Par BAUBY Pierre, président de RAP (Reconstruire l’action publique), membre du Conseil scientifique d’Europa et Mihaela M. Similie (Popa) , chercheur
Dernière mise à jour : janvier 2017

1. Les origines

La politique agricole commune (PAC) a été l’une des premières politiques communes prévues par le traité de Rome de 1957 instituant la CEE, l’époque d’après-guerre étant marquée par des pénuries alimentaires dans plusieurs domaines et des déficits de la production agricole des Etats membres. Dans ce contexte, la PAC visait à assurer l’autosuffisance alimentaire, l’accroissement de la productivité, la sécurité des approvisionnements, des prix convenables pour le consommateur, une modernisation et une mécanisation actives, ainsi que le regroupement des exploitations jugées trop émiettées. A la fin des années 1950 l’agriculture occupait une place importante, quoique différente, dans l’économie des six pays fondateurs et dans l’emploi et l’inscription d’une politique agricole commune dans le traité CEE a été une condition de participation de la France au marché commun.

Les premières propositions pour une politique agricole commune ont été adoptées en janvier 1962 et concernaient l’organisation de la libre circulation des denrées alimentaires, l’unification des prix agricoles sur l’ensemble des marchés de la Communauté et un système de solidarité financière entre les Etats membres pour assurer des subventions à la production des produits alimentaires de base.

Les divergences entre les Etats fondateurs quant au financement de cette politique ont été à l’origine de la première crise institutionnelle grave de la CEE qui a conduit à l’adoption du « compromis de Luxembourg » fin janvier 1966.

Les objectifs initiaux ont été atteints assez rapidement, en particulier en vue d’assurer l’autosuffisance alimentaire. Mais l’intervention de la PAC, avec sa politique de prix garantis plus élevés que les prix sur le marché mondial, et d’achats non plafonnés, a eu des effets de surproduction et d’accumulation de stocks de produits agricoles, qui ont du être contenus par une redéfinition de l’approche initiale (en outre, le surplus agricole a été à l’origine de la création en 1986 du programme européen aux plus démunis – PEAD – qui a été intégré en 2014 à la sphère des fonds structurels). Ainsi, au début des années 1980, la CEE a mis en place une politique de quotas de production et d’achats publics. Son coût plus élevé a attiré les critiques du Royaume-Uni, nouvel Etat membre des Communautés, qui, de par la structure de son économie, bénéficiait peu de ces dépenses communautaires et qui a exigé une correction par la diminution de sa contribution au budget européen. Sa demande a été satisfaite par le Conseil européen de Fontainebleu de juin 1984 et les dépenses agricoles, le principal poste de dépenses dans le budget communautaire, ne sont pas prises en compte dans le calcul du « rabais britannique ».

Pour remédier aux effets non désirés, la PAC a été réformée à partir de 1992 (réforme « Mac Sharry »). L’approche introduite en 1992 privilégie les paiements directs aux agriculteurs pour garantir les revenus agricoles tout en augmentant la productivité, en alignant les prix européens sur les prix mondiaux et en stabilisant les marchés.

A partir de 2003, la réforme « Fishler » a visé également à renforcer le rôle des agriculteurs dans la protection de l’environnement et de l’économie rurale.

D’une part, il s’est agi non seulement de soutenir le remplacement des aides à la production par un soutien aux revenus agricoles, mais aussi, à partir de 2003, de découpler ce soutien financier de la production réalisée par les agriculteurs (mécanismes de « découplage », total ou minimum) et de réduire les paiements aux grandes exploitation (mécanisme de « modulation », obligatoire, facultatif ou volontaire), afin de mieux accorder la production avec la demande et le marché, ainsi qu’avec les exigences de protection de l’environnement par un mécanisme de conditionnalité des aides au respect des exigences relatives à la santé animale, végétale et humaine, à l’environnement et au bien-être animal (« éco-conditionnalité »).

