Le fonctionnement de l'UE : vie politique et processus décisionnel : première partie

Modifié par Julien Lenoir le 27 septembre 2018

Par BAUBY Pierre, président de RAP (Reconstruire l’action publique), membre du Conseil scientifique d’Europa et Mihaela M. Similie (Popa) , chercheur
Dernière mise à jour : janvier 2017

1. La répartition des compétences entre UE et Etats membres, les principes d’attribution, la proportionnalité, la subsidiarité

L’Union européenne ne peut agir que dans les limites des compétences que les traités lui ont attribuées pour atteindre les objectifs établis par ces traités (principe d’attribution des compétences). Toute compétence non attribuée à l'Union dans les traités appartient aux États membres (art. 4 et 5 TUE). Le principe d’« attribution » aux institutions de l’UE de compétences déterminées de nature législative, exécutive et judiciaire comporte l’exercice en commun, au niveau supra-national, pour une durée indéterminée, des pouvoirs auparavant exercés seulement dans un cadre national (« l’attribution, opérée par les Etats membres, à la Communauté des droits et pouvoirs correspondant aux dispositions du traité », arrêt du 13 juillet 1972, Commission/Italie, aff. 48/71). L’attribution de compétences n’apparaît pas seulement comme un transfert de compétences dans la mesure où l’UE intervient dans des matières qui n’ont pas nécessairement fait l’objet de décisions nationales. Les Etats membres sont tenus d’exercer leur compétence en observant celles attribuées à la Communauté (« le transfert opéré par les Etats, de leur ordre juridique interne au profit de l’ordre juridique communautaire, des droits et obligations correspondant aux obligations du traité, entraîne (…) une limitation définitive de leurs droits souverains contre laquelle ne saurait prévaloir un acte unilatéral ultérieur incompatible avec la notion de Communauté ». Arrêt du 15 juillet 1964 dans l’affaire Costa/ENEL 6/74).

Selon les domaines, l’attribution des compétences est plus ou moins étendue pour les institutions de l’UE. Le traité de Lisbonne codifie les différentes catégories de compétences de l’Union européenne, qui avaient été identifiées par la Cour de justice ou mentionnées par les traités précédents en 3 catégories : les compétences exclusives, partagées et d’appui.

Dans les cinq domaines qui font l’objet de sa compétence exclusive (l’union douanière, les règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur, la politique monétaire pour la zone euro, la politique commerciale commune, la conservation des ressources biologiques de la mer dans le cadre de la politique commune de la pêche), « seule l'Union peut légiférer et adopter des actes juridiquement contraignants, les États membres ne pouvant le faire par eux-mêmes que s'ils sont habilités par l'Union, ou pour mettre en œuvre les actes de l'Union » (art. 2§1 TFUE) (Cf. aussi l’arrêt CJCE du 15 décembre 1976 dans l’affaire 41/76 et l’arrêt du 5 mai 1981 dans l’affaire 804/79).

Lorsque les traités attribuent à l’Union une compétence qui ne relève pas des domaines visés aux articles 3 et 5 TFUE qui prévoient la liste exhaustive des compétences exclusives et d’appui de l’UE, l’UE dispose d’une compétence partagée (art. 4§1 TFUE). Ces domaines sont nombreux, principalement : le marché intérieur, certains aspects de la politique sociale, la cohésion économique, sociale et territoriale, l'agriculture et la pêche, l’environnement, la protection des consommateurs, les transports, les réseaux transeuropéens, l’énergie, l'espace de liberté, de sécurité et de justice, certains aspects de sécurité en matière de santé publique (art. 4§2 TFUE). Dans les domaines qui font l’objet d’une compétence partagée, « l'Union et les États membres peuvent légiférer et adopter des actes juridiquement contraignants dans ce domaine. Les États membres exercent leur compétence dans la mesure où l'Union n'a pas exercé la sienne » (art. 2§2 TFUE).

Le traité prévoit des dispositions spécifiques concernant la coordination des politiques économique et d’emploi, la politique extérieure et de sécurité commune, les domaines de la recherche, le développement technologique et l’espace, ainsi que la coopération au développement et l’aide humanitaire. Dans ces domaines, tant l’UE que les Etats membres ont des compétences mais qui ne peuvent pas être encadrées dans les trois principales catégories.

