Par BAUBY Pierre, président de RAP (Reconstruire l’action publique), membre du Conseil scientifique d’Europa et Mihaela M. Similie (Popa), chercheur
Dernière mise à jour : janvier 2017

1. Les origines

Dès sa création, la Communauté économique européenne (CEE) a inscrit dans le droit primaire la poursuite d’objectifs sociaux. Au fil du temps, leur portée a été développée et le champ de l’action européenne élargi. En même temps, en dépit de ces évolutions, le domaine social se distingue par la volonté des Etats membres de garder l’essentiel des compétences sous leur souveraineté nationale. Cela explique le fait que dans ce domaine, le processus d’européanisation s’appuie surtout sur la coopération entre les Etats membres.

A l’origine, en 1957, le traité de Rome a institué l’obligation pour le Conseil d’adopter « dans le domaine de la sécurité sociale les mesures nécessaires pour l’établissement de la libre circulation des travailleurs, en instituant notamment un système permettant d’assurer aux travailleurs migrants et à leurs ayants droit : a) la totalisation (…) de toutes périodes prises en considération par les différentes législations nationales ; b) le paiement des prestations aux personnes résidant sur les territoires des Etats membres » (art. 51 TCEE). Il a également établi « la nécessité de promouvoir l’amélioration des conditions de vie et de travail de la main d’ouvre permettant leur égalisation dans le progrès » (art. 117§1 TCEE). Il a conféré à la Commission européenne (CE) la « mission de promouvoir une collaboration étroite entre les Etats membres dans le domaine social notamment dans les matières relatives à l’emploi, au droit du travail et aux conditions de travail, à la formation et au perfectionnement professionnels, à la sécurité sociale, à la protection contre les accidents et les maladies professionnels, à l’hygiène au travail, au droit syndical et aux négociations collectives entre employeurs et travailleurs » (art. 118§1 TCEE). A cet effet, le traité a prévu la réalisation d’études, d’avis (avec la consultation du Comité économique et social européen - CESE) et de consultations sur des problèmes nationaux et internationaux (art. 118§2 et 3 TCEE). L’article 119 TCEE a institué le principe d’égalité de rémunération des travailleurs, sans discrimination fondée sur le sexe. Le Fonds social européen a été institué pour améliorer les possibilités d’emploi et de mobilité géographique et professionnelle dans le marché commun (Chapitre 2 du Titre III, La politique sociale du TCEE).

L’Acte unique européen de 1986 a contribué au développement des bases sociales de la Communauté, en particulier par l’introduction des dispositions permettant d’adopter des exigences minimales sur la santé et la sécurité des travailleurs (article 118A) et par ses dispositions concernant la cohésion sociale.

Ensuite, la Charte sociale européenne (Charte des droits sociaux fondamentaux des travailleurs) adoptée en 1989 a reconnu une série de droits liés aux conditions de travail, à la participation des travailleurs, en matière de formation professionnelle, de protection sociale, de santé et de sécurité au travail. Toutefois, à l’époque elle n’a pas eu de force juridique contraignante. C’est le Protocole n°14 sur la politique sociale et l’Accord correspondant annexés au traité de Maastricht de 1992 qui a autorisé le Conseil de onze Etats membres (Royaume-Uni ayant refusé la signature du protocole) à adopter à la majorité qualifiée, par voie de directives, des prescriptions minimales dans certains domaines de la politique sociale pour « poursuivre la voie tracée par la Charte sociale de 1989 ». Par ailleurs, la Déclaration relative à la coopération avec les associations de solidarité, annexée au traité, a souligné l’importance de la coopération avec les associations et les fondations responsables d’établissements et de services sociaux pour réaliser les objectifs de l’article 117 du traité instituant la CEE.

Le traité d’Amsterdam a en particulier incorporé le Protocole social dans le corps du traité lui-même, dans le Titre sur la politique sociale. Il a également introduit de nouvelles dispositions relatives à la lutte contre les discriminations et l’égalité de traitement hommes-femmes en matière d’emploi et de travail et une nouvelle politique consacrée à l’emploi. En outre, de nouvelles dispositions ont reconnu le rôle des services d’intérêt économique général (SIEG) « dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale de l’Union et ses Etats membres » (art. 16 TCE).

