Les politiques de protection sociale et de solidarité : la politique de protection des majeurs vulnérables

Modifié par Julien Lenoir le 27 septembre 2018

Les politiques de protection sociale et de solidarité :

F/ La politique de protection des majeurs vulnérables

Par Yves Palau

Dernière mise à jour : mai 2017

1. Principaux points à retenir

  • Un nombre de personnes concernées évalué entre 700 000 et 800 000
  • Une protection encadrée par des normes internationale qui mettent l’accent sur l’égalité des droits
  • En France, la loi du 5 mars 2007 porte réforme de la protection juridique des majeurs.
  • Elle protège davantage les droits de la personne majeure vulnérable.
  • La Cour des comptes insiste sur la faiblesse du contrôle de l’effectivité des droits des majeurs vulnérables.

Le nombre précis de personnes majeures vulnérables est mal connu mais à l’occasion d’un débat parlementaire en 2007, le ministre de la justice évaluait à environ 800.000 le nombre de personnes qui, n’étant plus en situation de pourvoir à leurs intérêts en raison de l’altération de leurs facultés mentales ou corporelles, seraient bénéficiaires d’une mesure de protection, 360.000 étant gérées dans le cadre familial, 360.000 par des mandataires associatifs, 40.000 par des mandataires judiciaires à la protection des majeurs indépendants (MJPM) et 40 000 par des mandataires préposés d’établissements publics de santé, sociaux et médico-sociaux. (Sources : Défenseur des droits, Rapport sur la protection juridique des majeurs vulnérables, septembre 2016). De son côté, la Cour des comptes évaluait à 700 000 le nombre de personnes qui font l’objet d’une mesure restrictive de libertés décidée par un juge : un peu moins de la moitié d’entre elles serait sous curatelle et un peu plus de la moitié sous tutelle. (Sources : Cour des comptes, La protection juridique des majeurs. Une réforme ambitieuse, une mise en œuvre défaillante, communication à la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, Septembre 2016).

2. Une protection assurée par des normes juridiques internationales

La protection juridique des majeurs vulnérables est encadrée par divers instruments internationaux, parmi lesquels, la Convention relative aux droits des personnes handicapées et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

La Convention relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH) a été adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU, le 13 décembre 2006. Ratifiée par la France, elle est entrée en vigueur le 20 mars 2010. Elle a pour objet de promouvoir, protéger et assurer la pleine et égale jouissance de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales par les personnes handicapées, sans discrimination d’aucune sorte fondée sur le handicap. L’article 1er de la CIDPH dispose que : « Par personnes handicapées on entend des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres ». Dans son article 12, la Convention affirme « le droit pour les personnes handicapées à la reconnaissance en tout lieu de leur personnalité juridique » ainsi qu’à la jouissance « de la capacité juridique dans tous les domaines, sur la base de l’égalité avec les autres ». La capacité juridique représente, pour la personne handicapée, la capacité d’avoir des droits et des obligations mais également la capacité d’exercer ces droits et d’exécuter ces obligations. A ce titre, l’article 12 indique qu’il appartient aux Etats de prendre « les mesures appropriées pour donner aux personnes handicapées accès à l’accompagnement dont elles peuvent avoir besoin pour exercer leur capacité juridique » et de « faire en sorte que ces mesures soient assorties de garanties appropriées et effectives pour prévenir les abus ».

Selon la Cour européenne des droits de l’homme, la restriction ou la privation de la capacité juridique est susceptible de constituer une violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme même dans les cas où doit être assurée une protection juridique des majeurs. Pour la Cour, « Une mesure de protection ne devrait pas automatiquement conduire à une restriction totale de la capacité juridique. Toutefois, une limitation de cette dernière devrait être possible lorsqu’elle apparaît de toute évidence nécessaire à la protection de la personne concernée. En particulier, une mesure de protection ne devrait pas automatiquement priver la personne concernée du droit de voter, de tester, de donner son accord ou non à une quelconque intervention touchant à sa santé, ou de prendre toute autre décision à caractère personnel, ce à tout moment, dans la mesure où sa capacité le lui permet ».