Pour agir en cas d’insuffisances des dispositions des traités, ceux-ci ont prévu des clauses permettant une action européenne pour réaliser un des objectifs de l’Union. Ainsi, l’article 352, paragraphe 1 TFUE (ex-article 308 TCE) prévoit que « si une action de l'Union paraît nécessaire, dans le cadre des politiques définies par les traités, pour atteindre l'un des objectifs visés par les traités, sans que ceux-ci n'aient prévu les pouvoirs d'action requis à cet effet, le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après approbation du Parlement européen, adopte les dispositions appropriées. Lorsque les dispositions en question sont adoptées par le Conseil conformément à une procédure législative spéciale, il statue également à l'unanimité, sur proposition de la Commission et après approbation du Parlement européen. »

Cet article (connu sous l’appellation « clause de flexibilité ») s’applique sous trois conditions : 1) l’action de l’Union est jugée « nécessaire » du point de vue politique, économique, technique, juridique ; 2) l’action de l’Union a pour but la réalisation d’un objectif visé par les traités ; 3) les traités n’ont pas prévu de pouvoirs d’action adéquats ou suffisants pour atteindre l’objectif recherché. Le traité ne prévoît pas la procédure à suivre pour l’adoption des actes pris sur la base de cet article, ni le type d’actes qui peut être adopté, laissant à la Commission et au Conseil ces choix.

Le traité de Lisbonne a annexé aux traités un Protocole n°25 sur l’exercice des compétences partagées, qui vise à donner une interprétation évitant dans le futur une application flexible de nature à créer un élargissement non désiré des compétences de l’Union : « En ce qui concerne l'article 2, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatif aux compétences partagées, lorsque l'Union mène une action dans un certain domaine, le champ d'application de cet exercice de compétence ne couvre que les éléments régis par l'acte de l'Union en question et ne couvre donc pas tout le domaine. »

Cette disposition a joué un rôle important et a été mise en œuvre par exemple en matière de relations extérieures, pour définir des politiques nouvelles en matière de protection de l’environnement, en matière technologique, énergétique, etc. Au fur et à mesure que les traités attribuent de nouvelles compétences à l’Union, la nécessité de recourir à cet article a diminué puisqu’il ne peut être utilisé qu’en absence d’une autre base juridique adéquate.

Dans certains domaines (ceux prévus par l’art. 6 TFUE - la protection et l'amélioration de la santé humaine, l’industrie, la culture, le tourisme, l'éducation, la formation professionnelle, la jeunesse et le sport, la protection civile, la coopération administrative), « l’Union dispose d'une compétence pour mener des actions pour appuyer, coordonner ou compléter l'action des États membres, sans pour autant remplacer leur compétence dans ces domaines. Les actes juridiquement contraignants de l'Union adoptés sur la base des dispositions des traités relatives à ces domaines ne peuvent pas comporter d'harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres » (art. 2§5 TFUE).

La « méthode ouverte de coordination » (MOC) a été lancée officiellement en 2000 au Conseil européen de Lisbonne. Elle a été conçue comme « un moyen d’encourager la coopération, d’échanger de bonnes pratiques et de convenir d’objectifs communs et d’orientations communes aux États membres (…). Elle se fonde sur la mesure régulière des progrès réalisés sur la voie de ces objectifs afin que les États membres puissent comparer leurs efforts et s’enrichir de leurs expériences mutuelles » (Gouvernance européenne, Livre blanc, COM(2001)428). Elle permet de faire émerger des accords consensuels qui n’ont pas d’effet obligatoire pour les États membres mais qui peuvent s’imposer politiquement ou socialement.

Pour la définition précise des compétences il faut également tenir compte des autres dispositions des traités, l'étendue et les modalités d'exercice des compétences de l'Union étant déterminées par les dispositions des traités relatives à chaque domaine (art. 2§6 TFUE).

L’exercice des compétences de l’Union européenne est régi par les principes de subsidiarité et de proportionnalité (art. 5§1 TUE).

Article 5 TUE

3. En vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l'Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu'au niveau régional et local, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union.

Les institutions de l'Union appliquent le principe de subsidiarité conformément au protocole sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Les parlements nationaux veillent au respect du principe de subsidiarité conformément à la procédure prévue dans ce protocole.

4. En vertu du principe de proportionnalité, le contenu et la forme de l'action de l'Union n'excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités.

Les institutions de l'Union appliquent le principe de proportionnalité conformément au protocole sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité.

