Le système français de protection sociale : principes, évolutions historiques, organisation des acteurs-Le financement de la protection sociale

Modifié par Julien Lenoir le 27 septembre 2018

Le système français de protection sociale : principes, évolutions historiques, organisation des acteurs :

B/ Le financement de la protection sociale

Par Yves Palau

Dernière mise à jour : mai 2017

1. Les principaux points à retenir

  • Des financements diversifiés qui sont la conséquence de la double dimension assurantielle et solidaire de la sécurité sociale.
  • La progressive montée en puissance des impôts reposant sur une assiette large de revenus, au-delà des seuls salaires.
  • Un débat récurrent sur le financement de la protection sociale qui ne porte pas seulement sur son montant mais aussi sur les types de revenus concernés et dont les effets sur l’emploi sont régulièrement pointés par l’OCDE, notamment.

Le système de protection sociale a connu de nombreuses évolutions depuis la fondation de la Sécurité sociale en 1945. Celles-ci ont touché la nature des prestations, devenues de plus en plus universelles, les risques eux-mêmes qui se sont élargis et les financements associés qui se sont diversifiés.

Contributives à l’origine, les prestations se définissaient en conséquence principalement comme des revenus de remplacement (indemnités journalières de maladie, maternité, accidents du travail, puis chômage à partir de 1958), différés (vieillesse), ou de complément (prestations familiales). L’affiliation était automatiquement liée à l’exercice d’une activité professionnelle. Les cotisations perçues sur les revenus d’activité permettaient la prise en charge collective des risques par les assurances sociales gérées par les partenaires sociaux. Ce fondement reste encore celui de la plus grande part des prestations versées. Toutefois leur évolution depuis une trentaine d’années marque un développement de l’universalité des prestations, déjà présente dans les principes fondateurs du plan de 1945, se traduisant par la généralisation des prestations familiales en 1978 et par l’apparition de régimes de couverture universelle indépendante de l’exercice d’une activité professionnelle, la rupture du lien entre contributions et prestations (Fonds de solidarité vieillesse, prestations familiales sans condition d’emploi, par exemple) et l’intervention sociale directe des pouvoirs publics face aux « nouveaux risques » de pauvreté, d’exclusion, de handicap ou de dépendance.

On passe ainsi d’une logique de cotisations sur les revenus d’activité à une diversification des recettes. L’évolution des prestations vers une universalité plus marquée a justifié une participation accrue de ressources publiques (État et collectivités territoriales) au financement de la protection sociale, voire la création de contributions nouvelles (CSG, CRDS, contribution de solidarité pour l’autonomie des personnes âgées) sur une assiette plus large que les seuls salaires. Parallèlement, un mouvement a conduit au transfert de cotisations sociales vers des contributions, impôts et taxes affectés (CSG augmentée et étendue, taxes sur le tabac et l’alcool, taxe d’assurance des véhicules terrestres à moteur, notamment), afin de traduire durablement l’accroissement de la part liée à la solidarité et d’alléger les cotisations sociales assises sur les salaires.

Si l’on revient sur les mouvements les plus marquants relatifs à l’évolution et à la diversification des ressources de la protection sociale, il faut noter chronologiquement :

- à partir de 1967, et progressivement jusqu’en 1991, déplafonnement des cotisations des branches famille, maladie et accidents du travail ;

- création de la CSG en 1991 à hauteur de 1,1 % en substitution des cotisations salariales vieillesse (ramenées de 7,6 % à 6,55 %), puis son augmentation à 2,4 % en 1993 par transfert de cotisations salariales vieillesse ;

- baisse des cotisations sociales sur les bas salaires en 1993 (cotisations familiales), puis ristourne « Juppé » en 1995, modifiée en 1998 ;

- substitution de la CSG (+ 5,1 %) à la quasi-totalité des cotisations salariales d’assurance maladie (ramenées de 6,8 % à 0,75 %) en 1997-98 ;

- allègements de charges sociales dans le cadre de la réduction du temps de travail en 1994, 1998 et 2003, compensés par des moyens budgétaires ou des recettes affectées (taxe sur les tabacs, sur les contrats d’assurance...).

- exonération générale de cotisations salariales sur les heures supplémentaires en 2007 supprimée en 2012.

