Par Eric Guérin

Dernière mise à jour : juillet 2019

L’existence d’une juridiction administrative à côté des juridictions judiciaires est le résultat de l’histoire mais également le fruit d’un choix politique. De ce choix naîtra une organisation singulière (1) dont le mode de fonctionnement traduit les caractères particuliers du droit administratif (2).

1. L’organisation de la justice administrative

Le système juridictionnel français est marqué par un des principes les plus fermement établis de notre système juridique : la séparation de la juridiction judiciaire et de la juridiction administrative. Pour des raisons historiques que nous allons brièvement évoquer notre organisation juridictionnelle est composée de deux ordres de juridictions. Il existe donc deux juges. L’un est compétent pour juger l’administration (le juge administratif) l’autre est compétent pour trancher les litiges qui surviennent entre particuliers (le juge judiciaire). La dualité de juridictions est une originalité du système français, elle est aussi une source de complication lorsqu’il s’agit de répartir les compétences entre les deux ordres de juridictions. Par ailleurs, si les deux ordres de juridictions tendent de plus en plus à se ressembler, l’organisation du Conseil d’État (la juridiction suprême de l’ordre administratif), conserve une grande singularité, même si son organisation est contestée par la Cour européenne des droits de l’homme et que son organisation interne a récemment été revisitée.

1.1. L’histoire de la justice administrative : la dualité de juridictions

A l’origine, la juridiction administrative n’existe pas. Non seulement il n’existe pas d’organe compétent pour juger l’administration, mais en outre les textes révolutionnaires (Loi du 16-24 août 1790 et Décret du 16 fructidor an III), font interdiction au juge judiciaire de connaître des affaires de l’administration ou de citer à comparaître un fonctionnaire. L’administration bénéficie donc d’une immunité de Juridiction. Les révolutionnaires qui se méfient des juges, veulent protéger l’action de l’administration et considèrent que « juger l’administration c’est encore administrer ».

Autrement dit, la nature particulière des contentieux qui impliquent l’administration suppose que ce soit l’administration qui tranche elle-même ses propres litiges.

Progressivement, va émerger au sein même de l’administration une activité particulière qui consiste à trancher les litiges. Cependant, cette fonction, bien que contentieuse, est toujours considérée comme une tâche administrative et non comme juridictionnelle. La première étape consistera donc à séparer la juridiction administrative (l’administration qui tranche les litiges), de l’administration active (l’administration qui agit et prend les décisions). La première étape de la construction d’un véritable ordre de juridictions administratives, passait donc par la séparation de la juridiction et de l’action (1.1.1). De ce mouvement devait logiquement en découler un autre, la séparation des deux ordres de juridictions (1.1.2). Enfin, à une époque plus récente, le Conseil constitutionnel est venu consacrer cette évolution en donnant à la juridiction administrative un véritable statut constitutionnel, comparable à celui dont bénéficie la juge judiciaire (1.1.3).

1.1.1. La séparation de la juridiction et de l’action

A l’origine « juger l’administration c’est encore administrer ». Un tel système conduit inévitablement à la confusion des fonctions, puisque c’est l’administration qui se juge elle-même (A). Ce système fortement critiquable dans un État de droit ne sera toutefois abandonné qu’en 1872 par une loi du 24 mai qui consacre le principe de séparation de la juridiction et de l’action en permettant le passage de la justice retenue à la justice déléguée (B).

1.1.1.1. La confusion des fonctions

Dans le système de confusion des fonctions administratives et juridictionnelles, c’est l’administration qui est responsable pour se juger elle-même. En dernier lieu c’est le ministre compétent qui tranche le litige. Cette pratique est connue sous le nom de « théorie de l’administrateur juge ». Progressivement la croissance des contentieux nés de l’action de la puissance publique oblige l’administration à se spécialiser. La spécialisation des fonctions commence avec la Constitution du 28 pluviôse an VIII qui crée le Conseil d’État et les Conseils de préfecture, qui deviendront les tribunaux administratifs en 1953. Cependant, le Conseil d’État n’a qu’une fonction consultative. Il ne rend par d’arrêts. Par ailleurs, il n’y a pas entre l’administration et les organes spécialisés dans le contentieux de séparation organique. Les conseils de préfecture sont présidés par les préfets de chaque département. En 1848, avec la seconde République, le Conseil d’État acquiert une fonction contentieuse. Il peut rendre des arrêts mais seulement dans le cadre de la justice retenue. C’est-à-dire que ses décisions sont soumises à l’approbation du chef de l’État, au nom de qui la justice est rendue. Il n’y a donc toujours pas de véritable indépendance de la juridiction administrative.

