Par Eric Guérin

Dernière mise à jour: juillet 2019

Les services publics sont dans une large mesure soumis au droit administratif. Il existe donc un corpus de règles et de principe applicable à tous les services publics. Toutefois, lorsque l’administration recours à des procédés de gestion privée ou exerce des activités fortement concurrentielles l’application du droit administratif s’efface au profit du droit privée. Ainsi à côté des lois dites fondamentales du service public existe des règles d’application variables.

1 Les règles fondamentales applicables à tous les services publics

Les services publics sont soumis à quelques principes fondamentaux de fonctionnement, encore appelés « lois de Rolland » (du nom du professeur Rolland qui a systématisé ces règles). Ces principes ont reçu une consécration constitutionnelle dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, et le Conseil d’État en a fait des principes généraux du droit. Ces règles s’appliquent à tous les services publics, sans considérations pour la nature de l’activité en cause ou son mode de gestion. Parmi ces principes fondamentaux, on trouve l’égalité, la mutabilité et la continuité. Se pose en outre le problème de la gratuité, de la transparence de l’action de l’administration, ou celui de la laïcité des services publics.

1.1 Le principe de l’égalité

L’égalité devant le service public découle du principe d’égalité devant la loi tel qu’il figure dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Il s’applique autant aux usagers du service public qu’à ses agents.

1.1.1 Le principe d’égalité appliqué aux usagers du service public

Les jurisprudences constitutionnelles et administratives ont donné la même portée au principe d’égalité devant le service public. On peut le résumer de la façon suivante : toutes les personnes se trouvant dans une situation identique vis-à-vis du service public doivent bénéficier d’un traitement identique. Il est donc possible de pratiquer des différences de traitement, appelées discriminations, entre personnes ne se trouvant pas dans des situations comparables. En effet, le principe d’égalité implique que l’administration traite de façon identique tous les usagers à la fois en ce qui concerne l’accès au service et son coût. C’est ce que l’on appelle, dans ce cas précis, le principe d’impartialité administrative.

Les usagers peuvent exiger que le service fournisse une prestation identique à tous ceux qui se trouvent dans une situation identique (CE, 9 mai 1951, Société des Concerts du Conservatoire). L’administration peut procéder à des discriminations lorsque les usagers se trouvent dans des situations objectivement différentes. Dans un arrêt de principe « Denoyez et Chorques » (CE, 10 mai 1974) le Conseil d’État estime que la différence de situation appréciable entre habitants permanents de l’île de Ré et habitants du continent justifie l’institution d’un tarif réduit au profit des premiers pour emprunter le transport du bac entre la ville de La Rochelle et l’île. De même, un usager industriel d’EDF n’étant pas dans une situation identique à celle d’un usager domestique pourra bénéficier d’un tarif dégressif. On considère également que les personnes les plus défavorisées peuvent bénéficier d’un accès prioritaire. Le juge vérifie qu’il existe bien un motif d’intérêt général justifiant un aménagement du principe d’égalité.

1.1.2 Le principe d’égalité appliqué aux agents du service public

Le principe d’égalité s’applique également aux agents des services publics. Il impose l’égalité d’accès aux emplois publics (CE, 26 mai 1954, Barel- il s’agissait d’un candidat à l’ENA auquel le ministre de l’intérieur refusait le droit de concourir au motif non avoué qu’il était communiste. Cette décision portait évidement atteinte au principe d’égalité et à la liberté de conscience) mais également la neutralité du service public. Le principe d’égalité suppose en effet que l’administration et ses agents respectent une stricte neutralité politique, philosophique et religieuse. Sur ce dernier aspect, la jurisprudence administrative est très claire. Pour ce qui concerne l’agent du service public, il est soumis à une stricte obligation de neutralité, lui imposant de ne faire apparaître aucun signe d’appartenance politique, philosophique ou religieuse. C’est une obligation absolue, dont la méconnaissance peut entraîner une sanction disciplinaire très lourde, et/ou le refus de renouveler le contrat, pour un agent contractuel.

Pour l’usager, il convient de rappeler, comme cela a été précédemment dit dans le cadre de l’étude des mesures de police administrative, qu’en l’état actuel de la législation et de la jurisprudence, le fait de porter un signe religieux n’est pas, en lui même, incompatible avec le principe de neutralité du service public. Ce n’est que lorsqu’il s’accompagne d’un manquement aux obligations imposées par le service (comme un manquement à l’assiduité scolaire par exemple, CE, 27 novembre 1996, Atouff), ou de troubles portés à l’ordre public (par exemple, CE, 27 novembre 1996, Ligue Islamique du Nord).

