Par Philippe Froute

Dernière mise à jour : avril 2019

Même s’il ne représente qu’environ 2% du PIB, l’investissement public local, mesuré par la formation brute de capital fixe (FBCF) des collectivités territoriales, est une composante importante de la croissance économique française dans la mesure où il va permettre de produire ultérieurement des biens et services. L’investissement public se distingue significativement de l’investissement privé traité dans la Fiche 2 par les mécanismes sous-jacents et par son horizon temporel de plus long terme qui influence son financement (section 1). Ces mécanismes permettent également de comprendre les évolutions observées de l’investissement public local depuis la crise de 2007 qui sont liées à l’évolution de la conjoncture et à la nature des investissements réalisés, notamment dans le cadre des plans de relance de l’activité (section 2). L’évolution observée de l’investissement public local peut en partie s’expliquer par le cadre réglementaire encadrant son financement qui implique largement l’Etat central. De plus, lorsque l’on se penche attentivement sur la question, il apparaît une différence importante entre la réalisation de l’investissement public global, porté à 60% par les collectivités territoriales et le financement de cet investissement, porté à 54% par l’Etat central. Enfin, les entités décideuses et les financeurs diffèrent, ce qui place l’investissement public local au cœur des débats relatifs à l’autonomie financière des collectivités territoriales (section 3).

1. Les distinctions entre investissement privé et investissement public

L’investissement est une composante essentielle de la croissance économique. Il convient cependant de distinguer l’investissement privé (voir Fiche 2) de l’investissement public dans la mesure où les mécanismes sous-jacents à ces deux catégories d’investissement diffèrent largement (section 1.1). Une seconde distinction majeure concerne la temporalité de ces investissements. En effet, l’horizon temporel d’une collectivité peut être plus long que celui d’une entreprise privée car les contraintes budgétaires sont différentes. Cette distinction va influencer le type d’investissement réalisés et son influence sur la croissance (section 1.2).

1.1. Accélérateur vs. Multiplicateur

Sur un plan théorique le canal de transmission des effets de l’investissement privé sur la croissance repose sur le principe de l’accélérateur (section 1.1.1). Le canal de transmission des effets de l’investissement public sur la croissance repose sur le principe du multiplicateur (section 1.1.2). Les différences entre ces deux mécanismes sont à l’origine des spécificités de l’investissement public (section 1.1.3).

1.1.1. Le principe de l’accélérateur

Le principe d’accélération de l’investissement d’Albert Aftalion et John Maurice Clark repose sur le lien entre la demande anticipée et la stratégie d’investissement mise en œuvre par les entreprises destinée à la satisfaire. L’idée est donc celle de l’ajustement d’un potentiel productif à l’anticipation de l’existence de débouchés. Il s’agit ainsi d’un ajustement de l’offre à l’évolution de la conjoncture (voir Fiche 2).

1.1.2. Le principe du multiplicateur

Le principe du multiplicateur d’investissement est analogue à celui du multiplicateur des dépenses publiques. L’idée est qu’à court terme, des commandes publiques de biens d’équipements, ou l’achat de bâtiments par exemple, vont alimenter les carnets de commande des entreprises et permettre la signature de contrats susceptibles de générer des embauches qui vont ainsi garantir des revenus pour alimenter la consommation, les carnets de commande et la production. Selon le FMI, l’effet multiplicateur d’un investissement public financé par l’emprunt dans les pays développés serait de 1.0 au bout d’un an et de 1.4 au bout de trois ans (une hausse de 1% de l’investissement engendre une hausse de 1.0% du PIB au bout d’un an et 1.4% au bout de trois ans). Pour la France, l’Insee estime ce coefficient multiplicateur à 1.1 au bout d’un an et 1.3 au bout de trois. Ces évaluations confirment que les effets sont plus forts à long terme.

1.1.3. Les différences entre accélérateur et multiplicateur

Au final, les différences entre accélérateur et multiplicateur sont principalement de deux niveaux :

  • Premièrement, la perspective de l’accélérateur est centrée sur le comportement individuel des entreprises et revêt un caractère qui relève de la microéconomie tandis que le multiplicateur est une notion principalement macroéconomique où les effets étudiés sont ceux transmis à l’ensemble de l’économie.
  • Deuxièmement, c’est l’anticipation d’une conjoncture favorable qui déclenche la décision d’investir et ainsi générer l’accélération. L’accélérateur est donc un comportement d’ajustement, c’est-à-dire la réaction à une anticipation favorable. Le multiplicateur joue quant à lui un rôle d’impulsion.

