Le fonctionnement de l'UE : vie politique et processus décisionnel : seconde partie

Modifié par Julien Lenoir le 27 septembre 2018

Par BAUBY Pierre, président de RAP (Reconstruire l’action publique), membre du Conseil scientifique d’Europa et Mihaela M. Similie (Popa) , chercheur
Dernière mise à jour : janvier 2017

3. Le processus décisionnel législatif

Pour réaliser les missions confiées à l’UE par les traités, les institutions européennes ont été habilitées à prendre des décisions dans tous les domaines d’action de l’UE, leur compétence n’étant pas limitée à certains secteurs.

Au sein des instances collégiales, les modalités de vote sont diverses mais la tendance a été vers la généralisation du vote majoritaire. La base législative impose des modalités différentes d’adoption des actes prévus par le traité (procédure, rôle des institutions) et le caractère erroné de son choix peut être invoqué en soutien d’un recours en annulation.

Avec le traité de Lisbonne, la codécision est devenue la procédure législative ordinaire (art. 289§1 et 294 TFUE ; elle a été précédée par la « procédure de la coopération », qui continue à exister seulement dans de domaine de la politique monétaire). Cette procédure et les interactions Conseil-Parlement relèvent de la double légitimité de l’Union européenne, dont les rapports ont évolué dans le temps, mais qui reste et restera longtemps constitutive, celle des États membres - et donc de l’intergouvernementalité - et celle qui repose sur l’élection du Parlement européen au suffrage universel. En témoigne également le système de double majorité que le traité de Lisbonne met en place à partir de 2014 : les décisions du Conseil devront être adoptées par 55% des États membres représentant au moins 65% de la population de l’Union.

La procédure de codécision est initiée par la présentation du projet d’acte législatif par la Commission au Parlement européen et au Conseil. Tant que le Conseil n’a pas statué, la Commission pourra modifier sa proposition tout au long des procédures conduisant à l’adoption de l’acte.

En première lecture, le Parlement européen examine la proposition de la Commission puis arrête et transmet sa position au Conseil. Si le Conseil adopte l’acte conformément à la position du Parlement, l’acte est considéré adopté. Sinon, le Conseil adopte sa position motivée et la transmet au Parlement.

En deuxième lecture, le Parlement a trois mois pour examiner la position adoptée par le Conseil en première lecture. S’il approuve la position du Conseil ou ne se prononce pas, l’acte est adopté. S’il rejette à la majorité de ses membres la position du Conseil en première lecture l’acte est considéré comme n’étant pas adopté. S’il propose des amendements à la position du Conseil en première lecture, adoptés à la majorité de ses membres le texte est considéré amendé et il est transmis à la Commission et au Conseil pour avis sur les amendements. Le Conseil a trois mois pour se prononcer sur le texte amendé. S’il l’approuve le texte tel qu’amendé par le Parlement à la majorité qualifiée, l’acte est considéré adopté. Si le Conseil, à la majorité qualifiée, n’approuve pas tous les amendements un comité de conciliation est convoqué dans un délai de six semaines par les présidents du Conseil et du Parlement. Le Conseil statue à l’unanimité sur les amendements qui n’ont pas fait l’objet d’un avis négatif de la Commission.

En procédure de conciliation un délai de six semaines à partir de la convocation est prévu pour trouver un accord sur un projet commun, qui doit être voté par la majorité qualifiée des membres du Conseil ou de ses représentants et de la majorité des membres du comité représentant le Parlement. Sans résultat en six semaines, l’acte est considéré comme non adopté. Si le projet commun est adopté en comité de conciliation, le Parlement européen (à la majorité des suffrages) et le Conseil (à la majorité qualifiée) disposent de six semaines pour adopter l’acte conformément au projet commun. A défaut, l’acte est considéré comme n’étant pas adopté. La Commission européenne participe aux travaux du comité.

Le Parlement européen et/ou le Conseil peuvent prolonger les délais de procédure : en deuxième lecture d’un mois et en conciliation de deux semaines.

Les actes adoptés par la procédure législative ordinaire sont signés par les présidents du Parlement européen et du Conseil.

Procédure législative ordinaire

(Source : Commission européenne, Comment fonctionne l’Union européenne. Guide des institutions européennes à l’usage des citoyens, Luxembourg, 2013, http://bookshop.europa.eu/fr/comment-fonctionne-l-union-europ-enne--pbNA3212336/)

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Si le traité de Lisbonne définit une « procédure législative ordinaire » reposant sur la codécision entre le Conseil des ministres et le Parlement européen, d’autres modes de décision continuent d’exister dans certains domaines, y compris des procédures législatives spéciales, telles que celles de consultation du Parlement européen.

