Par Sylvie Rivière Le Guen

Dernière mise à jour : septembre 2015

La dimension collective dans les pratiques sportives est une réalité qui mérite d’être étudiée, c’est ainsi que le domaine de la psychologie sportive s’est développé. L’éducateur sportif doit nécessairement avoir pris conscience des phénomènes liés au groupe et les maîtriser pour exercer son autorité et obtenir les résultats attendus (objectifs instrumentaux, satisfaction de besoins affectifs). Seront ici questionnées, les notions de dynamique de groupe, de cohésion sociale, de relations et communications entre différents acteurs dans les situations d’interactions physiques et sportives.

Le groupe, complexe par nature dans ses dimensions structurelles et psychologiques, est un ensemble social de taille variée, formant une unité changeante, incertaine, évolutive. Cette dernière suppose des interactions, une solidarité implicite. Ainsi le groupe est un espace social où les individus partagent un destin commun (définition donné du groupe par K. Lewin1) et selon M. Sherif2 le groupe est un ensemble d’individus amenés à réaliser un but commun par leurs activités interdépendantes. Un rassemblement de personnes ne saurait être un groupe car les personnes qui le constituent ne ressentent pas un sentiment d’appartenance vis-à-vis de lui. Par exemple, les adolescents constituent souvent des groupes auxquels ils s’identifient. S'appropriant un projet partagé, différentes individualités vont interférer, tisser des liens affectifs, le groupe exerce alors une attraction sur ses membres car il s'agit d'adolescents. L'adolescent est en révolte contre l'autre génération et en rejette les valeurs, il recherche dans l'amitié et le groupe, des substituts à ces anciennes valeurs. Dans le groupe, il va pouvoir trouver une identité (être comme les autres) et un statut. Le groupe est un élément sécurisant : il donne des repères, il a ses propres normes. Le groupe peut donc avoir pour l'adolescent une fonction tout à fait structurante. S’il existe des groupes de référence auxquels des individus aspirent à s’identifier, les groupes dominants, détenant le pouvoir dans une organisation peuvent infléchir la destinée de celle-ci, ils sont alors en cela menaçants. La vie d’un groupe peut être l’occasion de manifestations fortes, les évènements sportifs regorgent d’exemples (équipe de France de handball masculin, championne d’Europe en 2014 pour la troisième fois consécutive).

Cette vie sous l’influence du temps se nourrit d’une dynamique, c'est-à-dire de forces internes qui font évoluer la structure du groupe tout autant que ses membres. Le réseau de relations sous-jacent à la vie du groupe participe à la dynamique de groupe. Le mot « dynamique de groupe  désigne des corrections adaptatives dans la structure du groupe à la suite des modifications d'un de ses éléments »3. L’expression « dynamique de groupe » nous a été donnée par K. Levin en 1944, selon J.P. Rey, il la décline en montrant l’existences de forces disruptives et attractives entre les membres d’un groupe, ainsi il existerait un processus faisant évoluer le groupe dans le temps par des adaptations et des transformations de ces éléments pour assurer l’équilibre de la structure du groupe ou pour conduire le groupe à sa disparition. L’analyse des réseaux de communication au sein d’un groupe et des propriétés observables de ce dernier, permet à l’éducateur de se donner des possibilités d’intervention, de régulation et d’éviter les conflits. Les causes de conflits sont multiples : enjeu, transgressions des règles, personnalité, mobiles interpersonnels, sentiments exacerbés (injustice, jalousie, sentiment d’abandon, absence de considération…) et le contexte peut avoir un effet démultiplicateur des tensions internes. La sociométrie renvoie aux travaux de J.L. Moreno, ses études permettent l’analyse des forces qui se jouent à l’intérieur des groupes et du réseau de relations interpersonnelles. Le sociogramme est l’outil qui va permettre à l’éducateur de décrire le jeu des forces internes au groupe, son degré d’organisation et ses réseaux de communication et ainsi de mieux l’appréhender et prévenir les conflits. Cet instrument met en évidence des facteurs d’explicitation des processus relationnels (processus d’identification, d’attraction sociale, d’appartenance au même groupe social, d’attraction personnelle…). L’éducateur devra décoder en parallèle une autre source d’information car les processus de communication entre les membres du groupe et l’éducateur sont verbaux et non-verbaux, le langage et l’expression du corps sont ainsi une spécificité de la communication sportive, l’individu est alors mobilisé dans toutes les composantes de sa personnalité (dans le groupe, l’interdépendance est autant gestuelle, qu’affective ou cognitive). Entre solidarité et concurrence, ce supplément de spécification rend la tâche de coopération plus délicate.

