La politique de l’offre : la concurrence et la politique industrielle

Modifié par Julien Lenoir le 27 septembre 2018

Par Philippe Frouté : Maître de conférences des Universités

Dernière mise à jour: juin 2018

Thème 4 : Les politiques publiques nationales et européennes

Fiche 13 La politique de l’offre : la concurrence et la politique industrielle

La politique de l’offre trouve son origine dans la contestation du keynésianisme qui a fait suite aux chocs pétroliers des années 70. L’idée est que pour relancer l’économie, les politiques centrées sur la demande sont parfois inefficaces et qu’il convient de permettre aux entreprises d’investir à nouveau. Les mesures relevant de la politique de l’offre s’expriment à deux niveaux. D’une part, avec des mesures portant sur le contrôle de l’environnement dans lequel évoluent les entreprises, c’est l’objet de la politique de la concurrence. D’autre part, avec des mesures influençant directement les entreprises (mesures fiscales, promotion de filières etc.), c’est l’objet de la politique industrielle. Politique de la concurrence et politique industrielle peuvent parfois entrer en contradiction. En effet, des aides fiscales peuvent être anticoncurrentielles. Il convient donc d’articuler soigneusement politique de la concurrence et politique industrielle pour éviter qu’elles n’entrent en conflit.

Pour éclairer ce débat, la présente fiche reviendra dans un premier temps sur les fondements théoriques de la politique de l’offre tant au niveau macroéconomique que microéconomique (section 1). Dans un deuxième temps, elle présentera le schéma actuel d’articulation entre ces politiques tant au niveau national qu’au niveau européen (section 2). Elle présentera enfin les nouveaux défis auxquels doit faire face la politique de l’offre suite à la crise financière de 2008 ainsi qu’à la crise des dettes souveraines européennes mais également avec le développement accru de nouveaux acteurs globaux majeurs : les multinationales (section 3).

1 Fondements théoriques et mise en œuvre de la politique de l’offre

La remise en cause du paradigme keynésien s’opère sur deux volets principaux :

1. L’analyse macroéconomique qui va placer la lutte contre l’inflation comme objectif principal de la politique monétaire et les politiques d’offre comme instruments privilégiés pour relancer la croissance économique dans le cadre de la nouvelle macroéconomie classique (section 1.1).

2. L’analyse microéconomique qui remet en cause la justification de l’intervention publique comme remède aux défaillances de marché prônée par l’économie du bien-être et qui privilégie l’étude du comportement des entreprises et la politique industrielle pour calibrer les interventions économiques et relancer l’investissement (section 1.2)

1.1 Les fondements macroéconomiques : monétarisme et nouvelle macroéconomie classique

La remise en cause de la synthèse de Paul Samuelson s’effectue principalement dans le champ de l’analyse macroéconomique. Parmi les principales critiques, on trouve celle de Milton Friedman avec le monétarisme (section 1.1.1) et celle de Robert Lucas dans le prolongement de la théorie des anticipations rationnelles (section 1.1.2).

1.1.1 La critique de Milton Friedman

Le cœur de la critique de la pensée keynésienne repose sur une nouvelle conception de la politique monétaire : le monétarisme. Fondamentalement, le monétarisme est bâti sur une idée ancienne. Toute augmentation de la quantité de monnaie en circulation va engendrer une hausse du niveau général des prix. La monnaie est neutre. Plus précisément, cette conception revient à dire que l’équilibre sur les marchés est obtenu par l’ajustement des variables de prix. Ce sont les prix qui s’ajustent et non les quantités. Les monétaristes rejettent l’hypothèse de rigidité des prix au cœur des théories keynésiennes.

Cette représentation des ajustements économiques induit des recommandations de politique économique. Il convient de ne pas entraver les ajustements et de laisser les marchés s’ajuster. Les recommandations de Milton Friedman justifieront ainsi le passage à des régimes de changes flottants en 1973 ou les politiques de lutte contre l’inflation des Banques centrales (voir Fiche 10). L’idée est également que la lutte contre les crises ne passe pas nécessairement par une relance de la demande mais peut nécessiter une relance de l’offre afin de relancer l’investissement et l’accumulation du capital. Cette opinion est également partagée par des auteurs comme Robert Lucas.

