Par BAUBY Pierre, président de RAP (Reconstruire l’action publique), membre du Conseil scientifique d’Europa et Mihaela M. Similie (Popa), chercheur
Dernière mise à jour : janvier 2017

1. Les origines

Dès le traité de Rome de 1957, les transports ont fait l’objet de l’une des politiques communes de la Communauté économique européenne. La motivation en est simple à comprendre : la stratégie d’intégration choisie reposant sur la constitution d’un « marché commun », avec élimination progressive des obstacles aux échanges entre les six États fondateurs, impliquait que les transports soient conçus et organisés à la maille du nouveau territoire. Etaient expressément prévus trois secteurs (transports par chemin de fer, par route et par voie navigable) et deux objets de réglementation communautaire à l’unanimité par le Conseil (transports internationaux au départ ou à destination d’un Etat membre et conditions de cabotage à l’intérieur des Etats membres). Pour les transports aériens et maritimes, qui faisaient déjà l’objet d’accords internationaux conclus par les Etats, le Conseil avait reçu la compétence de décider, à la majorité qualifiée, quelles dispositions particulières pourraient leur être appliquées et selon quelle procédure.

Force est de constater la lenteur et le faible avancé des objectifs de la politique commune pendant les premières décennies de l’intégration européenne, les Etats étant divisés sur la manière d’organiser l’ouverture des marchés et restant très attachés à la maîtrise des transports dans le cadre de leur souveraineté. Les premières décisions ont été prises avec l’adoption de mesures d’ordre social, technique et fiscal et deux règlements :

  • le Règlement CEE 1169/69 du 26 juin 1969 concerne les obligations de service public, qui sont ainsi définies : « Par obligations de service public, il faut entendre les obligations que, si elle considérait son propre intérêt commercial, l’entreprise de transport n’assumerait pas ou n’assumerait pas dans la même mesure ni dans les mêmes conditions » ;
  • le Règlement CEE 1107/70 du 4 juin 1970 relatif aux aides accordées dans certains domaines des transports.

Ce n’est pour l’essentiel qu’après l’Acte unique de 1986 que s’engagera la réflexion sur l’européanisation de ce vaste secteur, ainsi que de chaque sous-secteur spécifique (transports ferroviaires, maritimes, fluviaux, aériens et routiers), avec des contenus et des rythmes différents de libéralisation.

L’arrêt de la CJCE du 22 mai 1985 a également joué un rôle important pour le développement de la législation européenne, la Cour statuant sur le recours en carence du Parlement européen contre le Conseil pour défaut d’adoption des mesures de mise en œuvre prévues par le traité pour la libre prestation des services des transports internationaux.

Le traité de Maastricht a introduit la compétence communautaire pour les réseaux transeuropéens (voir thème 5) de transport, avec vote à la majorité qualifiée au Conseil et le traité d’Amsterdam a appliqué la codécision à l’ensemble de la politique européenne des transports.

2. Les objectifs

Aujourd’hui, le titre VI du TFUE (art. 90 à 100) reprend les objectifs initiaux de la politique commune des transports et les compléments qui leur ont été apportés au fil des soixante dernières années.

3. La situation actuelle et les principaux moyens d’action

Le traité de Lisbonne étend le champ de la majorité qualifiée à l’adoption des mesures relatives aux transports transeuropéens. La politique européenne des transports doit comporter en particulier des règles communes applicables aux transports internationaux ; les conditions d’admission de transporteurs non résidents aux transports nationaux dans un État membre ; les mesures permettant d’améliorer la sécurité des transports (art. 91 du TFUE).

Le traité interdit en particulier dans le trafic à l’intérieur de l’Union toute discrimination en raison du pays d’origine ou de la destination des produits transportés (art. 95 TFUE) et les dispositifs de soutien ou de protection dans l’intérêt d’une ou de plusieurs entreprises ou industries particulières (art. 96 TFUE).

Cette politique est dotée des moyens financiers relativement faibles dans le budget de l’Union, notamment par les fonds structurels. L’article 93 TFUE prévoît que « sont compatibles avec les traités les aides qui répondent aux besoins de la coordination des transports ou qui correspondent au remboursement de certaines servitudes inhérentes à la notion de service public ». Un équilibre est donc à rechercher entre libéralisation et divers objectifs d’intérêt général définis progressivement par les traités et par les servitudes de service public.

