L’espace Schengen. La coopération dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice (ELSJ)

Modifié par Julien Lenoir le 27 septembre 2018

Par BAUBY Pierre, président de RAP (Reconstruire l’action publique), membre du Conseil scientifique d’Europa et Mihaela M. Similie (Popa) , chercheur
Dernière mise à jour : janvier 2017

Les origines de l’espace de liberté, de sécurité et de justice (ELSJ)

Tout en instituant le principe de libre circulation dans l’espace communautaire, le traité de Rome a laissé aux Etats membres la compétence en matière d’affaires intérieures (ordre public, sécurité, immigration, asile) et de justice. Il a été toutefois prévu que « les États membres engageront entre eux, en tant que de besoin, des négociations en vue d'assurer, en faveur de leurs ressortissants : (…) la simplification des formalités auxquelles sont subordonnées la reconnaissance et l'exécution réciproques des décisions judiciaires ainsi que des sentences arbitrales » (art. 220 TCEE).

Dans les années 1970, une coopération entre les Etats membres dans le domaine de la justice et des affaires intérieures a été initiée dans le cadre de la coopération politique européenne (voir section sur la politique étrangère et de sécurité commune), ainsi qu’en marge du Conseil, par les réunions informelles du groupe ministériel TREVI. Ce groupe a été établi en juin 1976, à la suite de la demande du Conseil européen de décembre 1975, pour traiter des questions communes liées au terrorisme, au radicalisme, aux extrémismes et à la violence internationale (d’où son acronyme). Ce n’est qu’à partir de 1984, en même temps que s’affirme l’objectif d’une « Europe des peuples », que le Conseil des ministres des affaires intérieures et de la justice a institutionnalisé ses réunions et a commencé à structurer la coopération.

L’Acte unique européen de 1986 a défini le marché intérieur comme « (…) un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée (…) » (art. 8A). La déclaration politique des gouvernements des États membres relative à la libre circulation des personnes, annexée au TCEE, a affirmé que, pour promouvoir la libre circulation des personnes, « les États membres coopèrent (…) notamment en ce qui concerne l'entrée, la circulation et le séjour des ressortissants de pays tiers. Ils coopèrent également en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, la criminalité, la drogue et le trafic des œuvres d'art et des antiquités ».

Le 14 juin 1985, à partir d’un accord franco-allemand, cinq Etats membres de la CEE avaient déjà signé, en dehors du cadre communautaire, l’accord de Schengen, prévoyant l’abolition progressive des contrôles aux frontières intérieures de la Communauté (voir ci-après). La Convention d’application a été signée après la chute du mur de Berlin, le 19 juin 1990.

Le traité de Maastricht a institutionnalisé la coopération en matière de justice et affaires intérieures (JAI) en tant que troisième pilier de l’Union, séparé du pilier communautaire (à l’exception de certains aspects concernant la politique des visas qui ont été communautarisés), pour lui appliquer des procédures de type intergouvernemental avec un pouvoir de décision du Conseil à l’unanimité, la nécessaire ratification des Conventions par tous les Etats membres et une compétence limitée de la CJCE. Neuf domaines d’intérêt commun ont été prévus par ce traité.

Le traité d’Amsterdam a communautarisé une partie du troisième pilier (transfert du TUE dans le TCE) : le contrôle des frontières extérieures, l’asile, l’immigration et la coopération judiciaire en matière civile. Il a gardé dans le troisième pilier la coopération policière et judiciaire en matière pénale, mais le champ des compétences de l’Union a été mieux précisé et les instruments et procédures de décision ont évolué, notamment pour permettre le rapprochement des législations pénales et l’entrée en vigueur des Conventions après la ratification par une moitié des pays signataires. Ce traité a également incorporé l’accord de Schengen et ses protocoles et a prévu que les Etats membres désignés à l’article 1 soient autorisés à établir une coopération plus étroite. Mais contrairement aux coopérations renforcées ordinaires, l’acquis Schengen appartient à l’acquis communautaire et doit être accepté par tout nouvel Etats membre.

Le traité de Nice de 2000 a prévu d’étendre progressivement la procédure de codécision et la majorité qualifiée au Conseil à l’asile, à la coopération judiciaire civile (à l’exception du droit de la famille, qui reste soumis à la règle de l’unanimité), à la libre circulation des ressortissants des pays tiers, à la lutte contre l’immigration clandestine (l’immigration légale reste soumise à la règle de l’unanimité) et au contrôle des personnes aux frontières extérieures.

Objectifs

TITRE V TFUE - L'ESPACE DE LIBERTÉ, DE SÉCURITÉ ET DE JUSTICE CHAPITRE 1 DISPOSITIONS GÉNÉRALES 

Article 67

1. L'Union constitue un espace de liberté, de sécurité et de justice dans le respect des droits fondamentaux et des différents systèmes et traditions juridiques des États membres.

2. Elle assure l'absence de contrôles des personnes aux frontières intérieures et développe une politique commune en matière d'asile, d'immigration et de contrôle des frontières extérieures qui est fondée sur la solidarité entre États membres et qui est équitable à l'égard des ressortissants des pays tiers. Aux fins du présent titre, les apatrides sont assimilés aux ressortissants des pays tiers.

3. L'Union œuvre pour assurer un niveau élevé de sécurité par des mesures de prévention de la criminalité, du racisme et de la xénophobie, ainsi que de lutte contre ceux-ci, par des mesures de coordination et de coopération entre autorités policières et judiciaires et autres autorités compétentes, ainsi que par la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires en matière pénale et, si nécessaire, par le rapprochement des législations pénales.

4. L'Union facilite l'accès à la justice, notamment par le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et extrajudiciaires en matière civile.