Dans un système de compétition sportive, le groupe est souvent nommé « équipe », elle est « un nombre restreint de personnes de compétences complémentaires qui s’engagent dans un projet et des objectifs communs, adoptent une démarche commune et se considèrent comme solidairement responsables »4. On comprend dès lors que l’éducateur en charge d’une équipe devra être capable de se faire une place, d’identifier les logiques personnelles, les rapports entre le collectif et les individualités, la distribution des rôles et la façon dont est vécue par chacun la situation de groupe. Il devra « faire équipe »5 selon la formule de P. Duret et faire se conjuguer les esprits d’équipe exprimés pour qu’ils convergent pour une cause commune explicite, ceci suppose la mobilisation du groupe sans que cela n’empêche les expressions individuelles. Il semble même possible selon cet auteur qu’une réciprocité puisse s’installer : les individualités peuvent être profitables à un collectif et le collectif une ressource pour les individus (nombreux exemples en cyclisme, voile, alpinisme dans son ouvrage).

Dans une vision plus globale, l’éducateur peut momentanément constituer des sous-groupes selon des objectifs pédagogiques identifiés, la nature des activités physiques et sportives et le contexte de la pratique et ainsi améliorer les conditions de pratique ou favoriser l’engagement des pratiquants. J.P. Rey6 distingue les groupes de niveau pour faciliter le tâche de l’encadrant dans l’adaptation des situations d’apprentissage, les groupes de besoin qui permettent de faire travailler ensemble des personnes ayant les mêmes besoins, les groupes par affinités facilitant l’engagement et la coopération, les groupes mixtes ponctuels, les groupes hétérogènes pour « faire ensemble »…

Une autre définition du groupe fait référence au construit théorique de cohésion sociale. « Le groupe est une unité collective réelle qui repose sur des attitudes collectives, au sein de laquelle les formes de sociabilité présentent une cohésion relative et qui poursuit l’accomplissement d’une œuvre commune »7. L’attitude dans son acceptation psychosociale renvoie à « un état mental et neurophysiologique, constitué par l’expérience, qui exerce une influence dynamique sur l’individu, le préparant à réagir d’une manière particulière à un certains nombres d’objets et de situations »8 et la cohésion renvoie à la cohérence du groupe, c'est-à-dire à la qualité et à l’intensité des relations qui unissent ses membres. Caron et al. définissent quatre caractéristiques essentielles dont il faut tenir compte, la nature multidimensionnelle de la cohésion (de nombreux facteurs influencent les liens sociaux) mais aussi ses aspects dynamique (histoire non figée), instrumental (association autour d’un objet partagé) et affectif (dimension sociale). Variable non directement observable, la cohésion est provoquée par la présence d'un certain nombre de facteurs (projets plus ou moins collectifs, objectifs communs, identité sociale, croyances partagées, normes et règles définies et acceptées, répartition des tâches et des rôles), est influencée positivement par certains paramètres (l’effectif, les réseaux de communication, la satisfaction, la reconnaissance des autres , la réussite, etc.) mais remise en cause lors de discordes, d'insatisfactions, d'échecs, de rivalité…

L’éducateur doit nécessairement chercher à créer cette cohésion pour préserver l’attraction qu’exerce le groupe sur ces membres car elle permet communication et coopération, implication et engagement, estimes individuelle et mutuelle, réussite individuelle ou efficacité collective. Pour développer une cohésion positive, l’éducateur doit intégrer certains éléments dans son mode de fonctionnement : s’appuyer sur un projet commun définissant des règles collectives ,projet collectif explicité dans des projets individualisés (rôles, comportements souhaités), utiliser des méthodes d’encadrement non routinières pour ne pas entrainer l’ennui, offrir une écoute dans tous les temps de l’intervention (échauffement et corps de séance) et un accueil authentique en amont et en aval de celle-ci, penser à distribuer des échanges à tous et exprimer une confiance envers chacun, motiver. La motivation est un « construit hypothétique utilisé afin de décrire des forces internes et/ou externes produisant le déclenchement, la direction, l’intensité et la persistance du comportement »9 Désireux de maintenir la cohésion du groupe qu’il encadre, l’éducateur pourra s’appuyer sur le modèle conceptuel de la cohésion pour évaluer la proportion de la cohésion perçue par les membres d’un groupe. Ce modèle qui s’inspire d’autres issus de recherches antérieures, définit deux composantes de la cohésion : l’une sociale, l’autre opératoire et s’appuie sur une double distinction entre l’individu et le groupe, la tâche et les aspects sociaux. La combinaison de ces dimensions permet d’entrevoir quatre facteurs de la cohésion liés entre eux, mesurés par le biais de questionnaires. Les attractions individuelles opératoires pour le groupe (attrait de l’objectif collectif pour l’individu), les attractions individuelles sociales pour le groupe (valeur attractive du groupe d’un point de vue social pour un membre du groupe), l’intégration opératoire du groupe (interactions en lien avec la tâche à accomplir), l’intégration sociale du groupe (interactions sociales à l’intérieur du collectif) en sont les constituants. Dans le sport, le questionnaire le plus utilisé pour étudier les équipes de loisir ou de niveau compétitif, est le questionnaire d’Ambiance de groupe  conçu par J.P. Heuzé et P. Fontayne. Il devra être spécifié (caractéristiques du groupe, situations sociales qu’il organise) et donc adapté au contexte d’encadrement d’une pratique physique et sportive. On peut sans nul doute avancer que dans les sports individuels compétitifs, les sportifs participent à un groupe pour satisfaire des besoins individuels et réaliser la tâche qui les motive. Dans les sports collectifs, il en va différemment, les objectifs sont partagés d’où une attention portée au fonctionnement du collectif. Tous ces éléments constituent des repères pour percevoir les tensions qui peuvent naître entre les membres d’un groupe et donc mieux gérer, animer, encadrer un groupe.

