Par BAUBY Pierre, président de RAP (Reconstruire l’action publique), membre du Conseil scientifique d’Europa et Mihaela M. Similie (Popa), chercheur
Dernière mise à jour : janvier 2017

1. Les origines

Dès 1957, les citoyens des Etats membres des Communautés européennes ont été représentés dans les institutions communautaires, notamment par leurs gouvernements, ainsi que dans le Comité économique et social européen, organe communautaire consultatif représentant la voix de la société civile organisée.

A partir de 1979, les citoyens des Etats Membres des Communautés deviennent, par l’élection au suffrage universel des leur représentants au Parlement européen, des acteurs de la vie politique européenne.

Le Parlement européen est la seule institution de l’UE élue directement par les citoyens européens. Toutefois, la participation électorale est de plus en plus faible, avec une minorité des électeurs participant au suffrage européen de 2014, en même temps que les pouvoirs du Parlement européen n’ont cessé de s’accroître.

Au début des années 1980, le concept d’« Europe des citoyens » s’est imposé, le Conseil mandatant le comité Adonino pour préparer des actions et des mesures pour la mettre en œuvre. Une des propositions a consisté à créer une citoyenneté européenne, qui sera développée lors des Conseils européens de Madrid de 1989 et de Dublin de 1990.

Le traité de Maastricht de 1992 a institué une citoyenneté européenne dérivée de la citoyenneté nationale et s’ajoutant à celle-ci. Le traité y attache une série de droits, en grande partie préexistants dans le droit communautaire : droit de circulation et de séjour, droit de vote aux élections européennes, droit de pétition, droit à la protection consulaire. Ce traité a également posé le principe de subsidiarité et a créé le Comité des régions, organe consultatif de l’UE, composé de représentants des autorités régionales et locales de l’Union, ce qui a renforcé la représentation des citoyens européens au niveau européen. Dans un objectif de démocratisation et de bonne administration, ce même traité a créé le Médiateur européen, nommé par le Parlement européen pour traiter les plaintes des personnes physiques ou morales résidant dans un Etat membre, citoyens européens ou non, contre les institutions ou les organes de l’UE. Le rôle des partis politiques au niveau européen « en tant que facteurs d'intégration au sein de l'Union (…), à la formation d'une conscience européenne et à l'expression de la volonté politique des citoyens de l'Union » a été également reconnu.

Pour « offrir aux citoyens un niveau élevé de protection dans un espace de liberté, de sécurité et de justice », le traité d’Amsterdam de 1997 a posé les bases d’« une action en commun entre les États membres dans le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale, en prévenant le racisme et la xénophobie et en luttant contre ces phénomènes ». Ce traité a également attaché à la citoyenneté européenne le droit de s’adresser par écrit aux institutions européennes dans une langue officielle de l’Union et de recevoir une réponse rédigée dans la même langue. En outre, il précise le caractère additionnel de la citoyenneté européenne.

En 2001, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, élaborée par une Convention composée de représentants des Etats, du Parlement européen et des parlements nationaux - a proclamé un ensemble des droits civiques, politiques, économiques et sociaux regroupés en six chapitres : «Dignité », « Liberté », « Égalité », « Solidarité », « Citoyenneté » et « Justice ». Elle souligne que « la jouissance de ces droits entraîne des responsabilités et des devoirs ». Le chapitre sur la « Citoyenneté » reprend les droits consacrés dans les traités et inscrit le droit à une bonne administration et à l’accès aux documents des institutions européennes.

Le traité de Lisbonne a conféré à la Charte la même valeur juridique que les traités. Ce traité a également repris quasi-intégralement la définition de la citoyenneté européenne et les droits qui lui sont attachés.

2. Les objectifs

La démocratie est mentionnée à trois reprises dans le Préambule du Traité de l’Union européenne (TUE). Son article 2 la place parmi les valeurs fondatrices de l’UE.

Article 2 TUE

L'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l'égalité entre les femmes et les hommes.

Le Titre II du TUE est consacré aux dispositions relatives aux pratiques démocratiques. Il commence par l’article 9 consacré à la citoyenneté de l’Union européenne.