Situation actuelle

Le traité de Lisbonne a éliminé la structure par piliers et a réuni dans le titre V TFUE les dispositions sur l’espace de liberté, de sécurité et de justice (ELSJ –nouvelle dénomination et acronyme pour l’ancienne JAI) qui recouvre : les contrôles aux frontières, l’asile et l’immigration, la coopération judiciaire en matière civile, la coopération judiciaire en matière pénale et la coopération policière. La procédure législative ordinaire est généralisée ; l’immigration légale et la coopération judiciaire pénale passent de l’unanimité à la majorité qualifiée. L’unanimité au Conseil continue à s’appliquer notamment dans les matières tenant au droit de la famille, à la coopération policière opérationnelle et aux mesures relatives aux passeports, actes d’identité, titres de séjour et documents similaires. Toutefois, en dépit de la communautarisation de l’ancien pilier de l’UE, le régime spécifique qui encadre l’ELSJ confère aux Etats membres des moyens pour réintroduire l’unanimité dans le processus décisionnel (cf. infra). De même, le rôle d’initiative de la Commission n’est pas aussi important que dans les anciennes matières communautaires. En particulier dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale et de coopération policière, la Commission partage le droit d’initiative avec un quart des Etats membres. En outre, le protocole n° 10 prévoit des dispositions transitoires relatives à l’acquis du troisième pilier, entre autres une période de cinq ans (jusqu’au 1er décembre 2014) pendant laquelle les compétences de la CJUE et de la Commission européenne demeuraient limités (sauf si un acte qui a appartenu à ce pilier est amendé en vertu des dispositions du traité de Lisbonne). Pour sa part, le Royaume Uni a obtenu un régime dérogatoire large de non application de plusieurs actes de l’ancien pilier en matière de coopération judiciaire, pénale et policière.

Au fil du temps, les politiques de l’Union ont cherché à développer, par des moyens renforcés et un corpus de règles communes de plus en plus large, cet espace. Pour la période de programmation 2014-2020, les perspectives financières ont prévu une hausse de plus de 40% du budget de l’UE consacré à l’ELSJ.

Le traité de Lisbonne a réaffirmé le rôle du Conseil européen pour définir les orientations stratégiques de la programmation législative et opérationnelle dans l'espace de liberté, de sécurité et de justice (art. 68 TFUE). Les premières orientations politiques datent de 1999 (programme de Tampere sur la politique d’asile et de migration, l’Espace européen de la justice, la lutte contre les crimes et l’action externe), les autres se succédant à un intervalle de cinq ans (le programme de La Haye de 2004, qui a également mis l’accent sur la solidarité, y compris financière, entre les Etats, puis de Stockholm de 2009, qui vise les droits fondamentaux, l’accès à la justice, la protection contre le crime organisé et le terrorisme, la sécurité interne et l’accès légal dans l’espace européen, la politique migratoire, la coopération avec les pays tiers).

Le traité de Lisbonne introduit également la possibilité pour le Conseil, sur proposition de la Commission, d’adopter des mesures établissant des modalités par lesquelles les États membres, en collaboration avec la Commission, procèdent à une évaluation objective et impartiale de la mise en œuvre, par les autorités des États membres, des politiques de l'Union dans le domaine de l’ELSJ, afin en particulier de favoriser la pleine application du principe de reconnaissance mutuelle. Le cas échéant, le Parlement européen et les parlements nationaux sont informés de la teneur et des résultats de cette évaluation (art. 70 TFUE).

1. Les contrôles aux frontières, l’asile et l’immigration (art. 77-80 TFUE)

1.1. L’espace Schengen, les contrôles aux frontières et les visas

L’élimination des contrôles physiques aux frontières internes de la Communauté est apparue comme une manière de rendre la libre circulation des personnes plus efficace et plus visible pour les citoyens. Elle devait s’accompagner de mesures visant à sécuriser l’espace de libre circulation : le renforcement du contrôle aux frontières extérieures de la Communauté, la mise en place d’une politique commune des visas et des mesures communes concernant les nationaux des pays tiers, le renforcement de la coopération policière et judiciaire, etc.

L’acquis Schengen relatif à l’élimination des contrôles aux frontières intérieures de l’Union représente la partie la plus détaillée des politiques de l’UE dans le domaine de l’ELSJ. Il a d’abord été développé en dehors des traités et a été introduit dans les traités une décennie plus tard. L’espace Schengen est entré en vigueur en mars 1986 mais l’élimination des contrôles a été conditionnée par l’adoption de « mesures compensatoires » (convention de mise en œuvre de l’accord Schengen signée le 19 juin 1990). D’autres Etats membres ont rejoint ces accords par des protocoles d’adhésion : Italie (1990, effectif en 1997), Espagne et Portugal (1991, effectif en 1996), Grèce (1992, effectif en 2000), Autriche (1995, effectif en 1997), Danemark, Suède et Finlande (1996, effectif en 2001). Pour les nouveaux Etats membres, des parties importantes de cet acquis ont été mises en œuvre par décisions séparées du Conseil à l’unanimité, adoptées après l’adhésion à l’UE sur la base d’une évaluation de la capacité de l’Etat à assumer les obligations qui en découlent. Les Etats européens non membres de l’UE peuvent également adhérer à l’espace Schengen. Ainsi, l’Islande et la Norvège sont associées à l’espace Schengen en vertu d’un accord de mai 1999, suivis par la Suisse et le Liechtenstein. L’espace Schengen s’est élargi à la plupart des Etats qui ont adhéré à l’UE en 2004 et 2007. Fin 2016, six Etats membres de l’UE étaient en dehors de cette zone : d’une part, l’Irlande et le Royaume Uni, qui ont souhaité dès le début rester hors l’espace Schengen et, d’autre part, la Bulgarie, la Roumanie, Chypre et la Croatie.

Les objectifs actuels de la politique de l’UE de contrôles des frontières sont prévus par l’art. 77 TFUE :

Article 77 TFUE

1. L'Union développe une politique visant:

a) à assurer l'absence de tout contrôle des personnes, quelle que soit leur nationalité, lorsqu'elles franchissent les frontières intérieures;

b) à assurer le contrôle des personnes et la surveillance efficace du franchissement des frontières extérieures;

c) à mettre en place progressivement un système intégré de gestion des frontières extérieures.

Le traité de Lisbonne prévoit le principe de solidarité et de partage équitable des responsabilités entre les Etats membres, y compris financières, dont la mise en œuvre est à définir par des actes de droit dérivé.

Article 80 TFUE

Les politiques de l'Union visées au présent chapitre et leur mise en œuvre sont régies par le principe de solidarité et de partage équitable de responsabilités entre les États membres, y compris sur le plan financier. Chaque fois que cela est nécessaire, les actes de l'Union adoptés en vertu du présent chapitre contiennent des mesures appropriées pour l'application de ce principe.

