Le rôle des banques centrales : les liquidités, les taux d’intérêt, l’inflation, la déflation et la coordination internationale

Modifié par Julien Lenoir le 27 septembre 2018

Par Philippe Frouté : Maître de conférence des Universités

Dernière mise à jour: mars 2018

Dans son ouvrage, Les politiques monétaires dans la tempête, paru en 2014, Philippe d’Arvisenet retrace l’évolution des politiques monétaires depuis les années 1970. Le défi posé aux politiques monétaires durant les années 1970 a été de faire face à la fin du système monétaire international issu des accords de Bretton Woods de 1945. Durant ces années, on a en effet assisté à un contexte d’effondrement de la croissance puis sa stagnation associé à l’abandon du système des parités fixes entre les monnaies ainsi qu’à la monétisation de l’or. L’autre caractéristique principale de cette période est la montée de l’inflation. Philippe d’Arvisenet utilise le terme de Grande Inflation pour la caractériser. Michel Pébereau relève que l’abandon des parités fixes transforme la politique monétaire. En effet, il devient nécessaire d’asseoir la confiance des agents dans la valeur des monnaies qui n’ont plus d’ancrage. Le strict contrôle de l’inflation devient nécessaire et s’accompagne de ce qu’il qualifie « d’explosion des activités financières et de la mondialisation ». La réussite des programmes de contrôle de l’inflation va engendrer l’apparition d’une période de Grande Modération où l’inflation est maitrisée et où les marchés se développent pour financer l’économie aux côtés de l’intermédiation bancaire (voir Fiche 9). Si l’essor de ces activités favorise la croissance économique mondiale, il s’accompagne également d’une montée de l’endettement des agents économiques et d’une certaine sous-estimation des risques associés qui a débouché sur la crise de 2007-2009 (voir Fiche 11). Dans une première section, nous allons présenter les mécanismes qui ont permis de quitter la Grande Inflation pour entrer dans la période de la Grande Modération (section 1). Nous présenterons ensuite les limites de ces mécanismes qui ont permis l’apparition de la crise financière de 2007-2009 (section 2). Nous terminerons par un survol rapide des mesures mises en place pour pallier les défauts relevés précédemment en insistant sur la nécessaire coordination internationale des politiques monétaires (section 3).

1 De la Grande Inflation à la Grande Modération

La maîtrise de l’inflation des années 1970 résulte principalement de trois éléments : la sortie de la boucle salaire-prix (1.1), la maîtrise des liquidités présente sur les marchés (1.2) et la mise en place de politiques monétaires de ciblage de l’inflation (1.3).

1.1 La boucle salaire-prix

En 1973, suite à la guerre du Kippour, le cartel de l’OPEP multiplie par trois le prix du baril de pétrole qui atteint plus de 12 dollars en 1974. Dans le même temps, l’inflation passe d’une moyenne de 3,3% dans les pays de l’OCDE dans les années 1960 à 9% dans les années 1970. Le chômage s’accroît et la croissance s’effondre (0,5% dans l’ensemble de l’OCDE en 1975). Dans des pays comme la France, on assiste à l’enclenchement d’une boucle salaire-prix qui gonfle l’inflation sans générer de croissance. C’est la stagflation. Les principaux mécanismes passent par l’indexation des salaires sur les prix. Ainsi, face au choc d’offre négatif engendré par la hausse des prix du pétrole, les entreprises vont chercher à restaurer leurs marges en augmentant leur prix. Cette inflation génère mécaniquement une hausse des salaires indexés qui accroît d’autant les coûts de production, s’ensuit une nouvelle hausse des prix pour restaurer les marges qui génère une nouvelle hausse des salaires etc.

Pour résorber l’inflation et dénouer la boucle salaire-prix, deux séries de mesure ont été prises :

1. Au début des années 1980, de nombreux pays ont assouplis ou supprimés l’indexation des salaires avec les prix (France et Danemark en 1983 par exemple).