La procédure de coopération renforcée a été introduite par le traité d’Amsterdam pour éviter d’appliquer l’acquis Schengen aux Etats hostiles à la suppression des contrôles aux frontières. Il a ainsi autorisé un certain nombre d’Etats membres à approfondir le processus d’intégration quand l’unanimité au Conseil ne peut pas être atteinte tout en permettant aux autres Etats membres d’y adhérer ultérieurement.

Ce mécanisme encourage les coopérations dans le cadre de l’Union, comme alternative aux coopérations développées hors cadre communautaire. Initialement, la coopération renforcée a couvert les domaines concernant le pilier communautaire et le troisième pilier de l’Union (JAI) ; c’est le traité de Nice qui les a étendu à la PESC (à l’exception de la défense). Mais cette procédure ne peut pas intervenir dans une matière qui relève des compétences exclusives de l’Union. En outre, elle ne doit pas constituer une entrave aux échanges, une atteinte au marché intérieur et ne doit pas provoquer de distorsions de concurrence.

Surtout, l’art. 20 TUE prévoit qu’une coopération renforcée peut intervenir seulement en dernier ressort, lorsque les objectifs recherchés « ne peuvent être atteints dans un délai raisonnable par l’Union dans son ensemble ». Dans les faits, il faut avoir la preuve qu’une proposition législative n’a pas pu être adoptée par le législateur européen « dans un délai raisonnable » pour pouvoir utiliser cette procédure.

La Commission, le Conseil et le Parlement ont un droit de veto.

La Commission garde en effet sont pouvoir d’initiative législative puisque les Etats désireux d’établir une coopération renforcée doivent adresser une demande à la Commission, qui décide si elle donne suite ou non (dans ce cas, le refus doit être motivé).

Le Conseil doit autoriser à la majorité qualifiée la coopération, après approbation du Parlement européen. La décision du Conseil détermine les Etats participants (au moins huit Etats membres) et le domaine de la coopération. Une fois instituée par décision du Conseil, la coopération renforcée permet l’adoption des actes selon les procédures prévues par les traités, avec un droit d’initiative de la Commission (en tant qu’organe collégial indépendant des Etats), mais du côté du Conseil un droit de vote pour les seuls Etats membres de la coopération renforcée. Par contre, le Parlement européen, qui représente le peuple européen et non pas les Etats décide en formation plénière sur les projets d’actes législatifs initiés dans le cadre d’une coopération renforcée.

Le traité de Lisbonne a amendé les procédures spéciales de constitution des coopérations renforcées (en matière de PESC, de coopération judiciaire pénale).

Jusqu’à présent, les coopérations renforcées ont été peu nombreuses mais elles ont permis d’adopter des actes en matière de divorce, pour la création d’un brevet unitaire et d’une taxe sur les transactions financières.

Tout Etat membre peut demander à rejoindre une coopération renforcée, à condition de respecter les conditions fixées dans la décision initiale d’autorisation de la coopération constituée.

La procédure de ratification et d’approbation des accords internationaux est régie par les articles 207 et 216 à 219 TFUE. Elle se déroule en trois phases : la négociation, l’approbation de la signature et la conclusion.

L’ouverture des négociations est autorisée par le Conseil sur recommandation de la Commission ou du Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité commune. La décision du Conseil désigne, en fonction de l’objet de l’accord, le négociateur ou le chef de l’équipe de négociation. Le Conseil peut aussi arrêter des directives de négociations et désigner un comité spécial consultatif. Suite aux négociations, sur proposition du négociateur, le Conseil adopte une décision autorisant la signature de l’accord et, le cas échéant, son application provisoire avant son entrée en vigueur. La décision portant conclusion de l’accord est adoptée par le Conseil par vote à la majorité qualifié ou à l’unanimité, selon l’objet de l’accord, sur proposition du négociateur, après l’approbation ou, selon le cas, consultation du Parlement européen. Lors de la conclusion de l’accord le Conseil peut habiliter le négociateur à approuver au nom de l’Union européenne les modifications de l’accord (éventuellement dans certaines conditions).

Les Etats membres, le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne peuvent recueillir l’avis de la Cour de justice sur la compatibilité de l’accord envisagé avec les traités (moins dans les domaines de la politique extérieure et de sécurité commune - PESC – art. 24 TUE – pour laquelle la Cour a des pouvoirs limités). En cas d’avis négatif l’accord ne peut pas entrer en vigueur.

