Par Éric Guérin : docteur en droit public
Dernière mise à jour : octobre 2016


Les principes juridiques sont abondamment mis à contribution dans l’élaboration du droit public. D’abord embryonnaires ils n’ont cesse de se développer au point de prendre une place centrale dans notre édifice juridique. Ils sont en constante extension même si leur heure de gloire date de l’après guerre. Dans un passé proche, des principes tel que celui de sécurité juridique ou de précaution se voit consacré par la jurisprudence. D’autres aux contours encore flous, comme le principe d’efficacité, pourrait un jour prochain être érigé au rang de principe juridique à part entière. D’un point de vue strictement juridique, il est possible de classer les principes de droit dans deux grandes catégories, celle des principes généraux du droit et celle des principes constitutionnels que sont les principes fondamentaux reconnus par les lois de la Républiques et les principes particulièrement nécessaires à notre temps.

1. Les principes généraux du droit

Les principes généraux du droit sont une originalité du droit administratif. Ces principes revêtent une importance particulière en droit administratif. Ils constituent une source importante du droit administratif et enrichissent le contrôle de légalité que le juge exerce sur l’administration. Leur originalité réside dans leur caractère non écrit, ils se définissent comme des principes non écrits dont le juge impose le respect à l'administration. Les principes généraux du droit sont l'œuvre du juge administratif, ils ont à la fois une fonction normative (ils sanctionnent l’action de l’administration) et une fonction interprétative (ils servent, dans certains cas, à interpréter la loi). Ils ont pris une place particulièrement importante en droit administratif en raison de son caractère prétorien.

1.1 Création des principes généraux du droit

Il est d’usage de considérer que le juge, loin de créer les principes généraux du droit, ne fait que constater leur existence. Il ne les crée pas, il les énonce. Il ne s’agit pas d’un simple travail d’interprétation, car la création d’un PGD ne présuppose pas un texte. Néanmoins ils se rattachent tous à une norme écrite.

1.1.1 L’origine de la catégorie

La catégorie des principes généraux du droit a été créée par le Conseil d'État. Cette création a ensuite été reconnue par d'autres juridictions. L'expression de "principes généraux du droit" a été utilisée pour la première fois par le Tribunal des conflits le 8 février 1873 dans un arrêt, Dugave et Bransiet. Mais c’est l’arrêt du Conseil d’Etat Aramu du 26 octobre 1945 qui est généralement perçu comme l'arrêt fondateur. En l’espèce le Conseil, il résulte de ces principes qu'une sanction disciplinaire ne peut "être prononcée légalement sans que l'intéressé ait été mis en mesure de présenter utilement sa défense". Le Conseil consacrait ainsi explicitement le principe du respect des droits de la défense, déjà appliqué un an plus tôt dans l'arrêt "Dame Veuve Trompier-Gravier" (CE, sect., 5 mai 1944).

Le juge administratif fait référence à la catégorie des principes généraux du droit sans la fonder sur un texte. Il existe des textes qui mentionnent la catégorie des principes généraux du droit. Mais ils sont tous, postérieurs à l'arrêt "Aramu". Néanmoins pour fonder Un PGD le Conseil d’Etat peut s’inspirer d’une tradition législative.

La catégorie des PGD est reconnue par le Conseil constitutionnel dans une décision du 17 janvier 1989. Cette décision sera ensuite confirmée à plusieurs reprises. Il arrivera au Conseil constitutionnel de créer des PGD.

1.1.2 Les mécanismes de création

Les PGD sont créés par le juge administratif. A l’origine avec l’arrêté Aramu ils ne se rattachent à aucun texte mais depuis les années 1960 les PGD ou du moins certain se rattachent à un texte, notamment la Constitution. Ainsi en est-il par exemple du principe d'égalité des administrés, dont certains aspects peuvent être fondés sur les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme, qui proclament respectivement l'égalité devant la loi et l'égalité devant l'impôt. Le Conseil d'État s'inspire également de textes législatifs, qu'il s'agisse d'une seule disposition ou de plusieurs. Ainsi en est-il du Code civil. Le principe de prescription trentenaire, par exemple, trouve dans l'article 2262 du code sa source matérielle (CE, ass., 8 juill. 2005, Sté Alusuisse-Lonza-France). Il en va de même du Code du travail qui a inspiré le PGD qui interdit de licencier une femme enceinte (CE, ass., 8 juin 1973, Peynet ). Le Conseil d’Etat finira par s’inspirer des conventions internationales comme par exemple la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés en ce qui concerne les principes généraux du droit applicables aux réfugiés (CE, ass., 2 déc. 1994, Agyepong)

Ainsi, les différents principes généraux du droit ne sont pas les fruits de l'arbitraire. Le juge s'inspire d'éléments extérieurs, qui constituent les sources matérielles des principes. La principale source du juge repose sur les principes et les valeurs de notre société. C’est ce qui donne au PGD leur légitimité.