1.1.2 La critique de Robert Lucas

Les travaux de Milton Friedman vont en effet influencer les économistes de la nouvelle macroéconomie classique comme John Muth avec la théorie des anticipations rationnelles, ou Robert Lucas, pour lequel la croissance de long terme comme de court terme dépend de l’offre et non de la demande. Pour Robert Lucas, c’est l’investissement qui est le moyen naturel d’accumulation du capital et l’investissement n’influence pas les cycles d’activité. Les cycles tiennent à des chocs exogènes aléatoires. L’idée de Robert Lucas est que le mieux à faire en période de récession est de ne pas modifier les comportements budgétaires à long terme. La tendance naturelle de l’économie est de revenir « naturellement » à l’équilibre. Moins la puissance publique interviendra dans ce retour à l’équilibre, plus rapide sera ce dernier.

La remise en cause du paradigme keynésien s’effectue également dans le champ de la microéconomie.

1.2 Les fondements microéconomiques : l’école de Chicago

D’un point de vue chronologique, la critique de la pensée keynésienne dans le champ de la microéconomie précède celle opérée dans le champ macroéconomique avec un auteur comme Frank Knight qui peut être considéré comme le fondateur de l’école de Chicago (section 1.2.1). C’est principalement George Stigler qui sera le plus virulent et dont les travaux serviront de référence aux politiques menées par Margaret Thatcher au Royaume-Uni et Ronald Reagan aux Etats-Unis au début des années 1980 (section 1.2.2).

1.2.1 Frank Knight et la microéconomie néoclassique

L’économiste pouvant faire figure de père fondateur de l’école de Chicago est Frank Knight. Il base son œuvre sur une critique de l’économie planifiée mise en place en Russie qui prévient la libre circulation du capital et du travail ainsi que le principe de libre entrée et sortie sur le marché. Il cherche à montrer que la concurrence pure et parfaite qui respecte en particulier ces deux principes est préférable et préconise de suivre les enseignements de la théorie microéconomique néoclassique pour bâtir les politiques économiques et s’oppose ainsi à l’interventionnisme prôné par Keynes.

1.2.2 George Stigler : économie industrielle et théorie de la capture de la régulation

C’est George Stigler, élève de Frank Knight, qui opère un glissement. Pour George Stigler, la théorie néoclassique démontre l’efficacité du libéralisme et de la concurrence pour accroître la production et en assurer une bonne répartition. Sur un plan politique, comme Frank Knight, George Stigler oppose le libéralisme à l’économie planifiée. Sur un plan scientifique, à la suite de Milton Friedman, il va opposer théorie néoclassique et keynésianisme au niveau de l’ajustement des prix.

George Stigler est surtout un des fondateurs de l’économie industrielle qui modélise le comportement des entreprises. Il rappelle que l’optimum ne peut être obtenu qu’en présence de rendements décroissants des facteurs de production. Dans ce contexte, le marché est le plus à même d’allouer au mieux les ressources et de satisfaire le bien-être des individus. Toutefois, lorsque les hypothèses de la concurrence pure et parfaite ne sont pas vérifiées, il considère qu’une intervention publique correctrice n’est pas forcément légitime. Au contraire, l’intervention publique est elle-même imparfaite car des lobbies peuvent capturer le législateur par exemple. Aussi, l’intervention publique est elle-même sujette à des défaillances. Parmi celles-ci on peut citer trois sources d’inefficacité :

  • l’influence des lobbies industriels qui vont chercher à orienter la législation pour qu’elle développe des réglementations qui leurs seront favorables : c’est la capture de la réglementation qui sera théorisée par George Stigler.
  • le carriérisme des fonctionnaires qui vont chercher à accroître leur pouvoir personnel plutôt que de servir l’intérêt général : théorie de la bureaucratie de James Buchanan et William Niskanen
  • les syndicats idéologisés qui vont chercher à promouvoir des pouvoirs catégoriels plutôt que d’œuvrer pour le bien commun : étude d’Harold Lewis datée de 1963.

Au vu des défaillances de l’intervention publique, George Stigler recommande des politiques de déréglementation qui seront mises en œuvre notamment par Ronald Reagan aux Etats-Unis.

1.3 La définition ambigüe d’une politique de l’offre

Finalement, les recommandations de la théorie de l’offre peuvent être résumées en deux volets qui s’ils sont complémentaires peuvent aussi parfois entrer en contradiction : la promotion de la concurrence (section 1.3.1) et la focalisation sur la relance de l’investissement à travers la politique industrielle (section 1.3.2).