Le traité de Nice a introduit la lutte contre l’exclusion sociale et la modernisation des systèmes de protection sociale dans les domaines de coopération entre les Etats membres et a prévu la possibilité de création d’un Comité de la protection sociale, organisme au rôle consultatif permettant la promotion de la coopération volontaire entre la Commission européenne et les Etats membres en ce qui concerne les politiques de protection sociale. Le Conseil européen de Lisbonne du 7-10 décembre 2000 a consacré la méthode ouverte de coordination (MOC) pour désigner le processus de coopération entre les Etats membres. A cette occasion, le Conseil a également affirmé le « modèle social européen », caractérisé par « des systèmes qui offrent un niveau de protection sociale élevé, par un rôle important joué par le dialogue social, et par des services d’intérêt général dans les domaines essentiels à la cohésion sociale (…) fondé, au-delà de la diversité des systèmes nationaux des Etats membres, sur une série de valeurs communes ».

Le traité de Lisbonne a encore élargi les objectifs et la compétence sociale de l’UE (avec un pouvoir normatif dans onze domaines prévus par l’art. 153§1 TFUE). Il a également étendu la procédure législative ordinaire et le vote à majorité qualifiée à quelques domaines de la politique sociale (concernant principalement les droits des travailleurs et les conditions de travail), mais à l'exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres en matière de lutte contre l’exclusion sociale, ainsi que de la modernisation des systèmes de protection sociale (art. 153 TFUE). La politique de l’emploi échappe également à la compétence normative de l’Union et relève d’une simple compétence de coordination. L’art. 153§5 TFUE exclut l’intervention de l’Union en matière de rémunérations, de droit d’association, de droit de grève et de droit de lock-out. L’unanimité au Conseil après consultation du Parlement est maintenue en matière de sécurité sociale et protection sociale des travailleurs, la protection des travailleurs en cas de résiliation du contrat de travail, la représentation et la défense collective des travailleurs et des employeurs, les conditions de travail des ressortissants des pays tiers. Pour certains d’entre ces domaines le Conseil peut décider en vertu d’une clause passerelle (art. 152§2 TFUE), un vote à la majorité qualifiée.

2. Les objectifs

Le traité sur l’Union européenne (TUE) prévoit que le bien être des peuples est l’un des objectifs de l’UE et que l’Union œuvre pour le développement durable de l’Europe sur la base d’une « économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social ». « L’Union européenne combat l'exclusion sociale et les discriminations, et promeut la justice et la protection sociales, l'égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits de l'enfant. Elle promeut la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les États membres » (art. 3§1, 3-5 TUE).

Le traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE) contient une nouvelle clause sociale horizontale/transversale (art. 9), qui prévoit que dans la définition et la mise en œuvre de ses politiques et actions l’UE doit prendre en considération les exigences liées à la promotion d’un haut niveau d’emploi, la garantie d’un niveau adéquat de protection sociale et la lutte contre l’exclusion.

Il a également marqué l’entrée en vigueur de la Charte des droits fondamentaux de l’UE proclamée par le Conseil européen de Nice en 2000, qui contient une série de droit sociaux qui doivent être respectés par l’UE, ainsi que par les Etats membres quand ils mettent en œuvre le droit européen. La Charte a consacré parmi les droits fondamentaux le droit d’accès au SIEG (art. 36), le droit d’accès aux prestations de sécurité sociale et aux services sociaux (art. 34§1), le droit à une aide sociale et à une aide au logement (art. 34§3), le droit d’accéder à la prévention en matière de santé et de bénéficier de soins médicaux (art. 35), le droit d’accès gratuit à un service de placement (art. 29), etc.