Les premières dispositions du droit primaire évoquant le principe de subsidiarité ont été adoptées par l’Acte unique européen de 1986, en matière d’environnement. Le traité de Maastricht a inséré le principe de subsidiarité dans les dispositions du traité et au niveau des « principes » de la Communauté et de l’UE. Le traité de Lisbonne a rajouté la référence aux niveaux régional et local. Le Protocole n°2 sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité confère un rôle important aux parlements nationaux dans le contrôle du respect du principe par les institutions de l’Union ; leur avis motivé peut conduire la Commission à devoir justifier, revoir ou retirer une proposition législative. Le principe s’applique seulement aux domaines de compétences partagées entre l’UE et les Etats membres. Toutefois, dans le passé, il a aussi été utilisé pour justifier l’application décentralisée du droit européen dans des matières relevant de la compétence exclusive de l’UE.

Le principe de proportionnalité est lié au principe de subsidiarité et détermine comment une compétence partagée peut être exercée. Son application vise non seulement la mise en œuvre des compétences de l’Union au regard de celles des Etats membres mais aussi la mise en œuvre du droit européen par les institutions européennes et l’analyse des législations nationales au regard des droits des justiciables et ressortissants européens.

La jurisprudence européenne a établi trois conditions cumulatives du test de proportionnalité : la nécessité de la mesure, son adéquation aux objectifs du traité et la condition de proportionnalité stricte, selon laquelle la mesure ne va pas au-delà de qui est nécessaire. Ainsi, le test de proportionnalité vérifie que les moyens mis en œuvre par une norme européenne sont aptes à réaliser l’objectif visé, qu’ils ne vont pas au-delà à ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif du traité et que les avantages générés par l’acte sont supérieurs aux inconvénients. Selon la jurisprudence européenne, seul le caractère manifestement disproportionné d’une mesure au regard de l’objectif assigné doit être sanctionné.

2. Les institutions européennes et les organes consultatifs, les partenaires économiques et sociaux, les groupes d’intérêt, les parlements nationaux

L’Union européenne n’est pas un « Etat-nation » comme le sont chacun de ses Etats membres. C’est une construction politique originale, sans précédent dans l’histoire et en devenir, sans que l’on ne sache ni son issue, ni sa durée.

Il faut éviter de plaquer sur les institutions européennes nos concepts traditionnels, qui non seulement sont inopérants, mais sont pervers – qu’il s’agisse de l’« Etat-nation » ou de la « démocratie représentative » ou de la notion d’« exécutif » souvent donnée à la Commission européenne, que l’on ne peut pas « copier-coller » sur la nouvelle construction – ne serait-ce que compte tenu du nombre de langues -, pour en inventer de nouveaux adaptés aux spécificités de l’UE.

L’intégration européenne n’a pas seulement donné lieu à la définition de politiques communes ainsi que de règles et normes communes ; elle s’est aussi traduite par la mise en place d’institutions nouvelles, porteuses de logiques spécifiques (Cf. Jean-Louis Quermonne, Le système politique de l’Union européenne, Montchrestien, 8è ed., 2010).

Des institutions spécifiques

L’Union européenne est caractérisée par un système institutionnel original qui la distingue des organisations internationales classiques tout comme des États-nation traditionnels. Les États consentent des délégations de souveraineté (compétences exclusives de l’UE, partagées avec les États-membres ou d’appui de ceux-ci) au profit d'institutions, représentant à la fois les intérêts nationaux et l'intérêt communautaire, et liés par des rapports de complémentarité dont découlent les processus décisionnels.

Les institutions communautaires sortent du cadre traditionnel de référence des États-nation, distinguant traditionnellement les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Ce sont une série de réseaux (nationaux, politiques, administratifs, économiques), dont le langage commun est un système d'arbitrage d'ordre juridique. Le traité de Lisbonne a apporté des modifications au nombre des institutions, qui passe de cinq à sept (Jusqu’à l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, l’UE comptait cinq institutions : le Conseil, le Parlement européen, la Commission européenne, la Cour de justice et la Cour des comptes. Le traité de Lisbonne confère le statut d’institution au Conseil européen et à la Banque centrale européenne), leurs compétences (au niveau législatif par l’élargissement de la procédure de codécision et du vote à la majorité qualifiée au Conseil), leur composition (une possible réduction du nombre des commissaires européens), leur fonctionnement, et a renforcé le rôle d’autres acteurs politiques, en particulier les parlements nationaux, le Comité des régions et les citoyens.

