Par Éric Guérin : docteur en droit public
Dernière mise à jour : octobre 2016


Les traités internationaux sont une source de plus en plus importante du droit interne. Traditionnellement, les traités internationaux ont pour objet unique de régir des rapports entre États (on parlera alors de conception dualiste de l’ordre international et de l’ordre interne). Par exemple, le traité de l’ONU ou encore le traité de l’OTAN. Ces traités n’ont pas d’effet direct sur les individus.

En revanche, certains traités produisent des droits et des obligations dans l’ordre interne. Les traités de l’Union européenne, s’ils organisent des rapports entre États, posent également des principes et des règles qui s’imposent aux États membres et que les justiciables peuvent invoquer au cours d’un procès.

Le cas de l’Union européenne est en outre très particulier puisqu’il s’agit d’une organisation supranationale dont les institutions ont la possibilité d’édicter des normes appelées règlements et directives. Alors que les règlements communautaires sont directement applicables, les directives doivent être transposées dans l’ordre interne soit par une loi, soit par un règlement interne. Concrètement, cela signifie que, dans certaines circonstances, l’administration est dans l’obligation de se conformer aux règles du droit communautaire.

1. Les sources du droit communautaire

Le droit communautaire est un ordre juridique hiérarchisé dont les sources juridiques sont multiples. La distinction la plus communément admise pour présenter ses sources consiste à distinguer le droit communautaire originaire du droit communautaire dérivé.

1.1. Le droit communautaire originaire

Le communautaire originaire s’entend des textes qui sont à l’origine de la communauté européenne. Le droit communautaire originaire se compose des traités fondateurs et des conventions qui complètent et modifient les traités fondateurs.

A. Les traités


  • Les Traités fondateurs

Le droit communautaire originaire repose sur l’ensemble des traités fondateurs qui fixent le cadre des institutions de l’Union européenne. Ces traités constituent la Charte constitutionnelle de base des communautés européennes (selon l’expression de la Cour de justice de l’Union européenne). Les traités fondateurs sont au nombre de trois : le traité CECA (communauté européenne du charbon et de l’acier) de 1951, la CEE (Communauté économique européenne) et EURATOM (communauté de l’énergie atomique) de 1957.


  • Les traités modificatifs

Les traités originaires ont été complétés et modifiés par différents traités successifs d’adhésion ou des traités qui visent à approfondir la construction communautaire. Parmi les traités les plus importants il faut citer :

- le traité de Bruxelles dit « traité de fusion » en 1965

- l’Acte unique européen de 1987

- le traité de Maastricht de 1993 : Traité sur l’Union européenne

- le traité d’Amsterdam de 1999

- le traité de Nice de 2003

- Le traité de Lisbonne en 2009


  • Les traités conclus avec les Etas tiers

Dans certains domaines l’Union européenne est compétente pour conclure des traités avec des Etats tiers. Dans ce cas ce sont les institutions de l’Union qui négocient les stipulations du traité. Par exemple l’Union peut conclure des accords portant sur des échanges de marchandises. Il peut également exister des accords qui sont qualifiés de mixte. Dans ce cas, un ou plusieurs états membres sont partis à la convention. Ces traités sont toujours conclus seulement s’ils respectent les traités constitutifs. Il existe un contrôle prévu par l’article 300 du traité ce qui permet soit à la Commission, au Conseil ou à un Etat membre de saisir la CJCE afin qu’elle vérifie la compatibilité du traité avec les dispositions du droit communautaire.

B. La prééminence du droit communautaire originaire

Les traités prévalent sur l’ensemble des sources du droit communautaire. La CJCE les qualifie de charte Constitutionnelle de base (CJCE 23 avril 1996, partie écologiste, les verts). Le droit originaire prévaut sur l’ensemble du droit conventionnel et les traités prévoient un contrôle préventif au travers des mécanismes de l’article 300 du traité CE sur l’ensemble des traités que l’Union adopte. Le contrôle de la CJCE peut toutefois être surmonté par les Etats membres qui conservent la faculté de modifier les traités originaires. Ainsi, au sein même des traités, il existe une hiérarchie qui consiste à placer au sommet de l’édifice les traités constitutifs puis les traités modificatifs et enfin les traités d’adhésion. Enfin, au sein même des traités originaires, la CJCE fait prévaloir les dispositions institutionnelles sur les autres dispositions (CJCE 9 aout 1994 France c/ Commission).