D’autre part, le développement rural est apparu comme objectif prioritaire distinct, par une politique visant à contribuer à l’aménagement du territoire rural, qui représente la plus grande partie du territoire de l’Union, et à la protection de l’environnement par une agriculture durable, puis par la production de biocarburants, etc. Ce deuxième volet ou « pilier », quoique portant des caractéristiques de la politique de développement régional ou de cohésion de l’Union européenne, est financé dans le cadre de la politique agricole commune. L’orientation du premier pilier de la PAC vers les objectifs du deuxième pilier se réalise notamment par la réduction des paiements aux grandes exploitations (le mécanisme de « modulation »), par l’affectation des économies ainsi réalisées vers les actions de développement rural et par le mécanisme de conditionnalité.

2. Les objectifs

L’article 39§1 TFUE assigne plusieurs objectifs à la politique agricole commune, qui sont les mêmes que ceux définis par le traité CEE de 1957 :

Article 39 TFUE

1. La politique agricole commune a pour but:

a) d'accroître la productivité de l'agriculture en développant le progrès technique, en assurant le développement rationnel de la production agricole ainsi qu'un emploi optimum des facteurs de production, notamment de la main d'œuvre,

b) d'assurer ainsi un niveau de vie équitable à la population agricole, notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l'agriculture,

c) de stabiliser les marchés,

d) de garantir la sécurité des approvisionnements,

e) d'assurer des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs.

Ces dispositions ont fait l’objet de nombreuses interprétations jurisprudentielles mettant en évidence leur portée et le pouvoir discrétionnaire des institutions européennes pour les mettre en œuvre. Au fil du temps, certains objectifs ont vu diminuer leur importance (l’augmentation de la productivité, voir ci-dessous) et d’autres ont été définis par le droit dérivé.

Pour ce qui concerne le développement rural, pour la période de programmation 2014-2020 les objectifs sont précisés par le Règlement 1305/2013 et concernent six priorités avec un financement par un fonds dédié (FEADER) :

  1. renforcer le transfert de connaissances et l’innovation ;
  2. améliorer la compétitivité du secteur agricole et promouvoir la gestion durable des forêts ;
  3. améliorer l’organisation de la chaîne alimentaire, y compris la transformation et la commercialisation des produits agricoles et la gestion des risques ;
  4. restaurer, préserver et renforcer les écosystèmes ;
  5. renforcer l’utilisation efficace des ressources et faciliter la transition vers une économie sobre en carbone ;
  6. promouvoir l’inclusion sociale, la réduction de la pauvreté et le développement économique dans les zones rurales.

Dans l’intervention du FEADER, en place depuis 2007, une attention spécifique peut être octroyée aux petites exploitations (aide redistributive plus élevée au titre des 30 premiers hectares ou régime simplifié par un paiement annuel d’un montant maximal de 1 250 euros), aux zones de montagne, aux circuits d’approvisionnement courts, aux jeunes agriculteurs (de moins de 40 ans), aux femmes des zones rurales.

L’articulation de la PAC avec la stratégie UE2020 vise à orienter les dépenses de la PAC en priorité vers des actions visant à soutenir la croissance, l’emploi et la protection de l’environnement.

3. La situation actuelle et les principaux moyens d’action (art. 38-44 TFUE)

L’agriculture fait partie des compétences partagées de l’Union européenne et des Etats membres (article 4 TFUE) et la PAC fait pour sa majeure partie l’objet de la procédure législative ordinaire (art. 43§2 TFUE et Règlement 1306/2013). Les mesures relatives à la fixation des prix, aux prélèvements, aux aides et aux limitations quantitatives sont de la compétence décisionnelle du Conseil (art. 43§3 TFUE).

Dans le cadre du premier pilier de la PAC, pour atteindre les objectifs prévus par le traité une « organisation commune des marchés agricoles » (art. 40 TFUE) a été mise en place. Suivant les produits, elle prend la forme de règles communes en matière de concurrence, d’une coordination obligatoire des diverses organisations nationales de marché ou d’une organisation européenne des marchés.