1.2 La Valeur juridique des PGD

La valeur juridique des principes généraux du droit fait l'objet d'âpres débats doctrinaux. Plusieurs thèses sont en présence. Pendant longtemps, une partie de la doctrine a estimé que les principes généraux du droit étaient dotés d'une valeur législative. Le Conseil d'État lui-même affirmait la valeur législative de certains principes, en parlant expressément de "principes généraux du droit ayant valeur législative". Une seconde position a consisté à soutenir que les PGD avaient une valeur infra législative mais supra-décrétale ‘professeur Chapuis). Ils sont en dessous de la loi car ils s’en inspirent et ne sont utilisés qu’en cas de carence de la loi. Ils sont une valeur supérieure au décret car ils ont vocation à les censurer.

L'instauration d'un véritable contrôle de la constitutionnalité des lois par la Constitution de la Ve République et le développement consécutif de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, notamment à partir des années 1970, ont renouvelé la question de la valeur des principes. En effet, la consécration par le Conseil constitutionnel de normes à valeur constitutionnelle dont l'énoncé était similaire, voire identique à celui des principes généraux du droit peut laisser penser que ces principes ont acquis une valeur constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel semble avoir en quelque sorte constitutionnalisé certains principes généraux du droit. Des lors pourquoi considérer qu’un principe juridique aurait une valeur différente en fonction de l’organe qui le formule. De plus, nous savons que la jurisprudence du Conseil d’Etat lui-même, n'hésite pas, depuis 1958, à rattacher certains principes à des textes constitutionnels, comme le Préambule de la Constitution de 1946. La doctrine tend à considérer dès lors que la valeur d’un principe dépend de la source dont il s’inspire et non de l’organe qui le formule. Ils ont valeur constitutionnelle lorsqu’ils s’inspirent de la Constitution, valeur législative lorsqu’ils s’inspirent de la loi …….

1.3 Le contenu des principes généraux du droit

Il ne s’agit pas ici de faire le catalogue complet des principes que le juge a énoncé. En effet, les PGD couvrent des domaines très variés et le Conseil d’Etat n’a jamais affirmé des critères précis permettant d’identifier un PGD. Les PGD peuvent néanmoins être classé et identifié en fonction de leur étendu. Dans un premier temps la catégorie comportée des principes d’une portée extrêmement large ayant vocation à s’appliquer dans tout type de situation et de contentieux. Dans un second temps, la catégorie a s’emblé s’épuiser, le juge n’énonce plus que des principes formulés de façon étroite qui n’ont vocation qu’à s’appliquer dans un domaine déterminé. La catégorie se spécialisé.

1.3.1 Les PGD de portée générale

La première génération des PGD née après la seconde guerre mondiale à partir de l’arrêt Aramu sont de portée générale et ont, pour un grand nombre, un lien avec les droits et libertés. D’autres ont un contenu plus institutionnel, qu'il s'agisse par exemple de l'unité de l'État ou de l'autonomie des personnes publiques. Plusieurs classifications ont été proposées par les auteurs. La classification retenue par J. Rivero était établie en fonction de l'origine du principe appliqué, la philosophie de 1789, le droit privé et la procédure civile, les exigences de l'éthique. B Jeanneau, dans sa thèse consacrée aux PGD, avait choisi un critère tiré de l'"objet" des principes. Il distinguait : le principe d'égalité et ses diverses applications, les principes se rattachant à l'idée de liberté, les principes se rattachant à la sécurité du commerce juridique et les principes liés aux nécessités de la vie administrative.

A. Les principes relatifs à la liberté

Un grand nombre de PGD se rattachent à la liberté. Il s’agit en premier des libertés civiles et politiques comme la liberté d'aller et venir, la liberté de conscience et d'opinion, la liberté de l'enseignement, la liberté de la presse, la liberté de religion …. Les principes qui se rattachent à la liberté peuvent également trouver leur fondement dans les libertés économiques et sociales. Il en va ainsi de la liberté du commerce et de l'industrie, de la liberté contractuelle, …..