2. Les principales Banques centrales ont menées des politiques restrictives afin de contrôler les liquidités.

1.2 Le contrôle des liquidités

Le contrôle du niveau des liquidités est une des missions principales des Banques centrales. Nous avons vu dans la fiche précédente que des débats existaient au niveau de la nature des déterminants de la demande de liquidité. Là où elle relève principalement d’un motif de transaction pour les classiques, les keynésiens introduisent la notion d’arbitrages relatifs à l’incertitude au niveau des rendements futurs des différents actifs. La demande de liquidité dépend dans cette optique d’un motif de spéculation (voir Fiche 9). La liquidité se comprend comme étant une demande de détention de monnaie sous ses différentes formes qui constituent la masse monétaire.

On peut définir de façon classique la masse monétaire comme la somme de la monnaie fiduciaire (pièces et billets) et des dépôts réalisés auprès des établissements bancaires. Lorsqu’elles enregistrent des dépôts, les banques doivent constituer des réserves auprès de la Banque centrale. Ce sont les réserves obligatoires. A ces réserves obligatoires, on peut ajouter les réserves excédentaires qui sont des réserves placées auprès de la Banque centrale librement par les banques pour pouvoir faire face à des retraits non anticipés de monnaie fiduciaire de la part de leurs clients. Ainsi, l’ensemble des réserves des établissements bancaires est constitué des réserves obligatoires et des réserves excédentaires. Les réserves des banques et la monnaie fiduciaire constitue la base monétaire. On peut exprimer la masse monétaire comme une fonction de la base monétaire. Il est ainsi théoriquement possible de contrôler les liquidités disponibles dans une économie en contrôlant la base monétaire. C’est le jeu du multiplicateur monétaire.

L’idée est, d’une part, de contrôler la production de monnaie fiduciaire qui est du ressort direct de la Banque centrale, et d’autre part, d’encadrer la constitution des réserves des établissements de crédit soit directement par des politiques prudentielles (fixation du taux obligatoire de réserve) soit indirectement en modifiant les prix relatifs des différents actifs et en influençant ainsi la constitution de réserves excédentaires de la part des établissements de crédit. Ainsi, le montant de la masse monétaire résulte du jeu du multiplicateur monétaire. Dans ce cadre, en tenant compte de la demande de monnaie, c’est l’offre de monnaie encadrée par la Banque centrale qui détermine le taux d’intérêt qui équilibre l’offre et la demande.

Toutefois, ce cadre n’est que théorique. Comme le relève Philippe d’Arvisenet « dans la pratique, les banques centrales utilisent l’instrument des taux, elles fixent un taux directeur et ajustent le taux court du marché monétaire au plus près ». En d’autres termes, ce sont les établissements bancaires à travers la demande de réserves qui vont conditionner l’équilibre final. En effet, c’est l’offre qui s’ajuste et non pas le niveau des taux d’intérêts. Dans ce cadre, c’est la masse monétaire qui est endogène. Les crédits et les dépôts évoluent dans le temps en fonction du taux d’intérêt, de la croissance et du niveau général des prix.

Ainsi, pour lutter contre l’inflation de la fin des années 1970, Paul Volker a fait passer les taux d’intérêts directeurs américains de 11% en 1979 à 20% en 1981. Cette politique de lutte contre l’inflation bien qu’efficace n’est pas sans conséquence sur les autres variables économiques (voir section 1.3).

1.3 Les politiques de ciblage de l’inflation

Les politiques de ciblage de l’inflation menées par les banques centrales ne visent pas une inflation nulle. L’idée est de stabiliser le niveau général des prix (à hauteur de 2% pour la Banque centrale européenne). L’inflation possède en effet des aspects positifs. Par exemple, en détournant les agents économiques de la détention de liquidité, puisque le pouvoir d’achat de la monnaie diminue, l’inflation stimulerait la demande d’actifs réels ce qui serait favorable à la croissance. Dans cette optique keynésienne l’inflation est l’huile nécessaire au bon fonctionnement des rouages de l’économie. L’inflation permettrait également de modérer les salaires réels dans un contexte de rigidités des salaires nominaux. Elle stimulerait ici la demande de travail de la part des entreprises (voir Fiche 5). Une troisième ligne d’arguments en faveur de l’inflation repose sur la diminution qu’elle permet d’opérer sur les charges de financement des déficits publics (voir Fiche 12).

