Par Frédérique Thomas

Dernière mise à jour : juillet 2018

1. Propos liminaires

Le terme de pédagogie a souvent été opposé ou confondu avec celui de didactique. En fait, un enseignant se doit de prendre en compte ces deux dimensions dans le processus d'enseignement/apprentissage. La didactique concerne principalement la relation maître-savoir, la transposition des concepts pour élaborer leur transmission, les démarches de l'enseignant pour identifier les obstacles liés à la discipline et leur franchissement.

En ce qui concerne les Éducateurs Territoriaux des APS, leurs rôles et leurs interventions en milieu scolaire se fondent sur cette logique de transposition didactique.

  • didactique fondamentale : elle étudie le processus « enseignement-apprentissage » quelle que soit la discipline scolaire à partir de laquelle il s’exerce.
  • didactique des Activités Physiques et Sportives (APS) : c’est une réflexion centrée sur les contenus spécifiques d’une APS donnée
  • didactique de l’Education Physique et Sportive (EPS) : c’est une réflexion spécifique à l’EPS en tant que discipline scolaire d’enseignement.

2. Définition et contours

La didactique d'une discipline est la science qui étudie, pour un domaine particulier, les phénomènes d'enseignement, les conditions de la transmission de la culture propre à une institution et les conditions de l'acquisition de connaissances par un apprenant.

Son objet est de délimiter la nature du savoir en jeu, des relations entre le savoir, le professeur et les élèves, de gérer l'évolution de ces savoirs au cours de l'enseignement.

2.1. Le triangle didactique

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La structure didactique est constituée de 3 pôles : l’enseignant, l'élève, le savoir.

La didactique s'intéresse aux interactions entre ces trois pôles qui se manifestent en situation d'enseignement. La nature spécifique des savoirs en jeu, les relations entretenues avec eux par le professeur et les élèves, l'évolution de ces rapports en cours d'enseignement, voilà les éléments essentiels qu'étudie la didactique.

Le triangle didactique représente les relations entre enseignant, élève et savoir.

2.2. Le contrat didactique

On doit l'introduction de ce concept en mathématiques à Guy Brousseau1 dans les années 80.

C'est un contrat largement implicite qui se tisse entre le professeur et les élèves en relation avec un savoir. Ce contrat fixe les rôles, places et fonctions de chacun des éléments du pôle, les attentes réciproques des élèves et du maître (le maître « fait » le cours, les élèves, des exercices).

Le contrat didactique est, selon G. Brousseau, « l'ensemble des comportements spécifiques du maître qui sont attendus de l'élève et l'ensemble des comportements de l'élève attendus par le maître ».

2.3. La dévolution

L’enseignant construit des situations artificielles pour que les élèves s'emparent du problème et entreprennent de nouveaux apprentissages. Il s'agit de donner du sens au savoir, de tisser des liens entre les savoirs. Celui-ci est décontextualisé et dépersonnalisé (extrait de son contexte initial de « savoir savant ») pour être recontextualisé en classe.

Dans cette situation, l'enseignant doit veiller à ne pas donner la réponse en même temps qu'il pose la question, de même il ne doit pas laisser l'élève chercher seul sans aide. La dévolution se situe dans cet entre-deux.

G. Brousseau définit la dévolution comme un « acte par lequel l'enseignant fait accepter à l'élève la responsabilité d'une situation d'apprentissage […] et accepte lui-même les conséquences de ce transfert ».

2.4. La transposition didactique

L'enseignement est le résultat d'un traitement didactique obéissant à des contraintes précises. On distingue le savoir savant (tel qu'il émane de la recherche), et le savoir enseigné (celui que l'observateur rencontre dans les pratiques de classe).

La transposition didactique est constituée des « mécanismes généraux permettant le passage d'un objet de savoir à un objet d'enseignement ». C'est donc le processus par lequel le « savoir savant » devient « savoir à enseigner ».

La transposition didactique est une véritable construction où le savoir subit un traitement didactique qui permet le passage d'un objet de savoir à un objet d'enseignement. Le travail de l’enseignant suppose bien évidemment une connaissance de l’objet du savoir mais également la manière dont les élèves construisent leurs connaissances. En didactique, on considère que l’apprentissage idéal consiste à placer l’élève devant un problème à résoudre dont la solution conduira à la construction de la connaissance visée.

La connaissance est alors recontextualisée, elle apparaît alors comme solution à un problème particulier. De plus, cette nouvelle connaissance étant construite au cours de la démarche personnelle de l’élève, elle est repersonnalisée. Cette recontextualisation et repersonnalisation constituent le travail de l’enseignant.

2.5. Situation didactique

La situation didactique consiste en une modélisation de l'environnement (le cadre d'enseignement). Il y a situation didactique chaque fois que l'on peut caractériser une intention d'enseignement d'un savoir par un professeur à un élève, et que des mécanismes socialement définis sont institués pour cela.