1.2 Le principe de mutabilité (ou d’adaptabilité)

Le principe de mutabilité signifie que le service public doit pouvoir s’adapter à l’évolution des besoins du public et au changement des techniques. En application du principe de mutabilité les usagers du service public n’ont aucun droit au maintien des conditions de fonctionnement du service. Cela signifie que les usagers ne peuvent s’opposer à des modifications dans les conditions de fonctionnement du service, ni à la suppression du service. L’administration peut par exemple supprimer un bureau de poste ou une ligne de chemin de fer si elle estime que ce service ne répond plus à des besoins d’intérêt général. L’administration peut également modifier les conditions d’accès au service public (prix des abonnements au téléphone) ou modifier les conditions de réalisation d’un service (passage du gaz à l’électricité). Il faut noter que dans certains cas, ce principe est utilisé par les gestionnaires pour supprimer des activités non rentables. Ce qui ne va pas s’en poser de problèmes en matière d’aménagement du territoire, d’équipement rural ou d’accessibilité aux services publics dans les quartiers difficiles.

1.3 Le principe de continuité

Une activité de service public a pour mission de répondre à un besoin reconnu permanent. Un service public ne peut fonctionner ponctuellement. Dès lors, les usagers ont droit au fonctionnement régulier du service sans interruption sauf en cas de circonstances exceptionnelles. Le principe de continuité implique que l’administration assure à l’usager un accès régulier au service, mais non nécessairement la permanence (certaines activités font exception tels que le téléphone, la police, les hôpitaux…). Ce principe a des conséquences sur le statut des agents. Ces derniers sont normalement placés dans une situation légale et réglementaire et leur statut leur garantit une certaine protection vis-à-vis du pouvoir politique. En contrepartie, leur droit de grève est limité. Jusqu’en 1946, le principe de continuité justifiait l’interdiction du droit de grève (CE, 7 août 1909, Winkell). Cependant, en consacrant le caractère constitutionnel du droit de grève, la Constitution de 1946 a considérablement réduit la portée du principe de continuité. Tout en reconnaissant le droit de grève aux agents publics, le Conseil d’État a concilié ce droit avec les exigences du principe de continuité. Désormais, il appartient au législateur et au gouvernement de réglementer la grève dans les services publics (CE, 7 juillet 1950, Dehaene).

1.4 Le problème de la gratuité des services publics

Il n’existe pas de principe de gratuité applicable de manière générale à tous les services publics. Rien ne s’oppose à ce que l’accès au service public soit payant. Il arrive toutefois que pour certains services publics administratifs la gratuité soit la règle. C’est par exemple le cas de l’enseignement primaire et secondaire ou de l’état civil. En ce qui concerne les SPIC, il arrive que le prix à payer par l’usager ne corresponde pas exactement au coût réel du service. La différence entre le coût du service et la redevance facturée à l’usager est alors à la charge du contribuable. Cependant, les SPIC doivent normalement équilibrer leurs propres dépenses par leurs propres recettes.

1.5 Les exigences de transparence

L’administration fonctionne sur la base du secret. Le mot secrétaire administratif trahi la substance même de la confidentialité qui entoure l’action de l’administration. Il est donc nécessaire d’aménager la transparence de l’action de l’administration. Le principe de transparence permet à tout citoyen ou usager de s’assurer du bon fonctionnement des services publics. Dès lors, tout usager dispose d’un droit à l’information sur l’action des services publics et ceux-ci ont l’obligation d’informer les usagers de manière systématique (média, presse, brochure, guide). La transparence doit être conçue comme une condition du dialogue et de la concertation, mais également comme un instrument du contrôle de l’action des services publics par les usagers.

L’exigence de transparence impose à l’administration de respecter certaines procédures (enquêtes publiques, procédures consultatives, motivation des décisions). De respecter des procédures contradictoires préalables à la décision afin de permettre à l’administré de faire valoir ses arguments. En particulier lorsque la décision prise a le caractère d’une sanction. De même, les services publics doivent, toutes les fois qu’il est possible, consulter leurs usagers avant de prendre des décisions touchant à l’organisation et au contenu du service rendu dans leurs unités de base.

