Par Eric Guérin

Dernière mise à jour: juillet 2019

Le service public est la notion centrale du droit administratif. Cependant, il existe beaucoup de définitions de la notion de service public. En outre, la notion contient une certaine charge politique avant de prendre un sens juridique. Avec le préambule de la Constitution de 1946, auquel renvoie celui de 1958, on se trouve à la frontière du politique et du juridique, dès lors que « Tout bien, toute entreprise dont l’exploitation a ou acquiert le caractère d’un service public national ou d’un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité ». C’est sans doute la pluralité des aspects qui entoure la notion de service public qui rend difficile la délimitation de ses contours.

1 Qu’est-ce que la notion de service public ?

La notion de service public désigne une mission remplie par l’administration ou sous sa responsabilité dans le but de satisfaire l’intérêt général. Les activités de service public peuvent revêtir des formes extrêmement variées (A) et la notion d’intérêt général doit être envisagée de manière circonstancielle (B). En effet, l’intérêt général est souvent fonction de circonstances particulières de temps et de lieu.

1.1 Le service public, une activité

La notion de service public sert à désigner une activité exercée par l’administration ou sous sa responsabilité. Cette activité se caractérise par l’octroi d’une prestation aux usagers du service public. Ces prestations prennent des formes variées. Il s’agira d’une prestation matérielle (fourniture d’eau de gaz ou d’électricité…) ; de prestations financières (octroi d’une subvention, d’une prime ou d’une prestation sociale) ; ou d’une prestation de service (enseignement, culture, sport…). Cette activité de prestation permet d’opposer l’activité de service public à l’activité de réglementation de l’administration (activité de police). Cette opposition mérite toutefois d’être nuancée dans la mesure où les activités réputées par le juge activité de service public consistent essentiellement à édicter une réglementation (mission des ordres professionnels comme l’ordre des médecins : CE 2 avril 1943 Bougen). En outre, la mise en œuvre des règlements de police est réalisée par l’intermédiaire du service public de la police (nationale ou municipale).

1.2 La satisfaction de l’intérêt général

La condition première à l’institution d’une activité en service public est son caractère d’intérêt général. Toutefois, la notion d’intérêt général est extrêmement subjective et donc difficile à définir. De façon sommaire une activité d’intérêt général est une activité qui a pour but de satisfaire un besoin collectif. Il s’agit donc d’un intérêt supérieur qui se distingue des intérêts privés. Pourtant notre société est trop complexe pour que l’on puisse opposer de façon aussi simpliste intérêt général et intérêt privé. En outre, la notion d’intérêt général est évolutive et varie en fonction des circonstances de temps et de lieu. Au début du siècle la notion d’intérêt général est entendue de façon stricte et se limite à quelques services publics jugés essentiels à la collectivité (eau, gaz, électricité, transport urbains…). Par la suite, la notion d’intérêt général s’est considérablement étendue aux nouveaux besoins de la population (en matière de loisir, d’enseignement, de protection sociale, au domaine sportif…).

Deux exemples, classiquement avancés, démontrent ce caractère fluctuant. Le théâtre, à qui l’on a refusé la qualification de service public en 1916 (arrêt Astruc), s’est vu conférer ce label en 1944, par un arrêt « Léoni » selon lequel un théâtre municipal présentait un intérêt public dans la mesure où il faisait prédominer la qualité et les intérêts artistiques sur les intérêts commerciaux de l’exploitation. Autre domaine, déjà abordé précédemment, l’interventionnisme économique des collectivités locales qui a également connu une telle évolution. Ainsi, après avoir été refusé par un arrêt « Casanova » de 1901, cet interventionnisme a été considéré comme présentant un intérêt général par un arrêt « ville de Nanterre » de 1964, jusqu’à être légalisé en 1982/1983 par les lois de répartition des compétences entre l’État et les collectivités locales.

Ainsi, dans un grand nombre de cas, l’intervention des personnes publiques vient pallier les carences de l’initiative privée. Dans d’autres hypothèses, on constatera que l’initiative privée vient pallier les défaillances de l’initiative publique. Ainsi, le développement anarchique des services publics et l’imbrication entre la sphère publique et la sphère privée rendent difficile l’appréhension de la notion de service public.

1.3 Le service public est une activité exercée par l’administration ou sous son contrôle

La satisfaction d’une activité d’intérêt général suppose normalement l’intervention d’une personne publique. En effet, la création d’un service public revient normalement à l’État ou aux collectivités territoriales qui ont pour mission de déterminer les besoins de la population. Toutefois, le lien entre l’administration et le service public peut être fluctuant. Ce lien sera direct lorsque la personne publique gère elle-même l’activité de service public. En revanche, ce lien devient indirect, lorsque la personne publique qui est compétente pour créer le service public en confie la gestion à une personne publique ou privée distincte d’elle. Dans ce cas la personne publique conserve un droit de regard sur l’activité de service public (pouvoir de contrôle) mais n’exerce pas l’activité directement par ses propres moyens.