Le Conseil européen réunit les chefs d’État ou de gouvernement de l’ensemble des États membres et le Président de la Commission européenne. Il définit les orientations politiques et fixe les priorités de l’Union. « Il n’exerce pas de fonction législative » (art. 15§1 TUE). Il peut également constater l'existence d'une violation grave et persistante par un État membre des valeurs visées à l'article 2 TUE ; sur ces bases, le Conseil « peut décider de suspendre certains des droits découlant de l'application des traités à l'État-membre en question, y compris les droits de vote du représentant du gouvernement de cet État membre au sein du Conseil », dans les conditions prévues par le traité (art. 7§2 et 3 TUE).

Il a été créé en 1974 en dehors d’un cadre juridique formel, et a été intégré dans les traités par l’Acte unique européen. Le traité de Lisbonne reconnaît le Conseil européen en tant qu’institution de l’Union et lui confère une présidence stable, avec un président est élu par le Conseil européen avec vote à la majorité qualifiée pour un mandat de deux ans et demi renouvelable une fois (art. 15 TUE). Ce système remplace le système de présidence tournante de 6 mois assuré par les chefs d’Etat ou de gouvernement des Etats membres, qui en même temps exerçaient leurs prérogatives nationales et n’étaient dont pas pleinement affectés à cette tâche. Dans la nouvelle architecture institutionnelle, le traité de Lisbonne interdit au président du Conseil européen d’exercer un mandat national.

Le Conseil européen décide en général par consensus (art. 15§4 TUE). Toutefois, dans les cas où il adopte des actes contraignants, le Conseil européen doit suivre la procédure de décision prévue par la base légale correspondante. Le président du Conseil européen et le président de la Commission européenne n’ont pas droit de vote (art. 235§1 TFUE). Le règlement intérieur du Conseil a été adopté par la Décision 2009/882/UE du premier décembre 2009.

Le Conseil, également appelé « Conseil des ministres », réunit les ministres représentant chacun un État membre. Il partage les pouvoirs législatif et budgétaire avec le Parlement européen, mais son pouvoir d'exécution est difficile à distinguer du pouvoir de production des normes juridiques : il relève du législatif, mais aussi, dans certains cas, de l’exécutif.

Le Conseil se réunit en dix formations (annexe I du règlement 2009/937/UE) : affaires générales ; affaires étrangères ; affaires économiques et financières ; justice et affaires intérieures ; emploi, politique sociale, santé et consommateurs ; compétitivité (marché intérieur, industrie et recherche) ; transports, télécommunications et énergie ; agriculture et pêche ; environnement ; éducation, jeunesse et culture.

Sa présidence, à l'exception de la formation des affaires étrangères, est assurée par des groupes prédéterminés de trois États membres pour une période de 18 mois. Ces groupes sont composés par rotation égale des États membres, en tenant compte de leur diversité et des équilibres géographiques au sein de l'Union. Chaque membre du groupe assure à tour de rôle, pour une période de six mois, la présidence de toutes les formations du Conseil, à l'exception de la formation des affaires étrangères. Les autres membres du groupe assistent la présidence dans toutes ses responsabilités, sur la base d'un programme commun. Les membres du groupe peuvent convenir entre eux d'autres arrangements. Le traité de Lisbonne a introduit un nouveau système de présidence pour le Conseil affaires étrangères qui est désormais doté d’une présidence stable pour un mandat de cinq ans exercé par le haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Le Conseil des affaires générales assure la cohérence des travaux des différentes formations du Conseil. Il prépare les réunions du Conseil européen et en assure le suivi en liaison avec le président du Conseil européen et la Commission (art. 16§6 TUE). L’Eurogroupe, qui réunit de manière informelle les ministres des finances des Etats membres dont la monnaie est l’Euro, est également doté par le traité de Lisbonne d’une présidence de deux ans et demi, élue à majorité simple. Le COREPER désigne le comité des représentants permanents des Etats membres. Il prépare les réunions du Conseil et cherche l’accord entre les Etats membres sur les dispositions des textes à adopter avant le débat au Conseil. Le COREPER a pris une importance particulière dans le processus décisionnel. Il assure la continuité des travaux au niveau du Conseil et examine les propositions d’actes soumises au Conseil avant qu’ils soient portés devant celui-ci. En cas d’accord au sein du COREPER, le Conseil ne fait qu’adopter ces accords, les membres du COREPER ayant agi sur instructions.