1.2 Le droit communautaire dérivé

Le droit communautaire dérivé est formé par l’ensemble des actes émis par les différentes institutions communautaires sur le fondement des traités constitutifs (le droit originaire). La particularité de l’Union européenne est d’avoir institué des organes autonomes des Etats membres qui élaborent des règles dans des domaines délimités par les traités. Le droit communautaire dérivé comprend cinq catégories d’actes qui n’ont cependant pas tous la même importance. Mais l’ensemble des sources dérivées doit respecter le droit communautaire originaire.

A. Les règlements communautaires

Le règlement est la principale source du droit communautaire dérivé. Le règlement est la source juridique qui a le plus d’effets contraignants pour les Etats membres. Il s’applique à « des situations déterminées objectivement et comporte des effets juridiques à l’égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite». Il constitue un acte de « portée générale, il est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre ». Cela signifie qu’il ne s’adresse pas à des destinataires limités (contrairement aux décisions) et qu’il fixe un résultat à atteindre et prévoit parallèlement les modalités qu’il convient d’utiliser pour réaliser l’objectif visé (contrairement à la directive). Il est directement applicable par les Etats et ne suppose donc pas de mesure de transposition ou d’adaptation particulière. Il s’agit d’un instrument d’intégration par opposition à la directive qui vise plutôt à rapprocher les législations des Etats membres.

B. Les directives communautaires

Le régime juridique de la directive diffère de celui du règlement. Elle lie « tout État membre destinataire quant aux résultats à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens ». Elle fixe non une obligation de résultat mais une obligation de moyen. Elle suppose donc une mesure de transposition en droit national soit par une loi ou un règlement (très fréquemment par une ordonnance). Par ailleurs, les dispositions des droits nationaux contraires aux objectifs d’une directive doivent faire l’objet d’une abrogation. Les États ont donc l’obligation de procéder à cette transcription dans les délais impartis par la directive elle-même. Les Etats conservent une large marge de manœuvre pour transposer la directive. Toutefois, la pratique montre que les institutions communautaires adoptent des directives comportant des obligations précises pour les Etats membres.

Les dispositions des traités n’accordent pas d’effet direct aux directives mais la CJCE estime pourtant qu’elles sont susceptibles de produire des effets directs si elles sont claires et précises (CJCE 4 décembre 1974 Van Duyn). Dans ce cas, le justiciable est fondé à l’invoquer devant le juge national.

C. Les décisions communautaires

La décision au contraire du règlement et de la directive est un acte de portée individuelle. Elle s’adresse à des destinataires nommément désignés. Ces destinataires peuvent être l’ensemble des Etats membres ou certains Etats membres, mais également des sujets du droit communautaire comme des entreprises. Elle n’a donc pas de portée générale mais oblige ses destinataires quand au résultat à atteindre. Le plus souvent, il s’agit d’une mesure d’exécution visant à mettre en œuvre dans des cas individuels une compétence communautaire. La décision demeure obligatoire quant au résultat à atteindre.

D. Les recommandations et avis

Contrairement aux autres sources de droit dérivé, les recommandations et les avis «ne lient pas leur destinataire » et sont dépourvus de toute force obligatoire. Leurs destinataires (Etats membres, entreprises ou particuliers) ne sont pas contraints de s’y conformer.

Les recommandations invitent leurs destinataires à adopter un certain comportement ou une ligne de conduite particulière. Les avis traduisent l’expression de l’opinion d’une institution à l’égard d’une situation déterminée. Ils constituent des instruments d’orientation des comportements et des législations et ont donc une portée essentiellement politique.

E. La jurisprudence et les principes généraux du droit communautaire

La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union constitue une source importante du droit communautaire. Chargée d’assurer le respect du droit communautaire, la Cour a contribué à créer des principes qui font désormais partie intégrante de l’ordre juridique communautaire. En particulier, les principes généraux du droit qui sont consacrés par les traités constitutifs. Ces principes s’inspirent des règles inhérentes à l’ordre juridique communautaire (principe de solidarité, non-discrimination, de la libre concurrence …) ou du droit international (principe de l’effet utile des traités).