2. Les différents types de financement

Les ressources qui servent à financer la protection sociale, 708 milliards d’euros en 2013, se répartissent en quatre catégories principales : les cotisations sociales (63 % du total des ressources) en diminution régulière depuis une vingtaine d’années, les impôts et taxes affectés (25 %), en augmentation régulière depuis la même période, les contributions publiques de l’État et des collectivités territoriales (10%) et les produits financiers environ 2%. L’ensemble de ces ressources représente environ 35% du PIB.

La France s’est ainsi rapprochée de la structure moyenne de financement de la protection sociale des pays de l’Union européenne, même si elle demeure parmi les pays mettant le plus à contribution les revenus du travail.

2.1. Les cotisations

Les cotisations représentent de loin la première ressource avec environ 428 milliards d’euros collectés en 2012. Elles servent à financer les assurances sociales, c’est-à-dire la Sécurité sociale, l’assurance chômage et les retraites complémentaires. Leur part dans le financement global de la sécurité sociale est passé de 80 % à 63 % en 25 ans.

Cependant, cette diminution de la part des cotisations est avant tout le fait des régimes de Sécurité sociale. Pour les autres régimes d’assurance sociale (assurance chômage, organismes de retraite complémentaire principalement), la base de financement demeure assise sur les cotisations sociales, qui ont augmenté leurs prélèvements de 4,5 points entre 1990 et 2012.

Elles sont acquittées à 63% par les employeurs, à 29% par les salariés, à 7% par les non-salariés.

2.2. Les impôts et taxes affectés

On en compte trois principales, la contribution sociale généralisée, la contribution à la réduction de la dette sociale et les autres impôts et taxes affectés.

La contribution sociale généralisée est un impôt destiné à participer au financement de la protection sociale. Il a été créé par la loi de finances pour 1991. C’est un impôt assis sur l’ensemble des revenus des personnes résidant en France. La CSG concerne la totalité des revenus d’activité, les revenus de remplacement (pensions de retraite, allocations chômage, indemnités journalières...), les revenus du patrimoine et les revenus de placement.

Elle est prélevée à la source sur la plupart des revenus, à l’exception des prestations sociales et familiales. Elle est recouvrée par les URSSAF pour les revenus d’activité et par l’administration fiscale pour les revenus du patrimoine. Initialement fixé à 1,1 %, son taux est aujourd’hui de 7,5 % sur les revenus d’activité, 6,6% sur les pensions de retraite et de préretraite, 6,2% sur les revenus de remplacement et 8,2 % sur les revenus du patrimoine et de placement. Son rendement était de 95 milliards d’euros en 2015 à mettre en regard avec celui de l’impôt sur le revenu, 76 milliards d’euros. La CSG représente plus des deux tiers des impôts et taxes affectés à la protection sociale.

Le second impôt qui finance la protection sociale est la contribution à la réduction de la dette sociale (CRDS) créée en 1996. Elle est affectée à la Caisse d’amortissement de la dette sociale qui a repris 226,9 milliards d'euros de dette et en avait amorti 96,7 milliards à la fin 2014. Elle a pour objectif d’éteindre la dette des organismes de Sécurité sociale en 2025. En sont redevables les personnes physiques domiciliées en France pour l’impôt sur le revenu. Son taux de prélèvement est unique. Il est fixé depuis 1996 à 0,5% du revenu brut, quel que soit le revenu concerné, et n’a jamais été modifié. Le périmètre de prélèvement de la CRDS est plus large que celui de la contribution sociale généralisée. En plus des revenus sur lesquels est assise la CSG, la CRDS englobe également les prestations familiales, les aides personnelles au logement, ainsi que les ventes de métaux précieux et d’objets d’art. Au final, alors qu’un point de CSG rapportait, en 2013, 12,3 milliards d’euros, un point de CRDS en rapportait 13,3.

Les taxes affectées complètent ce dispositif. On peut distinguer celles qui sont en soutien aux mesures de santé publique telles que les taxes issues des ventes d’alcool et de tabac ou sur les produits considérés comme nuisibles à la santé et celles qui ont été décidées en compensation des allègements de cotisations sociales patronales sur les bas salaires ou les heures supplémentaires. On peut relever la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie depuis 2013 prélevée sur les pensions de retraite, des impôts sur les salaires et la main-d’œuvre, tels que la taxe sur les salaires, ou le forfait social prélevé sur les rémunérations ou gains exonérés de cotisations de Sécurité sociale mais assujetties à la contribution sociale généralisée, enfin, divers impôts liés à la production qui comprennent notamment la contribution sociale de solidarité des sociétés .

