Le marché intérieur. La libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux.

Modifié par Julien Lenoir le 27 septembre 2018

Par BAUBY Pierre, président de RAP (Reconstruire l’action publique), membre du Conseil scientifique d’Europa et Mihaela M. Similie (Popa) , chercheur
Dernière mise à jour : janvier 2017

1. Les origines

Le traité de Rome de 1957 a engagé la construction de la Communauté économique européenne, sur la base de la création d’un « marché commun ». Les articles 2 et 3 en soulignaient les objectifs et les moyens.

Article 2 TCEE (Traité de Rome)

La Communauté a pour mission, par l'établissement d'un marché commun et par le rapprochement progressif des politiques économiques des États membres, de promouvoir un développement harmonieux des activités économiques dans l'ensemble de la Communauté, une expansion continue et équilibrée, une stabilité accrue, un relèvement accéléré du niveau de vie et des relations plus étroites entre les États qu'elle réunit.

Article 3 TCEE (Traité de Rome)

Aux fins énoncées à l'article précédent, l'action de la Communauté comporte, dans les conditions et selon les rythmes prévus par le présent traité :

a) l'élimination, entre les États membres, des droits de douane et des restrictions quantitatives à l'entrée et à la sortie des marchandises, ainsi que de toutes autres mesures d'effet équivalent,

b) l'établissement d'un tarif douanier commun et d'une politique commerciale commune envers les États tiers,

c) l'abolition, entre les États membres, des obstacles à la libre circulation des personnes, des services et des capitaux,

d) l'instauration d'une politique commune dans le domaine de l'agriculture,

e) l'instauration d'une politique commune dans le domaine des transports,

f) l'établissement d'un régime assurant que la concurrence n'est pas faussée dans le marché commun,

g) l'application de procédures permettant de coordonner les politiques économiques des États membres et de parer aux déséquilibres dans leurs balances des paiements,

h) le rapprochement des législations nationales dans la mesure nécessaire au fonctionnement du marché commun,

i) la création d'un Fonds social européen, en vue d'améliorer les possibilités d'emploi des travailleurs et de contribuer au relèvement de leur niveau de vie,

j) l'institution d'une Banque européenne d'investissement, destinée à faciliter l'expansion économique de la Communauté par la création de ressources nouvelles,

k) l'association des pays et territoires d'outre-mer, en vue d'accroître les échanges et de poursuivre en commun l'effort de développement économique et social.

Si l’abolition des obstacles à la libre circulation des personnes, des services et des capitaux figure explicitement, l’accent a d’abord été mis sur la libre circulation des marchandises par l’élimination des droits de douane et des différentes restrictions aux échanges (quantitatives et « toute autres mesures d’effet équivalent »). Elle sera conduite en trois étapes successives de quatre ans avant la fin de l’année 1969 (la suppression des droits de douane a été réalisée en 1968).

L’institution du marché commun a été accompagnée de la création d’une union douanière pour protéger la zone communautaire de libre circulation par l’établissement d’un tarif extérieur commun pour les produits provenant des pays tiers et d’une politique commerciale commune, ainsi que de la mise en place d’autres politiques communes (de transport, de l’agriculture) et de règles communes de concurrence.

L’expression « marché intérieur » ne viendra qu’avec l’Acte unique de 1986, traité dont l’adoption a été précédée par le « Livre blanc sur l’achèvement du marché intérieur », présenté en juin 1985 par la Commission européenne présidée par Jacques Delors. Défini comme « espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux », il a été établi progressivement par l’adoption de près de 300 mesures avant le 31 décembre 1992. Ces mesures ont visé notamment à éliminer les barrières à la libre circulation, y compris les autres barrières instituées par les Etats membres : physiques (contrôle aux frontières des marchandises et personnes), techniques (instituées par les réglementations nationales) et fiscales (harmonisation de la fiscalité indirecte par le rapprochement des taux de TVA - Directive 92/77/CEE, création d’un régime commun des droits d’accise – directive 92/12/CEE ; et, à titre exceptionnel, mesures concernant la fiscalité directe - Directives 90/434/CEE et 90/435/CEE). Pour faciliter ce processus, l’Acte unique a étendu la procédure législative à majorité qualifiée au sein du Conseil, à l’exception de la fiscalité et de la libre circulation des personnes, qui restaient soumises à l’unanimité.