Dans les domaines de la PESC, l’article 31§1 TUE permet à un Etat membre de s’abstenir lors d’un vote et d’assortir son abstention d’une déclaration formelle. Dans ce cas, il n'est pas tenu d'appliquer la décision, mais accepte que la décision engage l'Union. Si les membres du Conseil qui assortissent leur abstention d'une telle déclaration représentent au moins un tiers des États membres réunissant au moins un tiers de la population de l'Union, la décision n'est pas adoptée.

La procédure de révision des traités est régie par les dispositions de l’article 48 du traité sur l’Union européenne, qui prévoit une procédure ordinaire et une procédure simplifiée.

La procédure ordinaire (art. 48§2-5 TUE) se déroule en trois phases : la phase communautaire, la phase intergouvernementale et la phase finale. La procédure est initiée par la soumission d’un projet tendant à la révision des traités par le gouvernement d’un Etat membre ou par la Commission au Conseil, qui transmet le projet au Conseil européen et le notifie aux parlements nationaux.

Le Conseil européen consulte le Parlement européen et la Commission. Si le Conseil européen, à la majorité simple, prend une décision favorable à l’examen des modifications proposées, son président convoque une Convention composée de représentants des parlements nationaux, des chefs d’Etat et de gouvernement, du Parlement européen et de la Commission européenne. Si la proposition apporte des modifications institutionnelles dans le domaine monétaire, la Banque centrale européenne est consultée.

La Convention examine le projet de révision et adopte par consensus une recommandation à une Conférence des représentants des gouvernements des Etats membres qui est convoquée par le président du Conseil européen en vue d’arrêter d’un commun accord les modifications à apporter aux traités.

Si l’ampleur des modifications ne le justifie pas, le Conseil européen peut décider à la majorité simple et après l’approbation du Parlement européen, de ne pas convoquer la Convention et d’établir directement le mandat pour la Conférence des représentants des gouvernements.

Le traité modificatif doit être ratifié par tous les Etats membres de l’Union conformément à leurs règles constitutionnelles. Si à l’issue d’un délai de deux ans après la signature d’un traité modifiant les traités, les 4/5 des Etats membres ont ratifié le traité et un ou plusieurs Etats membres ne l’ont pas ratifié, le Conseil européen se saisit.

Des procédures simplifiées (art. 48§6, 7 TUE) s’appliquent dans les cas de révision des dispositions de la troisième partie du TFUE relatives aux politiques et actions internes de l’Union (mais sans possibilité d’accroître les compétences attribuée à l’UE par les traités), des révisions ayant comme objet d’autoriser le Conseil à statuer à la majorité qualifiée dans un domaine ou un cas où le TFUE ou le titre V du TUE prévoit l’unanimité (sauf décisions ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense) ou des révisions ayant comme objet d’autoriser le Conseil à statuer conformément à la procédure législative ordinaire pour adopter des actes législatifs lorsque le TFUE prévoit une procédure législative spéciale. Dans tous ces cas, le Conseil européen adopte la décision de modification du traité à l’unanimité. Dans le premier cas, il décide après consultation du Parlement européen, de la Commission européenne et, si c’est le cas, de la Banque centrale européenne. Dans les deux autres cas, le Conseil doit obtenir l’approbation préalable du Parlement européen à la majorité de ses membres ; il notifie également les initiatives de révision aux parlements nationaux qui peuvent, dans les 6 mois qui suivent la notification, s’opposer à la révision. Dans ce cas, la décision de révision n’est pas adoptée.

Le Parlement européen peut être initiateur de la révision. Pour entrer en vigueur la révision doit être ratifiée par les Etats membres.

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Le traité de Lisbonne a introduit un nouveau droit permettant aux citoyens européens d’influencer le processus de décision de l’Union par le dépôt d’une initiative citoyenne européenne. Cette possibilité est effective depuis le 1er avril 2012. Par ce mécanisme, les citoyens peuvent inviter la Commission européenne, dans les limites de ses prérogatives et des compétences de l’Union, à soumettre des propositions appropriées sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu'un acte juridique de l'Union est nécessaire aux fins de l'application des traités. Une procédure en plusieurs étapes est prévue dans le règlement 211/2011 (Communication de la Commission sur l’initiative citoyenne COM(2014) 355). Une telle initiative doit être soutenue par au moins un million de citoyens provenant d'au moins un quart des pays de l’Union européenne, soit sept pays actuellement. Un nombre minimal de signataires approximativement proportionnel à la population de chaque pays est également requis (proportionnalité dégressive). La Commission n’est pas obligée de proposer un projet législatif, mais elle doit examiner l’initiative dans un délai de trois mois et doit présenter une réponse officielle expliquant la suite qu’elle envisage donner et les motifs de sa décision. En fonction du poids de l’adhésion des citoyens européens à une telle initiative, elle aura un impact politique plus ou moins fort et amènera la Commission à agir.

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