Article 9 TUE

Dans toutes ses activités, l'Union respecte le principe de l'égalité de ses citoyens, qui bénéficient d'une égale attention de ses institutions, organes et organismes. Est citoyen de l'Union toute personne ayant la nationalité d'un État membre. La citoyenneté de l'Union s'ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas.

L’intégration de la « citoyenneté de l’Union » dans les traités a visé à développer des liens entre les citoyens et l’Union européenne, leur sentiment d’appartenance, à établir une relation plus directe avec l’Union et en particulier à « renforcer la protection des droits et des intérêts des ressortissants de ses États membres ». Elle est la conséquence logique de deux principes essentiels de la construction européenne depuis ses origines : la libre circulation des personnes, devenue une des composantes de la citoyenneté européenne, et la non-discrimination.

3. La situation actuelle et principaux moyens d’action

L’article 10 TUE définit le cadre général : la démocratie représentative par le Parlement européen, les chefs d’Etat ou de gouvernement et les gouvernements des Etats membres, le droit des citoyens à participer à la vie démocratique de l’Union, l’ouverture et la proximité dans la prise de décisions et le rôle des partis politiques.

Les articles 11 et 12 TUE en définissent les modalités de mise en œuvre, en particulier un dialogue ouvert, transparent et régulier avec les associations représentatives et la société civile ; de larges consultations des parties concernées par la Commission européenne ; l’initiative citoyenne ; la participation des parlements nationaux, qui veillent en particulier au respect du principe de subsidiarité et de proportionnalité.

L’attribution de la citoyenneté de l’UE obéit à un double critère :

  • Elle est réservée aux nationaux des États membres. Les individus n’accèdent à la citoyenneté européenne qu’au travers de leurs États : le fait d’être citoyen d’un Etat membre de l’Union confère automatiquement la citoyenneté européenne. Elle n’est donc pas ouverte aux résidents d’origine extra-communautaire (pays tiers non membres de l’UE), même durablement installés.
  • La définition de la nationalité demeure la prérogative exclusive des États membres ; l’UE n’a aucune compétence en la matière. Les États restent maîtres, à travers leur législation nationale, de décider les conditions d’octroi de la citoyenneté nationale. La délivrance du passeport européen, qui permet aux ressortissants de l’UE de se rendre à l’étranger, continue de relever des autorités nationales.

La citoyenneté de l’Union européenne accorde à celui qui la possède certains droits et certaines libertés publiques. L’art. 20§2 TFUE confère aux citoyens européens une série de droits transnationaux :

Article 20 TFUE

2. Les citoyens de l'Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par les traités. Ils ont, entre autres :

a) le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres ;

b) le droit de vote et d'éligibilité aux élections au Parlement européen ainsi qu'aux élections municipales dans l'État membre où ils résident, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État ;

c) le droit de bénéficier, sur le territoire d'un pays tiers où l'État membre dont ils sont ressortissants n'est pas représenté, de la protection des autorités diplomatiques et consulaires de tout État membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État ;

d) le droit d'adresser des pétitions au Parlement européen, de recourir au médiateur européen, ainsi que le droit de s'adresser aux institutions et aux organes consultatifs de l'Union dans l'une des langues des traités et de recevoir une réponse dans la même langue.

Ces droits s'exercent dans les conditions et limites définies par les traités et par les mesures adoptées en application de ceux-ci.

Les modalités du droit de vote et d’éligibilité ont été établies par la Directive 93/109/CE du 6 décembre 1993 pour les élections européennes et la Directive 94/80/CE du 19 décembre 1994 pour les élections municipales. Les conditions de l’exercice du droit de vote et d’éligibilité sont définies par les Etats membres, ce qui conduit à des disparités nationales tant au niveau législatif qu’au niveau de l’exercice effectif de ces droits. En particulier, pour les élections européennes, les Etats dont au moins 20% des électeurs n’est pas composé de nationaux peuvent imposer une durée de résidence maximum de 5 ans pour pouvoir exercer le droit de vote et maximum de 10 ans pour être éligible. Pour les élections municipales, les Etats membres peuvent réserver aux nationaux certaines fonctions exécutives municipales et interdire aux élus non nationaux de participer à la désignation des électeurs ou à l’élection parlementaire. Ainsi, dans certains pays (notamment dans les pays scandinaves), la nationalité n’est pas une condition pour l’exercice du droit de vote et d’éligibilité aux élections locales, alors que dans d’autres pays le lien entre citoyenneté et nationalité est fort et a eu un effet dans la mise en application de ces droits reconnus aux citoyens européens. Par exemple, en France, un citoyen de l’Union européenne non Français peut être conseiller municipal, mais il ne peut pas être maire ou adjoint, ni participer, directement ou non, à l'élection des sénateurs.