Les présidences tournantes du Conseil 2015-2019

(Décision 2009/908/UE du Conseil du 1er décembre 2009 établissant les mesures d'application de la décision du Conseil européen relative à l'exercice de la présidence du Conseil, et concernant la présidence des instances préparatoires du Conseil, tel que modifiée suite au référendum britannique se prononçant pour la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne)

Lettoniejanvier-juin2015
LuxembourgJuillet-décembre2015
Pays-Basjanvier-juin2016
SlovaquieJuillet-décembre2016
Maltejanvier-juin2017
EstonieJuillet-décembre2017
Bulgariejanvier-juin2018
AutricheJuillet-décembre2018
Roumaniejanvier-juin2019
FinlandeJuillet-décembre2019

Le traité de Lisbonne a augmenté le nombre de domaines dans lesquels le Conseil décide par vote à la majorité qualifié et a introduit, à partir de 1er novembre 2014 (ou 1 avril 2017), un nouveau système pour ce vote, plus légitime et simple, de « double majorité » avec deux niveaux : au moins 55% du nombre des Etats membres et au moins 65% de la population de l’Union. La « minorité de blocage » est donc composée d’au moins quatre États membres représentant plus de 35 % de la population de l’UE (par exemple, Allemagne et France et Pologne et un ‘petit’ pays ; ou Allemagne et France avec Bulgarie et Roumanie). Toutefois, plusieurs domaines importants restent soumis au vote à l’unanimité : taxation, sécurité sociale et politique sociale, certains aspects concernant la coopération policière, les ressources propres de l’Union et le cadre financier multi-annuel, mesures concernant les passeports et les cartes d’identité, certains accords internationaux, la plupart des décisions tenant à la politique externe et de sécurité commune.

Au Conseil, les débats n’étaient pas publics. Avec le traité de Lisbonne, l’ouverture de ses réunions s’impose dans l’exercice de ses pouvoirs législatifs (art. 16§8 TUE « Le Conseil siège en public lorsqu'il délibère et vote sur un projet d'acte législatif »).

Le Parlement européen (sous l’appellation d’« Assemblée » jusqu’à l’Acte unique européen quoique l’appellation actuelle a été assumée par le Parlement dès 1962) est l'organe d'expression démocratique et de contrôle politique, qui participe également au processus législatif. Élu au suffrage universel direct depuis juin 1979 (jusque-là, les membres de l’assemblée parlementaire étaient des membres des parlements nationaux des Etats membres désignés par ceux-ci l’élection au suffrage universel a été une condition de la Cour constitutionnelle allemande pour admettre la primauté du droit européen sur le droit national ; arrêt BVerfGE 37, 271 du 29 mai 1974 Solange I) pour un mandat de cinq ans, il exerce conjointement avec le Conseil une fonction législative (). Sa composition ne doit pas dépasser 750 députés plus le président représentant de manière proportionnelle dégressive les citoyens européens avec au moins 6 représentants par Etat membre et au maximum 96 (art. 14§2 TUE).

Chacun des traités depuis l'Acte unique de 1986 est venu progressivement renforcer les pouvoirs du Parlement. Au fil du temps, son rôle a évolué notamment pour intervenir dans la procédure d’adoption des actes législatifs, selon des modalités diverses. Du traité de Rome à l’Acte unique, il avait le droit d’être consulté dans une vingtaine de cas prévus par le traité CEE et une dizaine de cas prévus par le traité EURATOM. Le Conseil avait la faculté de demander une consultation du Parlement européen dans d’autres cas. Le 4 mars 1975, une déclaration commune du Parlement, du Conseil et de la Commission a instauré la faculté de faire appel à une procédure de concertation à la demande du Parlement, pour des propositions d’actes de portée générale, susceptibles d’avoir une incidence financière notable et au cas où le Conseil entendait s’écarter de l’avis du Parlement. L’élection au suffrage universel du Parlement européen à partir de 1979 n’a pas entraîné la modification de ses pouvoirs. Mais l’Acte unique européen de 1986 a introduit la procédure de coopération et le droit d’avis conforme (en ce qui concerne les accords d’adhésion et d’association, avec vote à la majorité de ses membres). Puis, le traité de Maastricht a instauré une procédure dite de codécision applicable dans une quinzaine de cas. Cette procédure offrait la possibilité d’intervention d’un comité de conciliation au cours de la seconde lecture du Parlement européen et du Conseil, avec la participation de la Commission à ses travaux, mais sans avoir le pouvoir de tri des amendements, ce qui lui a été conféré dans la procédure de coopération. En cas d’échec de la conciliation le Conseil peut confirmer sa position dans un certain délai et adopter l’acte. Le Parlement pouvait rejeter la décision du Conseil dans un certain délai. La procédure de codécision est devenue après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne 2009 la ‘procédure législative ordinaire’.