TITRE X POLITIQUE SOCIALE

Article 151 TFUE

L'Union et les États membres, conscients des droits sociaux fondamentaux, tels que ceux énoncés dans la Charte sociale européenne signée à Turin le 18 octobre 1961 et dans la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989, ont pour objectifs la promotion de l'emploi, l'amélioration des conditions de vie et de travail, permettant leur égalisation dans le progrès, une protection sociale adéquate, le dialogue social, le développement des ressources humaines permettant un niveau d'emploi élevé et durable et la lutte contre les exclusions.

À cette fin, l'Union et les États membres mettent en œuvre des mesures qui tiennent compte de la diversité des pratiques nationales, en particulier dans le domaine des relations conventionnelles, ainsi que de la nécessité de maintenir la compétitivité de l'économie de l'Union.

Ils estiment qu'une telle évolution résultera tant du fonctionnement du marché intérieur, qui favorisera l'harmonisation des systèmes sociaux, que des procédures prévues par les traités et du rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives.

Article 152 TFUE

L'Union reconnaît et promeut le rôle des partenaires sociaux à son niveau, en prenant en compte la diversité des systèmes nationaux. Elle facilite le dialogue entre eux, dans le respect de leur autonomie.

En mars 2016, la Commission européenne a lancé une consultation pour l’édification d’un socle européen des droits sociaux [COM(2016) 127].

3. La situation actuelle et les principaux moyens d’action

Le processus d’européanisation concernant le domaine social a combiné l’approche communautaire pour quelques domaines dans lesquels l’UE exerce une compétence législative en vertu des dispositions des traités et le développement de la méthode ouverte de coordination (MOC), expression de la volonté des Etats membres de maintenir la définition de l’étendue de la solidarité collective et l’exercice des compétences sociales sous leur souveraineté.

3.1. L’approche communautaire. Sécurité sociale et libre circulation

Dans le cadre de la première approche, l’action communautaire a permis la définition de certains standards sociaux européens. A partir des années 1970, les standards ont visé un niveau assez élevé puis, à partir des années 1990, ils ont recherché de plus en plus un niveau minimal (par exemple, dans le domaine du congé et du travail parental).

Le développement de l’action sociale communautaire a d’abord été lié au fonctionnement du marché commun, pour permettre la liberté de circulation des personnes, l’une des quatre libertés fondamentales.

A l’origine, les Etats membres ont convenu que « l’harmonisation des systèmes sociaux » serait favorisée par le fonctionnement du marché commun en même temps qu’ils avançaient que « des procédures prévues par le présent traité » et le « rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives » permettraient de « promouvoir l’amélioration des conditions de vie et de travail de la main-d’œuvre permettant leur égalisation dans le progrès » (art. 117 du traité de Rome). L’harmonisation des systèmes sociaux par rapprochement suppose la définition d’un cadre légal commun dans certains domaines limitant ainsi l’évolution future de chaque système légal national. Mais l’harmonisation peut se faire également par la définition de normes minimales et dans ce cas les Etats membres restent libres de développer leur système national au-delà du cadre minimal.

Le traité de Rome a prévu dans son article 51 l’obligation pour le Conseil d’adopter des mesures de sécurité sociale nécessaires pour l'établissement de la libre circulation des travailleurs salariés ou assimilés. Cela devait permettre d’assurer aux travailleurs migrants et à leurs ayant droit l’accumulation des périodes d’assurance et le paiement des prestations aux personnes résidant dans l’un des Etats membres. Sur ces bases, un droit dérivé a été adopté dès 1958 définissant des mesures d’ordre social pour renforcer la protection sociale des personnes qui exercent leur droit à la libre circulation à l’intérieur de la Communauté, en garantissant l’égalité de traitement, l’accès aux prestations de sécurité sociale, aux services sociaux et en matière de santé : le Règlement n°3/1958 concernant la sécurité sociale des travailleurs migrants (auquel a succédé le Règlement (CEE) n°1408/1971, puis le Règlement (CE) n°883/2004 qui est actuellement en vigueur) et le Règlement n°4/1958 fixant les modalités d’application et complétant les dispositions du Règlement n°3/1958.