Toutefois, si l’inflation n’est pas maîtrisée, elle peut générer des coûts susceptibles de grever la croissance économique. Par exemple, lorsque les pressions inflationnistes sont importantes, les marchés vont répercuter les anticipations de hausse des prix en intégrant une prime de risque sur les taux d’intérêt de marché. Ce faisant, les taux d’intérêts vont s’accroître ce qui peut conduire à ralentir l’investissement en renchérissant le coût du capital (voir Fiches 2 et 6).

Il existe d’autres coûts liés à une inflation non maîtrisée. Ainsi, si l’inflation est volatile et difficilement prévisible cela peut engendrer une opacité au niveau des prix relatifs des biens ce qui peut déboucher sur des difficultés pour prendre des décisions efficaces dès lors que la volatilité de l’inflation accroît l’incertitude. Ces mécanismes renchérissent les primes de risque décrites précédemment ce qui obère d’autant la croissance.

En cas d’accélération continue de l’inflation, on peut également assister à des phénomènes de fuite devant la monnaie. En effet, si vous anticipez que les prix vont s’accroître demain, vous avez intérêt à acheter aujourd’hui. Ceci accroît la demande et donc engendre effectivement une hausse des prix. Si ce mécanisme perdure, l’accélération de l’inflation peut aboutir à des phénomènes d’hyper inflation comme en Allemagne dans les années 20 ou plus récemment au Zimbabwe dans les années 2000.

Un autre argument visant à préserver la stabilité du niveau des prix repose sur les difficultés à lutter contre l’inflation. Une des principales politiques macroéconomiques de lutte contre l’inflation consiste à limiter les besoins en liquidité. Des politiques restrictives comme la hausse des taux d’intérêts provoquent la baisse de la demande globale et par conséquent une diminution des besoins en liquidité. Ainsi, la stabilisation des prix requiert la déstabilisation de l’économie réelle. La perte subie par l’économie réelle se mesure à l’aide d’un ratio de sacrifice qui mesure le coût en PIB ou en termes de chômage de la diminution de l’inflation d’un point. Par exemple, on a estimé que si la politique anti-inflationniste menée par Paul Volker, le Président de la Fed (1979-1987) avait permis de diminuer l’inflation de 11 points entre 1980 et 1983 (passant de 14,3% à 3,3%), dans le même temps la diminution cumulée de la croissance américaine aurait été de 12,5 points, ce qui revient à un ratio de 1,14. Un point d’inflation perdu aurait coûté 1,14 point de croissance. Mesurée en termes de taux de chômage, la politique de Paul Volker aurait eu un ratio de 0,7. La diminution d’un point d’inflation aurait engendré une augmentation de 0,7 point de taux de chômage.

Toute la difficulté consiste ainsi à trouver les instruments adéquats pour pouvoir contrôler l’inflation. Le principal instrument retenu pour lutter contre l’inflation est le taux d’intérêt. Une fois l’inflation des années 1970 corrigée les taux sont redescendus. Divisés par deux dans un premier temps pour relancer l’activité, ils se sont stabilisés aux alentours de 5% dans les années 80, 90 aux Etats-Unis avant de connaître une nouvelle diminution au début des années 2000. L’inflation a suivi le même chemin. Le canal de transmission de la politique monétaire par les taux d’intérêts semblait efficace.

2 Les limites de la Grande modération

Ainsi, si les politiques monétaires menées pendant la Grande Modération ont permis de juguler l’inflation, elles se heurtent toutefois à certains écueils liés aux difficultés éprouvées par les Banques centrales pour contrôler le système monétaire (2.1), à l’inconsistance temporelle (2.2), au triangle d’incompatibilité de Mundell (2.3), à la décorrélation renforcée entre les liquidités et l’inflation (2.4) et au problème du contrôle de la déflation (2.5).

2.1 Un contrôle de la politique monétaire qui échappe aux Banques centrales

Dans le même temps, on a observé de nombreux changements de l’industrie financière :

- En premier lieu, les activités bancaires se sont profondément modifiées. Durant les Trente Glorieuses, l’activité principale des banques, notamment en France, était de jouer le rôle d’intermédiaire de transformation. Les banques, à travers l’octroi de crédit, servaient d’intermédiaire entre des agents à besoin de financement et des agents en capacité de financer. Cette activité de transformation des dépôts bancaires en crédits permettait de financer l’activité économique et d’allouer l’épargne vers un usage productif (voir Fiche 9).