La Commission européenne a publié le 28 mars 2011 un nouveau Livre blanc sur les transports, intitulé « Feuille de route pour un espace européen unique des transports – Vers un système de transport compétitif et économe en ressources » [COM(2011)144], qui avance un double objectif : assurer le développement d’un transport indépendant du pétrole et contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre (en tablant sur une baisse d’au moins 60% en 2050 par rapport au niveau de 2008). Les actions proposées sont déclinées en dix objectifs de moyen (2030) et long terme (2050), devant combiner à la fois des mesures technologiques, de marché et d’optimisation de chaque mode de transport. Sont ainsi proposés : le développement des carburants alternatifs au pétrole ; la maximalisation de la « multi-modalité », en favorisant le transport ferroviaire ; l’accroissement de l’efficacité du transport et des infrastructures, en particulier en développant l’utilisation des systèmes d’information. En matière de financement, la Commission insistait sur l’application des principes d’« utilisateur payeur » et de « pollueur payeur », ainsi que sur une plus grande implication du secteur privé.

4. Les transports ferroviaires

La politique communautaire de transport ferroviaire date des années 1960 et concerne alors en particulier le Règlement 1191/69 du Conseil (dit « règlement OSP » – obligations de service public – du 26 juin 1969) et le Règlement 1107/70 du Conseil du 4 juin 1970 (aides concernant notamment les coûts d’infrastructures), également applicables aux transports routiers et par voie navigable.

Depuis le début des années 1990, une série d’actes puis de « paquets ferroviaires » sont venus préciser par étape la politique européenne de libéralisation des transports ferroviaires. Soulignons d’abord en particulier : la Directive 91/440/CEE (séparation de la gestion de l'infrastructure ferroviaire de celle de l'exploitation des services de transport, au moins sur le plan comptable, droits d’accès aux réseaux et de transit) et les Directives 95/18/CE et 95/19/CE.

Le « premier paquet ferroviaire », dit « infrastructures », adopté en 2001 (Directives 2001/12/CE, 2001/13/CE et 2011/14/CE) prévoit des mesures pour éviter toute discrimination dans l'accès à l'infrastructure, en renforçant la séparation entre l’infrastructure et les opérations de transport, établissant des droits d’accès au réseau transeuropéen de fret ferroviaire jetant ainsi les bases de l’ouverture à la concurrence des trafics internationaux de marchandises (janvier 2006), créant le cadre pour qu’une licence accordée dans un État membre soit valide dans l’ensemble de l’Union et établissant un cadre transparent pour l’allocation des capacités d’infrastructure et sa tarification, requérant la création d’autorités de contrôle indépendantes.

Le « deuxième paquet ferroviaire » de 2004 (Directives 2004/49/CE, 2004/50/CE et 2004/51/CE) a visé le renforcement de la sécurité, de l’interopérabilité et de l’ouverture à la concurrence du marché ferroviaire national de marchandises (janvier 2007) et l’institution d’une Agence ferroviaire européenne.

Le « troisième paquet ferroviaire » comporte le Règlement CE n°1370/2007 relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route, avec l’ouverture à la concurrence des services de transports internationaux de passagers en janvier 2010, le Règlement CE n°1371/2007 sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires, la Directive 2007/58/CE sur la répartition des capacités d’infrastructure ferroviaire et la tarification de l’infrastructure ferroviaire et la Directive 2007/59/CE sur la certification des conducteurs de train.

En 2012, la Directive 2012/34/UE a établi un espace ferroviaire unique européen, a précisé le financement et la tarification des infrastructures ferroviaires, a défini les conditions d’accès au marché ferroviaire et de concurrence sur le marché et a renforcé les pouvoirs des autorités nationales de contrôle ferroviaire.