Ces textes internationaux témoignent d’un changement de paradigme pour la protection des personnes majeures vulnérables fondé sur les droits de l’homme et l’égalité juridique de la personne vulnérables vis-à-vis des autres. On passerait ainsi d’un système de prise de décisions substitutive dans lequel la personne est privée de sa capacité juridique, à un système de prise de décisions assistée. Dans le régime de prise de décisions substitutive la personne chargée de prendre les décisions peut être désignée par un tiers sans l’accord de l’intéressé, et les décisions prises sont fondées sur l’intérêt supérieur de la personne concernée et non sur sa volonté et ses préférences. A l’inverse, un régime de prise de décisions assistée comprend diverses possibilités d’accompagnement qui donnent la priorité à la volonté et aux préférences de la personne.

3. En France, la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs

La loi de 2007 s’inscrit partiellement dans le renforcement des droits de la personne majeure vulnérable au niveau international et vise à prendre en compte les évolutions de la société française et plus particulièrement l’augmentation du nombre de personnes concernées, due notamment au vieillissement de la population. Elle a pour objectif de recentrer le régime des tutelles et curatelles sur les personnes réellement atteintes d'une altération médicale de leurs facultés personnelles.

Elle rend ainsi plus rigoureuses les modalités de mise sous tutelle (la personne perd l’exercice de tous ses droits et doit être représentée dans tous les actes de la vie civile) ou sous curatelle (dans l’exercice de ses droits, la personne doit se faire conseiller et contrôler par un curateur) qui ne sera possible que si une altération des facultés est constatée par un certificat médical circonstancié. Avant de prononcer une telle mesure de protection, le juge des tutelles doit désormais vérifier que la personne souffre d'une altération de ses facultés mentales ou corporelle de nature à empêcher l'expression de sa volonté, et qu'aucune autre solution de protection (procuration, règles relatives au mariage et aux régimes matrimoniaux et mandat de protection future) n'est suffisante. L'étendue et le contenu de la mesure doivent, en outre, être adaptés aux stricts besoins de la personne. Quant aux personnes en difficultés socio-économiques n'ayant aucune altération de leurs facultés mentales, elles ne peuvent plus être mises sous tutelle ou sous curatelle. Elles doivent désormais être prises en charge dans le cadre de mesures contractuelles mises en œuvre par les services sociaux du département.

La loi prévoit un dispositif intitulé Mesure d'accompagnement social personnalisée qui repose sur la libre adhésion du bénéficiaire. Elle est destinée aux personnes percevant des prestations sociales qui rencontrent des difficultés à gérer leurs ressources et repose sur une aide à la gestion des prestations sociales, destinée à éviter l'aggravation immédiate de la situation du bénéficiaire, et un accompagnement social personnalisé, plus large, visant à aider les personnes à retrouver une autonomie dans la gestion de leurs ressources. Elle prend la forme d'un contrat entre la personne concernée et les services sociaux du département. Le bénéficiaire s'engage à suivre les actions éducatives qui lui sont proposées et le département s'engage à prendre en charge son autonomie. La mesure ne peut pas s’étendre au-delà de quatre ans et elle est graduée de l’aide à la gestion des prestations à l'aide aux démarches pour sortir du surendettement. Il peut être prévu une gestion directe des prestations par le département. En cas d'échec de cette prise en charge, le procureur de la République peut saisir le juge des tutelles afin qu'il ordonne un accompagnement social contraignant intitulé Mesure d'accompagnement judiciaire qui se substitue à la tutelle aux prestations sociales adultes. Elle ne peut être prononcée dès lors que la personne est mariée et que le régime matrimonial permet une gestion satisfaisante des prestations de la personne mariée par son conjoint. La durée de la MAJ, qui ne peut dépasser quatre ans, est fixée par le juge et ne pourra pas se cumuler avec une mesure de protection juridique, telle que la sauvegarde de justice, la curatelle ou la tutelle.