B. Les principes relatifs à l'égalité

Le Conseil d'État fait parfois référence à un principe d'égalité, sans autre précision et de manière très générale. Mais le plus souvent, le Conseil d’Etat consacre une composante du principe d’égalité, tel que le principe d’égalité devant l’impôt, devant le service public (dans l’accès au service public ou bien l’égalité tarifaire), l’égalité devant le suffrage, l’égalité devant les charges, l’égal accès aux emplois publics l’égalité de traitement des agents publics, ou encore égalité des usagers du domaine public ….

C. Les principes applicables aux grands domaines du droit administratif général

Il s'agit de principes intéressant un domaine déterminé du droit administratif général : l'organisation administrative, l'action administrative, la juridiction administrative, …. Parmi les principes relatifs à l’organisation de l’administration on trouve le principe de l'unité de l'État, ou le principe de l'autonomie des personnes publiques. Parmi les principes applicables à l’action de l’administration, ont trouve bien évidement le principe de continuité du service public. Mais on trouve également le principe d’impartialité (l'impartialité de l'administration dans le traitement des affaires des administrés ou encore l’impartialité appliquée aux juridictions administratives). Dans le cadre des actes que passe l’administration il vaut citer le principe de la liberté contractuelle, le principe de non-rétroactivité des actes administratifs, le respect des droits de la défense et de manière plus large le respect du contradictoire. Plus récemment, le Conseil d’Etat dans un arrêt célèbre à énoncé le principe de sécurité juridique (CE, ass., 24 mars 2006, Sté KPMG).

1.3.2 Les principes spécialisés et sectorisés

Apres avoir formulé des principes de portée générale le Conseil d’Etat a semblé avoir épuisé la catégorie des PGD. Les nouveaux principes que le juge énonce ont tendance à se sectoriser et à se spécialiser. Ils n’ont plus la même vocation universelle comme le principe d’égalité mais vise à réglementer des situations dans un domaine limité (droit du travail, droit des étrangers ….) de plus leur formulation devient de plus en plus étroite. « ils sont consacrés moins comme des principes généraux du droit que comme les principes généraux d'un droit »( professeur Chapus). La distinction entre les principes de la première génération et ceux que nous présentons maintenant n’est bien sur pas aussi radicale mais elle témoigne d’une évolution notable dans la formulation des PGD.

A. Principes relatifs aux droits de la famille

Fait partie des principes relatifs aux droits de la famille le principe selon lequel la nation assure à la famille les conditions nécessaires à son développement. Le juge a également consacré le principe du droit à une vie familiale normale qui trouve une application particulière dans le cadre du droit des étrangers.

B. Les principes applicables à la fonction publique

Les principes applicables au domaine de la fonction publique sont susceptibles de concerner l’organisation générale de la fonction publique ou la carrière des agents comme par exemple l'égal accès des nationaux aux emplois publics qui constitue un développement du principe d’égalité. Des principes plus spécialisés on été énoncé. Ces principes sont applicables au déroulement de la carrière, il en est ainsi de l'égalité de traitement des membres d'un même corps de fonctionnaires. Dans le domaine des concours les principes se spécialisent encore davantage. Le Conseil d’Etat énonce par exemple, le principe d’égal accès à un concours, celui d’égal accès à un examen, d’égal accès à un grade universitaire donné. Il s’agit toujours du principe d’égalité mais appliqué à des situations toujours plus étroites.

C. Les principes généraux tirés du droit du travail

Les "principes généraux du droit du travail" sont des principes inspirés par le Code du travail et appliqués aux agents publics. Le Conseil d’Etat a d’abord énoncé le principe interdisant le licenciement d’une femme enceinte (voir plus haut). Le Conseil a également consacré le principe général du droit dont s'inspirent les dispositions de l'article 1134 du Code civil et de l'article L. 121-1 du Code du travail et qui « implique que toute modification des termes d'un contrat de travail recueille l'accord à la fois de l'employeur et du salarié ». Le Conseil d’Etat consacre encore le principe au droit à une rémunération minimum, même également le principe qui exige que tous agents exerçant le même travail aient une rémunération égale. Constitue une PGD l’interdiction de prononcer des amendes contre un agent ou autres sanctions pécuniaires.