Ce cadre légal a été ensuite développé, élargi et réformé, du point de vue du champ d’application tant personnel que matériel. Il concerne uniquement les régimes légaux de sécurité sociale. Il ne s’applique pas aux régimes régis par le droit privé (par exemple, certains systèmes de retraite des « deuxième » ou « troisième » piliers) ou les conventions collectives qui ne reposent pas sur une obligation légale et sur des normes de qualité minimale à caractère légal.

Ainsi, au cours des décennies suivantes, d’autres catégories de citoyens européens ont été couvertes par la coordination des systèmes de sécurité sociale, au fur et à mesure qu’elles ont bénéficié, en vertu du droit positif ou de la jurisprudence communautaire, de la liberté de circulation dans le marché intérieur (travailleurs indépendants, personnes en situation d’autosuffisance – comme les retraités – qui ne réalisent pas une activité économique). L’entrée en vigueur du traité de Maastricht a été déterminante en consacrant le concept de citoyenneté européenne et en conférant le droit à la libre circulation aux citoyens européens. En conséquence, le champ d’application fixé par les règlements de coordination des systèmes de sécurité sociale a encore été étendu, intégrant les étudiants en 1999 (Règlement (CE) n°307/1999), les régimes spéciaux pour les fonctionnaires en 1998 (Règlement (CE) n°1606/98), les ressortissants de pays tiers en 2003 (Règlement (CE) n°859/2003). Ensuite, le Règlement (CE) n°883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (en vigueur au 1er mai 2010 ; voir aussi le Règlement de mise en œuvre n°987/2009) a étendu le champ d’application à toutes les personnes couvertes par un régime de protection, qu’elles soient ou non actives au plan économique. Le traité de Lisbonne a élargi la compétence de l’UE à la coordination des systèmes de sécurité sociale aux travailleurs non salariés.

Le champ d’application matériel de la coordination des régimes et systèmes de sécurité sociale a été également étendu par les règlements de 1971 (Règlement (CEE) N°1408/71 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté et Règlement d’exécution n°574/72) et de 2004, et par la jurisprudence européenne. Le Règlement n°883/2004 procède à une actualisation limitée du champ d’application matériel et à l’introduction des prestations de paternité et de préretraite. Les prestations de soins de longue durée restent en dehors du champ matériel d’application de la coordination.

En même temps, la conception, l’organisation et le financement des systèmes de sécurité sociale, la définition des droits et des personnes qui ont le droit et/ou l’obligation de s’assurer et de bénéficier des allocations sociales, la définition des conditions d’exercice de ces droits et leur niveau appartiennent exclusivement aux Etats membres, la solidarité sociale étant peu ou pas développée à l’échelle transnationale (CJCE, arrêt du 7 février 1984 dans l’aff. 238/82 Duphar). Toutefois, les Etats ne doivent pas créer des obstacles à la libre circulation des personnes et ils doivent observer le principe de non-discrimination des personnes exerçant leur droit à la libre circulation.

Pour la détermination du champ d’application du droit communautaire européen c’est la définition européenne du terme « sécurité sociale » qui s’applique. Le droit européen, en particulier la Cour de justice de l’UE, a retenu une conception extensive de la notion, intégrant une fonction non seulement curative mais aussi préventive des risques, ainsi que des objectifs larges, tels que l’amélioration du niveau et de la qualité de la vie et la promotion d’une politique de l’emploi. La Cour a été amenée à qualifier diverses prestations dans le champ des prestations de sécurité sociale, par exemple : des prestations basées sur l’ouverture des droits (1/72 Frilli) et liées à l’un des imprévus prévus par l’article 4, paragraphe 1 du Règlement 1408/71 (248/83 Hoecks), d’allocations de chômage (par exemple, l’avance versée aux chômeurs demandeurs d’une pension d’invalidité dans l’attente d’une décision définitive d’octroi d’une telle pension), de prestations familiales (par exemple, les avances sur pension alimentaire non payée - C-85/99 Offermanns, 302/02 Laurin Effing), de prestations de maladie (soins à domicile pour les personnes dépendantes - C-160/96 Molenaar, C-215/99 Jauch), de prestations d’accident de travail et de maladie professionnelle (par exemple, l’allocation pour les travailleurs exposés à l’amiante –C-205/05 Nemec).