La loi aménage également l’accès aux documents administratifs (loi du 17 juillet 1978 et renforce l’exigence de motivation des décisions défavorables (loi du 11 juillet 1979).

1.6 Le principe de neutralité et de laïcité

Le principe de laïcité recoupe l’exigence de neutralité et le principe d’égalité. En effet, pour assure l’égalité des usagers, il convient également d’assurer un service public neutre.

Le régime applicable aux usagers des services publics est différent de celui des agents. Alors que pour les agents l’exigence de neutralité est très sévèrement appliquée concernant les usagers, le Conseil d’État a adopté une position plus libérale. La position de la jurisprudence administrative c’est d’abord portée sur la question du voile. Dans un avis du 27 novembre 1989, le Conseil d’État a reconnu aux usagers du service public d’enseignement un droit d’exprimer et de manifester leurs croyances religieuses à l’intérieur des établissements scolaires (avis du Conseil d’État du 27 novembre 1989 relatif à la laïcité de l’enseignement), à certaines conditions cependant. Cette reconnaissance du droit pour l’usager d’exprimer ses opinions religieuses est limitée par d’autres impératifs, qu’il y a lieu de concilier (CE, avis du 27 novembre 1989 ; CE, 2 novembre 1992, Kherouaa). La liberté d’exprimer ses convictions religieuses s’arrête dans les hypothèses suivantes :

  • actes de pression, provocations, prosélytisme ou propagande des élèves
  • comportements qui portent atteinte à la dignité, au pluralisme, à la liberté de l’élève ou des membres de la communauté éducative, à la santé ou à la sécurité
  • perturbation du déroulement des activités d’enseignement, troubles apportés au fonctionnement normal du service.

Ce régime jurisprudentiel a été ensuite renforcé par l’intervention du législateur. La loi préciserait tout d’abord de manière générale que les usagers du service public doivent se conformer aux exigences de fonctionnement du service public. C’est ensuite en matière de service public scolaire que le législateur a fait l’intervention la plus remarquable.

La loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, les collèges et lycées publics a été adopté en 2004et la disposition principale qui prévoit que « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes religieux ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. Le règlement intérieur rappelle que la mise en oeuvre d’une procédure disciplinaire est précédée d’un dialogue avec l’élève » a été codifié à l’article L. 141-5 du Code de l’éducation.

2 Les règles d’application variable

Les règles d’application variable sont principalement le résultat de la distinction SPA/SPIC. Il existe des règles applicables au SPA et d’autres applicables aux SPIC.

2.1 Le droit applicable aux SPA

Le droit applicable aux SPA est essentiellement le droit administratif et les contentieux générés par ces activités relèvent de la compétence du juge administratif. La très large application du droit administratif n’exclut pas cependant l’application du droit privé et la compétence du juge judiciaire lorsque le SPA est géré par une personne privée.

2.1.1 Les rapports avec les usagers

Dans un SPA, l’usager est placé dans une situation légale et réglementaire définie par des règles de droit public. L’usager n’est donc pas lié au service public par un contrat. Cela signifie que les conditions d’accès au service sont unilatéralement déterminées par l’administration gestionnaire du service. Il arrive parfois que l’usager d’un SPA soit dans une situation contractuelle. Ce sera le cas des locataires d’un office d’HLM. De même, lorsque le SPA est géré par une personne privée, l’usager est lié au service public par un lien de droit privé, sauf si la personne privée met en œuvre des prérogatives de puissance publique (CE, 13 janvier 1961, Magnier).

2.1.2 Les rapports avec les agents

Si le SPA est géré par une personne publique, les agents du service ont normalement la qualité d’agent public. Les agents titulaires ont la qualité de fonctionnaire et les non titulaires sont agents contractuels de droit public. Il arrive toutefois que la loi aménage pour certains agents un statut de droit privé, c’est le cas des contrats emploi-jeune. Lorsque le SPA est géré par une personne de droit privé, les personnels bénéficient d’un statut de droit privé (C’est le cas pour la sécurité sociale par exemple).