En 2013 la Commission européenne a proposé un « quatrième paquet ferroviaire » [COM(2013)25] comportant six propositions législatives concernant en particulier l’ouverture des marchés nationaux de transport de voyageurs à la concurrence, la sécurité ferroviaire et la compatibilité technique, l’amélioration de la gestion de l’infrastructure, de normes et d’autorisations, la qualité de l’emploi ferroviaire. La procédure législative en cours a conduit à un compromis politique entre le Conseil et le Parlement européen en avril 2016 visant l’ouverture à la concurrence des lignes commerciales de transport de voyageurs en décembre 2020 (en France, essentiellement les TGV) et des lignes soumises à l’obligation de service public en décembre 2023. L’attribution directe de contrats de service public serait possible sous certaines conditions (valeur du contrat, taille de l’opérateur, etc.). En outre, l’abrogation d’un ancien Règlement relatif aux aides d’Etats accordées aux entreprises ferroviaires est également proposée.

L’Agence ferroviaire européenne (ERA) a été créée par le Règlement 881/2004 et elle est installée à Lille-Valenciennes. Elle a pour mission d’harmoniser les normes de sécurité ferroviaire et d’améliorer l’interopérabilité des spécifications techniques. Depuis 2009, elle est également en charge de la certification des entités chargées de la maintenance des véhicules ferroviaires et de l’harmonisation des compétences professionnelles des conducteurs de train.

5. Les transports urbains

Dans le contexte d’une tendance accrue à la décentralisation des compétences liées à l’organisation des services de transport, les transports urbains sont généralement en Europe une compétence des municipalités, d’autant plus importante que plus de 60% de la population européenne vit en milieu urbain. Les initiatives de l’Union européenne en matière de transport urbain s’inscrivent en particulier dans le cadre de la politique commune de transport, de la politique environnementale et de la politique de cohésion.

A partir de la fin des années 1980, les politiques communautaires de libéralisation des transports concernent également le transport urbain. Un long débat a traversé les institutions européennes pour revoir et actualiser les Règlements du Conseil (1169/69 et 1107/70, cf. ci-dessus) concernant les services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route. Les propositions législatives de la Commission européenne visaient à ce que tout contrat de service public, qu’il soit confié à un opérateur interne ou délégué à une entreprise privée, fasse l’objet d’un appel d’offres, ce que refusaient aussi bien le Parlement que le Conseil. Il aura fallu près de dix ans pour que la Commission finisse par accepter pour l’essentiel en 2007 les demandes des co-législateurs.

Ainsi, le Règlement n°1370/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 régit la manière dont les contrats de service public doivent être attribués dans l’UE et les circonstances dans lesquelles ils devraient faire l’objet d’une mise en concurrence. Il précise en son article 5 que « sauf interdiction en vertu du droit national […] toute autorité locale compétente […] peut décider de fournir elle-même des services publics de transport de voyageurs ou d’attribuer directement des contrats de service public à une entité juridiquement distincte sur laquelle l’autorité locale compétente […] exerce un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services [« opérateur interne »] ». « Toute autorité compétente qui recourt à un tiers autre qu’un opérateur interne attribue les contrats de service public par voie de mise en concurrence, sauf dans les cas visés aux paragraphes 4 [lorsque le contrat porte sur des sommes ou des distances peu importantes], 5 [en cas d’urgence] et 6 [transport par chemin de fer, à l’exception du métro ou du tramway] ».

Le Règlement donne une définition générale du terme « obligation de service public » : « exigence définie ou déterminée par une autorité compétente en vue de garantir des services d’intérêt général de transports de voyageurs qu’un opérateur, s’il considérait son propre intérêt commercial, n’assumerait pas ou n’assumerait pas dans la même mesure ou dans les mêmes conditions sans contrepartie », mais n’en définit pas un contenu précis au niveau européen.

Dans la plupart des États européens, les transports urbains étaient traditionnellement gérés en interne par les collectivités territoriales. La France a longtemps fait figure d’exception, la plupart des transports urbains faisant l’objet de délégations de service public. Il existe aujourd’hui une tendance générale au développement de partenariats public-privé (PPP) pour la modernisation et la gestion des transports urbains. De grands groupes développent leur influence en Europe (comme Kéolis ou Transdev).

6. Les transports aériens

Le transport aérien a été le premier secteur de transports ayant fait l’objet de mesures d’ouverture à la concurrence des compagnies nationales bénéficiant de monopoles après l’adoption de l’Acte unique européen. La libéralisation a été opérée en trois étapes, par des paquets législatifs successifs.