1.1.1.2. Le passage à la justice déléguée

Le véritable changement viendra de la loi du 24 mai 1872 qui consacre l’abandon de la justice retenue pour confier au Conseil d’État la justice déléguée. Le Conseil d’État devient alors une cour souveraine. Ainsi, à une distinction fonctionnelle (qui consiste à séparer deux tâches : juger et administrer), s’ajoute une distinction organique (il n’y a plus de lien entre l’administration et son juge). Dans le prolongement de la loi du 24 mai 1872, le Conseil d’État abandonnera la théorie de l’administrateur juge, qui faisait obligation au justiciable de saisir de sa requête le ministre compétent avant de s’adresser au juge. Par voie de conséquence, l’arrêt Cadot du 13 décembre 1889, fait des Conseils de préfecture les juges du premier degré de l’ordre de juridictions administratives.

1.1.2. La séparation des deux ordres de juridictions

L’abandon du système de confusion des fonctions a permis en 1872 l’émergence d’une juridiction administrative indépendante de l’administration (même si certains doutent encore de cette indépendance). A partir de cette date, les juridictions administratives vont se constituer en ordre de juridiction construit sur le modèle de la juridiction judiciaire. Cette construction sera achevée une fois que les conseils de préfecture sont devenus les tribunaux administratifs, et qu'à partir de 1987, le législateur a créé des cours administratives d'appel.

1.1.3. La constitutionnalisation de la justice administrative

La constitutionnalisation de la justice administrative constitue le dernier pas important dans l’histoire de la construction d’un ordre de juridiction capable d’imposer ses décisions à l’administration active. Cette constitutionnalisation est d’autant plus importante que les rédacteurs de la Constitution du 4 octobre 1958, avait oublié la juridiction administrative. La seule référence faite au Conseil d’État par l’article 38, ne concernait que les fonctions consultatives de la haute juridiction (voir infra). Cet oubli était d’autant plus gênant que la Constitution consacre un titre entier à la juridiction judiciaire (titre VIII, articles 64 à 66 intitulés de l’autorité judiciaire). L’oubli du constituant a été réparé par une décision du Conseil constitutionnel du 22 juillet 1980. Dans sa décision le juge constitutionnel désigne par un terme unique les deux ordres de juridictions, refusant de faire une distinction entre le juge judiciaire et le juge administratif. Désormais, l’existence même de la juridiction administrative est protégée par la Constitution.

1.2. La répartition des compétences entre les deux ordres de juridictions

Dès lors qu’il existe deux ordres de juridictions vient se poser la question de la délimitation de leurs compétences respectives. Cette question suppose d’une part qu’il existe des critères et des règles permettant de déterminer les compétences respectives de chaque ordre de juridictions (1.2.1), et qu’il existe un organe et des procédures permettant de trancher les éventuels conflits de compétence (1.2.2). La question de la juridiction compétente est doublement importante, car si elle détermine l’organe chargé de résoudre le litige, elle détermine également le droit applicable à ce litige. Le juge judiciaire appliquera les règles du droit privé, alors que le juge administratif appliquera les règles du droit administratif.

1.2.1. Les règles de répartition des compétences entre les deux ordres de juridictions

D’une façon générale, on peut dire que le juge administratif est le juge de droit commun de l’activité de l’administration, alors que le juge judiciaire est le juge naturel de l’activité des particuliers. La règle veut que la compétence suive le fond, en vertu de laquelle les litiges mettant en jeu le droit administratif relèvent du juge administratif, tandis que ceux relevant du droit privé sont de la compétence du juge judiciaire. Normalement donc toute action dirigée contre l’administration relève de la compétence de la juridiction administrative et toute action dirigée contre des particuliers relève du juge judiciaire. Le juge constitutionnel a en outre, instauré un domaine réservé et irréductible au profit des juridictions administratives (A). Cependant, chaque fois que la ligne de répartition des compétences n’est pas clairement établie par le législateur (B), il incombe au juge d’établir des critères de répartition des compétences (C).