Avec le traité de Lisbonne le Parlement européen exerce des pouvoirs législatifs dans tous les domaines, participe à l’adoption du budget, investit la Commission - le Parlement européen élit le président de la Commission sur proposition du Conseil européen (art. 17§7 TUE) ; si le Parlement refuse la nomination, le Conseil européen doit proposer un autre candidat et peut la censurer -, peut proposer une révision des traités, donne son consentement sur l’accord fixant le cadre de retrait d’un Etat de l’UE. En outre, il maintient ses anciennes compétences : il reçoit des pétitions des citoyens, désigne le Médiateur européen, etc. L’histoire a été marquée par des tensions entre le Conseil et le Parlement. Le traité de Luxembourg du 22 avril 1970 et le traité de Bruxelles du 22 juillet 1975 ont prévu que le Parlement européen dispose du pouvoir de décision finale sur les dépenses dite « non obligatoires », celles qui ne découlent pas obligatoirement du traité et des actes pris par les institutions. Il avait un droit d’amendement pour les dépenses non obligatoires et de rejet en bloc du budget mais n’avait pas de pouvoir sur les recettes. La distinction entre dépenses « obligatoires » (sur lesquelles le Conseil avait le dernier mot) et « non obligatoires » a disparu avec le traité de Lisbonne qui a donné au Parlement un pouvoir de co-décision avec le Conseil sur toutes les dépenses (art. 314 TFUE et le règlement financier de l’UE).

Mais le Parlement européen ne relève pas, à la différence des parlements des Etats, de clivages majorité/opposition, mais de la recherche de convergences les plus larges possibles, car c’est à ce prix qu’il pèse dans le rapport avec les autres institutions (cf., par exemple, le long processus d’adoption de la directive services).

La Commission européenne a souvent l’apparence d’un quasi-exécutif, encadré par des compétences précises d'attributions. Outre le fait d’être gardienne des traités, elle dispose du quasi-monopole de l'initiative législative - dans certains cas, l’initiative peut appartenir à un groupe d’Etats membres (dans le domaine des libertés, sécurité et justice), du Parlement européen, ou peut intervenir après une recommandation de la Banque centrale européenne ou sur demande de la Cour de justice ou de la Banque européenne d’investissements : elle joue le rôle d'initiateur des normes juridiques, préparant les « lois », et les proposant (art. 17§2 TUE) ; mais, en même temps, elle élabore de fait l'essentiel des projets d’actes législatifs (sauf dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune où les traités ne permettent pas l’adoption d’actes législatifs mais seulement de décisions - cf. art. 24§1 et 31§1 TUE). Dans certains domaines, elle a un pouvoir normatif propre pour mettre en œuvre certaines politiques européennes, en particulier pour prendre des mesures dans le domaine de la concurrence et des aides d’Etat (art. 105, 106, 108 TFUE). Le traité de Lisbonne prévoit qu’elle peut aussi être mandatée par le législateur pour adopter des actes délégués (art. 290 TFUE) ou prendre des mesures de mise en œuvre de la législation européenne (art. 291 TFUE). Dans ce dernier cas (art. 291 TFUE), le législateur européen met en place un système de contrôle des projets d’actes d’exécution que la Commission propose, par des représentants des Etats membres, système connu sous l’appellation de la « comitologie » (terme qui concerne l’ensemble des procédures en vertu desquelles la Commission européenne exerce les pouvoirs d’exécution conférés conférées par le législateur européen, assistée des comités de représentants des pays de l’UE ; ce système est actuellement régi par le Règlement (UE) no 182/2011 du Parlement Européen et du Conseil du 16 février 2011 établissant les règles et principes généraux relatifs aux modalités de contrôle par les États membres de l’exercice des compétences d’exécution de la Commission Les pouvoirs de contrôle varient selon les domaines concernés (Pour un rapport de la Commission sur les travaux des comités en 2014 voir sa COM(2015) 418).

Les comités de comitologie ne doivent pas être confondus avec des « groupes d’experts » créés par la Commission elle-même (par exemple les comités ‘Lamfallussy’ mis en œuvre dans le secteur des services financiers), qui apportent à celle-ci des connaissances spécialisées pour l'élaboration et la mise en œuvre des politiques, ainsi que des actes délégués (avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne la comitologie ne s’applique plus à l’adoption des actes délégués ; c’est le législateur européen qui contrôle la manière dont la Commission exerce ses pouvoirs délégués).