Le Règlement 2016/366 (Code Frontières Schengen - CFS) a codifié le contenu des règles Schengen et prévoit le régime de franchissement des frontières des Etats membres de l’espace Schengen pour les citoyens européens et pour les ressortissants des pays tiers. Pour ce qui concerne le franchissement des frontières intérieures, il réaffirme le principe d’absence de contrôle. Toutefois, il prévoit une procédure de réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures « en cas de circonstances exceptionnelles mettant en péril le fonctionnement global de l’espace sans contrôles aux frontières intérieures ». Pour ce qui concerne le franchissement des frontières extérieures de l’espace Schengen, les personnes qui ont le droit de circuler librement dans l’espace communautaire font l’objet d’une vérification minimale (carte d’identité ou passeport).

Après les attentats de Paris du 13 novembre 2015, une décision du Conseil de mai 2016, invoquant des manquements graves persistants de la Grèce liés au contrôle de ses frontières extérieures mettant en péril le fonctionnement global de l’espace Schengen, a autorisé l’Autriche, l’Allemagne, le Danemark, la Suède et la Norvège à maintenir pour six mois maximum des contrôles à certaines de leurs frontières intérieures. Cette possibilité de réinstaurer le contrôle aux frontières intérieures de l’espace Schengen pour des problèmes de contrôle aux frontières extérieures de l’espace avait été introduite par le règlement 1051/2013 et c’est la première fois qu’elle a été appliquée. En novembre 2016, une décision du Conseil a autorisé ces cinq Etats à prolonger pour trois mois des contrôles aux frontières intérieures en cas de circonstances exceptionnelles.

Un certains nombres d’instruments ont été créés pour la gestion des frontières intérieures et extérieures de l’espace Schengen. Ainsi, le Système d’information Schengen (SIS I, établi par les premiers Etats membres de Schengen, et remplacé progressivement par le SIS II en vertu du règlement 1987/2006 et du règlement 2007/533) signale les personnes, européens ou non, à des fins de non admission dans l’espace Schengen. La majorité des données du système sont fournies par l’Allemagne et la France, de nombreux Etats manifestant encore des réticences vis-à-vis de ce système. En outre, le règlement n° 1052/2013 a créé un système européen de surveillance des frontières (Eurosur) et un projet de création d’un cadre juridique européen pour l’échange de données sur les passagers aériens (passengers name record - E-PNR).

Le traité de Lisbonne prévoit également la possibilité pour le Conseil, statuant conformément à une procédure législative spéciale et à l’unanimité, d’arrêter des dispositions concernant les passeports, les cartes d'identité, les titres de séjour ou tout autre document assimilé, si c’est nécessaire pour assurer la libre circulation des personnes (art. 20§2a, art. 77§3 TFUE).

L’Union est également compétente pour définir les conditions d'entrée, de circulation et de séjour des ressortissants des pays tiers sur le territoire des États membres, y compris pour déterminer les pays tiers dont les ressortissants doivent être munis d'un visa lors du franchissement des frontières extérieures, ainsi que le modèle type de visa. Les visas permettent de légaliser les voyages des personnes provenant des pays tiers, d’orienter les flux migratoires.

Un Code communautaire des visas (Règlement 810/2009) a précisé le régime de l’octroi des visas pour l’entrée dans l’espace Schengen (procédure, critères d’octroi, montant des droits de visa, formulaire de demande, conditions de recevabilité de la demande, délai de réponse, motifs de refus, motivation des décision de refus, droit de recours), avec une marge d’appréciation des motifs de refus conférée aux autorités des Etats membres qui tient compte des droits fondamentaux du demandeur et des principes fondamentaux de proportionnalité et de non-discrimination.

L’agence Frontex a été instituée pour coordonner la coopération opérationnelle aux frontières extérieures de l’Union mais ses moyens demeurent assez limités.

En 2016, un règlement relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes a été adopté (règlement 2016/1624). Il vise notamment à constituer, au cas où un Etat membre ne peut pas assurer la gestion des frontières extérieures de l’Union (voir notamment la situation en Grèce et en Italie), une réponse unifiée, rapide et efficace au niveau de l’UE pour assurer le fonctionnement de l’espace Schengen par une organisation, coordination ou déploiement des équipes européennes de garde-frontières et de garde-côtes et d’équipes techniques pour appuyer la gestion des flux migratoires dans les zones d’urgence migratoires.

1.2. L’asile

Quoique parfois confondus dans une même catégorie, les demandeurs d’asile sont une catégorie distincte des migrants.

En vertu notamment de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole de New York du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés, de la Convention européenne des droits de l’Homme, de l’art. 18 et 19 de la Charte de droits fondamentaux de l’UE, les demandeurs d’asile ont droit à la protection et leur accueil est une obligation juridique pour les Etats membres. Ils ont un droit d’accès à des procédures d’asile justes et efficaces, ainsi qu’à une assistance leur permettant de vivre. La Charte des droits fondamentaux de l’UE garantit le droit d’asile et interdit les expulsions collectives, ainsi que l’éloignement, l’expulsion ou l’extradition de toute personne lorsqu’« il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants ».

Article 78 TFUE

1. L'Union développe une politique commune en matière d'asile, de protection subsidiaire et de protection temporaire visant à offrir un statut approprié à tout ressortissant d'un pays tiers nécessitant une protection internationale et à assurer le respect du principe de non refoulement.

2. Aux fins du paragraphe 1, le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, adoptent les mesures relatives à un système européen commun d'asile comportant:

a) un statut uniforme d'asile en faveur de ressortissants de pays tiers, valable dans toute l'Union;

b) un statut uniforme de protection subsidiaire pour les ressortissants des pays tiers qui, sans obtenir l'asile européen, ont besoin d'une protection internationale;

c) un système commun visant, en cas d'afflux massif, une protection temporaire des personnes déplacées;

d) des procédures communes pour l'octroi et le retrait du statut uniforme d'asile ou de protection subsidiaire;

e) des critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile ou de protection subsidiaire;

f) des normes concernant les conditions d'accueil des demandeurs d'asile ou de protection subsidiaire;

g) le partenariat et la coopération avec des pays tiers pour gérer les flux de personnes demandant l'asile ou une protection subsidiaire ou temporaire.

3. Au cas où un ou plusieurs États membres se trouvent dans une situation d'urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut adopter des mesures provisoires au profit du ou des États membres concernés. Il statue après consultation du Parlement européen.

