Le marché du travail et le chômage : la détermination des salaires, les institutions économiques et sociales et les obstacles au plein-emploi

Modifié par Julien Lenoir le 27 septembre 2018

Par Philippe Frouté, Maître de conférences des Universités
Dernière mise à jour : mars 2017

Selon l’Insee, le taux de chômage en France en 2016 avoisine les 10%. Cette statistique cristallise de nombreux débats, tant politiques que théoriques. En effet, le facteur travail est l’une des principales composantes des fonctions de production à l’origine de la croissance. L’existence d’un taux de chômage élevé peut résulter de dysfonctionnements sur le marché du travail susceptibles d’obérer la croissance économique qu’elle soit potentielle ou effective. Le débat est très complexe car les facteurs sous-jacents à la réalité du chômage sont nombreux. D’une part, le chômage est à relier au fonctionnement du marché du travail et d’autre part, à celui du marché de l’emploi qu’il ne faut pas confondre avec le précédent et dont les différences vont être à l’origine de mesures spécifiques qui décrivent des réalités différentes (section 1). Ces différences vont se retrouver, au niveau théorique, au cœur d’un débat sur la nature du chômage qui est à l’origine de nombreuses théories décrivant le marché du travail et la formation des salaires (section 2). Ces théories vont appuyer des recommandations de politiques économiques destinées à favoriser l’emploi. Ces recommandations portent sur la nature des institutions économiques et sociales qui encadrent le marché du travail (section 3).

1. La mesure du chômage

La description complète du fonctionnement du marché du travail repose principalement sur trois indicateurs : le taux d’activité, le taux d’emploi et le taux de chômage. Ce qui va distinguer in fine l’ensemble des catégories est le comportement des agents. La notion de chômage devient alors plus complexe à saisir et la notion de chômage s’accompagne d’un halo qui rend les frontières des définitions des catégories précédentes plus floues et mouvantes.

1.1. La mesure de l’activité

Le marché du travail se définit au regard de la population en âge de travailler (PAT) qui regroupe l’ensemble des personnes de 15 ans et plus (la plupart des organisations collectant des statistiques fixent une limite supérieur à 64 ans). En France, la PAT représente environ 40 millions de personnes.

Parmi la population en âge de travailler on distingue ensuite la population active et la population inactive :

  • La population inactive regroupe l’ensemble de la PAT qui ne travaille pas à l’extérieur du foyer et ne cherche pas de travail rémunéré. Elle représente près de 11 millions d’individus.
  • La population active regroupe l’ensemble de la PAT qui occupe un emploi ou qui est au chômage. Elle représente environ 29 millions d’individus.

Au sein de la population active on trouve d’une part les personnes occupées ou en emploi qui sont les personnes qui occupent un emploi rémunéré (à temps plein ou à temps partiel). Elle représente environ 26 millions d’individus. D’autre part, on trouve les personnes au chômage au sens du Bureau international du Travail. Il s’agit des personnes qui remplissent les trois critères suivants :

  • Être sans emploi rémunéré
  • Être disponible pour travailler
  • Être activement à la recherche d’un emploi

On compte près de 3 millions de chômeurs en France.

1.2. Taux d’activité, taux d’emploi et taux de chômage

Le potentiel productif d’un pays se mesure dans un premier temps par le taux d’activité c’est-à-dire la part de la population en âge de travailler souhaitant travailler. Ainsi le taux d’activité se mesure par la population active divisée par la population en âge de travailler. En France, le taux d’activité s’élève à près de 72,5 %.

Néanmoins, vouloir un emploi ne signifie pas nécessairement en posséder un. Le taux d’emploi mesure la part de la population en âge de travailler ayant effectivement un emploi rémunéré. Elle représente environ 65 % de la population en âge de travailler.

On distingue enfin le taux de chômage. Le taux de chômage mesure, parmi la population active, les personnes sans emplois, qui souhaiteraient en posséder un, qui sont disponibles et qui recherchent effectivement un emploi. Le taux de chômage est proche de 10 % en France.

Le taux de chômage reflète moins bien le processus de création et de destruction d’emploi que le taux d’emploi. En effet, le taux de chômage est sensible aux variations conjoncturelles de la population active. Il capte l’effet des travailleurs additionnels qui rejoignent les rangs de la population active lorsque la situation économique s’améliore (et vice versa). Par exemple, des perspectives d’emploi peuvent à la fois inciter des individus à chercher un emploi, passant de la catégorie des inactifs aux actifs et des individus chômeurs peuvent trouver un emploi. Aussi, le numérateur et le dénominateur du taux de chômage peuvent être impactés simultanément rendant le résultat d’une amélioration des perspectives d’emplois ambigus sur l’évolution du taux de chômage. En revanche, le dénominateur du taux d’emploi ne sera pas impacté par cet effet. La hausse des perspectives d’emploi améliorera le taux d’emploi si les emplois trouvent preneurs tandis que l’effet sur le taux de chômage est indéterminé.