1.3.1 La promotion de la concurrence

La contestation du keynésianisme se manifeste principalement par un rejet de l’interventionnisme public. Les victoires de Margaret Thatcher au Royaume-Uni en 1979 avec un programme monétariste ainsi que de Ronald Reagan en 1980 aux Etats-Unis avec un programme prônant des déréglementations illustrent un tournant libéral des politiques économiques au début des années 1980. Toutefois, la politique de l’offre ne saurait se réduire aux seules déréglementations et à la promotion de la concurrence. En effet, la politique de l’offre est également une politique industrielle.

1.3.2 La politique industrielle

En effet, les travaux de George Stigler mettent en avant la nécessité de comprendre le comportement des entreprises, notamment en matière de politique d’investissement afin de pouvoir orienter leurs comportements dans un sens favorables à la reprise de la croissance économique. Cet objectif justifie théoriquement des mesures de baisse des charges aux entreprises ou de redistribution de celles-ci. En France, on peut lire ces quelques lignes au milieu des années 1980, rédigées par François Hollande alors contributeur dans un quotidien proche du parti socialiste Le Matin de Paris : « C’est l’insuffisance des investissements de capacité, plus que l’affaiblissement de la demande, qui [explique] le mieux le développement du chômage. » « Qu’il soit nécessaire de transférer une part des charges de l’entreprise sur les ménages, afin de favoriser l’investissement, qu’il faille plus de flexibilité […], nul ne le conteste sérieusement ».

Ces quelques lignes éclairent la principale ambiguïté de la politique de l’offre concernant le soutien aux entreprises. En effet, la réallocation des charges entre les ménages et les entreprises pour favoriser l’investissement suppose une intervention de l’Etat au niveau de la fiscalité ce qui s’oppose au principe de non intervention pour privilégier la concurrence. Cette ambiguïté perdure aujourd’hui et rend nécessaire une articulation fine entre la politique de la concurrence et la politique industrielle tant au niveau européen qu’au niveau national.

2 L’articulation de la politique de la concurrence et de la politique industrielle en Europe et en France

Ainsi, les deux objectifs de la politique de l’offre : promotion de la concurrence et soutien aux entreprises, peuvent entrer en contradiction et supposent la mise en place d’une articulation fine tant aux niveaux des politiques associées (politique de la concurrence et politique industrielle) que du contexte où elles s’exercent : Union européenne et espaces nationaux. Nous présenterons successivement la politique de la concurrence (section 2.1) et la politique industrielle (section 2.2) dans l’Union européenne avant d’étudier leur articulation avec les volets nationaux (section 2.3).

2.1 La concurrence dans l’Union européenne

La politique de la concurrence est une composante essentielle de la construction européenne. Le fonctionnement du marché unique européen nécessite en effet la mise en œuvre d’une concurrence libre et non faussée. C’est la Commission européenne qui met en œuvre la politique de la concurrence. Cette politique s’applique à toutes les entreprises privées ou publiques. Seuls les services publics non marchands tels que l'éducation ou la protection sociale ne sont pas concernés.

La Commission européenne contrôle les ententes (section 2.1.1) et les abus de positions dominantes (section 2.1.2), les concentrations (section 2.1.3) ainsi que les aides d’Etat (section 2.1.4).

2.1.1 Le contrôle des ententes

Une entente désigne une pratique de partage de marché, de fixation de quotas de production, ou la conclusion d’un accord sur les prix entre plusieurs entreprises. L’article 101 du Traité de Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) établit les règles relatives à l’encadrement des ententes.

2.1.2 Le contrôle des abus de position dominante

Un abus de position dominante désigne la domination d'un marché par une entreprise qui utilise cette situation favorable pour imposer des conditions de vente déloyales. Les positions dominantes ne sont pas interdites, seulement les abus. C’est l’article 102 du TFUE qui établit les règles relatives aux abus de position dominante.

2.1.3 Le contrôle des concentrations

Une concentration désigne la fusion de plusieurs entreprises donnant naissance à une nouvelle société ou l'acquisition d'une entreprise par une autre. Une concentration est interdite si elle crée ou renforce une position dominante susceptible de conduire à des abus. Les concentrations sont encadrées par le règlement (CE) n°139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises.

