Par Philippe Frouté, Maître de conférences des Universités
Dernière mise à jour : mars 2017

L’OCDE1 rappelle que la productivité se définit habituellement comme le rapport, en volume, d’une production sur un ou plusieurs facteurs de production. Elle permet de mesurer les effets de l’évolution technique, de caractériser des situations efficientes ou de comparer des processus de production. La hausse de la productivité permet de générer de la croissance économique, à la fois effective et potentielle. Les modèles actuels étudiants la croissance économique par l’intermédiaire d’une fonction de production distinguent trois facteurs de production : le travail, le capital et le progrès technique. Les fiches numéro 5, 14 et 19 abordent en profondeur la question du travail tandis que les fiches 4, 7 et 15 abordent la question du progrès technique. Le programme du concours invite à s’interroger plus spécifiquement sur l’étude du capital et l’impact de sa formation sur la productivité. L’étude du capital et son accumulation sont indissociables de celle de l’investissement. Celui-ci a été abordé dans le cadre de la fiche numéro 2 et sera complété par la fiche numéro 9. La présente fiche s’ouvre sur un rappel des principaux débats théoriques relatifs à la question du capital et de son accumulation qui ont été récemment renouvelés par la parution de l’ouvrage de Thomas Piketty Le Capital au XXIème siècle (section 1). La principale difficulté de l’étude du lien entre la formation du capital et la productivité repose sur la définition de la contribution du capital à cette dernière qui dépend des types de capitaux considérés et des motifs d’accumulation (section 2). Au-delà de ces définitions, la difficulté repose également sur la mesure de la productivité du capital qui a également donné lieu à de nombreux travaux et continue de soulever des controverses (section 3).

1. Les théories de l’accumulation du capital

Alors que le capital est une variable centrale au cœur des processus de production, on trouve finalement peu de théories économiques consacrées à l’étude de son accumulation. Une des explications avancées notamment par l’économiste Jean-Marc Daniel est que la principale analyse proposée par Karl Marx au XIXème siècle a placé l’analyse économique sur un plan politique à travers la théorie de la fin du capitalisme. Les théories plus récentes s’intéressent aux règles d’accumulation du capital qui permettent de garantir une croissance soutenable dans un souci de stabilisation de l’activité économique. Le travail statistique réalisé par Thomas Piketty peut s’inscrire dans cette perspective et l’ouvre à la question de la répartition des fruits des gains de productivité et à celle des inégalités.

1.1. Les analyses marxistes et la fin du capitalisme

Les fondements économiques de la théorie marxiste du capital sont issus de la théorie ricardienne de la valeur. L’origine de la valeur est à relier à la quantité de travail intégrée dans les produits. L’idée de Karl Marx est que les travailleurs sont rémunérés à leur salaire de subsistance mais sont à l’origine d’une création de valeur supérieure : la plus-value. Or la concurrence entre producteurs conduit à diminuer le taux de profit. Pour préserver les profits, les propriétaires du capital vont substituer du capital à de la main-d’œuvre, ce qui préserve les profits à court terme mais à tendance à les comprimer à long terme car la part du facteur de production à l’origine de la création de valeur diminue. Ce mécanisme entraîne une hausse de la part du capital dans l’économie et induit mécaniquement une hausse de la productivité par travailleur. En quelques sortes, la hausse de la productivité à court terme entraîne sa disparition à long terme et la fin du capitalisme lorsque l’on atteint la limite de la baisse tendancielle du taux de profit qui n’est autre que sa disparition. La principale critique adressée à la théorie marxiste est la non prise en compte du progrès technique incorporé dans le capital productif qui peut avoir deux effets non exclusifs : d’une part, retarder la baisse tendancielle du taux de profit en permettant d’accroître la plus-value des travailleurs, d’autre part créer des nouveaux besoins en formation des travailleurs et en nouveaux métiers.