Il existe aussi la situation a-didactique où l'intention d'enseigner se cache aux yeux de l'élève.

L'enseignement consiste à provoquer chez l'élève les apprentissages projetés en le plaçant dans des situations appropriées auxquelles il va répondre « spontanément » par des adaptations. La situation a-didactique concerne l'intention cachée d'enseignement. L'élève construit son propre savoir en essayant de trouver une solution.

3. Un exemple : la gymnastique

L’activité gymnique est une activité de production de formes corporelles codifiées qui se déroule dans un environnement stable représenté par les agrès. Cette production de formes de mouvements inhabituelles consiste à réaliser des évolutions acrobatiques et esthétiques et à enchaîner les éléments gymniques suivant une logique définie. Elle est destinée à être vue et jugée par autrui selon un code précis. Ce code de pointage2 sanctionne toutes les fautes observées lors de l’exécution du gymnaste. La gymnastique peut être caractérisée de la manière suivante:

1) des formes corporelles inhabituelles : quels éléments doit-on proposer aux élèves compte tenu de leur motricité ? Un travail de sélection parmi les 2500 figures proposées dans le répertoire de la fédération internationale s’impose au préalable pour ajuster la pratique au niveau des enfants. Les éléments gymniques seront appréciés selon 3 facteurs : leur difficulté, leur combinaison, leur exécution.

L’article 15 du règlement résume la manière dont devrait s’opérer la sélection de ces éléments pour un environnement scolaire : « le gymnaste ne doit inclure dans son exercice que des éléments qu’il peut exécuter en toute sécurité et qu’il maîtrise parfaitement du point de vue esthétique et technique. Les éléments très mal exécutés ne sont pas reconnus… »

2) des formes d’exécution : comment produire ou reproduire les éléments gymniques? Le code de pointage utilisé par le juge sanctionne toutes les fautes d’exécution du gymnaste. Ainsi, la maîtrise d’exécution doit tenir compte :

  • du contrôle du geste
  • de la tenue du corps
  • de l’équilibre
  • de l’amplitude du geste

3) des formes enchaînées : comment présenter les éléments gymniques à des spectateurs ou à l’évaluateur? Il s’agit de présenter à des spectateurs et à un jury des éléments liés mis au point, maîtrisés et automatisés. La réalisation de l’enchaînement permet l’évaluation du cycle de gymnastique. L’enchaînement dépasse la simple maîtrise des éléments, il est également celui d’actions. Au rythme de chaque figure (temps forts et temps lents) s’ajoute le rythme de l’enchaînement. L’enseignant, en imposant l’ordre des éléments, doit bâtir des liaisons qui posent un certain nombre de problèmes nécessitant l’appropriation de nouveaux apprentissages :

  • coïncidence entre la position d’arrivée avec la position de départ de l’élément suivant
  • placement du corps pour amplifier un élan ou se rééquilibrer pour réaliser un élément de maintien 
  • construction de points de repères et anticipation des actions.

4) des formes codifiées : comment les élèves produisent ou reproduisent les formes corporelles? Chaque figure est répertoriée dans un code de référence proposé aux élèves, la valeur de chacune est hiérarchisée en fonction du niveau de difficulté. La mise en évidence des critères de réalisation des éléments gymniques peut devenir un indicateur de codage pour les élèves leur permettant de se représenter le but à atteindre. De plus, les critères de réalisation sont source d’apprentissage dans la mesure où les élèves devront les exploiter au mieux pour produire les figures gymniques. Enfin, son utilisation permet une communication entre pairs et l’évaluation des éléments.

5) des formes produites dans un environnement stable : quelles sont les contraintes liées au matériel ? La configuration des agrès deviendra une ressource pour les pratiquants. Il conviendra de l’exploiter par une motricité axée sur la particularité des engins gymniques.

  • Évolutions et axes de transformation

A travers une brève analyse historique, seront dégagées les principales évolutions et axes de transformation. Quatre axes d’évolution sont repérables au cours de l’histoire de la gymnastique :

  • d’une pratique polyvalente à une pratique spécialisée
  • d’une pratique collective à une pratique individuelle
  • d’une pratique imposée à une pratique plus libre
  • d’une pratique d’élégance à une pratique de risque

L’étude des techniques gymniques, au cours du XX siècle, montre que lors de l’apprentissage l’élève repasse par des comportements caractéristiques des différentes étapes de construction des techniques et de leur efficacité:

  • la première étape est caractérisée par une gymnastique de position où le corps est proche de l’appareil
  • la seconde est fondée sur une gymnastique d’élan et d’allongement
  • la troisième est basée sur le renforcement d’élan, d’accentuation de temps forts
  • la dernière sur une gymnastique d’impulsions successives.