La libéralisation des mouvements des capitaux a été réalisée dès le 1er juillet 1990 (Directive 88/361/CEE) et la suppression des contrôles aux frontières de la circulation des marchandises a été réalisée le 1er janvier 1993. Cet espace sans frontières est appelé « marché unique ».

La « réalisation du marché intérieur », son « achèvement », prendront beaucoup plus de temps que ce que prévoyait l’Acte unique, puisque dans toute une série de secteurs il est encore en cours.

2. Les objectifs

Le « marché intérieur » est aujourd’hui le premier Titre de la troisième partie du TFUE consacrée aux politiques et actions internes de l’Union. L’article 26 en définit les objectifs :

TROISIÈME PARTIE TFUE - LES POLITIQUES ET ACTIONS INTERNES DE L'UNION TITRE I LE MARCHÉ INTÉRIEUR 

Article 26

1. L'Union adopte les mesures destinées à établir ou assurer le fonctionnement du marché intérieur, conformément aux dispositions pertinentes des traités.

2. Le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée selon les dispositions des traités.

3. Le Conseil, sur proposition de la Commission, définit les orientations et conditions nécessaires pour assurer un progrès équilibré dans l'ensemble des secteurs concernés.

Le marché intérieur vise à mettre en œuvre les quatre libertés de circulation, des personnes, des marchandises, des services et des capitaux, qualifiées de « libertés fondamentales » par la Cour de justice (Aff. C-112/00, arrêt du 22 juin 2003).

3. La situation actuelle et les principaux moyens d’action

Aujourd’hui, le traité de Lisbonne commence sa troisième partie consacrée aux politiques et actions internes de l’UE par un titre consacré au marché intérieur (art.26 et 27 TFUE).

Il rappelle l’objectif d’un « espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée ». Chacune des quatre libertés de circulation fait ensuite l’objet d’un titre : Titre II sur la libre circulation des marchandises (art 28 à 37) ; Titre IV sur la libre circulation des personnes (art. 45 à 55), des services (art. 56 à 62) et des capitaux (art. 63 à 66).

Dans chaque domaine, le traité définit des orientations et principes, qui ont fait l’objet de toute une série de déclinaisons dans le droit dérivé transverse ou sectoriel (directives, règlements, décisions) et que la jurisprudence de la Cour de Justice a été amenée à interpréter ou préciser sur la base des contentieux qui lui ont été soumis.

Il n’est évidemment pas possible, dans le cadre de ce document, de présenter, ni même de résumer l’ensemble des dispositions qui ont été progressivement élaborées pour structurer le marché intérieur, ou plus précisément chacun des marchés intérieurs, avec ses spécificités. Nous nous limiterons à rappeler des principes généraux dans chacun des domaines, même si le traité prévoit une série d’exemptions ou de dérogations possibles.

3.1. La libre circulation des marchandises

La libre circulation des marchandises implique la commercialisation libre des produits d’une partie de l’Union vers une autre.

Cette liberté est garantie par l’interdiction de principe des restrictions aux échanges :

  • interdiction des droits de douane à l'importation et à l'exportation et des mesures d’effet équivalent aux droits de douane (art. 30 TFUE),
  • interdiction des restrictions quantitatives et des mesures d’effet équivalent aux restrictions quantitatives (art. 34 TFUE).