Au sens du droit européen, la prestation est de sécurité sociale si elle est octroyée sur la base d’une situation légalement définie, en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire de leurs besoins personnels, et si elle vise un des risques sociaux énumérés expressément dans le règlement de coordination. Selon la Cour, certains prestations « se rapprochent de la sécurité sociale dans la mesure où, ayant abandonné l’appréciation individuelle caractéristique de l’assistance, elle confère aux bénéficiaires une position légalement définie » (1/72 Frilli). Il importe peu que l’allocation ou la prestation soit classée, en droit interne, dans la catégorie de l’assistance sociale (379/85 à 381/85 Giletti).

Par contre, au sens des règles européennes de coordination, l’assistance sociale regroupe des prestations et allocations qui ne se rattachent à aucun des risques de sécurité sociale prévus par le règlement et accordées dans des conditions discrétionnaires. L’article 3§5 du Règlement 883/2004 prévoit expressément que ses dispositions ne s’appliquent pas à l’assistance sociale (non contributive) et médicale. Selon la CJUE, l’assistance sociale couvre ici des allocations qui ne sont pas liées à un risque de sécurité sociale.

Cette distinction entre le champ de la sécurité sociale et l’allocation sociale est également importante par rapport à l’application du principe de l’exportabilité des prestations (transfert des prestations en espèces) prévu par les règlements de coordination pour les allocations de sécurité sociale de nature contributive. Ce principe prévoit que ces prestations de sécurité sociale ne sont pas conditionnées à la résidence du bénéficiaire dans l’Etat responsable du paiement de l’allocation. Le régime d’application de l’exportabilité peut être différent, selon les prestations. Ainsi, pour les allocations chômage exportables, une durée de trois mois a été définie par le Règlement n°1408/71.

A la différence des allocations de nature contributive, les prestations spéciales en espèces à caractère non contributif et de courte durée (« prestations spéciales à caractère non contributif » ou « prestations mixtes ») sont à payer en principe seulement sur le territoire de l’Etat qui réalise le paiement sans possibilité d’exportation (CJUE, arrêts dans les affaires C-20/96 Snares et C-297/97 Partridge). Ces prestations sont à définir en accord avec les autres Etats membres pour être inclues dans le règlement de coordination (annexe II bis du Règlement 1408/71 tel que modifié par le Règlement 1247/92 et annexe X du Règlement 883/2004) et pour que l’exportabilité ne s’applique pas. Il s’agit des prestations destinées soit à couvrir, à titre supplétif, complémentaire ou accessoire, les éventualités correspondant aux branches visées par le règlement de coordination, soit uniquement à assurer la protection spécifique des handicapés. Les jugements de la CJUE ont été amenés à modifier les limites entre sécurité sociale, assistance sociale et prestations spécifiques à caractère non contributif, élargi le champ de la catégorie sécurité sociale et précisé leur portée (par exemple, CJUE, arrêts dans les affaires C-215/99 Jauch, C-43/99 Leclere et Deaconescu, C-286/03 Hosse, C-287/05 Hendrix).

La diversité des concepts et des systèmes sociaux nationaux peut continuer à être une source de conflits juridiques à l’occasion de l’application du droit européen dans un contexte national et peut amener à de nouvelles évolutions du droit européen. En même temps, cette situation peut rendre difficile la prise en considération au niveau européen de la diversité des situations nationales, d’autant plus qu’au fil du temps, en même temps qu’ils ont connu certaines convergences et hybridations, les systèmes de protection sociale des Etats membres se sont développés, diversifiés et complexifiés.