Les deux premiers paquets de décembre 1987 et juin 1990 ont notamment visé la fixation des prix et la répartition des capacités. Le troisième paquet (Règlements 2407/92/CE, 2408/92/CE et 2409/92/CE) a introduit progressivement la libre prestation de services au sein de l’UE et, à partir d’avril 1997, la libéralisation du cabotage (droit pour les compagnies des Etats membres d’exploiter des lignes aériennes dans d’autres Etats membres). Pour certaines lignes aériennes, les Etats membres peuvent, en vue d’assurer le développement harmonieux du territoire, imposer des obligations de service public notamment en termes de capacité, de fréquence de vols et de tarifs.

En 2002 a été constituée à Cologne l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) pour harmoniser les normes techniques et accroître le niveau de sécurité aérienne et des aéroports. Elle est notamment compétente pour la certification des produits et organismes des pays tiers, soutien des enquêtes après les accidents et l’échange d’informations entre les Etats membres. Plus généralement, elle contrôle le respect des règles aériennes européennes de sécurité dans le cadre du ciel unique européen. Elle réalise certaines tâches par l’intermédiaire des autorités nationales.

Le paquet législatif de 2004 a été adopté en vue de la mise en œuvre du « ciel unique européen ». Il confère à l’Union européenne la compétence intégrale en matière de transport aérien intra-communautaire. Il comprend un règlement cadre, un règlement sur l’organisation et la gestion de l’espace aérien, un règlement sur la fourniture de services de navigation aérienne et un règlement sur l’interopérabilité du réseau européen de gestion du trafic aérien.

Le transport aérien international a été longtemps régi par des accords bilatéraux signés par le Etats membres. C’est la jurisprudence européenne qui a reconnu la compétence de l’Union dans plusieurs domaines des relations aériennes internationales, avant que la Commission reçoive sur certains aspects des mandats de négociation pour l’ensemble de l’Union européenne (par exemple, l’accord de 2007 avec les Etats-Unis pour la libéralisation du trafic aérien transatlantique).

Eurocontrol fonctionne comme organisme intergouvernemental entre 39 Etats européens. L’Union européenne en fait partie depuis 2004. Eurocontrol participe à l’harmonisation des normes techniques, à la gestion des courants de trafic, à la définition des réseaux de routes aériennes. Ses décisions sont prises à l’unanimité.

En juin 2013, la Commission a présenté une proposition « Ciel unique II » qui prévoit notamment une séparation entre les autorités de surveillance et les organismes de contrôle de la circulation aérienne, ainsi que la mise en concurrence des prestataires des autres services de navigation aérienne (informations sur le trafic, météorologie, etc.) et le renforcement du rôle d’Eurocontrol.

7. Les droits des passagers

L’Union européenne a engagé un processus spécifique de définition des droits des passagers, en accompagnement de la libéralisation et en commençant par le transport aérien (Règlements 261/2004 et 1107/2006). Si leur contenu est variable selon les domaines, ils comportent des droits comparables, notamment le droit à l’information, à l’assistance pendant l’attente du voyage et le droit au remboursement et à une compensation, sous certaines conditions. En outre, la CJUE a reconnu par sa jurisprudence un certain nombre de droits des passagers (notamment par l’interprétation de la notion de circonstance extraordinaire).

Dans le domaine du transport ferroviaire, le Règlement 1371/2007 sur les droits et les obligations des passagers ferroviaires concerne en particulier l’information et la réservation, les interruptions, les retards, les annulations, les correspondances manquées et la responsabilité des entreprises ferroviaires envers les voyageurs et leurs bagages, la protection des personnes handicapées et des personnes à mobilité réduite, la gestion des risques de sécurité et le traitement des plaintes.

Dans le domaine du transport par autobus et autocar le Règlement 181/2011 concerne les droits des passagers, notamment l’information minimale, l’assistance et l’indemnisation en cas de retard et l’assistance spéciale pour les personnes à mobilité réduite, et, comme dans les secteurs aérien et ferroviaire, la mise en place d’organismes nationaux indépendants chargés du règlement des litiges.

Le Règlement 2006/2004 (modifié par le Règlement 1177/2010) concerne les droits des passagers voyageant par mer ou par voie de navigation intérieure.

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