Il convient donc de distinguer deux hypothèses. La premier est celle où l’activité de service public est exercée par une personne publique. Cette première hypothèse renvoie à la conception originelle du service public, qui résulte d’une décision du Tribunal des conflits de 1908, « Feutry ». Est Service public l’activité d’intérêt général gérée par une personne publique.

La deuxième hypothèse résulte d’un arrêt du Conseil d’État de 1938, « Caisse primaire Aide et protection », selon lequel le Service public est une activité d’intérêt général gérée par une personne privée avec des prérogatives de puissance publique sous le contrôle de l’Administration. Cette seconde définition de la notion de service public est fondamentale car elle ouvre la possibilité pour les personnes privées d’exercer des activités de service public (en 1935 le juge administratif avait commençait par admettre qu’une personne de droit privée pouvait exercer des activités d’intérêt général).

1.4 L’application des règles du droit public

Le dernier élément de définition de la notion de service public doit être recherché dans la soumission des activités de service public au droit public. Le droit applicable aux activités de service public est une conséquence de la définition de la notion selon laquelle le service public est une activité d’intérêt général exercée par l’administration. Lorsque l’activité de service public est exercée par une personne privée, l’un des éléments révélant l’existence d’une telle mission, est le fait que cette activité bénéficie de prérogatives de puissance publique que l'on ne rencontre que dans le cadre du droit administratif (Conseil d’État, 28 juin 1963, Narcy). Ainsi donc, l’activité de service public est soumise à un corpus de règles fondamentales tel que le principe d’égalité, de continuité et de mutabilité (cf infra).

Toutefois, l’évolution de la notion de service public, notamment avec l’apparition des services publics industriels et commerciaux (TC, 22 janvier 1921, Société commerciale de l’Ouest africain) et le recours à des personnes de droit privé, nécessite de nuancer l’affirmation selon laquelle on applique le droit public aux activités de service public. Dans certains cas de figure les activités de service public se verront appliquer les règles du droit privé. Se sera par exemple le cas des règles du droit de la concurrence.

2 Les catégories de services publics : la distinction SPA/SPIC

La jurisprudence a admis que les services publics pouvaient être soumis à une gestion privée. Cette reconnaissance est à l’origine d’une distinction fondamentale entre service public administratif (SPA) et service public industriel et commercial (SPIC). Cette distinction a été opérée par un arrêt du Tribunal des conflits de 1921 Société commerciale de l’Ouest africain a propos d’un bac maritime de transport, fonctionnant en Côte d’Ivoire alors colonie française. Le Tribunal des conflits a considéré que l’administration exploitait le service « dans les mêmes conditions qu’un industriel ordinaire ».

Cette distinction entre SPA et SPIC est exclusive de toute autre distinction. Par un arrêt Naliato du 22 janvier 1955, le Tribunal des conflits avait créé une troisième catégorie, celle des services publics sociaux, mais la même juridiction a ensuite abandonné cette distinction dans un arrêt Gambini du 4 juillet 1983. Les services publics sociaux ont alors été réintégrés dans les SPA. Tous les services publics doivent donc pouvoir être rangés soit dans la catégorie des SPA soit dans celle des SPIC. Il nous importe désormais de dégager les critères permettant d’identifier la nature d’un service public et les effets qui s’attachent à la distinction.

2.1 Les critères de la distinction

Pendant longtemps, le critère organique (c'est-à-dire la présence de l’administration pour administrer l’activité de service public) a suffi pour identifier les services publics. Le SPA était le service géré par l’administration et le SPIC, le service géré par une personne privée. Cependant les bouleversements qu’a connus la notion de service public ont rendu nécessaire la recherche de nouveaux critères d’identification. La qualification de SPA ou de SPIC sera donnée par le législateur (1). Dans le silence de la loi, ce sera au juge lui-même de déterminer la nature du service public (2).

2.1.1 Les qualifications textuelles

Il arrive que les textes qualifient les services publics d’«administratifs» ou d’«industriels et commerciaux». Le plus souvent, c’est l’organe gestionnaire du service qui est compétent pour donner la qualification. La nature du service n’a toutefois pas la même portée selon qu’elle est attribuée par la loi ou le règlement.

La qualification donnée par la loi s’impose et détermine le régime juridique applicable ainsi que la juridiction compétente. Le juge enregistre la qualification donnée par la loi sans pouvoir en examiner la réalité. En revanche, lorsque la qualification d’un établissement public et du service public est donnée par un règlement, le juge ne s’estime pas lié par cette qualification et se prononce en fonction de la réalité de la nature réelle de l’activité. Une activité qualifiée de SPA par un règlement pourra dès lors être requalifiée de SPIC par le juge.