Pour résumer, les règlements européens traitent distinctement les allocations contributives de sécurité sociale (liés au travail), qui font l’objet des règles de coordination entre les Etats membres, et les allocations non contributives, qui ne sont pas concernées ou font un objet plus limité du droit européen et de la coordination des systèmes de sécurité sociale (par exemple, les allocations de logement). Il en résulte que les citoyens européens circulant dans l’espace européen sont impactés différemment par le processus d’européanisation des régimes de sécurité sociale, en fonction de leur situation. Ainsi, jusqu’à présent, le champ matériel de la coordination des régimes et systèmes de sécurité sociale fait que ceux qui bénéficient le plus des garanties liées au droit à la libre circulation sont les personnes qui circulent librement pour exercer une activité sur le marché de travail. Par contre, les personnes plus éloignées du marché du travail (femmes, personnes handicapées, etc.), qui ne sont pas « assurées », sont concernés par des prestations sociales non contributives et spéciales non contributives, qui ne font pas, ou font l’objet d’un niveau de coordination plus faible. En conséquence, la liberté de circulation de ces catégories de personnes s’exerce dans des conditions différentes que celle des personnes assurées parce que la plupart des prestations dont elles peuvent bénéficier ne sont pas exportables. En même temps, en pratique, à cause de l’évolution du marché du travail, il existe de plus en plus de cas de personnes qui ne peuvent pas bénéficier des prestations complètes de sécurité sociale, à cause d’un niveau de cotisation incomplet. Ces personnes ont besoin de faire appel à des prestations d’assistance sociale, domaine dans lequel le processus d’européanisation est très limité, conservé dans la compétence des Etats membres et applicable en grande partie seulement sur leur territoire ; ainsi, pour les personnes concernées par ces prestations, la sortie de leur territoire ne leur permet plus de bénéficier de ces allocations. Cela crée des conditions différentes d’exercice de la liberté de circulation entre les personnes qui peuvent bénéficier pleinement de leur qualité d’assuré dans le système de sécurité sociale et ceux qui peuvent en bénéficier seulement de manière limitée, en fonction de leur niveau de cotisation. Par ailleurs, les Etats membres gardent le pouvoir de définir toute une série de notions (telles que celles de « membre d’une famille » ou « invalidité »), ce qui est aussi de nature à créer des régimes différents pour les citoyens européens.

Le dialogue social européen est un facteur important dans l’introduction des standards sociaux européens. Les articles 154 et 155 TFUE prévoient que la consultation des partenaires sociaux au niveau de l’Union peut conduire à des relations conventionnelles, y compris des accords, qui peuvent être sources de droit européen : dans les domaines réglementés par l’article 153 TFUE, la mise en oeuvre des accords conclus au niveau de l’Union intervient à la demande conjointe des parties signataires, par une décision du Conseil sur proposition de la Commission. Cela a été le cas, par exemple, de l’Accord‐cadre sur le congé parental du 18 juin 2009, de l’Accord‐cadre sur le stress au travail du 8 octobre 2004, de l’accord‐cadre sur le travail à durée déterminée du 28 juin 1999 et de l’Accord‐cadre sur le travail à temps partiel du 15 décembre 1997, qui ont été ratifiés par le Conseil des Ministres et qui font partie de la législation européenne.

3.2. La méthode ouverte de coordination (MOC) dans le domaine social

Dans le domaine social c’est la deuxième approche, celle de la MOC, qui domine le processus d’européanisation, tant il est étroitement lié au développement souverain des Etats providence en Europe. Les traités ne font pas référence expresse à cette méthode de coopération, mais plusieurs dispositions du traité de Lisbonne renvoient à son contenu (art. 149 TFUE pour l’emploi, art. 153 et 156 TFUE pour la politique sociale).