Les mesures d’effet équivalent aux droits de douane ont été définies par la jurisprudence européenne comme une charge pécuniaire nationale ou étrangère imposée à une marchandise en raison de son franchissement d’une frontière. Aucune justification d’intérêt général ne saurait autoriser le maintien de telles mesures dans le territoire de l’union douanière, qui comprend, outre les Etats membre, les départements d’outre-mer français, ainsi que la Norvège, l’Islande, le Lichtenstein, la Turquie, Monaco, Saint-Marin. Elle ne comprend pas les collectivités françaises d’outre-mer, la Suisse, les îles anglo-normandes.

Selon la jurisprudence communautaire, les mesures d’effet équivalent aux restrictions quantitatives peuvent être de plusieurs ordres.

La jurisprudence historique de la CJCE a notamment distingué :

  • des réglementations nationales susceptibles de constituer une entrave directe ou indirecte aux échanges (arrêt CJCE du 11 juillet 1974, 8/74, Dassonville, qui définit les mesures d’effet équivalent comme « toute réglementation commerciale des Etats membres susceptible d’entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire »),
  • des mesures techniques, sanitaires, vétérinaires ou non réglementaires, y compris l’inaction de l’Etat, imposant aux marchandises des conditions ou des contrôles qui ne peuvent pas être justifiés par une « exigence impérative d’intérêt général » (arrêt CJCE du 20 février 1979, 120/78, Cassis de Dijon, qui a posé aussi les principes d’équivalence et de reconnaissance mutuelle qui s’appliquent aux produits qui n’ont pas fait l’objet d’une harmonisation européenne – voir aussi CJCE du 12 novembre 1998, C-102/96). Ces exigences d’intérêt général peuvent concerner la protection de la santé humaine, la protection des consommateurs, l’efficacité des contrôles fiscaux, la protection des droits fondamentaux, etc. Contrairement aux dispositions de l’art. 36 TFUE (ci-après), ces considérations n’ont pas un caractère exhaustif, mais sont d’interprétation stricte. Pour être licite, la mesure doit être nécessaire par rapport à l’intérêt général poursuivi, proportionnelle et être la moins restrictive pour atteindre l’objectif d’intérêt général (nécessité, proportionnalité, substitution).

La jurisprudence C-267-268/91, Keck et Mithouard, du 24 novembre 1993 a précisé et réorienté la jurisprudence communautaire pour distinguer :

  • des mesures fixant des conditions (règles de conditionnement) remplies par les produits (dénomination, forme, dimensions, poids, composition, présentation, étiquetage, conditionnement) - qui peuvent constituer des entraves aux échanges, même si leur application se fait sans discrimination entre les produits nationaux et importés,
  • des mesures aux modalités de vente des produits (monopole des pharmacies pour la vente de certains produits, restrictions à la vente ambulante, etc.), qui sont licites et ne constituent pas des entraves aux échanges s’ils poursuivent un objectif d’intérêt général et s’appliquent à tous les opérateurs sur le territoire national, sans discrimination entre les produits nationaux et importés.

En 2009, la jurisprudence dite des ‘remorques italiennes’ (C-110/05) a complété la jurisprudence antérieure pour assimiler aux mesures d’effet équivalent aux restrictions quantitatives toute mesure qui aurait pour effet d’entraver l’accès au marché des produits provenant d’autres Etats membres : des règlementations relatives aux modalités de vente ou concernant les modalités d’utilisation des produits.

Le traité prévoit la possibilité pour les Etats membres de décider, sous le contrôle potentiel de la CJUE, des dérogations aux « interdictions ou restrictions d'importation, d'exportation ou de transit » à condition qu’elles soient « justifiées par des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ou de protection de la propriété industrielle et commerciale » et qu’ils ne constituent pas un « moyen de discrimination arbitraire » ou une « restriction déguisée » dans le commerce entre les États membres (art. 36 TFUE) et à condition, selon la CJUE, que la matière n’ait pas fait l’objet d’harmonisation/rapprochement communautaire. Ces dérogations ont un caractère exhaustif et sont d’interprétation stricte.