Ainsi, les déterminants de l’investissement privé ont un caractère de réaction microfondé tandis que les déterminants de l’investissement public revêtent un caractère de stimulation macrofondé. Sur le plan de l’analyse économique les principaux effets des investissements publics sont des effets de long terme.

1.2. Les influences à long terme

Les critères d’évaluation de la rentabilité financière des investissements (valeur actualisée nette, taux de rendement interne) tendent à privilégier les projets de court terme qui assurent un retour sur investissement plus rapide (voir Fiche 2). Les investissements publics échappent très largement à cette logique car les dépenses engagées n’ont pas pour principal objectif la rentabilité financière mais la satisfaction des besoins des usagers. L’horizon temporel d’évaluation de l’effet des investissements publics est donc un horizon de long terme qui rend l’évaluation des effets de l’investissement largement tributaire des délais de réalisation des opérations (section 1.2.1). Toutefois, l’impact sur la croissance potentielle est indéniable même si l’ampleur de cet impact est influencée par un nombre important de déterminants (section 1.2.2).

1.2.1. Le rôle des délais de réalisation

Le chancelier ouest-allemand Helmut Schmidt disait en 1974 que : « Les profits d'aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d'après-demain ». La réalisation des investissements est le fruit d’un processus qui s’inscrit dans le temps long. Ainsi, les délais entre les prises de décision, les engagements de crédits et les mises en paiement peuvent durer plusieurs années voire des décennies. A titre d’illustration, les projets ferroviaires en matière de lignes à grande vitesse peuvent s’étaler sur plus de 15 ans entre le démarrage des premières études et la mise en service. La Cour des comptes rappelait en 2015 qu’en décembre 2014 les décaissements réalisés ne représentaient que le quart du programme d’investissements d’avenir votés en 2010. Or, le principe de la comptabilité publique est celui des droits constatés. La méthode des droits constatés comptabilise une transaction lorsqu'intervient l'activité (ou la décision) qui va générer les recettes ou les dépenses, et ne tient pas compte du moment auquel interviennent décaissements ou encaissements. Les délais de réalisation vont ainsi introduire des décalages importants entre le moment où est enregistrée comptablement la décision d’investissement et le moment où son effet sur l’activité économique va être effectif ce qui a des conséquences très importantes en matière budgétaire.

1.2.2. L’influence sur la croissance potentielle

En ce qui concerne l’évaluation des effets de l’investissement sur le potentiel de croissance de long terme des économies (voir Fiche 4), le FMI estime qu’une hausse de l’investissement public de 1 point de PIB relève le PIB potentiel de 2.5 points à long terme. Dans une étude ciblée sur la France, l’OCDE retient une fourchette comprise entre 1 et 4 points de PIB concernant les effets de long terme sur la croissance potentielle. Les écarts s’expliquent par les modalités de financement des investissements et par le ciblage de ces derniers. Un autre mécanisme expliquant une moindre performance de l’investissement public est lié au stock de capital existant. Les études du FMI et de l’OCDE mettent en évidence l’existence de rendements décroissants dans les investissements d’infrastructure. Or, dans le cas des transports, ces investissements sont importants en France. Les nouveaux investissements dans ces domaines ont une efficacité marginale réduite par rapport aux investissements initiaux. Ainsi, l’évaluation fine de l’impact des investissements publics  nécessiterait de recourir à une évaluation au cas par cas qui est difficilement réalisable à un niveau agrégé.

2. L’évolution de l’investissement public local en France depuis la crise de 2007

En 2016, l’investissement public mesuré par la comptabilité nationale s’élevait à 75.1 milliards d’euros pour l’ensemble des administrations publiques. Avec 45.5 milliards d’euros de dépenses d'investissement (hors remboursements), les collectivités territoriales sont les premiers investisseurs publics français. En effet, l’investissement public est réalisé pour près de de 60% par les APUL (chiffres 2016). Cela représente 2% du PIB, l’investissement public total s’élevait à 3.4% du PIB. Cette proportion rapportée au PIB reste la même en 2017, même si l’investissement public a progressé en valeur pour s’élever à 77.5 milliards d’euros, car le PIB en valeur a lui aussi progressé dans des proportions similaires. Ce simple constat illustre la sensibilité de l’investissement à la conjoncture économique (section 2.1). L’évolution observée dépend également très largement de la nature des investissements réalisés (section 2.2).