En d’autres termes, il faut bien prendre garde de ne pas comparer le taux de chômage avec les taux précédents car le dénominateur n’est pas le même. Le taux de chômage et son évolution renseignent sur la capacité d’un pays à faire se rencontrer une offre de travail qui émane des individus avec la demande de travail qui émane des entreprises. L’adéquation entre cette offre et cette demande s’analyse sur le marché du travail qui est en quelques sortes le marché du salariat. Symétriquement, les entreprises à la recherche de main-d’œuvre seront dites offreuses d’emploi tandis que les salariés seront dits des demandeurs d’emplois. Ainsi, selon que l’on s’intéressera aux décisions individuelles des salariés ou plus spécifiquement aux conditions de travail offertes par les entreprises ainsi qu’aux institutions gouvernant la relation salariale (Code du Travail par exemple) on abordera respectivement le marché du travail ou celui de l’emploi.

La principale difficulté de l’analyse du marché du travail ou de celui de l’emploi repose sur la description complète du comportement des agents et aux interdépendances existantes entre les différentes sphères du marché du travail. Par exemple, une politique ciblée en faveur du retour à l’emploi n’affectera pas uniquement la population active mais peut également influencer le comportement de la population inactive. Ces interdépendances rendent les frontières du chômage mouvantes comme l’illustre le concept du halo du chômage.

1.3. Les frontières du chômage : le halo du chômage

Sur un plan analytique, la principale difficulté concerne les interdépendances existant entre les sphères de l’emploi, du chômage et de l’inactivité comme l’illustre le schéma ci-dessous.

Des personnes en emplois peuvent préférer réduire leur durée de travail pour des raisons personnelles et se trouver à cheval entre l’emploi et l’inactivité.

Des personnes en situation de chômage partiel vont subir une réduction involontaire de la durée du travail et se trouver à cheval entre l’emploi et le chômage.

Les chômeurs découragés qui vont cesser de chercher un emploi se trouvent à cheval entre le chômage et l’inactivité.

Enfin les travailleurs clandestins se trouvent au croisement de l’activité et l’inactivité, entre l’emploi, le chômage et l’inactivité.

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Ainsi, la mesure de l’efficacité des politiques favorisant le retour à l’emploi (voir Fiche 14) est rendue délicate car des individus peuvent se trouver à l’intersection de ces différentes sphères. Une partie de l’ambiguïté de l’évolution du taux de chômage évoquée précédemment résulte des individus à cheval entre l’inactivité et le chômage qui relèvent à la fois du numérateur et du dénominateur du taux de chômage. C’est ce que l’on nomme le halo du chômage. L’Insee estimait le nombre de ces individus à 1 391 000 soit près de 3,5% de la population en âge de travailler en 2015.

De nombreuses théories économiques ont été élaborées pour étudier le marché du travail. Elles se distinguent principalement au niveau des hypothèses effectuées sur le comportement des agents économiques. Elles ont alimenté et continuent d’alimenter de nombreux débats.

2. Les analyses du marché du travail et les liens entre formation des salaires et chômage

Les théories du marché du travail continuent d’alimenter des débats parmi les plus virulents de l’analyse économique. L’opposition traditionnelle entre les néoclassiques et les keynésiens s’est trouvée profondément renouvelée à la suite des chocs pétroliers des années 70 et le développement de la nouvelle microéconomie ainsi que la théorie des déséquilibres.

2.1. Les analyses néoclassiques

S’inscrivant dans la lignée des travaux d’Adam Smith, Léon Walras propose une analyse du marché du travail basée sur sa théorie de l’équilibre général. Selon Walras, en situation de concurrence pure et parfaite, l’équilibre entre l’offre et la demande sur le marché du travail définit un salaire réel d’équilibre. C’est l’ajustement de ce salaire qui garantit la rencontre entre l’offre de travail des salariés et la demande des entreprises. Dans cette approche, le chômage apparaît lorsque l’ajustement est entravé, par exemple lorsque les syndicats ou une mesure instaurant un salaire minimum prévient des ajustements à la baisse. Dans cette optique l’apparition du chômage ne peut qu’être volontaire. Le chômage résulte de la mise en place d’entraves à la flexibilité salariale. Cette théorie est relayée par des auteurs comme Arthur Cecil Pigou, Lionel Robbins et Jacques Rueff.