2.3. Les contributions publiques de l’Etat et des collectivités territoriales

Ces contributions sont des versements de l’État aux régimes de protection sociale, qui regroupent des subventions d’équilibre et des versements correspondant au financement par l’État de certaines prestations. Les contributions publiques de l’État et des collectivités territoriales représentaient 9,7% des ressources de la protection sociale en 2013 (68,9 milliards d’euros). 70% de ces sommes sont consacrées au financement des minima sociaux, de la dépendance et des aides au logement. Le reste est versé au titre des subventions d’équilibre de l’État à certains régimes spéciaux de Sécurité sociale.

3. Les débats autour du financement de la protection sociale

Le mode de financement de la protection sociale fait l’objet de débats récurrents, à la fois quant à ses besoins de financement et aux effets à en attendre sur la compétitivité et l’emploi. Des changements substantiels ont été apportés depuis trente ans, mais les modifications constantes décidées année après année ont abouti à une grande complexité et instabilité. La question du financement de la protection sociale ne se réduit en tout cas ni au comblement des déficits ni à d’éventuelles modifications d’assiette. Elle nécessite des choix sur le champ, la progressivité et la programmation des financements à mobiliser qui pèseront directement sur le caractère plus ou moins solidaire du système.

Les modifications apportées au financement de la protection sociale ont poursuivi simultanément, et de façon quasi constante, plusieurs objectifs. Il s’est autant agi de rechercher des recettes supplémentaires pour financer les dépenses sociales que d’opérer des transferts d’assiette en tant que tels. Ces transferts ont eu pour principal objectif d’alléger le coût du travail en réduisant les cotisations employeurs (sauf celles finançant les régimes de retraite complémentaire et d’assurance chômage), avec une priorité donnée au travail peu qualifié à travers les exonérations générales de charges introduites à partir de 1993, et modifiées avec les dispositifs Aubry puis Fillon. Pour éviter que cet allègement pèse exclusivement sur les cotisations payées par les salariés, le choix a été fait d’élargir l’assiette des prélèvements à d’autres revenus que ceux du travail, c’est-à-dire d’abord aux revenus du patrimoine et des placements, mais aussi aux revenus de remplacement. Cet élargissement, conduit à une « fiscalisation » partielle de la protection sociale. La diversification des ressources de la protection sociale a aussi consisté à introduire une série de taxes spécifiques, d’une part sur les entreprises et les revenus du capital, d’autre part sur les produits. Certaines s’apparentent dans leur logique à des taxes « comportementales », dans la mesure où elles visent à la fois à mobiliser des suppléments de financement et à dissuader certaines consommations ou pratiques, comme les droits sur les tabacs, alcools et boissons, affectés majoritairement à l’assurance maladie, mais aussi des taxes sur la publicité des laboratoires pharmaceutiques.

Une étude de l’OCDE1 montre que le mode de financement de la protection sociale diffère entre pays, de façon assez substantielle dans certains cas. Dans la majorité des pays de l’OCDE, les cotisations sociales et autres recettes affectées constituent la principale source de financement – ces ressources couvrent plus de 60 % des dépenses de protection sociale dans la plupart des pays d’Europe centrale et orientale, en Belgique, en Corée, en Espagne, en France, en Grèce et aux Pays-Bas. Par contre, dans certains pays, le financement de la protection sociale publique repose essentiellement sur la fiscalité générale, autrement dit sur des recettes publiques non affectées. Tel est le cas, en particulier, en Australie, au Canada, au

Danemark, en Irlande, en Nouvelle-Zélande et au Royaume-Uni. Cependant, au cours des trois dernières décennies, on a observé une certaine convergence des situations entre pays. La part des dépenses sociales financées par cotisations sociales et autres recettes affectées a en moyenne significativement diminué dans les pays où ce type de ressources représentait la principale source de financement, tandis qu’elle a quelque peu augmenté dans les autres pays.