- En deuxième lieu, compte-tenu des règles de fonctionnement du marché interbancaire et des règles prudentielles encadrant l’activité bancaire, notamment les règles encadrant les réserves (obligatoires et excédentaires) auprès de la Banque centrale, les Banques étaient un des principaux vecteurs de la création monétaire.

- La principale modification liée au contexte monétaire de la Grande Modération est l’essor de l’intermédiation de représentation. Cette activité est liée à l’essor des marchés financiers et au fait que les établissements bancaires et financiers acquièrent et émettent des titres pour le compte, respectivement, d’agents à besoins de financement et d’agents à capacités de financement. Les établissements bancaires vont ensuite placer ces titres sur les marchés financiers par l’intermédiaire des sociétés de bourse. Dans le cadre européen, l’essor de ces activités est également à mettre en relation avec le renforcement de la construction de l’Union européenne et la création du Marché unique en 1986 qui a achevé la mise en place de la libre circulation des capitaux, internationalisant et mondialisant ces activités. Ce faisant, le contrôle de la politique monétaire échappe aux institutions de régulation nationales que sont les banques centrales car les canaux de création monétaires se multiplient. Ces évolutions vont nécessiter la mise en place de nouveaux mécanismes de régulation à l’échelle internationale et renforcer les besoins de coordination (voir section 3).

2.2 L’inconsistance temporelle

Si l’effondrement du système monétaire international concomitant avec les chocs pétroliers a placé l’objectif de contrôle de l’inflation au premier plan des politiques monétaires, cette évolution a également nécessité la modification du cadre institutionnel de gestion de ces politiques. Sur le plan des autorités de régulation, l’évolution principale est l’instauration de l’indépendance des banques centrales. L’indépendance des banques centrales vise à préserver les banques centrales des pressions politiques visant à utiliser l’inflation pour rembourser les dettes, principalement les dettes publiques. L’idée est simple, la hausse des liquidités réduit le coût réel des emprunts via la réduction de la valeur de la monnaie engendrée par l’inflation. Aussi, pour financer des dépenses publiques ; les gouvernements pourraient être incités à recourir à la planche à billet. Les principaux auteurs ayant traité ce problème sont Finn Kydland et Edward Prescott en 1977. Ils ont été récompensés du prix Nobel pour leur travaux sur l’inconsistance temporelle, une situation où les autorités monétaires vont afficher un objectif de contrôle de l’inflation mais vont être incitées à ne pas le respecter jusqu’au bout pour financer un déficit public (voir Fiche 12) ou pour des motifs électoraux si la politique monétaire est soumise aux agendas politiques (voir les travaux de William Nordhaus).

2.3 Le triangle d’incompatibilité de Mundell Fleming

Si chaque Banque centrale poursuit une politique monétaire indépendante dans un cadre mondialisé, il est nécessaire de prévoir des mécanismes de coordination. Sur un plan théorique, cette nécessité avait déjà été mise en lumière par Robert Mundell et Marcus Fleming dès les années 1960 avec le triangle d’incompatibilité. L’idée est qu’une politique monétaire doit prendre en compte trois éléments, le régime de change dans lequel elle est mise en œuvre, les conditions de circulation des capitaux et la nature de la politique monétaire menée (expansive ou restrictive). Selon Robert Mundell, pendant la Grande Modération, l’Union européenne a commis une erreur au niveau de la définition de la politique monétaire dans le cadre du Système Monétaire européen. En effet, dans un système de change fixe avec une forte mobilité des capitaux, la politique monétaire d’une zone économique ne peut pas être autonome. Lors de la réunification allemande en 1989, l’Allemagne a choisi d’égaliser au plus vite les situations économiques entre l’ancienne Allemagne de l’Ouest et l’ancienne Allemagne de l’Est, notamment au niveau des salaires. Ceci supposait d’accroître les salaires à l’Est-ce qui revenait potentiellement à générer de l’inflation. Pour lutter contre l’inflation, la Banque centrale allemande a choisi de relever ses taux directeurs. Ce faisant, les investissements en Allemagne ont été plus intéressants, ce qui a généré un afflux de capitaux et une demande de monnaie allemande importante. Dans ce cadre, le taux de change a été déstabilisé, nécessitant une réaction des autres banques centrales pour préserver la parité choisie dans le cadre du système de change fixe. Les autres économies européennes, en premier lieu l’économie française, ont donc dû pratiquer une politique monétaire restrictive sans que la situation économique interne ne le justifie ce qui a eu pour conséquence un ralentissement de la croissance dans ces économies à travers cette politique de désinflation importée. Deux solutions ont été apportées à cette situation : la création de la monnaie unique et le renforcement de la coordination des politiques monétaires par la création d’un nouveau cadre, le système européen des banques centrales (SEBC) (voir section 3).