Pour assurer la protection des demandeurs d’asile, l’UE s’est dotée d’une politique et d’un régime juridique d’asile reposant sur un certain socle commun de règles qui régit les procédures, les conditions d’accueil et les règles de qualification à la protection, auquel s’ajoute le régime d’asile propre à chaque Etat membre. Au cœur du régime d’asile européen se trouve un ensemble de directives connues sous l’appellation de « système de Dublin » (Dublin I – Convention de 1990, Dublin II - Règlement 343/2003, et Dublin III - règlement 604/2013). Dans ce cadre, les Etats membres gardent des marges de manœuvre quant à leur transposition et la mise en œuvre de cette politique n’est pas uniforme.

La caractéristique de l’approche de Dublin est que le traitement des demandes d’asile est assuré en grande partie par l’Etat par lequel se fait l’entrée dans l’Union, donc plutôt ceux situés à la périphérie de l’UE. Dans ce cadre, les demandeurs d’asile ne peuvent pas choisir leur destination.

La protection est gérée par les Etats, qui ont des systèmes d’asile différents quoique harmonisés à un certain degré. Ils sont tenus d’être solidaires, surtout si leurs capacités sont très différentes. En réalité, alors que le nombre de demandeurs d’asile a beaucoup augmenté ces dernières années, les données Eurostat montrent que les demandeurs d’asile sont repartis de façon très inégale entre les Etats membres et que la proportion de décisions d’octroi de protection varie fortement entre les pays. En moyenne, en 2014, on dénombrait 1,2 demandeurs d’asile pour 1000 d’habitants dans l’UE. Par ailleurs, le rapport 2015 de mise en œuvre du droit d’asile dans l’UE montre que la Commission a ouvert 32 procédures en infraction, ce qui montre le niveau élevé de défaillance des Etats membres.

En mars 2015, la Commission européenne a proposé des mesures provisoires (pendant 24 mois) pour répartir les charges en matière d’asile par un système de « quotas », mais elle n’a pas pu trouver un consensus des Etats membres alors que dès 2001 la Directive 2001/55/CE, adoptée dans le contexte des conflits des Balkans, visait « l’octroi d’une protection temporaire [de 1 à 3 ans] en cas d’afflux massif de personnes déplacées et de mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil ». Dans le contexte crée par la nouvelle crise, en septembre 2015, une proposition de modification du règlement « Dublin III » a comporté l’établissement d’un mécanisme permanent de relocalisation des demandeurs d’asile [COM(2015) 450].

En mai 2016, la Commission a proposé une nouvelle refonte du système Dublin par une proposition de règlement établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride [COM(2016) 270], une proposition de nouveau règlement Eurodac [COM(2016) 272] et une proposition d’établissement d’une Agence de l’Union européenne pour l’asile [COM(2016) 271 ; le règlement 439/2010 avait créé un Bureau européen d’asile pour appuyer la coopération entre les Etats membres]. Les propositions visent notamment à créer un « mécanisme correcteur » de répartition des demandeurs d’asile, un « mécanisme d’équité », pour assurer un « degré élevé de solidarité et de partage équitable des responsabilités » entre les Etats membres et pour améliorer la mise en œuvre et le fonctionnement du système européen d’asile.

Le « paquet asile » contient également :

  • la Directive 2001/55/CE relative à des normes minimales pour l'octroi d'une protection temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres (transposée en France par la loi 2003-1119 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité) ;
  • la Directive 2003/109/CE relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée (transposée en France par la Loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration) ;
  • la Directive 2011/95/UE concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection et la Directive 2013/32/UE relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (transposées en France par la loi 2015-925 du 29 juillet 2015).

La base de données des empreintes digitales des demandeurs d’asile « Eurodac » constitue un outil européen important dans la gestion de cette politique ; elle a été établie par le Règlement 2725/2000 et est actuellement régie par le Règlement 603/2013 (en cours de révision). En outre, le Règlement statistique 862/2007 exige des Etats membres de fournir des informations concernant les réfugiés séjournant dans le pays.

1.3. L’immigration

Les migrants ne bénéficient pas des mêmes droits à la protection que les demandeurs d’asile. Les Etats ont des pouvoirs étendus pour apprécier les demandes de protection des immigrants, définir les volumes d’accès au marché du travail national, etc. Les compétences de l’Union sont prévues par l’art. 79 TFUE.

Article 79 TFUE

1. L'Union développe une politique commune de l'immigration visant à assurer, à tous les stades, une gestion efficace des flux migratoires, un traitement équitable des ressortissants de pays tiers en séjour régulier dans les États membres, ainsi qu'une prévention de l'immigration illégale et de la traite des êtres humains et une lutte renforcée contre celles ci.

2. Aux fins du paragraphe 1, le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, adoptent les mesures dans les domaines suivants:

a) les conditions d'entrée et de séjour, ainsi que les normes concernant la délivrance par les États membres de visas et de titres de séjour de longue durée, y compris aux fins du regroupement familial;

b) la définition des droits des ressortissants des pays tiers en séjour régulier dans un État membre, y compris les conditions régissant la liberté de circulation et de séjour dans les autres États membres;

c) l'immigration clandestine et le séjour irrégulier, y compris l'éloignement et le rapatriement des personnes en séjour irrégulier;

d) la lutte contre la traite des êtres humains, en particulier des femmes et des enfants.

3. L'Union peut conclure avec des pays tiers des accords visant la réadmission, dans les pays d'origine ou de provenance, de ressortissants de pays tiers qui ne remplissent pas ou qui ne remplissent plus les conditions d'entrée, de présence ou de séjour sur le territoire de l'un des États membres.

4. Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent établir des mesures pour encourager et appuyer l'action des États membres en vue de favoriser l'intégration des ressortissants de pays tiers en séjour régulier sur leur territoire, à l'exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres.

5. Le présent article n'affecte pas le droit des États membres de fixer les volumes d'entrée des ressortissants de pays tiers, en provenance de pays tiers, sur leur territoire dans le but d'y rechercher un emploi salarié ou non salarié.

La politique d’immigration de l’UE est encadrée par des objectifs non contraignants. Au cours de la dernière décennie, s’est développée une approche associant l’Union et ses Etats membre aux pays d’origine des migrants, ainsi qu’aux pays de transit et de retour, reposant sur le dialogue (bilatéral ou régional) et sur une gestion partagée des mouvement migratoires (accords de partenariats, de coopération, accords sur les formalités de délivrance des visas, accords de réadmission, partenariats pour la mobilité, etc.), et une politique plus articulée avec la politique extérieure d’aide au développement (l’UE n’a pas de compétences en matière d’accès aux marché de travail des Etats membres pour les ressortissants des pays tiers, cf. art. 79§5 TFUE).