2.1.4 Le contrôle des aides d’Etat

Une aide d'Etat est une subvention publique accordée à une entreprise. Le principe général est que les aides d’Etat sont interdites dans la mesure où elles pourraient défavoriser une entreprise étrangère par rapport à une entreprise nationale. Toutefois, ce principe souffre de nombreuses exceptions. Par exemple, les services d’intérêt économique général (SIEG) comme les télécommunications sont soumis au droit de la concurrence mais « dans les limites où l’application de ses règles ne fait échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie ». En outre, en compensation de la garantie de service universel, les Etats sont autorisés à compenser le coût de service public assumé par ces entreprises. Les autres exceptions concernent les mesures de soutien aux régions en difficulté et les politiques industrielles dites horizontales (voir section ci-dessous) : promotion de la création d’entreprises, du développement des PME, de la R&D, de la protection de l’environnement, de la formation). Une grande partie de ces aides sont octroyées par les collectivités territoriales (voir Fiche 18). C’est l’article 107 du TFUE qui établit les règles relatives aux aides d’Etat.

2.2 La politique industrielle européenne

La politique industrielle européenne relève essentiellement de la compétence des Etats membres. La Commission européenne joue principalement un rôle d’accompagnateur. Elle prend des initiatives sous la forme de stratégies ou de lignes directrices destinées à permettre de coordonner les actions nationales ou de surveiller ou d’analyser l’évolution des politiques industrielles (section 2.2.1). Ainsi, les actions de soutien à l’industrie passent par un nombre d’actions limité (section 2.2.2).

2.2.1 Les objectifs de la politique industrielle européenne

La Commission européenne poursuit une double approche en matière d'industrie : d'une part horizontale, par des initiatives communes à toute les industries, et d'autre part sectorielle pour les éléments plus spécifiques. La politique industrielle est régie par l’article 173 du TFUE. L’objectif de la politique industrielle est de faire du marché unique un environnement attrayant pour les entreprises et les industriels. Dans le cadre de la stratégie Europe 2020, il s’agit plus précisément de « stimuler la croissance et la création d’emplois en maintenant et soutenant, en Europe, une base industrielle forte, diversifiée et concurrentielle qui offre des emplois bien rémunérés, tout en émettant moins de carbone ». Elle s’intéresse particulièrement au bon fonctionnement des industries dites « stratégiques » comme la défense, l’industrie aérospatiale, la biotechnologie, l’ingénierie mécanique ou l’industrie chimique.

2.2.2 Les actions de soutien à l’industrie

Le soutien à l’industrie passe par un certain nombre d’actions :

  • La simplification des réglementations (« réglementation intelligente »).
  • L’accompagnement des mutations structurelles
  • La protection de la propriété intellectuelle et de lutte contre la contrefaçon (projet de brevet européen unique)
  • L’intégration des défis énergétiques et climatiques pour la promotion du développement durable des industries
  • Le développement des pôles de compétitivité spécifiques pour soutenir la recherche et l’innovation (voir Fiche 16)
  • L’harmonisation des normes techniques et création de normes communes à l’échelle européenne
  • Le soutien des PME en matière de financements et d’accès à l’international
  • Le développement des réseaux et soutien à l’accès aux matières premières
  • Le benchmarking des Etats membres en matière de compétitivité industrielle

2.3 L’articulation entre les volets européens et nationaux des politiques de la concurrence et industrielle

Les politiques de la concurrence et industrielle sont également mises en œuvre par les autorités locales compétentes. Ceci nécessite une articulation entre les niveaux européens et nationaux de chacune de ces politiques, respectivement de la concurrence (section 2.3.1) et industrielle (section 2.3.2), mais également une articulation entre la politique industrielle et la politique de la concurrence pour éviter les éventuels conflits (section 2.3.3).

2.3.1 L’articulation entre politique européenne et politique nationale de la concurrence

En France, c’est l’Autorité de la concurrence qui est chargée d’analyser et réguler la concurrence sur les marchés. Elle exerce une action répressive à l’encontre des pratiques anticoncurrentielles et intervient, de sa propre initiative ou à la demande des plaignants, dès que la concurrence est faussée sur un marché, quels que soient l’activité concernée ou le statut, privé ou public, des opérateurs. L’Autorité de la concurrence fait appliquer le droit communautaire sur le territoire national. Il existe donc de facto, une certaine prééminence du niveau européen sur l’échelon national. Toutefois, dans le cas des opérations de concentration, l'article L. 430-7-1 du Code de commerce donne au ministre de l’économie la faculté d'évoquer une affaire, une fois que l'Autorité a pris sa décision finale, et de statuer sur les aspects non concurrentiels de l'opération lorsque celle-ci revêt un caractère stratégique. Il peut, par exemple, prendre une décision motivée par des raisons d'intérêt général telles que le développement industriel ou le maintien de l'emploi.