En matière de protection diplomatique et consulaire, le traité de Lisbonne a introduit une nouvelle base juridique (art. 23 TFUE) permettant au Conseil d’adopter, après consultation du Parlement européen, des directives sur la coordination et la coopération pour faciliter cette protection (Décision 95/553/CE et Directive 2015/637 applicable à partir de 1er mai 2018). Elle est d’autant plus importante que tous les Etats membres de l’UE n’ont de représentation diplomatique que trois grands pays tiers : la Chine, les Etats-Unis et la Russie.

Ces droits sont complétés par d’autres droits ou principes issus de l’acquis européen, tels que le droit d’accès aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, qui a été introduit par le traité d’Amsterdam et qui est actuellement réglementé par le Règlement 1049/2001, le droit d’initiative citoyenne européenne, introduit par le traité de Lisbonne et réglementé par le Règlement 211/2011 et le droit d’accéder à la fonction publique européenne.

Le droit d’initiative citoyenne européenne a été introduit par le traité de Lisbonne pour permettre aux citoyens européens d’influencer le processus de décision de l’Union. Cette possibilité est effective depuis le 1er avril 2012. Par ce mécanisme, les citoyens peuvent inviter la Commission européenne, dans les limites de ses prérogatives et des compétences de l’Union, à soumettre des propositions appropriées sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu'un acte juridique de l'Union est nécessaire aux fins de l'application des traités. Une procédure en plusieurs étapes est prévue dans le Règlement 211/2011. Une telle initiative doit être soutenue par au moins un million de citoyens provenant d'au moins un quart des pays de l’Union européenne, soit sept pays actuellement. Un nombre minimal de signataires approximativement proportionnel à la population de chaque pays est également requis (proportionnalité dégressive). La Commission, qui a le monopole de l’initiative législative (en dehors de le politique extérieure), n’est pas obligée de proposer un projet législatif, mais elle doit examiner l’initiative dans un délai de trois mois et doit présenter une réponse officielle expliquant la suite qu’elle envisage de donner et les motifs de sa décision. En fonction du poids de l’adhésion des citoyens européens à une telle initiative, elle aura un impact politique plus ou moins fort et amènera la Commission à agir ou pas par une proposition législative ou par un autre moyen.

Le Conseil peut compléter, par une décision prise à l’unanimité après approbation du Parlement, la liste des droits attachés à la citoyenneté européenne. Cette décision doit être approuvée par les Etats membres selon leurs procédures constitutionnelles respectives (art. 25 TFUE). Cette option n’a pas encore été utilisée.

Les devoirs des citoyens de l'Union européenne ne sont prescrits par aucun des traités actuels. Néanmoins la Charte des droits fondamentaux, qui a été intégrée au traité de Lisbonne souligne que « la jouissance de ces droits entraîne des responsabilités et des devoirs ».

Pour certains, les droits des citoyens de l’Union européenne apparaissent relever davantage du symbolique ; mais pour beaucoup d’européens c’est un acquis essentiel, qui donne du sens et du contenu au sentiment d’appartenance à l’UE. Dans beaucoup de domaines, la jurisprudence européenne a reconnu aux citoyens de l'Union résidant dans un autre Etat membre que celui d’origine le droit de bénéficier d’une égalité de traitement et donc des mêmes droits que les citoyens de cet Etat membre. Toutefois, les études montrent que dans la pratique seulement une minorité de citoyens européens fait usage des droits qui leur sont conférés par le droit européen et qu’il s’agit d’une « minorité élitaire », ce qui fait encore relever la citoyenneté européenne plutôt d’une dimension symbolique dans la voie de l’affirmation d’une Union politique plus forte.

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