2.1. Le rôle de la conjoncture

Ainsi, même si l’investissement public relève d’une logique de long terme, les décisions d’investissement sont influencées par l’évolution de la conjoncture et l’état des finances publiques qui vont influencer les contraintes financières. L’influence de la conjoncture s’observe à la fois au niveau de l’investissement public global (section 2.1.1) mais également au niveau local où la chronique des investissements a fortement été marquée par la conjoncture économique et les conséquences de la crise financière de 2007-2008 (section 2.1.2).

2.1.1. L’évolution de l’investissement public

En 2007, l’investissement public représentait 3.9% du PIB en France. Il a progressé pour atteindre en valeur 4.3% du PIB en 2009 sous l’effet de la hausse des coûts de construction puis des plans de relance de 2008 et 2009. A partir de 2010, beaucoup de pays européens ont mis en œuvre des programmes de consolidation budgétaire qui ont conduit à une baisse de l’investissement public, en pourcentage du PIB. L’investissement public a représenté 4% du PIB en France à partir de 2011 jusqu’en 2013 où il a connu un nouveau repli pour ne représenter que 3.7% du PIB en 2014 puis 3.4% en 2015, proportion qui reste stable en 2016 et 2017. Ces évolutions masquent des différences marquées entre l’investissement public de l’Etat et l’investissement des collectivités locales.

2.1.2. L’évolution de l’investissement public local

La direction générale des collectivités locales fournit des données permettant d’appréhender les déterminants de l’évolution des comptes des administrations publiques. La baisse de l’investissement public observée en 2010 correspond aux investissements anticipés de 2009 favorisés par le plan de relance. Ainsi, l’idée des plans de relance était de stabiliser les perspectives de croissance en palliant les défaillances de la commande privée. Mais, cet effet a seulement joué en 2009 par un effet de calendrier. Il y a eu peu de nouveaux projets d’investissement de la part des collectivités mais principalement l’accélération du calendrier de projets déjà existant. Ceci se justifie par le fait que le lancement des projets d’investissement public nécessite la réalisation d’études socio-économiques préalables ou la constitution d’appels d’offre en fonction des types de projets considérés, ce qui implique nécessairement l’inscription dans un temps long (voir Fiche 17). Du point de vue de la croissance, ce type de mesures peut suffire à stabiliser l’activité dans le cas de chocs conjoncturels ou dans le cas de crises courtes. La principale inconnue concernant la crise de 2008 portait sur la durabilité des conséquences de la crise. Si la crise s’avérait n’est qu’être qu’un choc momentané de confiance, on pouvait penser que le soutien public durant une année permettrait de stabiliser la confiance des entreprises et générer un redémarrage de la commande privée l’année suivante. En revanche, si la crise s’avérait avoir des effets de long terme, entraînant une baisse de la croissance potentielle, alors, un soutien ponctuel ne serait pas suffisant.

Or, la croissance économique n’a pas redémarré en 2010. Et si les collectivités locales ont repris leur effort d’investissement entre 2011 et 2013, l’investissement public s’est stabilisé à 4% durant cette période. Ceci signifie que l’investissement public de l’Etat a diminué, notamment en raison de la nécessité de respecter les règles du Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC) puis du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) (voir Fiche 12).

En 2014, la FBCF a diminué de 0.3 point. Cette diminution est due principalement à une diminution de 8.4% des investissements des collectivités locales. La DGCL indique qu’il est classique qu’en début de mandature les investissements croissent peu, voire diminuent. Cependant cette baisse s’est poursuivie en 2015 (baisse de 10% par rapport à 2014). L’influence du cycle électoral ne constitue ainsi qu’une partie de l’explication. D’autres éléments d’explication doivent donc être mobilisés. L’incertitude relative aux changements législatifs et aux modifications de la fiscalité locale (contexte de négociation de la loi NOTRe) peuvent avoir ralenti la signature de projets d’investissement car les règles budgétaires concernant l’investissement local sont complexes (voir section 3).

Ainsi, à partir de 2015, l’investissement public ne représente plus que 3.4% du PIB, ce qui représente un point bas par rapport à 2007 où l’investissement public représentait 3.9% du PIB. La baisse de l’investissement local s’est poursuivie en 2016 (-3.2%).

En 2017, l’investissement local est reparti à la hausse (+7.2%) et, d’après l’Insee, si les administrations publiques locales sont excédentaires de 0,8 milliard d’euros, après un solde de + 3,0 milliards d’euros en 2016[1]). Les dépenses, portées par une reprise de l’investissement, progressent davantage que les recettes (+ 2,5 % contre + 1,6 % pour les recettes).

