en place d’équipements, etc.). Elle se caractérise aussi par une absence de contribution préalable des bénéficiaires.

1. Les principes de base de l’aide sociale

L’aide sociale est originale à plusieurs titres : il s’agit d’un droit, dont les prestations présentent des caractères spécifiques. De plus, des conditions sont nécessaires pour l’admission à l’aide sociale.

1.1. Le « droit » à l’aide sociale

1.1.1. Les fondements du droit à l’aide sociale

Le bénéfice de l’aide sociale est un droit pour les individus qui remplissent les conditions fixées par la loi et une obligation pour les collectivités chargées d’organiser celle-ci.

Ce droit est le corollaire du devoir de la collectivité à l’égard des bénéficiaires. Ce devoir n’est pas récent. Le Préambule de la Constitution de 1946, auquel la Constitution d’octobre 1958 donne valeur constitutionnelle, déclare ainsi : « Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique se trouve dans l’incapacité de travailler, a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».

1.1.2. Les caractères du droit à l’aide sociale

  • L’aide sociale est un droit alimentaire et spécialisé
    La cause de l’aide sociale est le besoin et son objet réside dans un ensemble de prestations construites pour satisfaire divers besoins. La notion de besoin peut se définir comme un « manque qui produit des effets de droit ».
    L’aide sociale prend en compte un ensemble de besoins spécifiques et y répond par des prestations spécialisées : c’est ce que l’on nomme la spécialisation des formes d’aide sociale.
  • L’aide sociale est un droit, mais un droit subjectif
    Ce droit est apprécié en fonction de la situation individuelle et non définie de manière universelle. Il s’agit d’un droit pour le bénéficiaire qui peut le mettre en œuvre à l’encontre de la puissance publique, celle-ci étant tenue de le satisfaire. Ce droit n’est toutefois pas absolu puisqu’il est encadré par la loi et les règlements et il est conditionné par la situation de besoin du demandeur.
  • L’aide sociale est un droit subsidiaire
    Le droit à l’aide sociale est un droit subsidiaire. Cet aspect dérive du caractère alimentaire de l’aide sociale. Ce principe de subsidiarité trouve son fondement dans l’article L 132-6 du Code de l’action sociale et des familles qui dispose que « les personnes tenues à l’obligation alimentaire sont, à l’occasion de toute demande d’aide sociale, invitées à indiquer l’aide qu’elles peuvent allouer au postulant et à apporter le cas échéant la preuve de leur impossibilité de couvrir la totalité des frais ».

Par principe, c’est par lui-même qu’un individu doit subvenir à ses besoins, soit par son travail, soit par la possession d’un patrimoine. Aussi, le bénéfice des prestations d’aide sociale est conditionné par l’absence de ressources personnelles provenant soit de son activité, soit de ses biens. Il est impératif que le demandeur ne puisse satisfaire lui-même le besoin. De même, les droits dérivant des régimes d’assurances sociales doivent jouer prioritairement. L’aide sociale a donc un caractère subsidiaire par rapport à la sécurité sociale : elle n’intervient qu’à condition que les droits acquis auprès des divers régimes sont épuisés.

Qui plus est, la solidarité de la société ne peut jouer que si le recours à la solidarité familiale a été épuisé. Ainsi, le Président du conseil départemental ou le préfet qui accorde la prestation fixe la proportion de l’aide consentie par la collectivité et, le cas échéant, celle de la participation laissée à la charge du bénéficiaire et des personnes tenues envers lui à une obligation alimentaire. Ces personnes sont préalablement invitées à indiquer l’aide qu’elles peuvent allouer aux postulants et à apporter, le cas échéant, la preuve de leur impossibilité de couvrir la totalité des frais (L 132-6 du code de l’action sociale et des familles - CASF).

Cette nature subsidiaire fonde, dans certains cas, un recours portant sur la succession du bénéficiaire. Egalement, parfois, un recours peut s’envisager contre un donataire lorsque la donation est intervenue postérieurement à la demande d’aide sociale ou dans les 10 ans qui l’ont précédé. Pour la garantie de ces recours, les immeubles du bénéficiaire de l’aide sociale sont grevés d’une hypothèque légale (L 132-8 CASF et L 132-9 CASF). Ces recours ne sont toutefois pas automatiques.

1.2. L’admission à l’aide sociale

1.2.1. Les conditions d’admission à l’aide sociale

Il est nécessaire d’entrer dans l’une des catégories pour lesquelles l’aide sociale est prévue. L’insuffisance des ressources constitue une condition nécessaire mais non suffisante de l’aide sociale. Il est nécessaire que cette insuffisance soit due à une cause particulière ou bien qu’elle mette l’individu et sa famille dans l’impossibilité de faire face à des besoins particuliers (âge, handicap, enfance, etc.).

De plus, en principe, l’aide sociale suppose d’être de nationalité française ou de nationalité étrangère en situation régulière sur le territoire français (titulaire d’une carte de résident ou d’un titre de séjour).

Chaque forme d’aide sociale répond toutefois à des conditions particulières.

Cette condition de nationalité et de territorialité est notamment écartée s’agissant de l’aide médicale d’Etat.

1.2.2. Les procédures d’admission

L’admission d’une personne à l’aide sociale légale constitue l’aboutissement d’une procédure déclenchée au niveau de la commune. La procédure comporte plusieurs étapes.