A la différence d’autres juridictions, la CJCE n’est pas explicitement autorisée à créer des PGD. Toutefois les PGD permettent à la Cour de combler les lacunes du droit communautaire et à renforcer la cohérence générale du droit. Ces principes peuvent se ranger dans trois grandes catégories. La première correspond aux principes inhérents à tous système organisé. A ce titre se trouve le principe de sécurité juridique consacré par la CJCE dans un arrêt du 16 juin 1993 France c/ Commission. Ce principe trouve des développements importants aujourd’hui dans la jurisprudence du Conseil d’Etat. Se trouvent également les principes juridiques liés à l’Etat de droit comme le principe de légalité. La deuxième catégorie de principe est constituée par les principes considérés comme commun à tous les Etats membres. Ces principes sont recherchés dans le droit des Etats membres mais ne sont pas une superposition de règles. Il s’agit de principes qui convergent dans la législation des Etats membres et qui sont compatibles avec l’esprit du droit communautaire. Il faut d’abord que la reconnaissance du principe soit nécessaire. Il faut également que le principe soit conciliable avec les objectifs du droit communautaire. C’est par exemple le cas du principe d’égalité devant la règlementation économique consacré par la CJCE dans un arrêt du 21 juin 1958 Les Hauts fourneaux. Enfin, la dernière catégorie de PGD est composée des principes du droit international public : Par exemple le principe qui rend obligatoire les traités aux parties qui les ont signés.

F. Le cas de la Convention européenne des droits de l’homme

L’Europe communautaire avait vocation à s'épanouir économiquement et aucun des textes originels ne mentionne ce sujet. Mais les autorités communautaires ne pouvaient voir leurs pouvoirs s'accroître sans, en retour, reconnaître des pouvoirs aux sujets du droit communautaire. On ne pouvait exiger le respect de normes qui s'adressaient directement aux individus, les règlements communautaires, sans leur permettre de contrôler l'édiction de ces normes. La question de la protection des droits fondamentaux ne pouvait manquer de se poser dès lors que les institutions communautaires faisaient usage des pouvoirs qui leur avaient été attribués et prenaient des mesures susceptibles de léser les intérêts des particuliers. Les juridictions nationales tentaient de leur coté d’imposer les droits fondamentaux dans l’ordre communautaire. La Cour constitutionnelle allemande provoqua un coup de tonnerre en affirmant, dans son arrêt Solange I en 1974, que le droit communautaire n'aurait pas primauté sur le droit national allemand tant que la Communauté européenne n'aurait pas développé un système de protection des droits fondamentaux adéquat à celui prévu par la Loi fondamentale allemande. Si le Tribunal de Karlsruhe est, depuis, revenu sur cette position par un arrêt Solange II en 1986, la Cour constitutionnelle italienne se réserve toujours le droit de vérifier si les institutions communautaires respectent les principes fondamentaux de l'ordre constitutionnel italien (arrêt Granital, 8 juin 1984).

Dans un arrêt Rutili du 28 octobre 1975, La Cour fait même explicitement référence à la Convention européenne des droits de l’homme. Rédiger et faire adopter un texte impliquait nécessairement, tout au moins dans un cadre communautaire encore lié par la règle du vote à l'unanimité, de rechercher un consensus complet. La même difficulté se posait dès lors qu’il s’agissait pour l’Union d’adhérer à la CEDH. A défaut, donc, de pouvoir directement adhérer à la CEDH, rien n'empêchait la Cour de justice des Communautés de s'inspirer du contenu de cette Convention.

2. Les principes juridiques déterminant l’effet du droit communautaire dans les droits nationaux

Le droit communautaire n’est pas, par sa nature même, un droit international classique. Il s’intègre directement dans l’ordre juridique des Etats et produit des effets directement sur les justiciables. Les règles qui régissent la place du droit communautaire dans l’ordre interne sont la primauté, l’applicabilité immédiate et celle de l’effet direct.

2.1 La primauté du droit communautaire

La primauté du droit communautaire signifie que la norme communautaire prend place dans l’ordre interne de chaque Etat membre avec un rend de priorité sur les normes nationales. Ceci implique qu’en cas de conflit entre une norme communautaire et une norme interne, l’application de la seconde devra être écartée au profit de la première. Les traités communautaires ne consacrent pas explicitement le principe de primauté. C’est la CJCE qui a élaboré et développé le principe.

2.1.1 La consécration du principe de primauté par la CJCE

Dans le cadre des pouvoirs qui lui sont confiés par les traités, la CJCE a développé une théorie de la primauté du droit communautaire particulièrement étendue. Cependant le principe de primauté découle de la nature même du droit communautaire. Dans un arrêt du 16 décembre 1961 Italie contre Commission, la CJCE énonce que des mesures de sauvegarde qu’un Etat pourrait fonder sur le droit international n’étaient pas admissibles dans le cadre du traité CEE. La Cour a ainsi indiqué qu’il était impossible de déroger aux dispositions du traité communautaire sauf si le traité lui-même le permet.