L’évolution qualitative du comportement des élèves durant l’apprentissage passe par ces différentes étapes. Ainsi la production gymnique devrait tendre vers une vitesse d’exécution accrue, une complexification des rotations, l’allongement des postures, l’éloignement des engins, la continuité des actions…L’évolution gymnique repose aussi sur la transformation du matériel qui permet aux gymnastes de travailler avec plus de sécurité. La souplesse et la nervosité des agrès favorisent les éléments plus acrobatiques.

A l’issue de ce bref chapitre historique, quelques incontournables, des passages obligés dans la démarche d’enseignement de la gymnastique à retenir :

  • les étapes d’enseignement qui malgré les différentes terminologies semblent pouvoir se décliner en trois phases : exploration (préludes, starters…), approfondissement et perfectionnement, affinement et complexification ;
  • l’aménagement du milieu, des parcours, des ateliers, des éléments gymniques facilite et favorise l’apprentissage.

L’évolution historique de la gymnastique avec plus de prise de risque et d’éloignement de l’engin semble privilégier l’élément acrobatique au détriment d’éléments plus classiques.

Les travaux de J.F Robin sur « les quatre leaders» de la gymnastique permettent une analyse des conceptions de l’activité. Depuis les années 60/70, des modèles ont influencé la pratique professionnelle. A travers des travaux, selon des cadres théoriques différents, ces auteurs ont donné des directions quant à l’enseignement de cette activité. Parfois en concurrence, parfois complémentaires, ces productions apportent des vues multiples et un éclairage sur les pratiques d’enseignement.

Il s’agit de :

  • Roland Carrasco , fin des années 60 ; logique fédérale ;le contexte est structuraliste et la terminologie Piagétienne ; dix groupes de fondamentaux ; parcours généraux
  • J. Leguet : années 70 ; école primaire ; contexte informationnel ; développement des pouvoirs d’agir ; ateliers variés : sauter, tourner, balancer ;
  • L.Thomas, J.Fiard, G.Soulard : années 80/ aujourd’hui ; logique fédérale ; apprentissage d’éléments gymniques de base, dimension posturale, travail par atelier sur un élément gymnique décliné en plusieurs niveaux de réalisation
  • P. Goirand : fin des années 80 ; logique scolaire ; courant culturaliste de la didactique des aps ; cerner les pratiques sociales pour en faire des pratiques scolaires ; « vu et jugé, maitrise du risques, originalité, virtuosité) ; voies de complexification

Aujourd’hui, pour l’intervention en milieu scolaire, il s’agit de construire des contenus d’enseignement et de proposer des tâches permettant à l’élève de se transformer. La pratique sociale de référence est en perpétuelle évolution. C’est la connaissance de ces transformations qui permet de confronter l’élève à une réalité et à une transmission des fondements culturels de l’activité. Ainsi, pour donner du sens aux apprentissages, l’école se doit d’offrir aux élèves ce qui se pratique dans la culture gymnique contemporaine.

Cette référence à une pratique sociale débouche sur l’élaboration de compétences spécifiques à cette activité. Importer et sélectionner les savoirs constitutifs d’une activité culturelle sont des étapes primordiales à la construction des activités scolaires pour envisager le passage d’objet culturel à celui d’enseignement.

  • Les enjeux

Ils se traduisent par, ce que gagne, au niveau de sa formation générale, un élève à pratiquer l’activité gymnique.

En gymnastique, les enjeux de formation sont multiples et peuvent permettre à l’élève d’apprendre à :

  • piloter son corps dans l’espace : il s’agit de faire l’apprentissage de la maîtrise de son corps sur le plan acrobatique et du jeu de la pesanteur dans des situations de formes corporelles inhabituelles. La construction d’habiletés motrices spécifiques permet l’émergence d’actions particulières dans des situations perturbatrices pour l’équilibre de terrien. La perception visuelle est déstabilisée, le système vestibulaire et labyrinthique n’est pas accoutumé aux éléments ;
  • maîtriser la prise de risque : l’équilibre maîtrisé dans des situations inhabituelles implique une prise de risque, celui du déséquilibre et la crainte de la chute. Le risque engendre une prise de conscience de ses capacités par un pouvoir de réflexion avant l’action. En effet, avant de s’engager l’élève procède à un certain nombre de calculs portant sur la probabilité de réussite ou d’échec et sur l’importance de son désir de réussir et d’éviter l’échec. Le risque instaure un climat d’entraide, d’émulation et d’encouragements. La prise de risque favorise la libération des nœuds d’émotions qui inhibent et bloquent l’action et l’apprentissage. Il existe une relation entre la difficulté de la tâche, le risque perçu par l’élève et la motivation. Pour autant, il existe un degré optimum de risque ou de nouveauté au-delà duquel l’inquiétude se substitue à la curiosité et à l’attrait de l’inconnu. La gymnastique qui met en place des situations acrobatiques peut prévenir les comportements dangereux liés à une prise de risque non maîtrisée. En règle générale, les garçons s’exposent davantage. Par l’expérience vécue dans l’action les élèves prennent conscience du bien-fondé des avertissements des adultes.
  • assumer sa silhouette : le gymnaste se libère peu à peu de l’angoisse qui perturbe sa prestation en se mettant en situation d’être observé par un, deux et enfin le groupe classe. L’apprentissage de la maîtrise de ses émotions est essentiel pour arriver à s’exprimer et communiquer pleinement ;
  • être initié à une activité de production de formes techniques et esthétiques.
  • Les axes de formation