  • Le dépôt d’une demande au centre communal d’action sociale du lieu de résidence du postulant ou à la mairie. Par principe, la résidence habituelle du demandeur est la commune où il habite depuis au moins trois mois avant de déposer une demande d'aide sociale (domicile de secours) ;
  • La transmission du dossier avec avis, soit au Président du conseil départemental, soit au Préfet selon l’aide sollicitée (autorité compétente pour délivrer la prestation qui instruit le dossier) ;
  • L’instruction, le contrôle et la transmission du dossier (par les services du président du conseil général ou du préfet) ;
  • La notification de cette décision au demandeur et à ses débiteurs d’aliments (par l’intermédiaire du maire de la commune). Un recours est possible dans les deux mois de la notification.

Il est à noter qu’une procédure d'admission d'urgence existe pour l'aide sociale aux personnes âgées (en cas de placement dans un établissement d'hébergement) et pour l'aide-ménagère aux personnes âgées notamment (admission prononcée par le maire).

1.3. Le contentieux de l’aide sociale

La loi de modernisation de la justice du XXIème siècle a apporté d’importantes modifications du contentieux de l’admission à l’aide sociale. Pour mémoire, le code de l’action sociale et des familles prévoit que, à l’exception des décisions concernant l’attribution des prestations d’aide sociale à l’enfance et le revenu de solidarité active (RSA), les décisions du président du conseil départemental et du représentant de l’Etat dans le département d’admission à l’aide sociale sont susceptibles de recours devant les commissions départementales d’aide sociale (CDAS), la Commission centrale d’aide sociale étant la juridiction d’appel des CDAS.

La loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle supprime les CDAS (ainsi que le Tribunal des affaires sociales et le Tribunal du contentieux de l’incapacité) au profit de la création d’un pôle social de tribunaux de grande instance spécialement désignés. Les ordonnances n° 2018-358 et 2018-359 du 16 mai 2018 précisent les conditions de CETTE suppression et les modalités de leur remplacement. Il est ainsi acté que ces juridictions administratives spécialisées disparaîtront le 1er janvier 2019. Les recours contentieux seront alors exercés soit devant les juridictions judiciaires, soit devant les juridictions administratives suivant la nature des affaires. Toutefois, tout recours contentieux devra être précédé d’un recours administratif devant l’auteur de la décision

2. L’organisation de l’aide sociale.

L’aide sociale légale fait intervenir trois acteurs :

  • le Département qui dispose d’une compétence de principe en matière d’aide sociale depuis les lois de décentralisation de 1983 et plus généralement, de "chef de file" de l’action sociale depuis la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales ;
  • l’État ;
  • la commune.

2.1. Le Conseil départemental

L’aide sociale a constitué un des enjeux majeurs de la décentralisation. Ainsi, depuis les lois des 22 juillet 1983 et 6 janvier 1986 portant transferts d’attributions de l’État en leur faveur, les départements exercent une compétence de droit commun en matière d’aide sociale. Cette compétence est exercée eu égard au principe de « solidarité de proximité ». Le Conseil Départemental est aujourd’hui largement compétent.

La loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM) du 27 janvier 2014 désigne le département comme "chef de file" en matière d’aide sociale, d’autonomie des personnes et de solidarité des territoires. La loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) du 7 août 2015, maintient cette compétence.

Pour autant, son action est encadrée par le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire qui restent uniques. Dans le domaine social par exemple, une base minimale, définie au niveau central, est fixée pour l’ensemble du territoire au nom du principe d’égalité entre les citoyens. Les départements peuvent arrêter des conditions ou des montants plus favorables mais pas l’inverse (Règlement départemental d’aide sociale).

Son action concerne notamment :

  • l’enfance : aide sociale à l’enfance (ASE), protection maternelle et infantile (PMI), adoption, soutien aux familles en difficulté financière ;
  • les personnes handicapées : politiques d’hébergement et d’insertion sociale, prestation de compensation du handicap (loi du 11 février 2005) ;
  • les personnes âgées : création et gestion de maisons de retraite, politique de maintien des personnes âgées à domicile (allocation personnalisée d’autonomie) ;
  • la gestion du revenu de solidarité active.

2.2. L’Etat

L’État détient une compétence nationale notamment en matière d’aide à l’enfance délinquante, de population dépourvue de domicile fixe, d’assistance au chômage (régime de solidarité) et d’aide aux personnes en difficulté (assure le fonctionnement des centres d’hébergement et de réinsertion sociale). Il assume également l’aide médicale d’État.

Toutefois, cette compétence étatique en matière d’aide sociale est résiduelle.

2.3. La commune

Les communes sont investies de certaines attributions. Toutefois, celles-ci touchent plus spécifiquement l’action sociale ayant un caractère facultatif, et donc à géométrie variable.

L’intervention des communes est bien évidemment variable selon la taille et la richesse de celles-ci. Les communes interviennent par le biais des centres communaux d’action sociale, lesquels ont succédé en 1986 aux bureaux d’aide sociale crées en 1953.

3. Les catégories d’aide sociale légale ou obligatoire :

Les principales formes d’aide sociale légale sont :

  • l’aide sociale à l’enfance,
  • l’aide médicale d’Etat,
  • l’aide sociale aux personnes âgées,
  • l’aide sociale aux personnes handicapées
  • l’aide à l’hébergement et à la réinsertion sociale.

Le RSA, qui est certes une compétence du Conseil départemental, doit être classé dans la catégorie des minima sociaux.

4. La distinction entre l’aide sociale de l’action sociale

L’action sociale désigne une série d’actions prises en charge par des organismes publics ou privés (collectivités territoriales, organismes de sécurité sociale, mutuelles, caisses de retraites, associations, etc.). L’action sociale recouvre un ensemble diversifié d’interventions et de prestations dont la principale caractéristique tient à sa dimension discrétionnaire pour ses promoteurs.

Elle ne constitue donc pas un ensemble homogène d’interventions ou de prestations, ni même de services, à la différence de l’aide sociale ou de la sécurité sociale.

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