1.2.1.1. Consécration constitutionnelle d'une "réserve" de compétence au profit du juge administratif

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 23 janvier 1987 "Conseil de la concurrence", a consacré au profit de la juridiction administrative une compétence exclusive et irréductible pour connaître des recours en annulation ou en réformation, d'actes de puissance publique émanant d'autorités et d'organismes publics.

Au contraire la même décision le Conseil constitutionnel précise que certaines matières relèvent "par nature" de la compétence du juge judiciaire. Il en va ainsi pour ce qui a trait à la protection de la propriété privée immobilière contre les atteintes les plus importantes de la puissance publique à la protection de la liberté individuelle (puisque le juge judiciaire en est le gardien naturel).

1.2.1.2. La compétence est déterminée par la loi

Dans un certain nombre de situations la loi attribue la compétence de trancher telle ou telle catégorie de litige, à un ordre de juridiction ou à un autre, sans que l'on puisse dire que cet ordre de juridiction est, par nature plus compétente.

1. La compétence revient au juge administratif

- En matière de travaux publics, la loi du 28 pluviôse an VIII prévoit que le juge administratif est compétent pour recevoir les actions intentées par des particuliers contre les entrepreneurs ou concessionnaires de travaux publics.

2. La compétence revient au juge judiciaire

- Certaines compétences sont réservées au juge judiciaire en vertu de la Constitution. L’article 66 de la Constitution prévoit que l’autorité judiciaire est la gardienne naturelle des atteintes à la liberté individuelle et à la propriété immobilière. En matière d’expropriation par exemple, si le juge administratif est compétent pour apprécier la légalité d’une déclaration d’utilité publique (il s’agit d’un acte administratif), le juge judiciaire est compétent pour déterminer le montant de l’indemnisation.

- Le juge judiciaire est compétent pour toutes les questions touchant à l’état des personnes.

- Le juge judiciaire est également compétent par application de la loi pour régler les litiges mettant en cause la responsabilité de l’administration lorsqu’est impliqué un véhicule de l’administration (loi du 31 décembre 1957).

- Les juridictions de l'ordre judiciaire sont compétentes pour connaître de toutes les affaires relatives aux droits de douane

- La cour d'appel de Paris - le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence, ou encore celui de certaines décisions de l'Autorité des marchés financiers et de certaines décisions de l'Autorité de régulation des communications électroniques et postales.

1.2.1.3. La compétence est déterminée par un critère jurisprudentiel

Nous avons pu constater dans la partie de cet ouvrage consacrée à la notion de service public, combien cette notion était fondamentale dans la construction du droit administratif. Il est donc logique de la retrouver comme critère déterminant dans la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction. Pendant la période qui va de la fin du XIXème siècle au début du vingtième siècle, le droit administratif était considéré comme le droit des services publics. Toute l’activité de l’administration des services publics se trouvait donc soumise à la compétence du juge administratif.

Toutefois, pendant la période qui va de la Première guerre mondiale jusqu’aux années soixante, la notion de service public va subir une mutation fondamentale qui conduit à repenser la notion de service public comme critère de répartition des compétences. Dans un arrêt du 22 janvier 1921 Société commerciale de l’ouest africain, le Tribunal des conflits a admis la compétence du juge judiciaire, lorsque l’activité de service public peut se rattacher à une activité privée. Il existe d’autres critères permettant de déterminer l’ordre de juridiction compétent, tirés de la gestion publique ou de la notion de puissance publique, mais le critère du service public est sans nul doute le plus fondamental.

1. La compétence revient au juge administratif

- Le juge administratif est naturellement compétent pour trancher les litiges qui touchent au fonctionnement et à l’organisation des services publics administratifs.

- Le juge administratif est compétent pour statuer sur la légalité d’un acte administratif. Le juge judiciaire est incompétent pour interpréter et annuler un acte administratif. Sous certaines conditions, les personnes privées peuvent édicter des actes administratifs, qui sont alors soumis à la compétence du juge administratif (voir la partie sur les actes administratifs unilatéraux).