La Cour de justice des communautés a pris clairement position en faveur de la supériorité du droit communautaire dans son arrêt Costa contre Enel de 1964. La Cour affirme : « Issu d’une source autonome, le droit communautaire né du traité ne pourrait donc, en raison de sa nature spécifique originale, se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu’il soit, sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la Communauté elle-même ». Dans sa décision la Cour consacre la spécificité du droit communautaire par rapport au droit international. Elle considère que le traité CEE institue un ordre juridique propre. Elle ajoute qu’il y a impossibilité pour les Etats membres le principe de réciprocité normalement admis en droit international. Elle conclut que faire prévaloir sur la norme communautaire une norme nationale postérieure serait « incompatible avec la notion de communauté ». Bien que considéré comme consacrant le principe de primauté, l’arrêt Costa c/ Enel n’énonce pas explicitement le principe de primauté. C’est avec l’arrêt Simmental du 9 mars 1978 que la Cour affirme pour la première fois « la primauté du droit communautaire ». Cette primauté est le corolaire de la nature spécifique de l’ordre juridique communautaire.

2.1.2 La nature spécifique de l’ordre juridique communautaire

La primauté est un principe qui découle des caractéristiques essentielles du droit communautaire. Il ne saurait y avoir de droit commun si les Etas membres pouvaient invoquer les dispositions de leur droit national pour faire obstacle au droit communautaire. La primauté serait alors une condition essentielle à la réalisation de l’ordre communautaire. La Cour fait découler la primauté de toute une série de constatations. Elle relève d’abord la spécificité de la communauté instituée pour une durée illimitée et dotée d’attributions propres. Elle a la personnalité juridique et des attributions propres. Elle est également dotée d’une capacité de représentation internationale.

La primauté du droit communautaire procède de son intégration à l’ordre juridique des États, du transfert d’attribution et de souveraineté des États membres vers la Communauté. Elle procède également de la nécessité de garantir une application uniforme du droit communautaire sur l’ensemble des Etats membres. En conséquence un Etat membre ne peut valablement édicter des normes qui auraient pour effet de faire obstacle à l’application du droit communautaire. En France, le principe de la primauté du droit communautaire, comme celui de son applicabilité directe n’est pas allé sans poser un certain nombre de problèmes comme nous le développerons dans la troisième partie.

2.2 L’applicabilité immédiate du droit communautaire

Traditionnellement les traités internationaux ne produisent des effets qu’entre les Etats signataires. En droit interne les traités doivent donc faire l’objet de mesures d’application. On parle alors de dualisme. Il existe deux ordres juridiques parallèles. L’applicabilité immédiate du droit communautaire implique au contraire que la norme communautaire s’intègre automatiquement dans l’ordre juridique des États membres, et qu’elle produit des effets juridiques dans leur droit interne sans avoir recours à une norme nationale. On parle ici de monisme, il n’existe qu’un ordre juridique commun pour recevoir les règles du droit communautaire et du droit national.

La Cour de justice a donc posé ce principe de l’applicabilité immédiate du droit communautaire dans l’arrêt Costa contre ENEL de 1964 en affirmant que « les États membres ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains et créent ainsi un corps de droit applicable à leurs ressortissants et à eux-mêmes » ; et : « à la différence des traités internationaux ordinaires, le traité de la CEE a institué un ordre juridique propre intégré au système juridique des États membres lors de l’entrée en vigueur du traité et qui s’imposent à leurs juridictions ». Cette jurisprudence a ensuite été confirmée par un arrêt Simmenthal du 9 mars 1978 précisant que le droit communautaire « fait partie intégrante [...] de l’ordre juridique applicable sur le territoire de chacun des États membres ».

2.3 L’effet direct du droit communautaire

La théorie de l’effet direct n’a aucun fondement dans les dispositions des traités communautaire, elle est également une création de la Cour de Justice des Communautés Européennes. Dans son arrêt Van Gend en Loos de 1963 la Cour pose le principe selon lequel , d’une part les traités ne sont pas des traités internationaux ordinaires, mais créent un nouvel ordre juridique reposant sur des limitations et des transferts de souveraineté et d’autre part, en imposant des obligations aux États membres, les traités font naître des droits nouveaux pour les individus qui peuvent exiger le respect des obligations souscrites par les États membres. Les particuliers pourront donc faire valoir leurs droits issus du droit communautaire directement devant les juridictions nationales. La singularité de l’ordre communautaire est de faire du juge national le premier juge de l’application du droit communautaire.