Elle a aussi des responsabilités de contrôle et a des fonctions quasi juridictionnelles : par exemple, en matière de concurrence ou de commerce extérieur, la procédure devant la Commission ressemble beaucoup à une quasi-procédure juridictionnelle avec une faculté d'appel à la Cour de justice de l’Union européenne.

Le traité de Lisbonne reconnaît également à la Commission la compétence de représentation externe de l’Union, sauf pour la politique étrangère et de sécurité commune. En outre, la Commission assure la mise en œuvre du budget de l’Union (art. 317 TFUE) et, dans ce cadre, la Commission peut être mandatée par le législateur européen pour gérer directement des programmes européens dans de nombreux domaines.

Le traité de Lisbonne a élargi les compétences de la Commission suite notamment à la ‘communautarisation’ du troisième pilier et à l’augmentation des cas où s’appliquent les dispositions de l’article 293§1 TFUE selon lesquelles si la Commission n’est pas d’accord avec un amendement proposé par le Conseil, celui-ci ne peut l’imposer qu’avec un vote à unanimité.

Le traité de Lisbonne a visé aussi à réduire le nombre de commissaires à deux tiers du nombre des Etats membres (art. 17§5 TUE), avec un système de rotation égale, à appliquer à partir du 1er novembre 2014. La décision de mise en œuvre de cet objectif n’a pas été encore adoptée et la Commission continue à être composée d’un commissaire par Etat membre. Ce traité a élargi les compétences du président de la Commission européenne et a institué un Haut représentant pour la politique extérieure et de sécurité commune, qui est aussi vice-président de la Commission.

La nomination des membres de la Commission et de ses membres exige l’accord du Parlement européen (art. 17§7 TUE), qui a aussi le pouvoir d’adopter une motion de censure conduisant à la démission de celle-ci (art. 17§8 TUE).

La quatrième grande institution européenne, la Cour de justice, juge des contentieux qui lui sont soumis soit directement, soit par des questions préjudicielles posées par des juridictions nationales dans la mise en œuvre et l’interprétation des traités européens et du droit communautaire. Elle ne peut ni s’autosaisir, ni généraliser les cas qui lui sont soumis, mais ses jugements sont sans appel et font jurisprudence pour tous les cas similaires. Elle élabore ainsi au cas par cas « une interprétation qui s’incorpore aux normes » (Cf. Antoine Masson, Droit communautaire. Droit institutionnel et droit matériel, Larcier, 2008, p.56), elle dit le droit, elle pose des normes et principes permettant de résoudre un conflit juridique, ce qui amène certains à la considérer comme un ‘quasi-législateur’ (le rôle et les compétences de la CJUE sont développés au thème 3).

La Banque centrale européenne est en charge d’assurer la stabilité des prix dans la zone euro et de coordonner le système européen des banques centrales. Elle a été reconnue comme institution de l’Union par le traité de Lisbonne. Elle est ainsi soumise aux dispositions des traités applicables aux institutions, dont les principes de subsidiarité et proportionnalité, la consultation des citoyens et des associations représentatives (art. 11§1 TUE), l’information des parlements nationaux (art. 12a TUE), la coopération loyale (art. 13§2 TUE), l’ouverture (art. 15§1 TUE), le contrôle de ses actes par la CJUE, etc. Son indépendance à l’égard des autres institutions européennes et des Etats membres est garantie par les dispositions des articles 130 et 282§3 TFUE et par le Protocole n°4 sur les statuts du système européen de banques centrales et de la banque centrale européenne.

Le Conseil et la Commission sont assistés par le Comité économique et social européen, qui vise une association active des « représentants des organisations d'employeurs, de salariés et d'autres acteurs représentatifs de la société civile, en particulier dans les domaines socio-économique, civique, professionnel et culturel » (art. 300§2 TFUE), ainsi que, depuis le traité de Maastricht, par le Comité des régions, dont les membres sont des « représentants des collectivités régionales et locales qui sont soit titulaires d'un mandat électoral au sein d'une collectivité régionale ou locale, soit politiquement responsables devant une assemblée élue » (art. 300§3 TFUE). Ils doivent être obligatoirement consultés avant l'adoption d'un grand nombre de décisions et peuvent également rendre des avis de leur propre initiative. Leurs avis n’ont pas de force juridique. Le traité de Lisbonne a conféré au Comité des régions un droit de recours devant la CJUE pour demander l’annulation des actes législatifs de l’Union qui violent le principe de subsidiarité, dans les cas dans lesquels sa consultation est obligatoire. Il peut également introduire un recours en annulation pour protéger ses prérogatives.