2. La compétence revient au juge judiciaire

- La compétence pour juger l’administration revient au juge judiciaire lorsque l’administration a commis une voie de fait. Il y a voie de fait lorsque l’administration porte une atteinte particulièrement grave à la propriété privé ou à une liberté fondamentale. Dans ce cas, en raison de la gravité et de la brutalité de son acte, l’administration perd son privilège de juridiction.

- En matière de gestion des services publics industriels et commerciaux.

- Lorsque les activités de l’administration sont étrangères au service public notamment dans la gestion du domaine privé.

- Pour le fonctionnement du service public de la justice judiciaire, le juge administratif ne saurait s’immiscer dans les affaires de l’autre ordre de juridiction. Il semblait donc normal de confier au juge judiciaire les contentieux nés de son propre fonctionnement.

- La jurisprudence "Septfonds" (T. confl., 7 juin 1923) donne compétence au juge judiciaire pour interpréter un acte administratif réglementaire. En revanche, ce même pouvoir lui est refusé s'agissant d'un acte individuel tout comme il lui est impossible d'apprécier la légalité de tout acte administratif, réglementaire ou individuel (T. confl., 2 juin 1910).

- En matière pénale, l'article 111-5 du Code pénal, reprenant et clarifiant la jurisprudence antérieure, donne compétence au juge judiciaire pour interpréter les actes administratifs, réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité, "quand de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis" .

- D’une manière générale le juge judiciaire est le gardien des libertés individuelles et de la propriété privée.

1.2.2. Le règlement des conflits de compétence

Les règles de répartition des compétences entre les juridictions judiciaires et administratives, telles qu’elles ressortent de la présentation du paragraphe précédent, sont assez complexes. Les difficultés de compétences pouvant résulter de ces règles sont en dernier lieu, si les deux ordres de juridictions sont en désaccord, tranchés par une juridiction spécialement créée à cet effet, le Tribunal des conflits. Le tribunal des conflits, créé par la loi du 24 mai 1872, est un organisme paritaire. Il est composé pour moitié de membres de la cour de cassation et pour l’autre moitié de membres du Conseil d’État. Son président est le garde des sceaux, celui-ci toutefois, ne siège que lorsque la juridiction ne parvient pas à se départager.

Le tribunal des conflits peut être saisi lorsque les deux ordres de juridiction se reconnaissent compétents (conflit positif), ou si les deux ordres de juridictions se déclarent incompétents (conflits négatifs). Une troisième procédure dite de prévention des conflits, permet au juge administratif ou au juge judiciaire de saisir directement le tribunal des conflits, lorsque la juridiction saisie de l’affaire a un doute sur sa compétence. Dans tous les cas, le Tribunal des conflits ne tranche pas l’affaire sur le fond. Il se contente de désigner le juge compétent.

Dans le cas d’un conflit positif, le juge judiciaire est saisi à tord. Dans ce cas le préfet adresse à la juridiction un déclinatoire de compétence lui demandant de reconnaitre son incompétence. En cas de refus, le préfet élève le conflit et informe le garde des sceaux qui saisira le Tribunal des conflits en vue de déterminer l’ordre de juridiction compétent.

En cas de conflit négatif c'est-à-dire lorsque les deux ordres de juridictions se sont déclaré incompétent, le justiciable saisi lui-même le tribunal des conflits qui devient compétent pour régler la question sur le fond.

Une loi du 16 février 2015 a profondément modifié l’organisation du Tribunal des conflits. Celui-ci n’est plus présidé par le ministre de la justice mais alternativement pas une conseiller à la Cour de cassation et un conseiller d’Etat.

1.3. L’organisation du Conseil d’État et des juridictions administratives

L’ordre de la juridiction administrative comprend le Conseil d’État et l’ensemble des tribunaux administratifs et depuis 1987 des cours administratives d’appel. D’autres juridictions administratives ont un caractère spécialisé, tel que la Cour des comptes ou la Cour de discipline budgétaire. En raison du caractère spécialisé de ces juridictions l’étude de leur fonctionnement et de leurs compétences ne sera pas traité dans cet ouvrage. Les juridictions administratives doivent donc s’entendre dans un sens étroit, limité aux seules juridictions qui possèdent une compétence générale pour connaître le contentieux administratif. Par soucis de clarté nous traiterons les trois niveaux de juridiction en partant du premier degré (les tribunaux administratifs), pour finir par la juridiction suprême (le Conseil d’État).