Le financement de la protection sociale introduit un écart entre le coût du travail et ce qu’il reste, in fine, au salarié. Plus les dépenses publiques de protection sociale sont importantes, plus ce « coin fiscal » tend également à l’être. Pour l’OCDE les effets de ce « coin fiscal » sur l’emploi dépendent de trois facteurs : de la « progressivité » du système de financement, du lien entre ce que les salariés paient et les prestations qu’ils perçoivent et de l’impact sur les revendications salariales et les revenus de remplacement des prélèvements fiscaux assis sur les revenus du travail. Pour l’OCDE cependant, la protection sociale comporte également des effets positifs sur la productivité venant compenser en partie les possibles effets négatifs sur l’emploi liés à son financement. Pour réduire ces effets négatifs il faut, selon elle, agir sur quatre leviers principaux :

- Rendre les systèmes de financement plus progressifs peut aider à atténuer les effets négatifs du « coin fiscal sur l’emploi ». Les études empiriques montrent, selon elle, que les effets négatifs du « coin fiscal » sur l’emploi sont particulièrement forts au niveau des bas salaires, en particulier s’il existe un salaire minimum relativement élevé. Cela justifie les mesures d’allègement du « coin fiscal » en bas de l’échelle des rémunérations, abaissant notamment les cotisations à la charge de l’employeur. Mais aller trop loin dans ce sens n’est peut-être pas la façon la plus efficace de stimuler l’emploi des catégories vulnérables. De fait, les évaluations de ce type de mesure montrent que les effets d’aubaine sont importants.

- Renforcer le lien entre les prélèvements obligatoires et les prestations attendues constitue la seconde proposition de l’OCDE pour réduire l’impact négatif du « coin fiscal » sur l’emploi. Du côté des salariés, créer un lien plus étroit entre les cotisations versées et leur contrepartie peut s’envisager dans le cas des pensions de retraite. Avec toutefois une certaine limite, résidant dans le fait que le renforcement de ce lien, à l’extrême, pourrait compromettre les principes de solidarité et de redistribution inscrits dans les systèmes de retraite. S’agissant des employeurs, les systèmes de modulation des cotisations patronales (par exemple l’instauration d’un lien entre d’une part, les cotisations chômage, retraite, ou encore maladie et invalidité, et d’autre part, les pratiques des entreprises en matière de licenciements, préretraites ou recours aux régimes maladie et invalidité) encouragent les entreprises à améliorer leurs pratiques de gestion de la main-d’œuvre, avec potentiellement, des répercussions favorables sur l’emploi. Certaines évaluations suggèrent selon l’OCDE que la modulation des cotisations patronales tend à réduire les flux d’entrée dans les systèmes de prestations sociales. La modulation peut néanmoins conduire à quelques réticences de la part des employeurs à embaucher parmi les populations jugées comme étant à risque.

- Restructurer la fiscalité, directe et indirecte, pesant sur les salaires pourrait également réduire l’impact du financement de la protection sociale sur l’emploi, selon l’OCDE. Les assiettes de l’impôt sur le revenu et des taxes sur la consommation sont plus larges que celles des cotisations sociales, et contrairement aux cotisations, ces prélèvements pèsent également sur les revenus de remplacement. Par conséquent, pour un niveau donné de recettes fiscales, un basculement partiel des cotisations de sécurité sociale vers l’impôt sur le revenu ou les taxes sur la consommation pourrait avoir des effets favorables sur l’emploi.

- Quatrième levier selon l’OCDE, basculer une partie de la charge du financement de la protection sociale vers d’autres prélèvements fiscaux, pesant moins directement sur le travail. Si l’augmentation de l’impôt sur les sociétés et la création d’une cotisation patronale assise sur la valeur ajoutée paraissent risquée à l’OCDE en termes d’effets sur l’emploi, des prélèvements sur les revenus du capital perçus par les ménages lui semblent devoir nettement moins affecter l’investissement. Cela vaut notamment pour les impôts sur la propriété immobilière, assiette fiscale particulièrement peu mobile et pour laquelle les problèmes d’évasion fiscale sont assez limités. Or, les impôts fonciers sont relativement faibles dans un certain nombre de pays européens dotés d’un coin fiscal élevé. Une autre option serait de réduire le traitement fiscal favorable dont bénéficie l’épargne retraite, qui s’avère coûteux pour les pouvoirs publics et mal ciblé.

En conséquence, pour l’OCDE, la structure même du financement public de la protection sociale peut avoir des conséquences en matière d’emploi. En particulier, la charge fiscale pesant sur les salaires pourrait être allégée dans un certain nombre de pays de l’OCDE en faisant porter sur la fiscalité générale le financement des dépenses sociales qui revêtent une forte dimension collective (les dépenses de santé, par exemple). Les cotisations sociales seraient ainsi affectées à des domaines de la protection sociale pour lesquels le lien entre prélèvements et prestations est plus clairement perçu par les salariés.

1 Perspectives de l’emploi de l’OCDE, chapitre 4, le financement de la protection sociale : effets sur l’emploi, OCDE, 2007

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