2.3.2 L’articulation entre politique industrielle européenne et politique industrielle nationale

Au niveau de la politique industrielle, la situation est quasiment inversée. Les mesures principales sont prises au niveau des Etats : mesures fiscales, projets d’investissement ou développement de filières etc. Elles sont encadrées par la politique industrielle européenne qui se place sur un autre champ : approfondissement de l’unification du marché européen, favorisation de l’émergence de champions européens, projets européens en matière d’innovation (voir Fiche 15), contrôle de la réciprocité commerciale et contrôle des investissements étrangers principalement. L’articulation s’effectue ainsi selon une approche géographique. Lorsque les enjeux dépassent l’organisation de l’industrie sur le territoire national, la politique industrielle peut être mobilisée pour accompagner les industries. Lorsque les enjeux s’expriment sur le territoire national, c’est la politique industrielle nationale ou locale (voir Fiches 17, 18 et 19) qui opère. Il n’y a pas de primauté de facto du volet européen de la politique industrielle sur le volet national.

2.3.3 L’articulation entre politique de la concurrence et politique industrielle

En résumé, la politique de la concurrence est fondée sur un principe de liberté des marchés qui ne s’exprime pas sur un territoire donné mais doit prévaloir en tout temps et en tous lieux. La politique industrielle doit être élaborée dans le respect du droit de la concurrence. Ainsi, la politique de la concurrence prévaudrait sur la politique industrielle dans la mesure où une politique industrielle qui viendrait faussée le libre jeu de la concurrence, comme des aides d’Etat par exemple, pourrait se voir sanctionner par la Commission européenne dans le cadre de l’ouverture d’une procédure judiciaire fondée sur l’article 107 du TFUE. Ce dernier exemple illustre à nouveau l’opposition pouvant exister entre politique de la concurrence et politique industrielle. La politique de la concurrence condamne l'interventionnisme des autorités publiques et cherche à limiter cette intervention aux seuls cas de défaillance du marché ou de mutations structurelles. La crise financière de 2008 ainsi que la crise des dettes souveraines de 2010 ont relancé le débat relatif à la primauté de la politique de la concurrence.

3 Les nouveaux défis de la politique de l’offre

La définition et la conduite de la politique de l’offre connaissent aujourd’hui deux principaux défis : une nouvelle articulation à définir entre politique de la concurrence et politique industrielle (section 3.1), de nouveaux instruments à construire pour pouvoir contrôler et intégrer les grandes multinationales dans le cadre de cette politique (section 3.2).

3.1 Un assouplissement de la défiance envers la politique industrielle

La crise financière de 2008 ainsi que la crise des dettes souveraines européennes ont à la fois modifiées et rendues nécessaires la détermination d’une nouvelle articulation entre politique de la concurrence et politique industrielle (section 3.1.1). Ce besoin d’une articulation nouvelle existait avant la crise et des pistes nouvelles avaient été déjà été suggérées (section 3.1.2).

3.1.1 Le rôle de la crise financière de 2008 et de la crise des dettes souveraines de 2010

La crise financière de 2008 a marqué le retour des politiques d’inspiration keynésienne visant à stabiliser la demande. L’assouplissement des politiques monétaires, conjugué à la mise en œuvre de plan de relance budgétaire massifs a permis d’éviter que l’économie mondiale n’entre dans une spirale déflationniste comparable à celle des années 30 (voir Fiche 12). Dans la zone euro, la crise s’est prolongée pour déboucher sur la crise des dettes souveraines à partir de 2010. Elle a marqué le retour en grâce des politiques de l’offre. En effet, privés de marges de manœuvre budgétaire après l’envolée des dettes publiques à partir de 2008, les Etats n’ont plus eu que la relance de l’investissement et les échanges extérieurs comme principaux outils pour favoriser le retour de la croissance. En France, la mesure emblématique du retour de la politique de l’offre est le CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi instauré en 2013. Il a été prolongé et étendu pour représenter aujourd’hui une économie d’impôt qui équivaut à 6 % de la masse salariale en 2018 (4 % en 2013, 6 % de 2014 à 2016 et 7 % en 2017), hors salaires supérieurs à 2,5 fois le SMIC. Pour les rémunérations versées à des salariés affectés à des exploitations situées dans les départements d'outre-mer, le taux a été fixé à 9 % à partir de 2016 (7,5 % en 2015). Le CICE permet de diminuer les charges de personnel. Son objectif affiché est de redonner aux entreprises des marges de manœuvres pour investir, prospecter de nouveaux marchés, innover, favoriser la recherche et l’innovation, recruter, restaurer leur fonds de roulement ou accompagner la transition écologique et énergétique grâce à une baisse du coût du travail.