1.2. La règle d’or d’accumulation du capital d’Edmund Phelps

L’étude de l’accumulation du capital a été renouvelée avec les nouveaux modèles de croissance, d’inspiration keynésienne dans un premier temps puis avec les modèles issus de la synthèse néoclassique et les travaux de Robert Solow. Parmi les principaux auteurs on trouve Edmund Phelps à l’origine de la règle d’or d’accumulation du capital. Ce dernier s’intéresse aux conditions de maximisation de la consommation intergénérationnelle. Il montre que pour garantir un équilibre optimal stable, il faut que la productivité marginale du capital soit égale au taux de croissance de la population. En d’autres termes, la rémunération du capital doit être alignée avec la croissance de la population ce qui permet d’ajuster le taux d’épargne à la part du profit dans le revenu national. Le modèle de Phelps fournit une règle pour orienter l’épargne vers un investissement productif.

1.3. Les lois fondamentales du capitalisme de Thomas Piketty

Angus Maddison a étudié la croissance économique mondiale sur le long terme et publié plusieurs ouvrages, notamment L’économie mondiale 1820-1992 : analyse et statistiques en 1995 et L’économie mondiale : une perspective millénaire en 2001. Ces travaux mettent en lumière les faits suivants au niveau des principaux pays de l’OCDE depuis la fin de la seconde guerre mondiale :

  • La croissance du stock de capital s’est ralentie à la fin du XXème siècle par rapport à la période des Trente Glorieuses. Selon les données de l’OCDE, le stock de capital fixe a en effet crû de 2% par an en moyenne entre 1973 et 2010 contre 4,5% par an entre 1950 et 1973.
  • Le stock de capital fixe a augmenté plus rapidement que l’emploi, augmentant le capital par tête. L’intensité capitalistique s’est donc accrue. La valeur des biens d’équipement nécessaires à la production d’un travailleur a augmenté.

Les travaux plus récents de Thomas Piketty confirment ces évolutions. Thomas Piketty s’est livré à une étude des hauts revenus montrant que, sur longue période, la part des revenus du capital dans le revenu national est égale au taux de rendement moyen du capital multiplié par le ratio du stock de capital sur le revenu national. A long terme, le ratio du stock de capital sur le revenu tend vers le ratio du taux d’épargne sur le taux de croissance. Se basant sur ces deux lois qu’il qualifie de lois fondamentales du capitalisme, Thomas Piketty montre que sur le long terme, le rapport du capital sur le revenu tend à revenir à des valeurs proches de celles du XIXème siècle, sensiblement plus inégalitaires que pendant la période des Trente Glorieuses. En outre, Thomas Piketty relève que, sur longue période, le rendement moyen du capital n’a pas respecté la règle d’or d’accumulation du capital en étant sensiblement supérieur au taux de croissance de l’économie. Ce déséquilibre s’est opéré en faveur des détenteurs de capital qui s’enrichissent plus rapidement que le reste de la population ce qui renforce l’accroissement des inégalités.

Ces résultats interrogent sur l’interprétation à leur apporter. Doit-on considérer qu’ils montrent que la Période des Trente Glorieuses n’a finalement été qu’une parenthèse dans le processus d’accumulation du capital ? Dans l’affirmative doit-on alors repenser les liens entre l’accumulation du capital et la productivité au regard de la persistance de long terme du déséquilibre entre le taux de rémunération du capital et la croissance économique ? La réponse à ces questions suppose au préalable de pouvoir considérer plus finement l’accumulation du capital et notamment ses différentes motivations.

2. La formation du capital

Il existe en effet différents types de capitaux qui ne répondent pas tous à la volonté d’accroître la productivité. Aussi les analyses des liens entre accumulation du capital et croissance doivent-elles prendre en compte la diversité des types de capitaux et les différentes motivations gouvernant leur accumulation.

2.1. Les différents types de capitaux

Par définition, le capital physique ou technique prend la forme d’un stock de biens et de services servant à la production. Il comprend :

  • Le capital circulant : stock de biens et de services détruits ou transformés au cours de la production, ce qui correspond aux consommations intermédiaires.
  • Le capital fixe : stock de biens d’équipement durables, de bâtiments et de logiciels utilisé plus d’un an dans le processus de production.

L’accumulation de capital fixe correspond à l’investissement net ou à la formation nette de capital fixe. Cette différence correspond à la différence entre un flux positif qui augmente le stock de capital fixe et un flux négatif qui le diminue (l’amortissement). L’investissement n’est donc pas une consommation intermédiaire et ne concerne donc pas le capital circulant. Celui-ci désigne l’achat de biens et services qui disparaissent ou se transforment lors du processus de production. L’investissement n’est pas non plus un placement. Un placement ou investissement financier désigne l’achat de titres financiers ou l’ouverture d’un compte rémunéré.