Distinction est faite entre l’immigration légale et l’immigration illégale. L’immigration légale est notamment visée par la directive « Carte bleue » (Directive 2009/50) visant à faciliter l’admission des migrants hautement qualifiés dans l’UE, sans viser certains secteurs déterminés. Elle offre une large marge de manœuvre aux Etats membres, ce qui conduit à des rivalités. La carte bleue est nationale, ce qui oblige son détenteur souhaitant se rendre dans un autre Etat membre à formuler une nouvelle demande, même si les conditions d’obtention sont les mêmes et s’il faut avoir passé 18 mois dans le premier Etat membre. Selon les statistiques, la plupart des visas ‘bleus’ sont délivrés en Allemagne.

Dans le cadre de l’immigration illégale, le retour des étrangers est régi par la Directive 2008/115/CE, qui fixe les normes et procédures communes applicables dans les États membres pour le retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Elle vise à privilégier les retours volontaires. La pratique des retours forcés montre qu’une minorité des décisions de retours prononcés sont exécutés. La politique de retour est intégrée dans l’approche globale des migrations et de la mobilité visant à satisfaire les besoins du marché du travail européen, à octroyer des statuts stables pour les migrants et à soutenir le développement des pays d’origine, ce qui a élargi le dialogue à des considérations économiques, commerciales, de développement, de partenariats de mobilité et de programme de réintégration dans les pays tiers.

Dans sa Communication sur l’approche globale de la question des migrations et de la mobilité [COM(2011) 743)], la Commission a proposé quatre piliers orientant l’action de l’Union : organiser et faciliter l’immigration légale et la mobilité, réduire et prévenir l’immigration clandestine et la traite des êtres humains, promouvoir la protection internationale et le renforcement de la dimension extérieure de l’asile, maximiser l’impact des migrations sur le développement.

En 2015, sous la pression des flux migratoires aux frontières extérieures de l’Union, un Agenda européen en matière de migrations a été adopté [COM(2015)240] et par la suite un nouveau cadre de partenariat avec les pays tiers [COM(2016)385], ainsi qu’une série de propositions visant la gestion de la migration légale [COM(2016)378], un mécanisme de relocalisation en cas de crise [COM(2016)450], une liste des pays sûrs [COM(2016)452]. En 2017, des amendements relatifs au système d’information sur les visas (VIS) sont annoncés (actuellement régis par le Règlement 767/2008 et le Règlement 810/2009 établissant un code communautaire des visas). Ces mesures complètent les propositions en matière d’asile [COM(2016)270/2 pour une réforme des règles de Dublin relatives au système européen commun d’asile, COM(2016)465, 466 et 467 sur l’accueil des personnes demandant la protection internationale ou subsidiaire et le statut de réfugié, COM(2016)468 sur un nouveau cadre pour la réinstallation, COM(2016)271 pour la transformation du Bureau européen d’appui à l’asile en agence de l’UE pour l’asile et COM(2016)272/2 pour le renforcement du système Eurodac] et de contrôle aux frontières extérieures (Code Schengen) [COM(2016)670].

2. La coopération judiciaire en matière civile (art. 81 TFUE)

En matière judiciaire, la coopération entre les Etats membres a été d’abord développée hors le cadre communautaire, au sein des instances et conventions du Conseil de l’Europe.

Ce n’est qu’en 1968, sur la base de l’art. 220 du traité de Rome, que les Etats membres de la CEE ont signé, le 27 septembre, la Convention de Bruxelles concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Après l’adoption du traité de Maastricht et la mise en œuvre du troisième pilier de l’UE, puis à partir de la fin des années 1990, les avancées de l’espace judiciaire européen ont été considérables, notamment en matière civile.

Le Conseil européen de Tampere de 1999 a consacré le principe de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires, inscrit dans le droit primaire par le traité de Lisbonne.

Article 81 TFUE

1. L'Union développe une coopération judiciaire dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière, fondée sur le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et extrajudiciaires. Cette coopération peut inclure l'adoption de mesures de rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des États membres.

Le traité de Lisbonne a inscrit dans le droit primaire de l’UE le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et extrajudiciaires entre les États membres, qui figure dans la liste des domaines dans lesquels l’Union peut adopter des mesures. L’Union peut également adopter des mesures concernant l’exécution des décisions judiciaires et extrajudiciaires, pour rendre effectif l’accès à la justice, pour le développement de méthodes alternatives de résolution des litiges et pour soutenir la formation des magistrats et des personnels de justice (art. 81§2 TFUE). La compétence de l’Union s’exerce sous trois conditions : « coopération judiciaire », « incidence transfrontière » et « notamment lorsque cela est nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur ».

Depuis le 1er mai 1999, la coopération judiciaire en matière civile a été en général soumise à la procédure de co-décision avec majorité qualifiée au Conseil. Le traité de Lisbonne maintient l’unanimité au Conseil pour « les mesures relatives au droit de la famille ayant une incidence transfrontière » (art. 81§3(1) TFUE). Il prévoit toutefois une clause « passerelle », c’est-à-dire la possibilité pour le Conseil d’adopter une décision déterminant les aspects susceptibles de faire l'objet d'actes adoptés selon la procédure législative ordinaire (art. 81§3(2) TFUE). Dans ce cas, un parlement national (le Conseil étant tenu de notifier sa décision aux parlements nationaux) peut bloquer l’utilisation de cette procédure s’il notifie dans un délai de six mois son opposition. En l'absence d'opposition, le Conseil peut adopter ladite décision (art. 81§3(3) TFUE).

En 2000, le Règlement du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité transfrontalière a fixé les règles de compétence et de droit applicable en cette matière.

Le Règlement (« Bruxelles I ») 44/2001 a fixé des règles concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ; il a été remplacé par le Règlement 1215/2012 (« Bruxelles I bis »), pour intégrer notamment la jurisprudence de la CJUE ; il est entré en application le 10 janvier 2015. Parmi les nouvelles dispositions, on peut noter l’apparition d’une nouvelle compétence spéciale (action en restitution d’un bien culturel).