Les États membres aménagent les monopoles nationaux présentant un caractère commercial, de telle façon que soit assurée, dans les conditions d’approvisionnement et de débouchés, l’exclusion de toute discrimination entre les ressortissants des États membres.

Dans certains secteurs, le principe général de restrictions à la libre circulation a été progressivement complété par un cadre normatif harmonisé qui impose des spécifications précises ou des exigences générales techniques et sanitaires. Ce cadre normatif constitue la plus grande partie de la législation européenne en matière de libre circulation des marchandises, sans toutefois constituer un préalable à la libéralisation des échanges. Le traité prévoit deux bases juridiques pour l’adoption des mesures d’harmonisation/rapprochement : l’article 114 TFUE (introduit par l’Acte unique), qui intervient à titre subsidiaire et implique la procédure législative ordinaire entre le Parlement et le Conseil, et l’article 115 TFUE (existant depuis le traité de Rome), qui constitue la base juridique générale impliquant la procédure législative spéciale à l’unanimité du Conseil après consultation du Parlement.

Dans les cas où des mesures d’harmonisation n’ont pas été instaurées, c’est le principe de la reconnaissance mutuelle qui s’applique. Pour une application transparente de ce principe, le Règlement 764/2008 établit des procédures destinées à encadrer le contrôle, par les autorités des États membres, de la conformité aux règles techniques nationales des produits non couverts par les règles communautaires harmonisées (il a abrogé une décision en la matière adoptée en 1995).

Au fil du temps, les approches d’harmonisation se sont multipliées (harmonisation totale, partielle, optionnelle et à minimum) et leur poids a évolué, avec une réduction de l’harmonisation totale (qui se substitue aux règles nationales et fixe en détail les règles techniques par produit ou classe de produit, empêchant les Etats membres de déroger, y compris pour des raisons d’intérêt général) en faveur de l’harmonisation à minimum (qui fixe des exigences essentielles plutôt en termes de résultats à atteindre que d’obligations de moyens, les spécifications techniques - normes techniques/industrielles - étant adoptées par les organismes européens de normalisation : le Comité européen de normalisation créé en 1961, à vocation générale ; le CENELEC, créé en 1962 pour le domaine électrotechnique et l’Institut européen de normalisation des télécommunications, créé en 1988 ; les Etats membres restent libre de fixer des mesures plus exigeantes).

Des mesures horizontales et procédurales dans les domaines concernant la standardisation, l’évaluation de la conformité, l’accréditation, la métrologie et la surveillance du marché sont également prévues.

3.2. La libre circulation des personnes

En 1957, la liberté de circulation (de sortir des et d’entrer dans les Etats membres) a concerné seulement les personnes ayant la qualité de travailleur, l’objectif étant de faciliter l’allocation de la main d’ouvre dans le marché commun, ainsi que de favoriser le rapprochement des individus et des peuples.

La libre circulation des travailleurs comporte d’abord le droit de travailler dans un autre Etat membre et d’être traité de la même manière que les travailleurs nationaux en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail (sociales, avantages fiscaux, etc.). Elle implique l’abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres. Dans ce cadre, un mécanisme de coordination des dispositions de sécurité sociale pour les personnes assurées et les membres de leur famille qui se déplacent dans un autre Etat membre a été prévu (Règlement 883/2004). Une directive spécifique régit le détachement des travailleurs dans l’UE dans le cadre d’une prestation de services (directive 96/71/CE, en cours de révision).

Cette liberté comporte également le droit de répondre à des emplois effectivement offerts, de se déplacer à cet effet librement sur le territoire des États membres, de séjourner dans un des États membres afin d’y exercer un emploi (sous réserve de limitations d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, cf. art 45§3 TFUE), de demeurer sur le territoire d'un État membre, après y avoir occupé un emploi (Règlement 492/2011).