Pour ce qui concerne l’organisation commune des marchés (OCM), plusieurs organisations communes de marché ont été progressivement adoptées jusqu’au 1er janvier 2009, avant que le cadre règlementaire soient unifié pour simplification (règlement 1234/2007 abrogé par le Règlement 1308/2013 en vigueur à partir de 1er janvier 2014). Dans les années 1960, les OCM ont couvert environ la moitié de la production agricole communautaire contre environ 90% de la production actuelle de l’Union. En même temps, la protection de marché était variable, selon les produits. Le règlement régissant la période de programmation 2014-2020 (1308/2013) organise le soutien public des produits agricoles par les Etats membres par des achats et stockages, des aides pour l’entreposage privé, l’intervention de mesures et de fonds d’urgence, des mesures de contrôle de l’approvisionnement après l’expiration des quotas de lait et de sucre et la mise en œuvre du nouveau régime des droits de plantation de vigne, ainsi que des régimes d’aides à des secteurs spécifiques et la coopération entre organisations de producteurs et organisations interprofessionnelles. Pour ce qui concerne les échanges avec les pays tiers ce règlement prévoit des dispositions relatives aux importations et aux exportations : la certification à l’importation et à l’exportation, les taxes à l’importation prévues par le tarif douanier commun, la fixation par la Commission des contingents tarifaires d’importation et les conditions d’introduction des restitutions à l’exportation (dans les limites des engagements pris par l’Union à l’OMC).

Les règles du marché intérieur s’appliquent à l’agriculture et au commerce des produits agricoles (art. 38§1 TFUE). Par conséquent, sont applicables l’interdiction des droits de douane et des taxes d’effet équivalent entre les Etats membres, des restrictions quantitatives à l’importation et à l’exportation et de toute mesure d’effet équivalent, et des mesures d’harmonisation progressive des règlements sanitaires et vétérinaires. La préférence à la production agricole de l’UE n’est pas considérée par la jurisprudence européenne comme exigence légale, mais apparaît comme considération politique. Toutefois, le dispositif de prélèvements à l’importation et de prime à l’exportation compense l’écart entre les prix mondiaux et les prix européens, permettant ainsi de protéger le marché de l’Union. Dès le lancement de la politique agricole commune les mécanismes de préférence communautaire ont été dénoncés par les Etats-Unis pour leur incompatibilité avec les règles du GATT, mais jusqu’à la fin des années 1980 l’agriculture est restée en dehors des négociations commerciales internationales (voir ci-dessus).

En même temps, dès 1957, le traité a reconnu un régime dérogatoire pour la PAC. Aujourd’hui, il réaffirme que les règles de concurrence ne sont applicables à la production et au commerce des produits agricoles que dans la mesure déterminée par le Parlement européen et le Conseil (art. 42§1 TFUE). Le Conseil, sur proposition de la Commission, peut autoriser l’octroi d’aides « a) pour la protection des exploitations défavorisées par des conditions structurelles ou naturelles ; b) dans le cadre de programmes de développement économiques » (art. 42§2 TFUE). En outre, l’article 108§2 TFUE permet au Conseil, sur demande d’un Etat membre, de considérer une aide comme compatible avec le marché intérieur si des circonstances exceptionnelles justifient une telle décision. Ces dispositions dérogatoires justifient l’intervention des autorités publiques sur les marchés agricoles, notamment par l’adoption, depuis 1962, des « organisations communes de marché » (prix garantis, aides directes etc., cf. ci-dessus).

La Commission a adopté des lignes directrices relatives aux aides d’Etat dans les secteurs agricole et forestier et dans les zones rurales (pour la période de programmation 2014-2020, voir 2014/C 204/01), ainsi que le Règlement n° 702/2014 d’exemption agricole et le règlement 1408/2013 de minimis agricole. D’autres textes en matière d’aides d’Etat peuvent également s’appliquer dans le secteur agricole (par exemple, concernant le sauvetage et la restructuration des entreprises, les aides d’Etat sous forme de garantie, certaines dispositions du règlement général d’exemption des aides d’Etat par catégorie).