Un autre aspect en lien avec le rôle et le statut des individus dans le groupe et donc à la structure d’un groupe est à prendre en considération par l’éducateur : le leadership. Il associe harmonieusement un ensemble de savoirs, de savoir-faire, de savoir être sans attribution d’un pouvoir, d’une autorité instituée et détermine certains comportements. Le pouvoir est défini « comme la capacité d’influencer les actions des autres » Ce leadership peut concerner des membres du groupe ou l’encadrant. Détenir l’autorité ne fait pas de ce dernier un leader ; pour le devenir, des caractéristiques (estime vis-à-vis de lui, charisme, comportements structurants, motivation sans faille) sont à prendre en considération pour dynamiser le groupe sans complètement lui dévoluer la gestion du groupe car l’autorité fonctionnelle reste celle de l’encadrant. L’éducateur pour gérer un système doit savoir intervenir ou s’abstenir de le faire, être directif ou non…Les études sur le leadership liées aux modes d’interventions de l’éducateur sont intéressantes, la cohésion opératoire se développe si l’encadrant à une posture d’écoute, qu’il délivre des retours positifs en lien avec l’activité du pratiquant (analyse des observations qu’il mène à chaque instant, évaluation de différentes natures), qu’il offre un soutien social et technique, qu’il partage ses objectifs avec le pratiquant et qu’il précise à chacun le rôle qu’il tient dans le réseau interactionnel. Particulièrement dans le monde sportif compétitif, il doit offrir une vision du futur pour mobiliser les ressources individuelles et collectives. L’éducateur devrait tenir conjointement un volet instructif et un autre relationnel et selon les circonstances s’appuyer davantage sur l’un ou l’autre sans que cela se fasse au détriment de l’un des deux aspects, surtout sur le long terme. La nature de l’activité physique et sportive a aussi son importance, dans les sports collectifs, il est davantage attendu de compétences fonctionnelles alors que dans les sports individuels, les régulations affectives peuvent être plus nombreuses.

Les mécanismes d’attirance, de rejets, de neutralité inhérentes à la vie d’un groupe, invite l’éducateur à dévoiler sa conception de l'autorité : traditionnelle, conservatrice, basée sur le commandement ou novatrice. Envisageant qu'il peut être un modèle d'identification, il peut avoir une vision plus démocratique de son positionnement. Cette attitude portée par un sens pédagogique marquant, éloignée d’une attitude autocratique, permet la construction de l’autonomie et responsabilise les individus (la construction de ses ambitions tient compte de l’âge des pratiquants et donc de leur développement). « L’éducateur n’aura jamais été aussi utile que lorsqu’il aura réussi à être inutile »10. Permettant aux pratiquants d'adhérer en conscience à leur formation, sollicitant leurs avis, négociant très souvent, impliquant les membres du groupe dans les prises de décision l’éducateur ne détient jamais une autorité absolue, elle est reconnue par les membres du groupe grâce à ses qualités (rôle assumé, relation de confiance, disponibilité, authenticité, respect mutuel, solidarité) et ses compétences.

  1. ^ Lewin K.« Frontiers in group dynamics » Humans relations n°l 1947)
  2. ^ Sherif M., “Intergroup relations and leadersheap”, Harper 1962
  3. ^ Rey J.P., « Le groupe », éditions EPS 2000)
  4. ^ Katzenback J.R., Smith D.S., « Les équipes de hautes performances », Paris, Dunod, 1994
  5. ^ Duret P et al., « Faire équipe » Armand collin 2011
  6. ^ Rey et coll., « Le groupe » Édition revue EPS 2000
  7. ^ Gurvitch G., Vocabulaire actuel de psychologie
  8. ^ Article de Leyens, 1979 et Thomas et Alaphilippe, 1983
  9. ^ Wallerand R.J., Thill E.E. « Introduction à la psychologie de la motivation » Laval (Canada), Édition Études vivantes, 1993
  10. ^ Ardoino J., « Propos actuels sur l’éducation » Paris, édition Gauthier-Villars 1971
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