Au fil du temps, la jurisprudence communautaire, puis le droit positif, ont étendu le droit de séjour à des catégories de ressortissants communautaires n’exerçant pas des activités économiques (étudiants, retraités). La Directive 2004/1938/CE relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres a posé un cadre général intégrant les dispositions sectorielles et la jurisprudence européenne. Elle confère à tout citoyen européen un droit absolu de séjour de moins de trois mois sur simple présentation d’une carte nationale d’identité ou de passeport valide ; le défaut de ces documents peut être sanctionné mais dans les mêmes conditions que pour un national ; l’exigence de tout visa ou formalité équivalente est exclue. Le droit de séjour entre trois mois et cinq ans est ouvert aux personnes exerçant une activité économique et aux personnes n’exerçant pas d’activité économique mais disposant de ressources suffisantes et d’une couverture assurance-maladie. Après cinq ans de résidence régulière et continue dans un Etat membre tout citoyen européen bénéficie sans conditions de ressources d’un droit de séjour permanent et du bénéfice d’égalité de traitement avec les nationaux pour ce qui concerne l’accès à l’emploi, au logement, aux prestations sociales, à la formation professionnelle. Les Etats membres peuvent apporter des restrictions à ces libertés seulement pour des raisons d’ordre public sous le contrôle possible du juge communautaire. En pratique, le nombre de citoyens européens qui réside dans un autre Etat membre demeure assez faible (moins de 3% de la population de l’Union). Les ressortissants des pays tiers sont soumis, dans certains cas, aux règles spécifiques de cette directive. Sinon, ils peuvent être concernés par des conventions conclues par l’Union (par exemple, avec les pays de l’EEE), par la directive 2003/109 pour les résidents de longue durée, par l’acquis de Schengen, etc.

Les dispositions du traité concernant la liberté de circulation des travailleurs ne sont pas applicables aux « emplois dans l'administration publique ». La CJUE (Affaires 149/79, Commission c/ Belgique du 17 décembre 1980 , C-290/94, Commission des communautés européennes c/ République hellénique du 2 juillet 1996) a toutefois interprété que la notion d’administration publique ne peut pas faire échec à l’application des règles communautaires en matière de libre circulation des travailleurs et a préconisé de réserver l’exception aux seuls emplois comportant une participation à l’exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l’État.

3.3. La libre circulation des services et le droit d’établissement

Ce principe implique le droit pour les citoyens et les personnes morales de l’UE de s’établir dans tout Etat membre et de fournir des services transfrontaliers. Le traité distingue entre droit d’établissement et liberté de prestation des services.

Sont considérées comme services les prestations fournies normalement contre rémunération, dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes (art. 57 TFUE). La liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice (professions libérales, artisanat), ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises. Pour définir le régime applicable (la liberté d’établissement ou la liberté de prestation de services), la jurisprudence européenne distingue comme critère déterminant du droit d’établissement, le caractère stable, durable, continu de l’installation, et pour la prestation de service le caractère temporaire, transfrontalier.

Afin de faciliter l'accès à certaines activités non salariées et leur exercice, ont été adoptées des directives visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres (directive 2005/36/CE), ainsi qu'à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres concernant l'accès à certaines activités non salariées et à l'exercice de celles-ci (art. 53 TFUE). Pour certaines professions réglementées, la législation européenne a harmonisé un curriculum de formation minimum permettant la reconnaissance automatique des qualifications dans les autres Etats membres. Pour les professions qui ne font pas l’objet de mesures d’harmonisation entre Etats membres (dentistes, chirurgiens, sages-femmes, vétérinaires, etc.), peut s’appliquer le système plus complexe et moins facile de reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles, entre pays et par profession (pour les professions réglementées voir la Directive 2005/36/CE).