Ainsi, les cycles entre l’investissement public local et l’investissement public central sont largement désynchronisés. Au-delà des différences en termes de schéma des prises de décision, cette désynchronisation dépend largement de différences au niveau de la nature des investissements réalisés.

2.2. Le rôle de la nature des investissements

La FBCF des administrations publiques est répartie entre les bâtiments et les travaux publics (pour près de la moitié), les équipements (pour un quart) et la recherche et développement (pour un cinquième). Cette répartition diffère selon les catégories d’administrations et va induire des différences de réalisation en termes de calendrier. Ainsi l’investissement public de l’Etat (section 2.2.1) diffère de celui réalisé par les collectivités territoriales (section 2.2.2).

2.2.1. Les investissements publics centraux

Plus de la moitié de l’investissement de l’État et de ses opérateurs correspond à de la recherche et à l’acquisition de droits de propriété intellectuelle qui ont une introduction comptable rapide mais dont les effets sur la croissance peuvent être plus lents en fonction de la nature des effets de diffusion.

Il est également à noter qu’à partir de 2014, avec l’application d’un nouveau référentiel de comptabilité nationale par les instituts statistiques européens, l’investissement dans les équipements militaires et la recherche et développement (pour des ordres de grandeurs respectifs compris entre 4 à 10 milliards d’euros pour les dépenses militaires et 17 milliards d’euros pour la R&D) sont désormais inclus dans les investissements publics. Aussi le partage de l’investissement public a été mécaniquement augmenté en faveur de l’Etat sans qu’un changement dans les choix d’investissement n’ait été opéré. Avant la base 2014, le partage de l’investissement public était de l’ordre de 75% pour les collectivités et 25% pour l’Etat. Aujourd’hui, les parts respectives sont de l’ordre de 60% et 40%.

L’Etat et les agences investissent également dans des biens d’équipement qui font appel aux entreprises du bâtiment et des travaux publics pour environ un cinquième des fonds investis. Ce type d’investissement est plus lent mais les effets sur la croissance, via la hausse des carnets de commande sont plus directs.

2.2.2. Les investissements publics locaux

L’investissement des collectivités locales est composé pour près des deux tiers d’équipements dont la réalisation fait appel aux entreprises du bâtiment et des travaux publics (contre un peu plus d’un cinquième pour l’État et ses agences). On observe des différences importantes entre les collectivités qui correspondent aux différences de compétences entre ces dernières (voir Fiche 17). En 2016, la répartition des dépenses d’investissement entre les collectivités étaient la suivante :

Type de collectivités/ Type de dépensesDépenses réelles de fonctionnement (Mds€)Dépenses réelles d’investissement (Mds€)
Secteur communal91,127,3
Régions19,19
Départements58,39,1
Dépenses totales168,545,5

Source : DGCL, Les comptes des administrations publiques locales 2016

C’est le bloc communal avec les intercommunalités qui investit le plus, notamment en biens d’équipement, tandis que les dépenses de R&D sont plutôt du ressort des Régions.

La réalisation de l’ensemble de ces investissements nécessitent toutefois de disposer des ressources financières appropriées. Le nœud de la question de l’investissement public repose sur l’autonomie de décision et l’autonomie financière des collectivités territoriales.

3. Le financement de l’investissement

Ainsi, au-delà des motivations économiques de relance de la croissance ou de satisfaction des besoins des administrés, les collectivités locales doivent respecter un cadre réglementaire qui peut à la fois venir limiter leurs marges de manœuvres mais aussi prévenir certaines dérives budgétaires (section 3.1). Même si les collectivités disposent d’une autonomie financière, les montants nécessaires à la réalisation et à la mise en œuvre des investissements requièrent une importante participation financière de l’Etat central (section 3.2).

3.1 La règle d’or

Dans le cadre de la comptabilité nationale, les collectivités locales sont une des composantes du secteur des administrations publiques aux côtés de l’Etat et de ses opérateurs et des administrations de sécurité sociale. La situation budgétaire des collectivités locales doit ainsi permettre à l’Etat de respecter les règles budgétaires au niveau européen (voir Fiche 12). La situation budgétaire doit également respecter le droit des finances publiques locales. En matière d’investissement, la France possède la particularité d’avoir mis en place une règle budgétaire spécifique, la règle d’or qui contraint en théorie les politiques d’investissement locales (section 3.1.1). En pratique, ce cadre s’est révélé plutôt souple car la situation budgétaire des collectivités locales françaises s’est avérée saine jusqu’à présent, seules quelques collectivités ayant connu des situations de défaillance (section 3.1.2).