La loi crée un «  mandat de protection future » qui rend possible de prévoir les modalités de son éventuelle protection future, notamment en désignant à l’avance qui sera chargé de veiller sur ses intérêts et sa personne en cas de besoin. Cette possibilité s’ouvrira également aux parents d’un enfant handicapé qui pourront ainsi organiser sa prise en charge après leur mort ou lorsqu’ils deviendraient eux-mêmes incapables. Ce mandat s’appliquerait dès que l’altération des capacités est médicalement constatée, sans qu’un juge n’ait à intervenir.

Elle renforce les droits de la personne protégée : la personne est obligatoirement entendue lors de la procédure de mise sous tutelle. Les mesures prises devront être révisées tous les 5 ans. Les décisions en matière de santé et de logement seront prises par la personne concernée (dans la mesure de ses possibilités), le tuteur n’ayant sur ces sujets qu’un rôle d’information et d’aide. Des comptes rendus réguliers des actes effectués pour le compte de la personne sous tutelle seront obligatoires. Les tuteurs et curateurs extérieurs à la famille (mandataires judiciaires) seront soumis à des règles communes de formation, de contrôle, d’évaluation et de rémunération. C’est la personne protégée qui subviendra, dans la mesure de ses moyens, aux frais occasionnés par sa protection. Si nécessaire, la rémunération des mandataires pourra être assurée par un financement public. La loi prévoit enfin que lorsque le juge des tutelles décide de placer une personne sous tutelle, sous curatelle ou sous sauvegarde de justice, il doit d'abord rechercher si un membre de la famille souhaite exercer cette mesure de protection. A défaut, il peut désigner un tuteur professionnel (qui peut être une association, un établissement de soins ou d'hébergement, ou un gérant privé), appelé désormais « mandataire judiciaire à la protection des majeurs ». La loi réglemente les conditions d'exercice de ces derniers et unifie, clarifie et homogénéise le financement de leur activité.

Enfin, la loi a rétabli le droit de vote des majeurs sous tutelle en faisant de la privation de ce droit civique non plus la règle mais l'exception. À l'ouverture d'une mesure de tutelle, le juge statue sur le maintien ou la suppression du droit de vote de la personne protégée.

Les principales dispositions de la loi entreront en vigueur au 1er janvier 2009. Il est cependant possible depuis la promulgation de la loi de donner un mandat de protection future à une personne physique mais il ne pourra prendre effet qu’au moment de l’entrée en vigueur de la loi.

4. La position du Défenseur des droits et les recommandations de la Cour des comptes

La position du Défenseur des droits est exprimée dans le rapport sur la protection juridique des majeurs vulnérables publié en septembre 2016. Selon lui, si le principe de non-discrimination en droit international des droits de l’homme ne semble pas a priori interdire la mise en place d’un mécanisme ayant pour effet de limiter l’exercice des droits dès lors que la mesure de limitation repose sur des motifs objectifs et raisonnables, il considère que le recours à un tel mécanisme ne saurait s’entendre qu’à titre exceptionnel, c’est-à-dire dans les cas où la personne est dans l’incapacité totale d’exprimer sa volonté ou ses préférences et à défaut de pouvoir mettre en place d’autres formes d’accompagnement adapté pour répondre à ses besoins. Lorsqu’un tel dispositif de représentation s’avère indispensable à la protection de la personne ou de ses biens, il doit alors s’exercer dans le respect d’une interprétation optimale de la volonté et des préférences de la personne.

Dans son rapport remis en septembre 2016 la Cour des comptes émettait des critiques sur les dispositifs actuels de protection des majeurs vulnérables et des recommandations.