Les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation (art. 56 TFUE). Les restrictions au droit d’établissement sont également interdites (art. 49 TFUE). Les exceptions sont prévues par le traité et concernent, d’une part, les activités participant à l’exercice de l’autorité publique (art. 51 TFUE) et, d’autre part, celles établies par les Etats membres pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique (art. 52 TFUE). La jurisprudence européenne a admis d’autres dérogations pour des raisons impérieuses d’intérêt général (par exemple, la connaissance de la langue du pays d’accueil pour exercer certaines professions), si elles s’appliquent de manière non discriminatoire, permettent de garantir la réalisation et l’objectif impérieux d’intérêt général poursuivi et sont proportionnées à cet objectif (nécessité, proportionnalité, substitution – CJCE, C-55/94, Gebhard, 30 novembre 1995 ; CJCE, 279/80, Webb, 17 décembre 1981).

Le traité prévoit l’adoption des directives pour la réalisation de ces libertés. Depuis le traité de Lisbonne elles sont adoptées selon la procédure législative ordinaire (art. 50 et 59 TFUE). Pour réaliser la libéralisation d’un service déterminé, des directives portent, en général et par priorité sur les services qui interviennent d’une façon directe dans les coûts de production ou dont la libéralisation contribue à faciliter les échanges de marchandises. Les États membres peuvent procéder à la libéralisation des services au-delà de la mesure qui est obligatoire en vertu des directives.

Cette problématique a été progressivement mise en œuvre dans les réseaux de service public, comme le montrent les exemples contrastés des télécommunications et des services postaux.

Les télécommunications ont été, depuis les années 1980, le secteur pilote, puis la référence en matière de libéralisation des services publics. C’est un secteur qui est marqué par des mutations technologiques fortes et continues. Le « marché intérieur des télécommunications » a été défini en plusieurs étapes, en adoptant des règles visant à éliminer les obstacles aux échanges, à promouvoir la concurrence et la protection des consommateursIl s’accompagne de la définition d’un service universel : « ensemble minimal des services d’une qualité spécifiée accessible à tous les utilisateurs finals, à un prix abordable compte tenu des conditions nationales spécifiques, sans distorsion de concurrence ». En dehors des obligations de service universel définies au plan européen, la « stratégie numérique pour l’Europe » définie dans le cadre des priorités de la stratégie Europe 2020 vise à garantir à tous les citoyens européens l’accès au haut débit rapide et ultra-rapide d’ici 2020 pour au moins 50% des ménages européens.

Les services postaux ont été ouverts à une concurrence régulée, avec un service universel garanti. Les textes européens comportent une définition ambitieuse du « service universel » garanti à chaque habitant de l’UE au plan communautaire. La directive 2008/6/CE oblige les États membres à prendre des mesures pour que le service universel comprenne en tout point du territoire européen, au moins cinq jours ouvrables par semaine, sauf circonstances ou conditions géographiques exceptionnelles, au minimum les prestations suivantes : la levée, le tri, le transport et la distribution au domicile de chaque personne physique ou morale ou, par dérogation, dans des conditions déterminées par l’autorité réglementaire nationale dans des installations appropriées, la levée, le tri, le transport et la distribution des envois postaux jusqu’à 2 kilogrammes, des colis postaux jusqu’à 10 kilogrammes (pouvant être étendu à 20 kg), les services relatifs aux envois recommandés et aux envois à valeur déclarée. Le service universel peut également comporter la gratuité pour les aveugles et la possibilité de définir un plan de présence postale, afin de tenir compte « des besoins des utilisateurs ».

La directive permet également de : définir des normes de qualité de service ; garantir des voies de recours, de règlement des litiges et d’indemnisation pour les utilisateurs ; désigner un opérateur comme prestataire du service universel ; garantir les « exigences essentielles », y compris le respect des conditions de travail et des régimes de Sécurité sociale, le respect des conventions collectives, la protection de l’environnement, l’aménagement du territoire ; garantir un service identique pour les utilisateurs dans des conditions comparables et mettre en place des dispositifs précis d’évolution en fonction de l’environnement technique, économique et social, ainsi que des besoins des utilisateurs ; décider d’un tarif unique sur tout le territoire national pour chacun des services faisant partie du service universel et garantir qu’il soit abordable pour tous les utilisateurs.