1.3.1. Les tribunaux administratifs

Les tribunaux administratifs sont les anciens Conseils de préfecture. Il existe sous cette appellation depuis une réforme de 1953, date à laquelle ils sont devenus les juridictions de droit commun de l’ordre administratif. Depuis 2001, l’ensemble des règles qui déterminent la composition, le fonctionnement et la compétence des tribunaux administratifs sont contenues dans le Code de justice administrative.

1.3.1.1. Composition des tribunaux administratifs

Il existe en France métropolitaine 42 tribunaux administratifs à compétence régionale. À l’exception de Paris, chaque juridiction est divisée en chambres (six chambres pour les juridictions les plus importantes). La juridiction compétente pour le ressort de la capitale est, en raison de son importance, divisée en sections, elles-mêmes divisées en chambres. Chaque tribunal est composé de magistrats, qui pour une part importante sont recrutés par la voie de l’École Nationale d’Administration. Les magistrats de l’ordre administratif sont appelés des conseillers.

L’organe normal de jugement est la chambre. Le tribunal siège collégialement (trois magistrats). Cependant, par exception, et en raison de l’urgence de certaines situations, un magistrat peut statuer seul. En outre, dans chaque affaire un conseiller assure la fonction de commissaire du gouvernement. Ce dernier, contrairement à ce que laisse supposer son appellation n’a pas pour fonction de représenter les intérêts de l’administration. Il a pour mission de proposer au tribunal une solution que celui-ci pourra suivre ou pas.

1.3.1.2. La compétence des tribunaux administratifs

Les tribunaux administratifs, sont juges de droit commun du contentieux administratif. Cela signifie que le contentieux des décisions de l’administration et les actions en responsabilité engagées contre la puissance publique relèvent d’abord de sa compétence. Seuls les actes réglementaires des ministres (acte ayant une portée générale), et les actes réglementaires des organismes à compétence nationale relèvent directement du Conseil d’État.

1.3.2. Les cours administratives d’appel

Les cours administratives d’appel ont été créées par la loi du 31 décembre 1987, afin d’alléger la charge du Conseil d’État. Il s’agit d’une innovation particulièrement importante puisque, pour la première fois, l’ordre administratif comporte trois échelons de juridictions. Les cours administratives d’appel sont au nombre de 8 et leurs sièges se trouvent à Bordeaux, Douai, Lyon, Marseille, Nancy, Nantes, Paris et Versailles. Leur mode de fonctionnement est en tout point comparable à celui des tribunaux administratifs.

Les cours administratives d'appel sont désormais compétentes pour connaître de la très grande majorité des appels formés contre les jugements des tribunaux administratifs. Seuls relèvent encore de la compétence du Conseil d'État les appels en matière de recours sur renvoi de l'autorité judiciaire ainsi que sur les litiges relatifs aux élections municipales et cantonales.

1.3.3. Le Conseil d’État

Le Conseil d’État existe depuis la Constitution de l’an VII. Depuis, sont organisation et son fonctionnement ont été modifiés. La loi du 30 juin 2001, qui a codifié le Code de justice administrative, est la dernière loi régissant son organisation et son mode de fonctionnement. Si en de nombreux points le fonctionnement du Conseil d’État ressemble à celui des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, ce dernier présente la singularité d’avoir deux missions. L’une est contentieuse et consiste à rendre des arrêts en appel des arrêts rendus par les cours administratives d’appel, l’autre est consultative ou administrative et consiste à rendre des avis. De cette dualité fonctionnelle découle une organisation originale, puisque le Conseil d'État est composé d'une section contentieuse, et de sections administratives. Cependant, cette organisation se heurte à la conception que se fait la Cour européenne des droits de l’homme, qui se montre particulièrement exigeante au regard du droit à un tribunal impartial. En particulier, il est fait interdiction à un conseiller d’Etat ayant siégé dans une formation administrative de connaitre d’une même affaire devant la section du contentieux. Il existe donc des règles qui permettent d’éviter au même conseiller de siéger pour une même affaire dans une section administrative et devant la section du contentieux. En outre, le décret du 6 mars 2008 est venu marquer plus nettement la séparation entre les deux formations.