2.4 Une décorrélation importante du lien entre liquidité et inflation

Après la création de l’Euro, la zone monétaire européenne -la zone euro- n’a pas été épargnée par les crises économiques (voir Fiche 11). Pour relancer l’activité, la politique monétaire a été accommodante, caractérisée par une baisse des taux d’intérêts à l’échelle mondiale. Toutefois, le gonflement des liquidités permis par les taux bas observés dans les années 2000 n’a pas débouché sur une dérive inflationniste. La création monétaire n’est donc pas un facteur automatique d’inflation. Philippe d’Arvisenet note qu’à court terme, les pressions inflationnistes peuvent être contenues par un faible degré d’utilisation des capacités de production, par le niveau élevé du chômage qui pèse sur les rémunérations, et, partant sur la demande. Dans les dernières années, l’abondance de liquidité fournie par les banques centrales en vue de restaurer un bon fonctionnement du marché interbancaire (injections de liquidité à long terme, élargissement de la gamme des collatéraux éligibles aux opérations de refinancement, swap de change entre banques centrales, achat de titres) a conduit à un gonflement de leurs actifs, tandis que l’augmentation de leur passif était largement liée à la hausse de la liquidité excédentaire placée en réserves par les banques. Cela ne s’est pas traduit par une distribution de crédit, freinée par l’atonie de la demande dans un contexte de désendettement et de hausse des créances douteuses.

Ainsi, de nombreux éléments peuvent remettre en cause le succès de la politique monétaire. L’étude des liens entre monnaie au sens de liquidité et inflation est encore un sujet de recherche important. La plupart des études montrent que la corrélation monnaie-prix est quasi-nulle à court terme (Paul De Grauwe et Magdalena Polan 2001, Pedro Teles et Harald Uhlig 2010). Elle apparaît robuste à long terme (horizon de 30 ans) (Luca Benatti 2005, Bennett Mac Callum et Edward Nelson 2010). Ainsi, cette relation ne peut pas servir de fondement à la conduite de la politique monétaire qui doit être redéfinie (voir section 3).

2.5 Déflation et ciblage de l’inflation

Les politiques de ciblage de l’inflation s’inscrivent dans ce cadre. L’objectif est double : maîtriser l’inflation tout en évitant d’entrer dans une spirale déflationniste. Une cible d’inflation légèrement positive contribue à repousser l’éventualité de voir les taux directeurs tomber à zéro et en conséquence de voir la politique monétaire conventionnelle perdre en efficacité. En effet, en cas de déflation (diminution du niveau des prix), le fardeau de l’endettement s’accroît (à taux inchangé une baisse des prix accroît les taux d’intérêt réels), les ventes d’actifs entretiennent les pressions baissières sur les prix, la hausse des salaires réels réduit la demande de travail ce qui accroit le chômage. Les agents économiques ont intérêt, s’ils le peuvent, à différer leur consommation pour bénéficier de prix plus bas, ce qui crée des pertes de débouchés pour les entreprises et réduit la croissance.

Ainsi, dans ce contexte, la définition et la conduite de la politique monétaire sont rendues délicates et supposent des ajustements fins (fine tuning) pour accompagner l’activité sans la déstabiliser. Elle suppose également la mise en place de mécanismes de coordination efficaces à l’échelle internationale.

3 Une coordination internationale de plus en plus nécessaire

Si la décorrélation entre le niveau des liquidités et l’inflation s’est renforcée aux débuts des années 2000 et peut être en partie responsable de la non prise en compte de la montée des risques dont la concrétisation va être à l’origine de la crise de 2007-2009, les besoins de coordination au niveau international étaient déjà apparus avant cette période et ont déjà été à l’origine de modifications institutionnelles d’ampleurs tant au niveau sectoriel (3.1) qu’au niveau international (3.2 et 3.3).