D’autres secteurs de services publics ont été également soumis à un processus progressif de libéralisation dans le cadre de la réalisation du marché intérieur : les services d’électricité et de gaz naturel, les services de transport, les services financiers (banques, organismes de crédits, assurances) et d’investissements (directive 2003/6/CE). Ils ont fait l’objet de règles particulières à chaque secteur, compte tenu de ses spécificités.

Dans le domaine des marchés publics, une législation européenne générale et sectorielle a été progressivement adoptée pour la coordination des procédures d’octroi de marchés publics de travaux, de fournitures et de services qui dépassent un certain seuil.

La Directive services 2006/31/CE (dite ‘Bolkestein’) a instauré un régime transversal de procédures administratives visant l’abolition des barrières à la libre circulation et fourniture de nombreux secteurs de services qui n’ont pas fait l’objet de mesures d’harmonisation sectorielle. En même temps, des secteurs importants sont exclus de son champ, notamment de services non économiques d’intérêt général. Proposée par la Commission européenne en 2004, le processus de son adoption a fait l’objet de nombreuses controverses tenant notamment à la proposition législative initiale qui visait à promouvoir le principe du pays d’origine (application des règles et normes du pays d’origine dans le pays d’accueil). Dans sa version finale, la Directive n’a pas repris le principe du pays d’origine et a adopté une l’approche visant à enlever les barrières à l’entrée sur le marché afin de garantir la liberté de prestation de services. Ainsi, des conditions tenant à la nationalité de l’opérateur, des conditions de réciprocité, l’obligation pour l’opérateur d’avoir un établissement sur le territoire de l’Etat membre, etc., ne peuvent plus être invoqués par les Etats membres et faire obstacle à la libre circulation des services. Les Etats membres peuvent déroger à ce principe seulement pour des raisons liées à l’ordre public, à la sécurité publique, à la santé publique et à la protection de l’environnement. D’autre part, le texte vise à simplifier les formalités administratives et à améliorer l’accès des prestataires à l’information. La Directive a été adoptée en 2006 avec un délai de transposition avant la fin de l’année 2009. Selon la Commission européenne [COM (2011) 20], le processus de transposition a conduit à la modification de plus d’un millier d’actes législatifs dans les Etats membres.

3.4. La libre circulation des capitaux

La libre circulation des capitaux implique, avec quelques exceptions, l’élimination des restrictions aux mouvements de capitaux proprement dits et aux paiements dans l’UE et entre les Etats membres et les pays tiers (art. 63-66 TFUE). Mais, cela ne porte pas atteinte « au droit qu’ont les États membres a) d'appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis ; de prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale ou en matière de contrôle prudentiel des établissements financiers, de prévoir des procédures de déclaration des mouvements de capitaux à des fins d'information administrative ou statistique ou de prendre des mesures justifiées par des motifs liés à l'ordre public ou à la sécurité publique » (art. 65§1 TFUE).

La directive 88/361/CEE a dressé une liste des principales opérations concernées par la libéralisation des échanges de capitaux : investissements directs (acquisition, création, extension d’entreprises), investissements immobiliers, opérations sur titres bancaires, prêts, etc.

La législation européenne prévoit également des règles concernant les paiements transfrontaliers (notamment la constitution de l’espace de paiements en euros – SEPA) et l’exécution des ordres de transfert des valeurs mobiliers (directives sur les marchés des instruments financiers – directive 2004/39/CE et, à partir de 2018, directive 2014/65/UE).

Le règlement 1889/2005 sur la lutte contre le blanchiment de capitaux oblige toute personne physique qui entre ou sort de l’Union européenne (UE) avec au moins 10 000 euros en argent liquide à déclarer cette somme auprès des autorités compétentes des pays de l’UE et la 4ème directive (2015/849) de l’UE sur le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme exige des banques et des autres opérateurs économiques l’identification des clients et la communication de certaines transactions, notamment en cas de valeurs et transactions élevées.

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