1.3.3.1La section du contentieux du Conseil d’État

La section du contentieux du Conseil d’État est celle qui joue le rôle de juridiction administrative suprême. Elle est compétente pour connaître les appels dirigés contre les arrêts des cours administratives d’appel et directement les recours dirigés contre les décisions les plus importantes des ministres. La section du contentieux comprend elle-même plusieurs sous-sections (il y en a actuellement 10). Mais pour les affaires les plus importantes, la juridiction peut choisir de se réunir dans une formation plus solennelle. La formation la plus élevée du Conseil d’État est appelée l’assemblée du contentieux

En outre, la section du contentieux est compétente pour connaitre en premier et dernier ressort de certains contentieux :

1° Des recours dirigés contre les ordonnances du Président de la République et les décrets ;

2° Des recours dirigés contre les actes réglementaires des ministres et des autres autorités à compétence nationale et contre leurs circulaires et instructions de portée générale ;

3° Des litiges concernant le recrutement et la discipline des agents publics nommés par décret du Président de la République ;

4° Des recours dirigés contre les décisions prises par les organes de certaines autorités, tel que, l'Agence française de lutte contre le dopage, l'Autorité de la concurrence, l'Autorité des marchés financiers, l'Autorité de sûreté nucléaire ….

5° Des actions en responsabilité dirigées contre l'Etat pour durée excessive de la procédure devant la juridiction administrative ;

6° Des recours en interprétation et des recours en appréciation de légalité des actes dont le contentieux relève en premier et dernier ressort du Conseil d'Etat ;

7° Des recours dirigés contre les décisions ministérielles prises en matière de contrôle des concentrations économiques

1.3.3.2. Les sections administratives du Conseil d’État

Les sections administratives sont au nombre de 6 depuis 2008. Cinq d’entre elles ont vocation à émettre des avis à destination du gouvernement en fonction de compétence sectorisées. Il existe ainsi, la section de l’intérieur, la section des finances, la section des travaux publics et la section sociale et la section de l’administration créé par un décret du 6 mars 2008. La dernière des sections du Conseil d’État est appelée la Section du Rapport et des Études. Considérée comme une section administrative, ses missions relèvent à la fois des activités administratives de l’institution et de sa fonction contentieuse. La section occupe une place charnière au sein de la haute juridiction administrative. En effet, la section possède trois catégories de mission :

- Elle est chargée d’élaborer des rapports et de procéder à des études lorsque le Premier ministre le lui demande.

- Elle est compétente pour s’assurer que l’administration exécute régulièrement les décisions rendues à son encontre par les juridictions administratives.

- Elle élabore un rapport annuel destiné à informer le gouvernement sur l’activité du Conseil d’État. Il faut en dernier lieu remarquer que le Président du Conseil d’État n’est autre que le Premier ministre. Toutefois, dans la réalité ce dernier ne préside la haute juridiction que dans les instances solennelles. Le Vice-président fait fonction de Président effectif.

2. Le fonctionnement de la justice administrative

Le procès administratif n’est jamais laissé à la discrétion du juge ou des parties. Chaque étape de la procédure juridictionnelle répond à des règles strictes et minutieuses. Ces règles visent à assurer le bon déroulement de la justice et à préserver les intérêts du requérant. La procédure administrative contentieuse est une matière vaste. Elle est le plus souvent une affaire de spécialistes. D’une manière sommaire, elle peut se résumer par un certain nombre de caractères généraux (2.1). Nous examinerons ensuite, les règles qui prévalent à l’introduction des recours (2.2), les règles particulières en matière d’urgence (2.3), et la délicate question touchant à l’exécution des décisions rendues par les juridictions administratives (2.4).

2.1. Les caractères généraux de la procédure administrative contentieuse

La procédure administrative contentieuse est gouvernée par quatre principes fondamentaux. La procédure administrative est écrite, elle est inquisitoire et contradictoire, et enfin elle est publique.