La MOC se définit comme une méthode intergouvernementale douce. Elle vise à atteindre un consensus entre les Etats membres non pour établir des règles européennes obligatoires, mais pour orienter un développement des politiques nationales vers des objectifs communs par la coordination entre les Etats et la préparation de solutions possibles sur des sujets précis. Il ne s’agit donc pas de modifier des disparités entre les différents régimes nationaux : le pouvoir décisionnel reste dans la compétence des Etats membres. Le Conseil adopte des objectifs communs (ou lignes directrices) et des indicateurs et critères d’évaluation sont ensuite établis. En pratique, l’ambition de ces objectifs et indicateurs évolue et varie selon les domaines de la MOC (qui est pratiquée aussi dans d’autres domaines que le social). Les Etats membres intègrent de manière volontaire les objectifs communs dans leurs politiques par des plans d’action nationaux et mettent en œuvre les actions appropriées pour atteindre ces objectifs. Les instances européennes se limitent à appuyer et suivre la coordination des actions des Etats membres, en particulier par l’organisation de la collecte et le partage d’informations, de données (statistiques, indicateurs) et expériences (« bonnes pratiques ») convenues par les Etats, l’élaboration d’analyses, des évaluations (benchmarkings de la performance) et recommandations. Le Conseil peut adresser des « recommandations » aux Etats et la Commission établit des rapports relatifs à l’application du processus. A moyen ou long terme, ce processus pourrait conduire à une certaine convergence des politiques nationales. En pratique, cette méthode peut s’appliquer de manière différente (mécanismes et procédures, durée, ampleur, acteurs impliqués) selon les domaines, et ses résultats sont donc différents.

Dans le domaine social cette méthode a été initialement appliquée dans la politique de l’emploi et du processus de Luxembourg (Stratégie européenne de l’emploi). Elle a été formalisée par le Conseil européen de Lisbonne en 2000 pour identifier et promouvoir des politiques sociales efficaces. Dans ce cadre il ne s’est pas agi d’harmonisation, de convergence des prestations, des procédures, de l’organisation et du financement de l’ensemble des régimes nationaux, mais de convenir la coordination de quelques régimes et prestations (notamment en matière de sécurité sociale, comme instrument au service de la libre circulation des personnes).

A partir des années 2000, la MOC s’est appliquée également dans le domaine de l’inclusion sociale. L’Agenda social renouvelé a imposé la prise en compte de l’impact social de l’ensemble des politiques européennes et a conduit à la révision et au renforcement de cette méthode.

En 2010, la stratégie Europe 2020 a adopté les nouveaux objectifs européens sur l’inclusion sociale et l’éducation pour la période 2014-2020. Avec l’adoption de cette stratégie le rôle de l’UE a été renforcé. Les Etats membres adoptent les Programmes nationaux de réforme (PNR) et doivent rapporter sur leurs progrès dans l’atteinte des objectifs européens et la Commission et le Conseil sont habilités à adresser des recommandations aux Etats membres.

Toutefois, les effets de la MOC sur les politiques et services sociaux développés par les Etats membres restent peu étudiés. En effet, c’est à la volonté de chaque Etat de mettre en œuvre ou non les orientations développées dans le cadre de cette méthode. Par ailleurs, le Parlement européen et la Cour de Justice de l’UE ne participent pas à ce processus.

3.3. Financement européen par le Fonds social européen (FSE) et le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation (FEM)

Le FSE a été créé par le traité de Rome et est aujourd’hui un des fonds structurels de l’Union (art. 162-164 TFUE). Il intervient dans le cadre de la politique de cohésion et des programmes pluriannuels nationaux pour cofinancer des actions en matière de formation, de reconversion professionnelle, d’intégration sur le marché de l’emploi, d’égalité de chances, de lutte contre le chômage des jeunes. Les régions en retard de développement sont privilégiées. La dotation totale pour la période 2014-2020 est de 80 milliards d’euros.

Un Fonds européen à la mondialisation (FEM) a été créé en décembre 2006 pour aider les travailleurs touchés par des licenciements imputables à la mondialisation en vue de favoriser leur réinsertion ou leur reconversion. Il est actuellement régi par le Règlement 1309/2013. L’octroi de l’aide est lié à un licenciement d’au moins 500 salariés à cause des « modifications majeures de la structure du commerce mondial résultant de la mondialisation » ou de la crise de 2008-2009. La demande d’aide est faite par les Etats membres, qui doivent apporter un co-financement d’au moins 35%. La faible consommation du FEM a conduit à la diminution du budget pour la période 2014-2020 (150 millions d’euros par an contre 500 millions par an pour la période 2006-2013).

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