3.1.2 Vers un nouvel équilibre entre politique de la concurrence et politique industrielle

Si la conjoncture exceptionnelle du début des années 2010 a permis un retour quasi naturel de la politique de l’offre parmi les outils de la politique économique, on peut relever que ce retour en grâce avait été préparé sur le plan des idées dès 2005. En effet, un document de travail du ministère des finances revisitait déjà les fondements économiques de la mise en œuvre de la politique industrielle dans son articulation avec la politique de la concurrence. Les auteurs de la note indiquaient que « Par le passé, des interventions de nature trop "politique" n'ont a contrario pu qu'alimenter un certain scepticisme sur leur bienfondé économique. » Les auteurs de la note plaident pour une approche évolutionniste basée sur des perspectives de long terme où « l’incertitude sur l’avenir justifie certaines interventions relevant de la politique industrielle quand le jeu concurrentiel n’est plus optimal en raison des risques et des asymétries d’information. » En d’autres termes, la politique industrielle devient une politique de long terme venant pallier les défaillances de la politique de la concurrence. Ce nouveau partage des tâches suppose toutefois que la puissance publique soit en mesure de mener ces analyses de long terme pour calibrer la politique industrielle et ne pas être connaître une situation de capture décrite par George Stigler. La nouvelle articulation suggérée entre politique de la concurrence et politique industrielle intervient également dans une période marquée par l’apparition de nouveaux acteurs qui renouvèlent les missions de la politique de la concurrence.

3.2 L’émergence de nouveaux acteurs : le poids nouveau des multinationales

La période contemporaine est marquée par le développement de multinationales dont les budgets peuvent dépasser ceux de certains Etats ce qui leur confère un pouvoir de marché dont elles peuvent abuser (section 3.2.1) ou utiliser pour négocier des aides illégales directement auprès des Etats (section 3.2.2). Le droit de la concurrence devient le dernier rempart susceptible de prévenir ces comportements.

3.2.1 Les abus de position dominante sur le marché mondial

Comme le relève l’Autorité de la concurrence, l'un des cas les plus récents et symboliques concerne le géant du numérique américain Google. L'entreprise aurait, d'après Bruxelles, privilégié son propre moteur de recherche commercial, Google Shopping, au détriment de ses concurrents, abusant de sa position dominante. Une amende de 2,42 milliards d'euros a été prononcée en juin 2017, ainsi qu'une obligation de mettre un terme à ces pratiques sous 90 jours. Auparavant, d'autres firmes ont également été sanctionnées pour abus de position dominante, dont Microsoft pour avoir systématiquement incorporé son propre moteur de recherche à son système Windows 7, ou encore Gazprom, pour avoir pratiqué des prix trop élevés dans 8 pays d'Europe orientale.

3.2.2 Les ententes entre les multinationales et les Etats : le cas de l’évasion fiscale

Les récents scandales financiers révélés par les affaires des LuxLeaks, des Panama Papers et des Paradise Papers illustrent un autre aspect du poids des multinationales. Une firme comme Apple s'est ainsi vue infliger une obligation de remboursement de 13 milliards d'euros en 2016 pour avoir bénéficié d'un traitement fiscal privilégié en Irlande. L'ensemble des bénéfices de la société était ainsi enregistré dans le pays qui lui avait accordé un rescrit fiscal l'exonérant presque totalement d'impôts (0,005 % en 2014 d'après la Commission européenne). Une pratique interdite selon Bruxelles, pour qui il s'agirait d'une aide d'Etat déguisée. L'entreprise française Engie, possédée à 33 % par l'Etat, est également sous le coup d'une enquête similaire de la part de la Commission, pour son accord fiscal avantageux passé avec le Luxembourg.

La principale difficulté pour les autorités de la concurrence est que l’espace dans lequel évoluent les multinationales est le monde entier tandis que leur domaine de compétence est le plus souvent territorialisé ce qui constitue un défi de taille quant à leur capacité d’action. La nouvelle répartition des tâches avec la politique industrielle pourrait permettre de redéployer des ressources pour faire face aux nouveaux défis de la politique de la concurrence.

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