2.1.1. Le caractère écrit de la procédure administrative

Dire que la procédure en vigueur devant les juridictions administratives est écrite, signifie que l’essentiel de l’affaire est constitué par des mémoires écrits. Lors de l’audience les avocats ne plaident pas comme devant les juridictions judiciaires.

2.1.2. Le caractère inquisitoire de la procédure administrative

Devant les juridictions administratives, c’est le juge lui-même qui se charge de la mise en état. Il a la charge de rechercher les preuves et de diriger les débats. Le juge a un rôle central dans la préparation du procès qui suivra l’instruction. Par opposition, la procédure suivie devant le juge judiciaire est dite accusatoire. La marche du procès est à la charge des parties.

2.1.3. Le respect du contradictoire dans la procédure administrative

Le principe du contradictoire est un principe général de procédure applicable devant toutes les juridictions. Il signifie que chacune des parties doit être informée du déroulement de l’instance et de tous les éléments ou informations qui seront nécessaires au juge pour trancher le litige, afin de pouvoir y répondre. Le principe du contradictoire a pour finalité de permettre que tous les éléments de l’affaire soient débattus par les parties.

2.1.4. La publicité des audiences devant les juridictions administratives

Enfin, le procès administratif est public. Toute personne peut assister au déroule- ment de l’audience, au contraire de la phase d’instruction qui reste l’affaire de parties.

2.2. L’introduction du recours

L’introduction d’un recours devant une juridiction administrative est soumise à deux règles fondamentales, la nécessité d’une décision administrative préalable, et le respect de certains délais.

1. La nécessité d’une décision administrative préalable. La juridiction administrative ne peut normalement être saisie que par la voie d’un recours formé contre une décision. Il peut s’agir d’une décision expresse, ou si l’administration ne répond pas d’une décision implicite. Un refus de répondre de l’administration vaut refus à partir du délai de 2 mois (la règle est inverse dans certaines situations en particulier pour les demandes de permis de construire, où le refus de l’administration vaut acceptation).

2. L’action est enfermée dans des délais stricts. Le recours devant une juridiction administrative doit être introduit impérativement dans les deux mois qui suivent la publication de la décision dont le requérant demande l’annulation. Passé ce délai, celui-ci sera forclos.

2.3. Les procédures d’urgence

La règle en vigueur devant les juridictions administratives est celle de la collégialité. Cependant, certaines affaires présentent un caractère d’urgence tel que le juge doit intervenir le plus rapidement possible. Dans ce cas il est possible de déroger à la règle de la collégialité. Le juge statue seul, mais le plus souvent les mesures qu’il prend ne sont que provisoires. Les procédures d’urgence sont appelées référé. Le référé le plus important est sans doute le référé suspension. Il permet de surseoir à l’exécution d’un acte administratif pour une durée déterminée par le juge dans l’attente qu’il se prononce sur sa légalité. Le référé suspension ne peut être prononcé que si deux conditions sont réunies. Il faut qu’il existe un doute sérieux sur la légalité de l’acte soumis au juge. En outre, il faut qu’il y ait urgence à prononcer la suspension. Si le juge ne prononçait pas une telle suspension les conséquences de l’action de l’administration seraient irréparables.

2.4. L’exécution des décisions

Le problème de l’exécution des décisions rendues par les juridictions administratives est une des questions les plus épineuses du droit administratif. Les décisions rendues par les juridictions administratives sont revêtues de la « force exécutoire », ce qui signifie pour l’administration qu’elle a l’obligation de l’exécuter. Par exemple si le juge annule la décision par laquelle un maire a révoqué un fonctionnaire, l’annulation a pour effet d’obliger le maire à réintégrer l’agent. Pourtant, il n’existe pas en droit administratif (au contraire du droit privé), de possibilités de forcer l’administration à exécuter les décisions de justice prononcées à son encontre. L’administration peut être alors tentée de faire la sourde oreille aux injonctions du juge. Pour tenter de régler ce problème le législateur a instauré un mécanisme d’astreinte administrative (loi du 16 juillet 1980). L’astreinte est une condamnation à payer une somme journalière, fixé par le juge, jusqu’à ce que l’administration exécute ses obligations.

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