Des axes de formation se dégagent qui représentent ce que l’élève doit s’approprier au niveau de sa conduite pour gagner en efficacité et efficience dans des situations gymniques. Lorsqu’on parle de conduite, il est fréquent de distinguer, pour des raisons de commodité, trois pôles (moteur, affectif et cognitif), en sachant toutefois que les catégories sont interpénétrées. L’affectif, le cognitif, le moteur et le sens se trouvent intimement liés en régulations multiples :

  • pôle moteur :
    • ressources biomécaniques : construction d’une organisation posturale permettant des attitudes, des impulsions, des rotations…gymniques, amélioration de la souplesse,
    • ressources bio informationnelles : construction d’un système de repérage en passant par des prises d’information extéroceptives pour aller vers des prises d’informations proprioceptives,
    • ressources bio énergétiques : développement d’une tonicité et d’un gainage permettant la transmission d’énergie, amélioration des éléments gymniques par une efficacité accrue
  • pôle affectif :
    • être capable de se produire devant autrui,
    • mettre en place des situations pour favoriser une réussite valorisante, augmentation de l’estime de soi,
    • partager des sensations communes,
    • se lancer des défis par rapport à soi-même ou aux autres,
    • faire communiquer et s’entraider les enfants
  • pôle cognitif :
    • s’approprier les éléments du code de référence et les principaux critères de réalisation de chaque élément technique,
    • s’enrichir du vocabulaire gymnique,
    • savoir utiliser les différents médias,
    • comprendre les modalités de l’évaluation,
    • maîtriser les principes de sécurité afin de respecter le principe incontournable « simple et correct vaut mieux que difficile et incorrect ».

4. Rappels

C’est une évidence de rappeler qu’on ne doit pas aborder toutes les activités de la même manière. En effet, avec les débutants en gymnastique, il faut impérativement privilégier dans un premier temps le vécu, l’expérience concrète, les émotions et non la maîtrise, l’analyse, la compréhension, la connaissance.

De la même façon quelques incontournables sont de rigueur pour l’enseignement de cette activité :

  • on ne peut enseigner la gymnastique sans un minimum de matériel. Pour la rendre attrayante et faciliter les apprentissages par l’aménagement du milieu, un certain nombre de dispositifs paraît indispensable
  • on ne peut enseigner la gymnastique, sans une quantité horaire suffisante. Le temps d’engagement moteur demeure la composante essentielle de l’efficacité des apprentissages (programme du collège 10 heures effectives)
  • on ne peut enseigner la gymnastique sans au préalable avoir tenté de mettre un peu d’ordre dans la variété et la complexité des habiletés motrices offertes par cette riche discipline 
  • on ne peut enseigner la gymnastique sans rompre avec certaines habitudes ancrées dans la pratique professionnelle :
    • considérer que le sol est prioritaire,
    • refuser la quantité de travail,
    • se focaliser sur l’aspect technique formel dans un premier temps,
    • négliger les aspects bioénergétiques,
    • donner trop d’importance au cognitif.

En gymnastique apprendre c’est :

  • la construction d’habiletés nouvelles : acquérir le plus haut degré d’expertise en fonction de ses ressources et de rendre disponibles ces savoirs au bon moment,
  • la maximisation d’habiletés existantes : améliorer des savoir-faire déjà construits et disponibles chez l’élève par un gain de précision, d’amplitude, de vitesse, d’équilibre, d’impulsion et d’enchaînement,
  • l’optimisation de ces habiletés : minimiser les coûts énergétiques et informationnels associés à la réalisation des savoir-faire, c’est-à-dire agir en s’économisant sur le plan énergétique, des repères et des émotions.
  1. ^ Guy Brousseau, Théorie des situations didactiques, La Pensée Sauvage, Grenoble, 1998.
  2. ^ Les éléments gymniques sont répertoriés dans un code de référence, leur valeur est établie en fonction de leur difficulté.
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