En 2001, un Règlement a été adopté pour organiser la coopération entre juridictions dans le domaine de l’obtention des preuves (Règlement 1206/2001) et a été institué un réseau européen en matière civile et commerciale pour permettre un traitement plus facile des dossiers d’entraide judiciaire, l’identification de la juridiction compétente et l’échange d’informations.

Le Règlement n°2201/2003 a fixé des règles relatives à la compétence, la reconnaissance et à l’exécution des décisions en matière matrimoniale (divorce, séparation et annulation) et en matière de responsabilité parentale, lorsque ces litiges revêtent un caractère transfrontalier (dit « Bruxelles II bis »), dont la refonte [COM(2016) 411] est en discussion. Ce règlement prévoit aussi des règles en matière de reconnaissance mutuelle et d’exécution des décisions entre les Etats membres.

Le Règlement 861/2007 a institué une procédure européenne de règlement des petits litiges (pour des demandes qui ne dépassent pas 2 000 euros ; en vertu du Règlement 2015/2421 le seuil a été porté à 5 000 euros). Le Règlement 896/2006 a institué une procédure européenne d’injonction de payer.

En matière d’obligations, deux règlements ont été adoptés pour déterminer la loi applicable aux obligations contractuelles (Règlement 593/2008, connu sous l’appellation « Rome I ») et aux obligations non contractuelles (Règlement 864/2007, « Rome II »).

Le règlement « Rome III » du 20 décembre 2010, adopté dans le cadre d’une coopération renforcée, régit certains aspects concernant les conflits tenant au droit de la famille. Il permet aux époux de choisir avant l’apparition du conflit la loi applicable en cas de divorce et au cas où ce choix n’a pas été fait fixe la compétence judiciaire en cas de divorce.

Des progrès ont été aussi réalisés en matière de succession par le Règlement « successions » n° 650/2012 relatif à la compétence, à la loi applicable, à la reconnaissance et à l’exécution des décisions, et à l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions, ainsi qu’à la création d’un certificat successoral européen, applicable au 17 août 2015. Il a créé un cadre juridique applicable au règlement des successions transfrontalières au sein de l’Union pour garantir l’application d’un régime unique à l’ensemble des biens immeubles et meubles de succession. Il prévoit les motifs justifiant la non reconnaissance du caractère exécutoire des décisions judiciaire et des actes authentiques successoraux et introduit un certificat successoral européen.

Une Recommandation de la Commission de 2013 soulève la question des mécanismes de recours collectif. Par ailleurs, des groupes européens de recherche universitaire se sont engagés dans l’élaboration d’un « Code civil européen » et d’un « Code européen de procédure ».

3. La coopération judiciaire en matière pénale (art. 82-86 TFUE)

Avant l’entrée en vigueur du traité de Maastricht, la coopération formelle en matière pénale et policière a été développée par voie intergouvernementale, en dehors du cadre communautaire. Ainsi, au sein du Conseil de l’Europe, des conventions sur l’extradition et l’assistance juridique réciproque ont été conclues dès 1959. En outre, des accords bilatéraux ont été conclus entre les Etats.

Après le traité de Maastricht, la coopération judiciaire en matière pénale a été développée dans le cadre du troisième pilier de l’Union européenne. Après le traité d’Amsterdam, le contenu du troisième pilier a été réduit à la coopération policière et judiciaire en matière pénale. Outre la coopération intergouvernementale, ce traité a prévu la possibilité d’adoption, par décisions du Conseil, de règles pénales minimales dans certains domaines, y compris le terrorisme et le crime organisé. Même si les progrès ont été moins développés qu’en matière civile, les Etats ont concrétisé par voie conventionnelle ou légale quelques étapes importantes. En 1999, le Conseil européen a décidé la création d’Eurojust (cf. infra). En 2000, les Etats membres ont conclu une convention relative à l’entraide judiciaire en matière pénale pour faciliter l’échange d’informations et preuves, qui complète l’approche plus directe propre à l’action d’Eurojust. D’autres mesures de coopération pénale et policière ont été aussi prévues par l’acquis Schengen. Le traité d’Amsterdam a également permis à l’Union de conclure des accords internationaux dans les domaines de la coopération pénale et policière.

En 2006 un accord conclu entre l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne et la France a été à la base de la création d’un système européen d’information sur les casiers judiciaires (ECRIS), qui centralise les condamnations enregistrées dans les archives pénales de douze Etats membres. Il est entré en opération en 2011.

En 2002 (décision-cadre 2002/584/JAI), le mandat d’arrêt européen a été la première consécration du principe de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires en matière pénale. Ce principe a été adopté non seulement comme moyen de faciliter la coopération judiciaire, mais aussi comme alternative à la création d’un droit harmonisé européen en matière pénale, approche qui a été proposé par certains groupes de chercheurs. Il est devenu la pierre angulaire de la coopération judiciaire dans l’Union européenne (cf. Déclaration du Conseil européen de Tampere de 1999). Il évite, dans certaines situations et infractions, de faire appel à des procédures d’extradition longues (dans lesquelles le pouvoir politique détient un pouvoir important d’opposition) pour récupérer un criminel enfui dans un autre Etat membre. Le mandat d’arrêt européen a été adopté suite à l’attaque terroriste du 11 septembre 2001 à New York. L’autorité judiciaire auteur du mandat peut aussi demander le signalement dans le système d’information Schengen (SIS). Les autorités ont l’obligation d’arrêter les personnes visées par un tel mandat, les motifs de non-exécution étant limités.

Comme dans le domaine civil, le traité de Lisbonne a inscrit dans le droit primaire la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires en matière pénale et a conféré à l’Union la compétence visant (art. 82§1 TFUE) : à établir des règles et des procédures pour assurer la reconnaissance, dans l'ensemble de l'Union, de toutes les formes de jugements et de décisions judiciaires ; à prévenir et à résoudre les conflits de compétence entre les États membres ; à soutenir la formation des magistrats et des personnels de justice ; à faciliter la coopération entre les autorités judiciaires ou équivalentes des États membres dans le cadre des poursuites pénales et de l'exécution des décisions, ainsi que pour établir des mesures pour encourager et appuyer l'action des États membres dans le domaine de la prévention du crime, à l'exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres (art. 84 TFUE). Des directives vont progressivement remplacer les décisions cadre adoptées avant l’entrée en vigueur de ce traité pour mettre en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle (mandat d’arrêt européen ; gels d’avoirs ; sanctions pécuniaires ; confiscation des produits du crime ; peines et mesures privatives de liberté). Avec le traité de Lisbonne, la codécision et la majorité qualifiée au Conseil deviennent la règle générale du processus décisionnel dans ce domaine. Les compétences de l’Union sont précisés de manière exhaustive par le traité de Lisbonne (art. 82, 83, 87 TFUE), avec toutefois une possibilité pour le Conseil de décider, à l’unanimité et avec l’accord du Parlement, d’élargir les questions sur lesquelles l‘Union peut prendre des décisions.