2.1.3 Les rapports avec les tiers

Les tiers sont les personnes qui entrent en contact avec le service public sans être ni des usagers ni des agents. Il s’agit ici des fournisseurs ou des prestataires de services qui sont en relation avec la personne publique ou privée qui gère le service. Le contrat qui unit ces personnes à la personne publique (ou à la personne privée en cas de mandat) est un contrat de droit public s’il porte directement sur l’exécution du service ou s’il contient des clauses exorbitantes. Par principe, les contrats passés en application du Code des marchés publics sont des contrats administratifs (cf. la partie sur les contrats). Les contrats passés par une personne privée gérant un SPA est en principe un contrat de droit privé.

2.2 Le droit applicable aux SPIC

Le droit applicable aux SPIC est principalement le droit privé. Pourtant, l’application du droit administratif aux SPIC n’est pas totalement exclue.

2.2.1 Les rapports avec les usagers

L’usager d’un SPIC se trouve placé dans une situation de droit privé qui prend la forme d’un contrat. Il ne peut donc agir devant le juge administratif pour en demander l’annulation. De même les dommages causés à l’usager à l’occasion du service public relèvent de l’application du droit privé et de la compétence du juge judiciaire.

2.2.2 Les rapports avec les agents

Les agents d’un SPIC sont normalement des agents de droit privé. Cette affirmation ne pose aucune difficulté si le SPIC est géré par une personne privée. En revanche, lorsque le SPIC est géré par une personne publique le directeur et le comptable (s’il possède la qualité de comptable public) sont réputés être des agents publics. En outre, une loi peut attribuer la qualité de fonctionnaire aux agents d’un SPIC (C’est le cas pour les agents de la Poste, avant transformation du statut juridique de leur établissement). L’application du droit privé aux relations entre agents et SPIC n’est valable que pour les relations individuelles. Les actes réglementaires par lesquels une personne publique définit les conditions de travail des agents du SPIC restent des actes administratifs relevant de la compétence du juge administratif. Il en va de même lorsque le SPIC est géré par une personne privée, dès lors que l’acte réglementaire concerne l’organisation du service et révèle des prérogatives de puissance publique (TC, 15 janvier 1968, Air France c/ Barbier).

2.2.3 Les rapports avec les tiers

Les contrats passés par une personne publique gérant un SPIC avec des tiers sont des contrats administratifs à condition qu’ils portent directement sur l’exécution du service ou qu’ils comportent une clause exorbitante du droit privé (cf. les contrats administratifs). Tous les contrats conclus par une personne privée gérant un SPIC sont des contrats de droit privé. En matière de responsabilité, les dommages causés à des tiers lors de l’exécution d’un SPIC relèvent du droit privé. Il en va différemment si le dommage est causé au tiers par un travail public ou un ouvrage public.

2.2.4 Les règles issues du droit de la concurrence

Le droit des services publics et le droit de la concurrence devraient a priori s’exclure. Le droit de la concurrence ne devrait s’appliquer qu’à des entreprises, alors que l’activité des personnes publiques resterait en dehors des règles de libre concurrence. Pourtant la création d’un service public, en particulier par une collectivité territoriale, peut porter atteinte au droit de la concurrence. Dès lors, si une personne publique exerce une activité économique, les règles du droit de la concurrence, qui prohibent par exemple : les ententes illégales, les abus de position dominante, doivent s’appliquer. Le Conseil d’Etat a donc accepté que la légalité d’un contrat de concession puisse être discutée devant le juge administratif au regard des dispositions du droit de la concurrence (Conseil d’Etat sect 3 novembre 1997 Sté Million et Maris). Désormais, les règles issues du droit de la concurrence contenues dans l’ordonnance du 1er décembre 1986 et codifiées dans le Code de commerce, s’appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de service, y compris celles qui relèvent d’une personne publique.

Le juge administratif pourrait annuler l’acte de passation d’un marché public ou d’une délégation de service public soit sur le fondement du Code des marchés publics (ou de la loi sur la transparence de la vie économique) soit sur le fondement du Code de commerce. A titre d’exemple, le tribunal administratif de Bastia en 2003 a annulé la procédure de passation d’un marché public menée à son terme alors que le département (en l’espèce il s’agissait de transports scolaires) avait été alerté sur l’existence d’une entente entre trois des quatre sociétés candidates, dont celle qui a été finalement attributaire du marché. Dans cette affaire, trois des quatre sociétés candidates avaient la particularité d’avoir le même gérant, et de disposer des mêmes moyens matériels et humains.

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