3.1 Les accords de Bâle

La conscience de la montée des risques et de ses conséquences déstabilisatrices a présidé à l’organisation de rencontres sectorielles dans la ville de Bâle en Suisse. Ces rencontres sont à l’origine d’accords entre les banques et les autorités régulatrices afin d’encadrer les pratiques bancaires à l’échelle internationale. On compte trois accords principaux, les accords de Bâle I, II et III qui visent à garantir un niveau minimum de capitaux propres dans les bilans des banques afin de pouvoir garantir la stabilité financière du système bancaire. Les derniers accords, les accords de Bâle III, publiés en 2010 et dont la mise en œuvre s’échelonnent jusqu’en 2019, ont renforcé les ratios de solvabilité bancaire et introduit des nouveaux ratios de liquidité.

Au-delà des régulations sectorielles, la montée des risques financiers lors de la période de la Grande Modération a également profondément modifié le cadre institutionnel européen.

3.2 La coordination monétaire dans le cadre de l’Union économique et monétaire

Dans le courant des années 1990, l’incompatibilité décrite par le triangle de Mundell Fleming a conduit les marchés financiers à tester la viabilité de l’espace économique européen à travers des attaques spéculatives sur les différentes monnaies européennes. La solution trouvée par les institutions européennes a été de modifier l’organisation institutionnelle en prenant acte que la politique monétaire ne pouvait plus être indépendante. Dans son rapport sur l’union économique et monétaire dans la Communauté européenne, Jacques Delors écrivait déjà en 1989 qu’« une nouvelle institution monétaire [s’imposait], car une politique monétaire unique ne pouvait résulter de décisions et d’actions indépendantes des différentes banques centrales. » Suite aux attaques spéculatives la Banque centrale européenne a été mise en place en 1998 ainsi que le système européen des banques centrales. Le SEBC comprend la banque centrale européenne, centre de décision et les banques centrales nationales que l’on peut qualifier d’autorités exécutives décentralisées. Le SEBC a pour mission la conduite de la politique monétaire avec pour objectif principal le maintien de la stabilité des prix. Avec la crise financière de 2008, l'objectif de stabilité financière s'est également imposé. La particularité du SEBC est d’être composé de deux espaces monétaires. Un premier qui réunit les pays partageant une monnaie unique : la zone euro et un autre où les pays ont choisi de conserver leurs monnaies nationales. L’adoption de la monnaie unique a permis aux pays qui étaient soumis aux attaques spéculatives sur leur monnaie d’échapper à ces dernières. L’Euro peut ainsi s’envisager comme un instrument de coordination monétaire. En effet, les pays ayant adopté l’Euro vont se trouver coordonnés de facto au niveau de la politique de change, en outre, la politique monétaire est unique définie par la Banque centrale européenne qui est indépendante. L’indépendance dont le SEBC bénéficie le prémunit en théorie de toute intervention des autorités politiques nationales et communautaires et permet de garantir l’unicité de la politique monétaire, donc sa coordination. Cependant, la coordination au sein de l’espace monétaire européen ne suffit pas à garantir la stabilité économique et financière. Une coordination plus large est nécessaire comme l’illustre la crise de 2007-2009.

3.3 La coordination internationale

En effet, pour faire face à cette crise, les Banques centrales des principaux espaces monétaires et financiers vont coordonner leurs actions. La Banque centrale européenne, la FED et la Banque of England vont ainsi mettre en place un système de garantie des liquidités bancaires afin d’éviter des mouvements de panique bancaire suite au défaut de la banque d’investissement Lehman Brother. Elles vont ensuite engager des mesures dites non conventionnelles qui vont accroitre la taille de leurs bilans respectifs (quasi quadruplement pour la FED, doublement pour la BCE). Elles vont également chercher à pallier les défauts de la régulation qui avait mal anticipé et contrôlé la montée des risques liés à l’essor des dettes tant publiques que privées. Ces actions coordonnées concrétisent au niveau des institutions financières et monétaires les initiatives lancées par le Groupe des vingt suite aux crises des années 1990.

Ainsi, le rôle des Banques centrales est en constante évolution afin de faire face aux évolutions conjoncturelles. Cette capacité d’adaptation est primordiale lorsque surviennent des crises économiques et financières (voir Fiche 11).

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