Si nécessaire pour atteindre les objectifs prévus par l’art. 82§2 TFUE, des règles minimales peuvent être adoptées sur a) l'admissibilité mutuelle des preuves entre les États membres ; b) les droits des personnes dans la procédure pénale ; c) les droits des victimes de la criminalité ; d) d'autres éléments spécifiques de la procédure pénale, que le Conseil aura identifiés préalablement par une décision pour l'adoption de laquelle le Conseil statue à l'unanimité, après approbation du Parlement européen. Des règles minimales peuvent aussi être adoptées pour la définition des infractions pénales et des sanctions dans des domaines de criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontière résultant du caractère ou des incidences de ces infractions ou d'un besoin particulier de les combattre sur des bases communes (art. 83§1 TFUE). Ces domaines de criminalité sont les suivants : le terrorisme, la traite des êtres humains et l'exploitation sexuelle des femmes et des enfants, le trafic illicite de drogues, le trafic illicite d'armes, le blanchiment d'argent, la corruption, la contrefaçon de moyens de paiement, la criminalité informatique et la criminalité organisée.

Pour l’établissement des règles minimales dans ces domaines sensibles, le traité de Lisbonne a introduit un mécanisme permettant leur adoption par la procédure législative ordinaire avec majorité qualifiée au Conseil au cas où un Etat membre ne souhaite pas participer ou si l’unanimité ne peut pas être assurée (voir art. 82§3(1)(2) et 83§3(1)(2) TFUE). Un mécanisme similaire existe en matière de coopération policière.

L’agence européenne Eurojust a été créée en 2002 sur la base d’une décision de 1999 du Conseil européen. Localisée à La Haye, elle est composée de 28 magistrats (un magistrat par Etat membre). Conformément aux dispositions de l’art. 85 TFUE, sa mission est d’appuyer et de renforcer la coordination et la coopération entre les autorités nationales chargées des enquêtes et des poursuites relatives à la criminalité grave affectant deux ou plusieurs États membres ou exigeant une poursuite sur des bases communes. Il joue un rôle particulier dans la mise en place des équipes communes d’enquête en matière criminelle au niveau transnational (voir ci-après, la coopération policière) sans passer par le mécanisme de l’entraide judiciaire. Mais Eurojust a seulement un pouvoir de proposition auprès des Etats membres (pour qu’ils entreprennent une enquête, la poursuivent ou constituent une équipe commune d’enquête), qui restent libres de donner suite à ces propositions ; en cas de refus, ils doivent toutefois présenter les motifs. Si les Etats répondent favorablement à la proposition d’Eurojust, celle-ci peut y participer ou peut soutenir financièrement les équipes communes. Jusqu’à présent, son rôle dans le traitement des affaires complexes reste assez réduit, les demandes reçues étant plutôt de nature bilatérale.

Eurojust développe ses activités sur la base de la décision du Conseil 2009/426/JAI. Le traité de Lisbonne prévoit que sa structure, son fonctionnement, ses domaines d’action et missions seront déterminés, comme pour Europol (cf. infra), par un règlement adopté par la procédure législative ordinaire. En outre, OLAF (Office européen de lutte anti-fraude) traite aussi, mais d’une perspective différente, des aspects tenant à la protection des intérêts financiers de l’UE.

Le traité de Lisbonne ouvre la possibilité au Conseil à l’unanimité et avec l’accord du Parlement de créer « un Parquet européen à partir d'Eurojust » (art. 86§1(1) TFUE). Au cas où l’unanimité ne peut pas être atteinte, le traité prévoit un mécanisme permettant à un groupe d’Etats membres d’établir une coopération renforcée pour la création d’un Parquet européen (art. 86§1(2)(3) TFUE). Le Parquet européen serait compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement, le cas échéant en liaison avec Europol, les auteurs et complices d'infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union ; le Conseil européen peut étendre les attributions du Parquet à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière (art. 86§2 et 4 TFUE). L’institution d’un procureur européen a été proposée dès 1997 par des juristes ; en juillet 2013, la Commission a présenté une proposition de règlement portant la création d’un Parquet européen chargé de la lutte contre les infractions contre les intérêts financiers de l’Union placé sous l’autorité d’un procureur européen. Suite à la présentation d’un « carton jaune » par des parlements nationaux, l’option d’une coopération renforcée est envisagée.

Au niveau européen, peu d’infractions ont fait l’objet d’une harmonisation (par décision cadre ou, depuis le traité de Lisbonne, par des directives) : le blanchiment d’argent, le faux monnayage de l’euro, la lutte contre le terrorisme, la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants et la pédopornographie, le trafic de drogue, la protection de l’environnement, la cybercriminalité, le racisme et la xénophobie, la traite des êtres humains, la protection des données à caractère personnel. Une nouvelle directive est attendue pour mettre à jour les décisions cadre de 2002 et 2008 relatives à la lutte contre le terrorisme et pour intégrer dans le droit européen la Résolution 2178 (2014) du Conseil de Sécurité de l’ONU, ainsi que le Protocole additionnel à la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme, afin d’obliger les Etats Membres à criminaliser les voyages à l’étranger à des fins terroristes.

L’harmonisation au niveau européen des sanctions et des procédures est plus réduite. Des progrès ont été faits récemment dans le cadre du Programme de Stockholm et la Feuille de route relative au renforcement des droits procéduraux des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales par l’adoption de la Directive 2010/64/UE sur le droit à l’interprétation et à la traduction du dossier, de la Directive 2012/13/UE sur les droits à l’information pendant la procédure pénale et de la Directive 2013/48/UE sur le droit d’accès à l’avocat. En 2016, une série d’autres mesures ont été adoptées : la Directive 2016/343/UE visant à renforcer la présomption d’innocence et le droit d’assister à son procès, la Directive 2016/800/UE portant sur les garanties procédurales des enfants impliqués dans une procédure pénale et la directive relative au droit à l’aide juridictionnelle, qui complètent le socle de garanties procédurales minimales.