L’objectif de la sécurité alimentaire a conduit à l’adoption d’un cadre législatif en la matière, y compris en ce qui concerne les organismes génétiquement modifiés (OGM), et la création de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA/EFSA), qui exerce une fonction d‘expertise scientifique et d’assistance technique.

La politique de qualité cherche à développer l’agriculture biologique au sein de l’Union, à protéger les spécialités traditionnelles garanties, les indications géographiques protégées et les appellations d’origine protégée.

En 1986, il a été décidé d’inclure l’agriculture dans le cycle de négociations commerciales internationales (« Uruguay round »), ce qui a conduit à la conclusion, le 15 avril 1994, de l’accord de Marrakech. L’accord engage la CEE à permettre un accès minimum des pays tiers au marché européen et à réduire les droits de douane, à revoir le régime des aides internes et à réduire les aides aux exportations. Ainsi, dès 1992, la CEE a entamé une réforme importante de la PAC. Puis la réforme de la PAC de 2003 a également intégré la dimension internationale pour préparer l’Union au développement des négociations internationales du Doha ouvertes en 2001. Toutefois, les droits de douane prélevés sur les produits agricoles importés dans l’Union européenne continuent à être les plus élevés au niveau mondial (plus de 20%), avec des disparités selon les produits. En même temps, des accords préférentiels ont été conclus avec des pays en voie de développement.

La PAC est intégralement financée par le budget de l’Union européenne, par le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA, qui a remplacé à partir de 1er janvier 2007 le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole – FEOGA, créé en 1964). Le financement se réalise à travers :

  • le soutien aux prix des produits agricoles (« régulation » des marchés agricoles) ;
  • le soutien aux revenus des agriculteurs (« paiements directs » aux agriculteurs, actuellement en vertu du Règlement 1307/2013, qui généralise le paiement unique à la surface existant dans 10 des pays ayant rejoint l’UE en 2004 et 2007 et oblige les Etats à converger le montant de ces aides pour qu’à l’horizon 2019 aucun agriculteur ne perçoive moins de 60% de la moyenne nationale tout en plafonnant la perte à 30% ; 30% des fonds octroyés par un Etat membre doit être orientés vers l’utilisation de méthodes respectueuses de l’environnement et du climat) ;
  • des aides (« restitutions ») aux exportations : subventions pour l’exportation des produits agricoles vers les pays tiers, afin de compenser la différence entre les prix européens et les prix mondiaux ;
  • des actions d’information, de suivi et de contrôle.

Le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) finance le deuxième pilier de la PAC. Au moins 30 % du budget FEADER doivent être consacrés à des mesures en faveur de la protection de l’environnement et à la lutte contre le changement climatique et 5% au développement de stratégies locales.

La plupart des financements sont mis en œuvre dans le cadre d’une gestion partagée entre l’Union et les Etats membres. Les Etats membres assurent la mise en ouvre de la PAC et, dans l’exécution budgétaire, sont notamment responsables de la perception des droits, de l’exécution des paiements et du recouvrement des sommes indûment payées.

La mise en place, au début de la décennie 1980, des quotas de production et d’achats publics a augmenté la dépense budgétaire communautaire pour la PAC jusqu’à plus de 70% du budget de la CEE en 1985 (trois fois plus qu’au début des années 1970). Depuis les réformes intervenues à partir les années 1990, la part des dépenses de la PAC dans le budget communautaire s’est vue progressivement réduite en même temps que l’enveloppe dédiée au volet développement rural tend à s’accroître à la demande notamment des pays du nord. Dans la période de programmation 2007-2013, la PAC, y compris son volet développement rural, a représenté environ 45% du budget de l’Union, et dans la période de programmation 2014-2020 elle baisse à 38% des engagements.

Tags :
    
© 2023 CNFPT