Ainsi, les institutions et organes européens sont le reflet des différentes sources de légitimité de l’Union européenne, des unités contradictoires entre intérêt commun et intérêts nationaux, régionaux et locaux, entre le « communautaire » et l’interétatique, entre méthode communautaire et intergouvernementalité. En témoignent les sept « présidents » dont le traité de Lisbonne dote l’Union européenne : le président permanent du Conseil, la présidence tournante (tous les 6 mois) du Conseil des ministres, le président de la Commission européenne et le président du Parlement européen, auxquels on peut ajouter la Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, le président de l’Eurogroupe et celui de la Banque centrale européenne. Ce partage et ce jeu interinstitutionnel suffisent à démontrer l’originalité de l’Union européenne, l’impossibilité de plaquer sur celle-ci les concepts traditionnels des États nation.

Les parlements nationaux reçoivent par le traité de Lisbonne des pouvoirs renforçant leur rôle politique dans l’Union européenne. En effet, au fil du temps, l’Union s’est vu confier de nouvelles compétences qui l’ont amené à intervenir dans de domaines qui auparavant étaient du ressort du législatif national. Ce transfert de compétences a impacté le travail législatif des parlements nationaux, leur rôle politique dans l’UE, sans que les pouvoirs du Parlement européen soient au même niveau que ceux du Conseil. En outre, depuis que le Parlement européen est élu au suffrage universel direct, en 1979, les parlements nationaux n’ont plus été représentés dans les institutions européennes.

Dans le but de développer la légitimité démocratique de l’Union, une déclaration annexée au traité de Maastricht puis, en 1997, le Protocole n°9 annexé au traité d’Amsterdam a reconnu le rôle des parlements nationaux dans l’Union, mais c’est seulement avec le traité de Lisbonne qu’ils ont été dotés de pouvoirs concrets (art. 12 TUE et Protocoles n°1 et 2). En particulier, ils sont investis d’un pouvoir de contrôle du respect du principe de subsidiarité (art. 5 TUE et Protocole n°2), quoique le délai de huit semaines qui leur est imparti soit assez réduit. Ils sont également impliqués dans des mécanismes d’évaluation et de suivi dans le domaine des libertés, de la sécurité et de la justice et dans les procédures simplifiées de révision des traités. Désormais, ils ont droit de recevoir des informations (projets législatifs, documents consultatifs, documents de travail du Conseil, rapports de la Cour des comptes) directement des institutions de l’Union sans passer par le gouvernement national. Les demandes d’adhésion à l’UE leur sont notifiées. Ils sont aussi informés par la Commission des propositions législatives prises sur la base de l’art. 352 TFUE (voir ci-dessus).

Article 12 TUE

Les parlements nationaux contribuent activement au bon fonctionnement de l'Union:

a) en étant informés par les institutions de l’Union et en recevant notification des projets d'actes législatifs de l'Union conformément au protocole sur le rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne;

b) en veillant au respect du principe de subsidiarité conformément aux procédures prévues par le protocole sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité;

c) en participant, dans le cadre de l'espace de liberté, de sécurité et de justice, aux mécanismes d'évaluation de la mise en oeuvre des politiques de l'Union dans cet espace, conformément à l'article 70 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et en étant associés au contrôle politique d'Europol et à l'évaluation des activités d'Eurojust, conformément aux articles 88 et 85 dudit traité;

d) en prenant part aux procédures de révision des traités, conformément à l'article 48 du présent traité;

e) en étant informés des demandes d'adhésion à l'Union, conformément à l'article 49 du présent traité;

f) en participant à la coopération interparlementaire entre parlements nationaux et avec le Parlement européen, conformément au protocole sur le rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne.

En France, les nouvelles dispositions du traité de Lisbonne ont conduit à l’amendement de la Constitution par la Loi constitutionnelle n° 2008-103 du 4 février 2008, le Conseil constitutionnel estimant dans sa Décision 2007-560 du 20 décembre 2007 que les pouvoirs nouveaux reconnus aux parlements nationaux appellent une révision constitutionnelle, au sens d’un complément de celle-ci pour permettre l'exercice effectif de ces prérogatives par les députés et les sénateurs.

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