4. La coopération policière (art. 87-89 TFUE)

La coopération policière s’est développée d’abord dans le cadre de la coopération intergouvernementale instituée par le système Schengen avant d’être inscrite dans les traités. Ainsi, dans le cadre de Schengen ont été instaurés des centres communs de coopération policière et douanière réunissant des forces de l’ordre de plusieurs Etats membres autorisés à poursuivre sur un autre Etat membres certaines actions entamées sur leur propre territoire. Le système d’information Schengen (SIS) est l’un des plus importants outils de cette coopération.

En outre, le 27 mai 2005, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, la France, le Luxembourg et les Pays Bas ont signé en dehors le cadre communautaire le traité de Prüm qui a prévu des mesures de coopération policière et échange de données entre les Etats signataires. Ses dispositions ont été intégrées dans le cadre communautaire en juin 2008 par deux décisions du Conseil de l’UE.

Le traité de Lisbonne a renforcé les bases juridiques de la coopération policière, « qui associe toutes les autorités compétentes des États membres, y compris les services de police, les services des douanes et autres services répressifs spécialisés dans les domaines de la prévention ou de la détection des infractions pénales et des enquêtes en la matière » (art. 87§1 TFUE). A cette fin, il confère à l’Union la compétence d’établir par la procédure législative ordinaire des mesures portant sur « la collecte, le stockage, le traitement, l'analyse et l'échange d'informations pertinentes; un soutien à la formation de personnel, ainsi que la coopération relative à l'échange de personnel, aux équipements et à la recherche en criminalistique; les techniques communes d'enquête concernant la détection de formes graves de criminalité organisée » (art. 87§2 TFUE). Comme dans les autres domaines de l’ELSJ, le traité de Lisbonne a fait de la codécision et de la majorité qualifiée au Conseil la règle générale dans le processus décisionnel relatif à la coopération policière.

Des mesures de coopération opérationnelle peuvent être établies par le Conseil selon une procédure législative spéciale à l’unanimité ou par une coopération renforcée (art. 87§3 TFUE).

Le Conseil a également défini la possibilité de fixer, à l’unanimité par une procédure législative spéciale « les conditions et les limites dans lesquelles les autorités compétentes des États membres (…) peuvent intervenir sur le territoire d'un autre État membre en liaison et en accord avec les autorités de celui ci » (art. 89 TFUE).

L’office Europol a été défini dans le droit primaire dès le traité de Maastricht de 1992 comme un système d’échange d’informations policières, avec comme mission initiale la lutte contre le trafic de drogue. Sa création a été décidée par une convention du 26 juillet 1995 et a officiellement débuté en juillet 1999 avec son siège à La Haye. Le Conseil a décidé sa transformation en agence (Agence de l'Union européenne pour la coopération des services répressifs) à partir du 1er janvier 2010 (décision du 6 avril 2009). A partir de 1er mai 2017 son activité sera sous l’incidence d’un cadre normatif amélioré et bénéficiant de moyens renforcés (Règlement (UE) 2016/794).

L’agence Europol a acquis une importance particulière pour la coopération policière par l’échange d’informations. Le champ de ses missions a été rapidement élargi pour couvrir aussi le trafic de substances nucléaires et radioactives, les réseaux d’immigration clandestine et le trafic des véhicules, le crime organisé, le terrorisme. Il agit notamment pour la collecte (par exemple, le « point de contact voyageurs » qui enregistre depuis 2014 les combattants étrangers), l’échange (par exemple, échange de données relatives à l’ADN, aux empreintes digitales et l’immatriculation des voitures) et l’analyse d’informations (quoique limité par les réticences des Etats membres de fournir des données), ainsi que la coordination des investigations des autorités nationales (par exemple, les équipes communes d’enquêtes, réunissant également des juges et procureurs, pour mener des enquêtes pénales) - l’ensemble de ces missions sont reprises par l’art. 88 TFUE. Toutefois, la décision de mener des enquêtes communes, même si elle fait suite à une proposition d’Europol, appartient aux Etats membres qui assument aussi la direction et l’exécution.

En juin 2015, dans un contexte d’accroissement des menaces, notamment du terrorisme et de la grande criminalité, le Conseil a adopté la stratégie européenne de sécurité intérieure 2015-2020. Elle renouvelle et modernise la stratégie 2010-2014 et recouvre des thématiques qui concernent aussi la gestion des crises, la cybersécurité et d’autres domaines hors l’ELSJ. Les Etats membres gardent un rôle important dans sa mise en œuvre.

Coopération en matière de renseignement

Contrairement à la coopération policière, la coopération des services de renseignement n’entre pas dans les compétences de l’UE, qui ne peut pas agir de manière contraignante. C’est aux Etats d’organiser une éventuelle coopération sur des bases intergouvernementales. L’Article 4(2) TUE prévoit que l’Union respecte les fonctions essentielles de l’Etat, y compris la sauvegarde de la sécurité nationale ; l’article 72 TFUE stipule que les dispositions du titre relatif à l’ELSJ « ne portent pas atteinte à l’exercice des responsabilités qui incombent aux Etats membres pour le maintien de (…) la sauvegarde de la sécurité intérieure ». En même temps, une nouvelle disposition de ce titre prévoit qu’« il est loisible aux États membres d'organiser entre eux et sous leur responsabilité des formes de coopération et de coordination qu'ils jugent appropriées » entre les services de la sécurité nationale (art. 73 TFUE).

Certains Etats membres ont proposé récemment de créer une agence européenne de renseignement mais cette proposition ne peut pas être considérée tant que l’Union n’a pas de compétences en la matière.

Cependant, certaines coopérations volontaires entre les services de renseignement se sont développées en matière de sécurité, de défense et de lutte contre le terrorisme dans le cadre du Cendre d’information de l’UE (SITCEN), puis du Centre de l’UE pour l’analyse d’informations (INTCEN), qui informe le Haut représentant de la PESC et le service européen pour l’action extérieure. En dehors du cadre communautaire, le « Club de Berne » a créé un cadre d’échange de renseignements entre les services des Etats membres, la Suisse et la Norvège.

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