Une analyse temporelle de l’investissement et de la croissance montre l’existence d’une corrélation forte entre ces deux grandeurs. L’investissement se mesure principalement comme l’accumulation brute de capital fixe, la FBCF. Deux explications non exclusives à l’existence de cette corrélation sont possibles. La croissance de la production peut générer des achats de nouveaux équipements de la part des entreprises pour satisfaire la demande. L’augmentation de capital peut permettre d’accroître la production, le capital étant un facteur de production.

2.2. Les différents types d’investissement

Les investissements productifs peuvent être décomposés en trois grands types :

  1. Les investissements de capacités : il s’agit de l’acquisition de biens d’équipement visant à accroître les capacités de production de l’entreprise ou le stock de capital fixe. Il s’agit ainsi de la création d’un nouveau capital pour répondre à la hausse de la demande. Dans ce sens, les investissements de capacités sont à l’origine d’une croissance extensive. Ce type d’investissement n’influence pas la productivité.
  2. Les investissements de productivité aussi désignés comme les investissements de rationalisation ou de modernisation : il s’agit de l’achat d’un capital plus performant en raison du progrès technique incorporé. Ce type d’investissement permet de réduire les coûts unitaires de production en permettant de réduire les coûts de main-d’œuvre en substituant du capital au travail. Ainsi, la productivité peut s’accroître sans que la production augmente.
  3. Les investissements de remplacement : il s’agit des achats de biens d’équipement destiné à renouveler le capital fixe usé ou devenu obsolète. Ces investissements maintiennent inchangée la production et la productivité.

En pratique, il est souvent difficile de distinguer ces trois types d’investissement. Il n’est pas rare en effet, qu’un investissement puisse permettre d’accroître à la fois la production et la productivité. En outre, en fonction des cycles de vie des produits, un investissement de remplacement peut générer un accroissement de la production.

C’est donc l’investissement de productivité qui peut générer une accumulation de capital à l’origine d’un gain de productivité. Dans ce sens, l’épargne permettant de financer ce type d’investissement est à encourager mais les effets peuvent être ambigus.

En effet, la substitution du capital au travail opérée par l’investissement de productivité agit de deux façons sur la croissance :

  1. Si le nombre de travailleurs et la durée du travail restent constants, toute augmentation de la productivité du travail se traduira par une hausse de la production. Ainsi, si la productivité augmente de 10%, 100 travailleurs qui produisaient chacun 1000 produits par an, vont produire 110000 produits pour une durée du travail inchangée générant de la croissance si cette hausse de la production rencontre une demande. Dans le cas contraire, la productivité alimente les stocks mais pas les carnets de commandes des entreprises.
  2. La hausse de la productivité diminue le temps de travail nécessaire pour réaliser un produit. Ainsi s’il fallait une heure de travail pour qu’un travailleur réalise un produit, il ne lui faudra plus que 30 minutes si sa productivité double. Le coût de production ordinaire va donc diminuer. Si le marché est concurrentiel, cette baisse du coût unitaire va se répercuter sur les prix ce qui va rendre les entreprises plus compétitives sur le marché intérieur et sur les marchés extérieurs. La demande devrait augmenter et les entreprises produire plus.

Pour pouvoir distinguer les différents effets, il est nécessaire de pouvoir mesurer la productivité du capital ainsi que les conditions de son accumulation. L’ouvrage de Thomas Piketty a rencontré un succès important car il a pu accéder à des données fiscales permettant une mesure fine des phénomènes étudiés. Il a également donné lieu à des controverses sur les méthodes employées et sur certains résultats, mais son œuvre s’impose par son ampleur et les résultats obtenus. Dans la section suivante nous présentons les mesures proposées par l’OCDE ainsi que les hypothèses nécessaires à leur obtention.

3. La mesure de la productivité du capital

Il existe un grand nombre de mesures de la productivité. Parmi les plus utilisées on trouve celles de l’OCDE qui ont pour intérêt de permettre des comparaisons internationales car les mesures sont standardisées entre les différents pays.