D. Les principes généraux du droit applicables aux étrangers

Les principes généraux du droit applicables aux étrangers trouvent une application dans le droit de l’extradition. Fait partie de ces principes l'interdiction de l'extradition lorsque le système judiciaire de l'État requérant ne respecte pas les droits et libertés fondamentaux de la personne humaine ou encore l’obligation en cas de demande d’extradition de vérifier si les faits pour lesquels est formulée la demande ont reçu, de la part des autorités de l'État réclamant, une exacte qualification juridique au regard de la loi pénale de cet État. Les principes applicables au droit des étrangers trouvent également à s’appliquer en matière de titre de séjour. Ainsi, le Conseil d’Etat a formulé le principe du droit d’un ressortissant étranger marié à un ressortissant étranger séjournant régulièrement sur le sol français de disposer des mécanismes du droit au regroupement familial.

2. Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et les principes particulièrement nécessaires à notre temps

Le préambule de la Constitution de 1946 fait référence à deux catégories de principes. Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et les principes particulièrement nécessaires à notre temps. Pour une partie de la doctrine, il n'existerait qu'une différence sémantique entre les principes généraux du droit et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Cette position est confortée par le fait que certains principes appartiennent aux deux catégories. Par exemple, la liberté de l'enseignement et le respect des droits de la défense ont été qualifiés de principes généraux du droit par le Conseil d'État et de principes fondamentaux reconnus par les lois de la République par le Conseil constitutionnel. Toutefois, ces catégories de principes n’ont pas les mêmes liens avec les textes qui les fondent. Les principes généraux du droit ne découlent pas nécessairement du texte constitutionnel et n’ont pas tous nécessairement une valeur constitutionnelle. En revanche, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République se rattachent expressément au Préambule de la Constitution de 1946, qui les fait bénéficier d'une valeur constitutionnelle.

Par ailleurs les principes particulièrement nécessaires à notre temps forment également une catégorie de normes constitutionnelles formellement prévue par le Préambule de la Constitution de 1946. Ils se distinguent donc des PGD qui n'en ont pas le caractère écrit. Pourtant, les principes particulièrement nécessaires à notre temps constituent une source d'inspiration pour le Conseil d'État dans la détermination des principes généraux du droit.

Enfin, il existe encore une catégorie de principe qui doit se distinguer des PGD, il s’agit des principes à valeur constitutionnelle. Là aussi les catégories se chevauchent. Par exemple, la continuité du service public est consacrée par le Conseil d’Etat au rang de PGD alors que le Conseil constitutionnel en fait un principe à valeur Constitutionnel. De façon générale on remarque que le Conseil constitutionnel lorsqu’il énonce un principe se réfère toujours explicitement à un texte ce qui le distingue du Conseil d’Etat dans l’élaboration de la théorie des PGD. En dernier lieu, on notera que le Conseil constitutionnel lui-même opérait une distinction formelle entre les deux catégories de principe. Dans une décision du 3 mars 2005, il énonce que le pouvoir réglementaire doit se conformer, dans l'exercice de sa compétence, « aux règles et principes de valeur constitutionnelle, aux principes généraux du droit ainsi qu'aux engagements internationaux.. ». Le Conseil d’Etat opère la même distinction en affirmant d’une part que le Gouvernement est soumis au « respect des règles et principes de valeur constitutionnelle, des principes généraux du droit qui s'imposent à toute autorité administrative ainsi que des engagements internationaux de la France » (CE, 4 nov. 1996, Assoc. défense stés course hippodromes province) ; et d’autre part, en distinguant clairement le « principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques » et le « principe général d'égalité devant les charges publiques »(CE, ass., 5 mars 1999, Rouquette).

Les formulations retenues montrent que les deux catégories sont bien distinctes. Toutefois, il ne faut pas exagérer la distinction entre les différents principes. Les principes dégagés par le Conseil constitutionnel ont tous un fondement textuel et une valeur Constitutionnelles. Les PGD quant à eux sont le plus souvent énoncés en dehors de tout fondement textuel. Ils n’ont pas de valeur constitutionnelle mais un grand nombre sont également consacrés par un principe constitutionnel. On ajoutera que la primauté des principes fondamentaux reconnus par les lois de la Républiques ne revient pas au Conseil constitutionnel mais au Conseil d’Etat qui en a fait usage pour la première fois dans un arrêt du 11 juillet 1956 Amicale des Annamites de Paris. Toutefois, il n’est pas certain qu’à ce moment la haute juridiction administrative ait anticipé la prospérité qu’aller rencontrer cette catégorie de principes.

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