2.1.2 Les critères jurisprudentiels

Alors que le Tribunal des conflits a très tôt distingué les SPA des SPIC (1921), il a fallu attendre un arrêt du 16 novembre 1956 pour que le Conseil d’État détermine les critères permettant d’identifier les SPIC. En effet, dans ses conclusions sous l’arrêt «

Union syndicale des industries aéronautiques » (Conseil d’État, 16 novembre 1956), le commissaire du gouvernement a défini trois critères d’identification des SPIC. Le premier critère s’attache à l’objet du service (a), le second à l’origine des ressources financières (b) et le troisième aux modalités de fonctionnement (c). Cette approche de la juridiction administrative est qualifiée de méthode du faisceau d’indice.

2.1.2.1 L’objet du service

Pour qu’une activité soit qualifiée de SPIC, l’objet du service doit être identique ou assimilable à celui des activités généralement accomplies par des personnes privées. Ce critère est toutefois insuffisant car la jurisprudence qualifie parfois d’administratif des activités pouvant relever d’une activité privée. Ainsi, l’exploitation d’un bac initialement qualifié de SPIC (arrêt du Tribunal des conflits de 1921) est désormais qualifiée de SPA (CE, 10 mai 1974, « Denoyez et Chorques »). Ce service public apparaît aujourd’hui comme ayant pour objet la voirie routière dont il est le complément. De manière générale, les activités d’intérêt général pour lesquelles la loi aménage un monopole de la puissance publique sont qualifiées de SPA.

2.1.2.2 L’origine des ressources financières

La seconde condition pour qu’un service public puisse être qualifié de SPIC tient à l’origine des ressources. Un SPIC doit être financé pour l’essentiel par les redevances payées par les usagers en contrepartie de la prestation qui leur est fournie. La redevance perçue est calculée de manière à correspondre au coût réel du service. Par conséquent, un service public gratuit (école) ne peut être considéré comme un SPIC. Au contraire, un SPA sera principalement financé par des recettes fiscales ou par des subventions. Selon son mode de financement, une même activité de service public peut être considérée soit comme un SPA soit comme un SPIC. Par exemple le service public d’enlèvement des ordures ménagères est considéré comme un SPA lorsqu’il est financé par une taxe d’enlèvement des ordures ménagères ; il est considéré comme un SPIC lors qu’il est financé par une redevance d’enlèvement des ordures ménagères. Dans ce cas la redevance est proportionnelle au service rendu alors que dans le cas précédant la taxe est proportionnelle aux capacités du contribuable.

2.1.2.3 Les modalités de fonctionnement

La dernière condition dégagée par la jurisprudence tient aux modalités de fonctionnement du service public. Un service public géré en régie sera présumé être un SPA alors qu’un service public donné en délégation à une personne privée bénéficiera d’une présomption de SPIC. De façon générale, les conditions de gestion d’un SPIC doivent être comparables à celles d’une entreprise commerciale (comptabilité, recherche de l’équilibre financier, large application du droit privé).

2.2 Les effets de la distinction

La distinction entre SPA et SPIC a pour conséquence principale de déterminer le régime juridique applicable à chaque activité de service public et la juridiction compétente. Alors que les activités de SPA relèvent de la compétence du juge administratif qui leur applique les règles du droit administratif, les SPIC relèvent de la compétence du juge judiciaire qui leur applique le droit privé. C’est ce qui va main- tenant être approfondi.

3 Construction européenne et remise en cause du service public « à la française »

Les traités sur l’Union européenne et sur le fonctionnement de l’Union européenne accordent une place importante au principe de concurrence et entre parfois en compétition avec les règles du service public. C’est pourquoi il est parfois nécessaire d’aménager la notion de service public telle que nous la connaissons avec les exigences du droit communautaire.

Dans du droit communautaire on ne parle pas de services publics mais de services d’intérêt général (SIG) et de services d’intérêt économique général (SIEG). Cependant, seuls les SIEG sont mentionnés dans les traités européens, sans toutefois être définis. Les SIG (école, hôpital) désignent des services marchands et non marchands que les États considèrent comme étant d’intérêt général et qu’ils soumettent à des obligations spécifiques de service public.

Les SIEG désignent uniquement les services de nature économique soumis à ces obligations de service public (transports, services postaux, énergie, communications). Les SIEG au contraire des SIG sont soumis aux règles de la sociale, activité hospitalière, éducation) considérées d’intérêt général par les autorités publiques et soumises comme telles à des obligations de service public.

Tags :
    
© 2023 CNFPT