3.1. La productivité du capital en termes de valeur ajoutée

L’OCDE calcule un indice de productivité du capital en termes de valeur ajoutée. Il s’agit du ratio entre un indice de quantité de la valeur ajoutée et un indice de quantité du facteur capital. Cet indice renseigne sur le profil temporel de l’utilisation productive du capital en vue de générer une valeur ajoutée. Les variations de la productivité du capital indiquent à quel point il est possible d’accroître la production en réduisant les coûts mesurés en termes de bien-être sous la forme de consommation non réalisée. Ce faisant, cette mesure s’inscrit dans le cadre d’analyse de la macroéconomie de la croissance et des théories relatives à la règle d’or d’accumulation du capital.

L’OCDE relève que pour toute catégorie d’actif, il existe un flux de services productifs issus du stock cumulé des investissements réalisés. Ce flux est appelé services du capital de la catégorie d’actif considérée.

Les flux quantitatifs de services du capital ne peuvent généralement pas être observés directement. Il faut les déterminer par approximation en prenant pour hypothèse qu’ils sont proportionnels au stock d’actifs une fois que chaque génération de capital a été transformée en unités types « d’efficience ».

Le prix des services du capital est mesuré en tant que prix de location des services ou coûts d’utilisation du capital.

3.2. La prise en compte du vieillissement du capital

L’idée globale est de pouvoir mesurer la capacité productive du capital. Or, au fur et à mesure qu’un actif vieillit il perd de sa valeur car il peut perdre son potentiel productif.

Différents concepts ont été construits pour rendre compte de ces aspects. L’amortissement mesure la perte de valeur d’un bien au fur et à mesure que celui-ci vieillit. L’amortissement doit être distingué de la dépréciation physique qui reflète la perte de services productifs.

  • La perte de valeur d’un bien d’équipement qui vieillit est représentée par son profil âge-prix, c’est-à-dire par la structure des prix relatifs, à différentes générations, d’un même bien d’équipement.
  • La perte de capacité productive d’un bien d’équipement au cours du temps est représentée par un profil âge-efficience, qui correspond au taux auquel la contribution matérielle de ce bien d’équipement à la production diminue sur la durée du fait de l’usure.

L’OCDE illustre ces différences par l’exemple d’un camion vieux d’un an qui peut avoir perdu 20% de sa valeur marchande, mais pas forcément 20% de sa capacité à transporter des biens entre deux destinations.

Enfin, le capital possède un profil de déclassement qui décrit comment les actifs sont retirés du service. Le profil de déclassement évolue généralement autour de la durée de vie prévue ou moyenne. Le profil de déclassement détermine la probabilité de survie d’un bien donné, le profil âge-prix et le profil âge-efficience déterminent respectivement les pertes de valeur et les pertes de capacités productives sous réserve de la survie du capital.

Si les flux de services du capital ne sont pas directement observables, ils sont déterminés par approximation en proportion du stock de capital productif. On utilise à cette fin la méthode de l’inventaire permanent, c’est-à-dire qu’ils sont enregistrés dans le stock au moment de leur acquisition en faisant des hypothèses sur les profils de déclassement et les profils âge-efficience.

Ainsi, selon les sources et les méthodes utilisées, les données sur la productivité du capital peuvent varier sensiblement ce qui complexifie très largement les analyses et les comparaisons pouvant être effectuées.

Les débats relatifs à l’accumulation du capital et à l’influence de cette accumulation sur la productivité et la croissance continuent d’être importants et sont alimentés par des controverses autour de la mesure de la productivité et des conditions d’accumulation du capital.

En outre, d’un point de vue empirique, les études sur la croissance montrent que l’augmentation du volume de la production est supérieure à l’augmentation de la quantité des facteurs de production ce qui laisse penser qu’il existe un effet d’interaction entre les différents facteurs. L’augmentation de la croissance résulte donc de l’augmentation de la productivité globale des facteurs (la PGF). La PGF mesure l’efficacité de la combinaison productive. La fiche suivante s’intéresse à cette question.

  1. ^ OCDE, 2001, Mesurer la productivité, Mesurer la croissance de la productivité par secteur et pour l’ensemble de l’économie, Paris, 162 p.
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