3.1.1 Un cadre théoriquement contraignant…

Ainsi, les finances publiques des collectivités locales sont encadrées par une règle d’or. Contrairement à l’Etat, les collectivités ont l’obligation légale de voter leur budget en équilibre. En outre, chacune des sections des budgets locaux (section courante et section d’investissement) doit également être votée à l’équilibre. Pour équilibrer la section d’investissement, une collectivité ne peut recourir qu’à l’emprunt. L’idée est que l’emprunt est la variable d’ajustement de la section d’investissement. Les autres recettes sont constituées des transferts du budget central, des impôts locaux et des recettes en excédents de la section de fonctionnement que les gouvernements locaux ne contrôlent pas. Les transferts du budget central sont votés par le Parlement. Même si les collectivités peuvent moduler certains taux de taxe ou le niveau de certaines redevances, en pratique, les montants récoltés vont largement dépendre du comportement des agents économiques. Les recettes excédentaires sont le résultat de la différence entre les recettes et les dépenses de fonctionnement d’un exercice budgétaire donné et ne peuvent donc pas être connues à l’avance (voir Fiche 21). Ainsi, seul l’emprunt peut être négocié et voté en début d’exercice et contribuer au financement des investissements. Enfin, la gestion budgétaire de l’emprunt obéit à une dernière règle qui est que le remboursement des intérêts des prêts contractés doit être enregistré dans la section de fonctionnement du budget. En résumé, l’emprunt permet d’équilibrer la section d’investissement mais dans le même temps, il déséquilibre, via les intérêts, la section de fonctionnement. Il est donc nécessaire que la collectivité dégage des excédents de fonctionnement pour pouvoir emprunter ce qui permet de limiter les prises de risque.

3.1.2 …qui se révèle souple en pratique.

En théorie, le respect de la règle d’or peut apparaître comme un dispositif très contraignant. Il est toutefois nécessaire de préciser son degré de contrainte. Alors que, certaines règles ne revêtent pas de caractère contraignant (elles sont désignées sous le terme de « soft laws »). D’autres vont revêtir un caractère contraignant et être désignées sous le terme de « hard laws ». L’idée est que l’application d’une règle douce peut être négociée et ne revêt donc pas de caractère automatique tandis qu’une règle dure connaît une application systématique. La mise en place d’une règle souple ou dure dépend d’un arbitrage entre la flexibilité et la certitude. Face à des mutations fréquentes et importantes de l’environnement socio-économique, une règle souple peut permettre une adaptation rapide du cadre réglementaire mais peut générer une incertitude susceptible d’engendrer des comportements spéculatifs ou le report de projets. Une règle dure réduit cette incertitude et peut sécuriser des transactions mais a pour inconvénient de ne pas permettre une adaptation rapide aux évolutions du contexte institutionnel. Dans le cadre des collectivités locales françaises, une étude menée par Gilles Dufrénot, Philippe Frouté et Christophe Schalck en 2011[2] montre que la règle d’or a principalement constituée une règle souple au sein de l’échelon régional français. En effet, la situation budgétaire excédentaire a permis aux collectivités de disposer de suffisamment de marges de manœuvre pour mener à bien des projets d’investissement. En outre, les collectivités adoptent des comportements prudents. Par exemple, dans le cadre des plans de relance, ce sont surtout des anticipations de projets qui ont été réalisées et peu de projets nouveaux. En revanche, à l’échelon communal, certaines collectivités se sont trouvées en situation de quasi-faillite comme la ville d’Angoulême en 1989 ou la ville de Saint-Etienne victime de la crise des emprunts toxiques révélées en 2008. Si une collectivité est mise en situation de faillite, sa gestion va être organisée par le Préfet. En dernier ressort, une intervention de l’Etat est alors nécessaire. Cependant, cette intervention ne se limite pas aux situations d’urgence.

3.2 Les concours de l’Etat en matière d’investissement

En effet, une part importante de l’investissement des collectivités territoriales est financée par les dotations d’équipement et les autres concours de l’Etat (section 3.2.1). Finalement, l’ampleur du financement central appelle à revoir la répartition de l’investissement public entre l’Etat et les collectivités. Elle révèle une déconnexion entre la prise de décision d’investissement et les modalités de financement qui suscite de nombreux débats au sujet de l’autonomie financière des collectivités territoriales (section 3.2.2).