Si la Cour considère que la loi de 2007 a marqué un progrès en terme de droits des majeurs protégés avec notamment un réexamen par le juge dans le délai quinquennal fixé par la loi de toutes les mesures existantes, elle considère que la mise en œuvre des autres droits n’est pas toujours vérifiable en raison des limites des systèmes d’information du ministère de la justice. En outre, les statistiques relatives aux nouvelles mesures annuelles indiquent qu’en dépit des dispositions de la loi, le nombre de mesures de protection ouvertes chaque année continue de croître, et ce à un rythme plus rapide qu’avant la réforme : leur taux de croissance annuelle est de 5,0 % en moyenne depuis 2009, contre 4,4 % avant cette date. Depuis 2013, ce sont ainsi plus de 70 000 nouveaux majeurs qui sont placés sous tutelle ou curatelle chaque année. Les statistiques révèlent également que les nouvelles catégories de mesures créées par la loi (mesure d’accompagnement social personnalisé, MASP, et mesure d’accompagnement judiciaire, MAJ) n’ont pas rencontré le succès espéré. Cela est dû au caractère contractuel et complexe de ces mesures, à la communication insuffisante des pouvoirs publics sur leur existence, à la faible mobilisation des départements, inquiets du coût des mesures, et à la surestimation probable du public concerné au moment de l’adoption de la loi. Le mandat de protection future, conçu pour désigner à l’avance son tuteur ou son curateur en cas d’altération de ses facultés et limiter ainsi l’intervention du juge, s’est également très peu développé. Ainsi, la volonté du législateur de 2007 de freiner la croissance du nombre de mesures a échoué, sans qu’il soit possible de déterminer dans les causes de cet échec la part des facteurs démographiques, sociaux et épidémiologiques, d’une part, et celle du développement insuffisant des dispositifs alternatifs aux mesures judiciaires, d’autre part.

La Cour considère également que le très faible niveau de contrôle des mesures et des acteurs est alarmant. Au-delà de la mise en œuvre de la loi elle-même, la gestion concrète des mesures de protection par les curateurs et les tuteurs est globalement insuffisante et préoccupante. Les juges et les procureurs n’exercent presque jamais leurs pouvoirs de surveillance générale des mesures de protection. Cela est dû au décalage important entre l’office du juge, tel que l’organise le code civil, et les moyens dont dispose la Justice pour assumer cet office. En 2015, les juges des tutelles étaient chargés de 3 500 dossiers en moyenne, ce qui ne permet pas d’assurer un suivi efficace. Faute d’augmenter les moyens des tribunaux d’instance à la hauteur des enjeux, il apparaît aujourd’hui nécessaire de poursuivre la « déjudiciarisation » du régime de protection en recentrant l’office du juge sur le prononcé et la surveillance générale des mesures privatives de libertés, et celui des greffes sur un contrôle de second niveau.

Pour la Cour, le principal problème de la protection juridique des majeurs est qu’elle n’est pas structurée et souffre d’une sous-administration manifeste. Alors que l’État engage sa responsabilité en plaçant 700 000 personnes et leur patrimoine sous sa protection, aucun service ministériel n’est pleinement en charge de cette protection. La Chancellerie considère qu’en la matière sa responsabilité est essentiellement normative : seule une partie d’un bureau de la direction des affaires civiles et du Sceau s’occupe de protection juridique des majeurs, mais uniquement sous l’angle de l’élaboration de textes.

La Cour recommande donc, pour donner une impulsion à la mise en œuvre de cette politique, de confier pendant cinq ans à un délégué interministériel à la protection juridique des majeurs la mission de structurer les moyens dont l’État et les différents acteurs disposent. Cela suppose de coordonner les acteurs, de réguler et de contrôler davantage la profession de mandataire, et de mieux connaître le public concerné. Si cet effort générera des coûts, ils doivent être mis en regard des risques auxquels sont exposés les majeurs vulnérables et ceux qu’encourt l’État à raison d’une possible mise en jeu de sa responsabilité dans le placement sous protection juridique d’une part importante de la population. En outre, ces coûts pourront être financés par le développement des curatelles et des tutelles familiales, génératrices d’économies importantes pour l’État, grâce notamment à un soutien effectif des familles. Un meilleur contrôle des mandataires et de la participation financière des majeurs au coût de leurs mesures devrait également permettre de limiter le financement public du dispositif.

Tags :
    
© 2023 CNFPT