2.2. Les analyses keynésiennes

Dans ses travaux John Maynard Keynes s’oppose à cette vision. Pour Keynes, l’explication du chômage ne réside pas dans un manque de flexibilité salariale mais dans un manque de demande effective de la part des entreprises. A la suite de la crise de 1929, John Maynard Keynes considère que l’économie peut se trouver structurellement en situation de sous-emploi. Pour Keynes, l’offre de travail ne dépend pas du salaire réel mais du salaire nominal. Tant que l’économie est en situation de sous-emploi, les salaires nominaux ne s’ajusteront pas et resteront constants. En situation de plein-emploi, les salaires vont devenir flexibles à la hausse. John Maynard Keynes conteste l’idée selon laquelle la baisse des salaires pourrait permettre de relancer le marché du travail. En effet, pour lui, le principal moteur de la croissance repose sur la demande effective des entreprises qui repose sur les anticipations de profit des entrepreneurs. La baisse des salaires en réduisant le pouvoir d’achat des salariés réduit les débouchés et les perspectives de profit ce qui tend à réduire les anticipations de vente donc la demande effective. John Maynard Keynes préconise le recours à une intervention publique pour restaurer la demande effective et non un changement de la politique salariale.

La crise des années 70 a relancé le débat sur la détermination et la rigidité des salaires.

2.3. La nouvelle microéconomie du travail

Robert Solow est à l’origine d’une nouvelle théorie qui donne un fondement rationnel aux rigidités salariales : la théorie du salaire d’efficience. L’idée est de relier la productivité et le niveau du salaire réel. Dans ce sens, la rémunération récompense l’effort fourni par le salarié. Dans une certaine mesure, on retrouve les fondements néoclassiques de la détermination des salaires. La principale différence réside dans le cadre d’analyse retenu. En effet, la théorie du salaire d’efficience s’inscrit dans un cadre de concurrence imparfaite. Par exemple, l’employeur ne peut pas connaître avec certitude la productivité effective d’un futur employé. Dans ce sens, un risque moral existe. L’employé peut ne pas fournir le niveau de productivité exigé. Pour pallier ce risque, l’employeur peut proposer un salaire plus élevé que le salaire d’équilibre pour inciter un employé à fournir un niveau d’efficacité supérieur afin de conserver son emploi. En effet, en cas de perte d’emploi, la rémunération sur le marché sera inférieure à celle perçue par l’employé. Dans le même ordre d’idée, le salaire peut aussi jouer le rôle de signal. Les employeurs pourraient proposer des salaires plus élevés que les salaires d’équilibre concurrentiel afin d’attirer les travailleurs les plus productifs. Cette théorie du salaire d’efficience permet ainsi de comprendre pourquoi le salaire pourrait structurellement, être plus élevé que le salaire d’équilibre concurrentiel, ce qui serait à l’origine d’un chômage involontaire.

La théorie des contrats implicites fournit une explication alternative à la rigidité des salaires. L’idée est que les entreprises s’adapteraient aux évolutions conjoncturelles par les quantités en licenciant ou en embauchant de la main-d’œuvre et non à travers des variations de salaires. Dans ce sens, les salaires fluctueraient moins que les emplois. L’idée sous-jacente est que, pour les salariés, la constance salariale joue le rôle d’une assurance. Si en cas de phase haute de la conjoncture, le salaire ne suit pas l’évolution de la productivité, en phase basse, la rigidité des salaires à la baisse permet de conserver son pouvoir d’achat voire de l’augmenter par rapport aux personnes perdant leur emploi.

Assar Linbeck et Dennis Snower ont élaboré la théorie insider/outsider qui permet d’apporter une autre explication à l’écart entre le salaire concurrentiel et le salaire observé sur le marché du travail. L’idée est que l’embauche d’un salarié s’accompagne de coûts de formation, de coûts potentiels en cas de licenciement, etc. L’ampleur de ces coûts octroie des marges de négociation aux salariés qui leur permettent de demander un salaire plus élevé que le salaire concurrentiel. Les insiders se trouvent en situation monopolistique qui permet la stabilité de ce déséquilibre à l’origine du chômage. L’étude du déséquilibre a donné lieu à l’émergence d’un courant de recherche spécifique.