3.2.1 Les dotations d’équipement et les autres concours

En termes de montant, le principal concours de l’Etat en matière d’investissement est le fonds de compensation sur la valeur ajoutée (FCTVA). D’un montant de 5,5 milliards d’euros en 2017, il s’agit d’une dotation d’équipement qui compense la TVA payée par les collectivités sur leurs dépenses d’équipement réalisées deux ans auparavant. Le deuxième poste de dotations concerne les subventions pour investissement, d’un montant de 3,3 milliards d’euros en 2017. On trouve ensuite la dotation globale d’équipement (DGE). En 2011, la DGE des communes a fusionné avec la dotation de développement rural pour former la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR). En 2017, la DETR s’élevait à 996 millions d’euros, et la DGE des départements à 216 millions. Parmi les principaux postes, on compte ensuite les produits des amendes à la circulation routière qui représentait en 2017 626 millions d’euros. 156 communes de la géographie prioritaire sont éligibles à la dotation politique de la ville (DPV). Son montant total s’élevait à 150 millions d’euros en 2017, en hausse de plus de 50 % par rapport à 2016. On trouve ensuite un fonds exceptionnel de soutien à l’investissement local créé en 2016 et reconduit en 2017 avec une dotation de 570 millions d’euros en 2017. On trouve également la dotation de solidarité en faveur de l’équipement des collectivités territoriales et de leurs groupements touchés par des événements climatiques ou géologiques (article L. 1613-6 du CGCT) qui s’élevait à 54 millions d’euros en 2017 à laquelle on peut associer le fonds catastrophe naturelles (0 en 2017).

Enfin, un fonds particulier a été créé suite à la crise financière. Il s’agit d’un fonds de soutien mis en place en 2014 par le Gouvernement pour aider les collectivités à se défaire de leurs emprunts structurés à risque. En 2017, l’État est engagé à hauteur de 2,6 milliards d’euros auprès de 578 collectivités bénéficiaires. Ce fonds repose sur deux volets :

  • Un volet curatif, avec la mise en place du fonds de soutien, doté de 3 milliards d’euros pour accompagner les collectivités dans la renégociation de la dette toxique.
  • Un volet préventif, avec la sécurisation des conditions d’accès au crédit par le renforcement de la règlementation bancaire et comptable applicable aux prêts des collectivités locales.

Le fonds de soutien devrait poursuivre son activité jusqu’en 2028 afin de continuer à accompagner les collectivités : ses activités, recentrées sur l’exécution des conventions d’aides signées entre l’Etat et les bénéficiaires, seront gérées par la Direction Générale des Finances Publiques (DGFIP)

3.2.2 La véritable répartition de l’investissement public entre les collectivités et l’Etat

Si l’on additionne la totalité des dépenses publiques d’investissement réalisées en 2016 (soit 75.1 milliards d’euros) et que l’on considère les concours de l’Etat (soit 10.9 milliards cette même année selon la DGCL), on peut affiner la répartition du financement de l’investissement public. Ainsi, sur les 45.5 milliards réalisés par les collectivités, il reste 34.6 milliards qui sont financés directement à leur charge. Ceci signifie que 24% des dépenses sont financées via des concours de l’Etat. Ceci signifie également que 40.5 milliards d’euros de dépenses d’investissement sont financées par l’Etat, soit 54% de l’investissement public total.

Pour conclure, il s’avère que 60% de l’investissement public est réalisé par les collectivités territoriales mais que seul 46% de cet investissement est financé directement par elles. Ce qui revient à dire que si l’Etat réalise 40% de l’investissement public, il en finance 54%. Le cœur du problème est la déconnexion entre la prise de décision et le financement de cette dernière : en d’autres termes, le nœud du problème est le processus de gouvernance décisionnel. Cette problématique déborde largement le cadre des relations entre les collectivités et l’administration centrale puisqu’elle concerne également les relations des collectivités entre elles et les relations entre l’ensemble des administrations publiques et l’Union européenne (notamment à travers le nouveau TSCG qui gouverne les finances publiques (voir Fiche 12)).


[1] Insee [2018], Les comptes des administrations publiques en 2017 – Insee Premières, n°1698.

[2] Dufrénot G., Frouté P. et Schalck C [2011], « Les comportements d’emprunt des régions françaises. Que degré d’hétérogénéité ? », Revue Economique, vol. 62(5), pp. 919-940.

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