2.4. La théorie du déséquilibre

Robert Clower, Axel Leijonhufvud, Edmond Malinvaud et Jean-Pascal Benassy ont cherché à réaliser une synthèse entre les théories néoclassiques et keynésiennes. Ils étudient simultanément l’équilibre sur le marché des biens et le marché du travail. L’idée est que dans une économie à prix fixes, les conséquences d’un déséquilibre sur un marché se reporteront sur les autres marchés. Un chômeur réduira sa consommation de biens et services par exemple. Lorsque l’offre de biens est inférieure à la demande de biens et que simultanément l’offre de travail est supérieure à la demande de travail, on se retrouvera en situation de chômage classique. Si, dans les mêmes circonstances, c’est la demande de biens qui est supérieure à l’offre de biens, le chômage sera keynésien. Des changements institutionnels et/ou conjoncturels peuvent entraîner le passage d’un type de chômage à un autre. Le rôle des institutions économiques et sociales est donc primordial pour analyser les situations sur le marché du travail.

3. Les institutions économiques et sociales et les obstacles au plein emploi

Ces analyses ont donné lieu à de nombreux débats portant notamment sur le contrôle des coûts salariaux (utilité et efficacité de la « norme salariale », de l’indexation automatique des salaires, des négociations sectorielles,…) et non salariaux (réductions des cotisations patronales de sécurité sociale linéaires ou ciblées, par exemple, sur les travailleurs peu qualifiés) ou encore sur le degré (suffisant ou non) de flexibilité du marché du travail. Elles ont permis d’affiner la compréhension du chômage et de ses moteurs.

3.1. Les imperfections d’information et le chômage frictionnel

L’approche néoclassique considère que toute entrave au libre-jeu des marchés générera un déséquilibre à l’origine d’un chômage. Des auteurs ont repris cet argument dans le cadre de la nouvelle microéconomie. Ainsi, George Stigler considère une situation où l’information sur le marché du travail est imparfaite. Le demandeur d’emploi va alors passer du temps afin d’acquérir de l’information sur la qualité des opportunités d’emplois sur le marché. Il restera volontairement au chômage le temps de trouver l’emploi adéquat. Cette théorie est connue sous le nom de théorie du Job Search. George Stigler critique ici implicitement l’indemnisation du chômage qui permet aux chercheurs d’emplois de rester plus longtemps en période de recherche. Le chômage décrit par Stigler correspond à une période de prospection, on parle alors de chômage frictionnel qui résulte des imperfections informationnelles sur le marché du travail.

3.2. Le chômage naturel

Une autre catégorie d’imperfections institutionnelles résulte dans l’existence d’une inadéquation entre les compétences des demandeurs d’emplois et les compétences demandées par les entreprises. Des jeunes diplômés pourraient ne pas trouver d’emplois correspondant à leur niveau de qualification. Milton Friedman parle de chômage structurel pour qualifier cette inadéquation. L’étude des modalités d’appariement entre les demandeurs d’emplois et les offreurs fait l’objet d’un courant de recherche fécond à travers les théories du matching et des auteurs comme Peter Diamond, Dale Mortensen et Christopher Pissarides qui ont obtenu le prix Nobel d’économie en 2010. L’addition du chômage frictionnel et du chômage structurel détermine un taux de chômage que Milton Friedman qualifie de naturel. Le taux de chômage effectif gravite autour du taux de chômage naturel. Un débat autour de la notion de chômage naturel s’est engagé avec des auteurs néokeynésiens qui ont montré qu’il pouvait exister plusieurs niveaux de chômage naturel.

3.3. L’hystérèse

Cette théorie a été développée par Olivier Blanchard et Lawrence Summers. L’idée de ces deux auteurs est que différents phénomènes peuvent entraîner des points de non-retours à l’image des effets de cliquet. Par exemple, les chômeurs de longue durée peuvent voir leur capital humain se déprécier les empêchant de pouvoir retrouver un emploi. Ce déclassement du capital humain conduit à une inemployabilité si on ne restaure pas leur capital par des politiques de formations appropriées. Une phase de récession où les entreprises n’investiraient plus pourrait également engendrer le même résultat. En effet, la réduction de l’investissement associée au déclassement du capital (voir Fiche 6) peut conduire à une impossibilité de renouveler le capital productif et donc les capacités de financer de nouveaux emplois. Pour qualifier ce phénomène, Blanchard et Summers parlent d’effet d’hystérèse. L’effet d’hystérèse signifie que le niveau de chômage observé aujourd’hui résulte de la trajectoire passée du chômage. Dans ce sens, les politiques de l’emploi peuvent avoir un effet pérenne sur le chômage et nécessite d’être élaborées et mises en œuvre de manière très fine.

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