L’effet direct a donc un double objectif de protéger les droits des individus mais aussi garantir l’efficacité de l’application du droit communautaire.

3. La réception du droit communautaire dans le droit national français

La question de la réception du droit communautaire en droit national est l’une des plus compliquées à la fois en raison de son caractère technique et de son aspect politique. En effet, cette question est sources de nombreuses divergences entre les jurisprudences nationales et celle de la CJCE. Ces divergences portent à la fois du la question de la primauté du droit communautaire sur le droit national et sur celle de son applicabilité directe.

3.1. La primauté du droit communautaire sur le droit national

La primauté du droit communautaire sur le droit national ne pose pas de difficultés particulières pour les normes infra constitutionnelles. En revanche, la question devient plus délicate dès qu’il s’agit de la Constitution.

3.1.1 La primauté du droit communautaire sur les normes infra constitutionnelles

La primauté du droit communautaire sur les normes infra constitutionnelle découle du droit communautaire lui-même mais également de la Constitution. En ce qui concerne le droit communautaire, si les traités ne le formulent pas explicitement, la jurisprudence de la CJE l’affirme notamment dans son arrêt de 1964 Costa c/ Enenl. L’article 55 de notre constitution dispose également que les traités internationaux régulièrement ratifiés ont une valeur supérieure aux lois. Par voie de conséquence, le droit communautaire originaire comme le droit communautaire dérivé prime sur la loi et a fortiori sur les autres normes infra législatives.

Toutefois, cette solution ne fut pas celle qui s’imposa en droit français. Le Conseil constitutionnel dans une décision IVG de 1975 s’était reconnu incompétent pour contrôler la conformité d’une loi (sur l’avortement) à une norme internationale (en l’espèce la Convention européenne des droits de l’homme). Le Conseil estimait qu’une loi pouvait être conforme à la Constitution tout en étant contraire à un traité mais que son office s’arrête au contrôle de conformité de la loi par rapport à la Constitution. Il renvoyait ainsi le soin au juge ordinaire de faire le contrôle de conformité des lois par rapport au traité. La cour de cassation accepta sans difficulté d’exerce ce contrôle (décision Jacques Vabre 1975). De son coté le Conseil d’Etat se montra beaucoup moins enthousiaste. Il acceptait d’exercer son contrôle sur les lois antérieures à un traité mais refusait de le faire pour les lois postérieures estimant que cela revenait à faire un contrôle de constitutionnalité déguisé (CE 68 syndicat général des fabriquant de semoule).

Cette position est conservée jusqu’en 1989. Par un arrêt Nicolo l’assemblée de la haute juridiction accepte de contrôler les lois même postérieures à un traité. Cette solution sera ensuite étendue aux règlements et directives communautaires (arrêt Boisdet du 24 février 1990 pour les règlements et SA Rothmans International France et Philip Morris du 28 février 1992 pour les directives).

3.1.2 La primauté du droit communautaire sur la constitution

En revanche en ce qui concerne la norme constitutionnelle, la position des juridictions françaises est sensiblement différente. Les juridictions nationales françaises résistent encore. En effet, elles refusent toujours la supériorité des traités (international et communautaire) sur la Constitution (CE. Ass. 30 octobre 1998, Sarran et Cass. 2 juin 2000, Fraisse).

Le Conseil d’Etat estime que la suprématie conférée par l’article 55 aux traités sur les lois « ne s’applique pas aux dispositions de nature constitutionnelle ». Celles-ci sont incontestables et le juge administratif, juge interne, se veut garant de la primauté de la Constitution sur le traité. Cette position sera réaffirmée dans l’arrêt « CE Ass, 5 mars 1999, Rouquette ». Dans l’arrêt Fraisse, la C Cass reprend le même raisonnement que le Conseil d’Etat.

En ce qui concerne le Conseil Constitutionnel, dans un premier temps, il affirmait que le droit communautaire comme tous les traités avait un rang inférieur à la Constitution. Puis, compte tenu de la spécificité du droit communautaire, il a, par une décision du 10 juin 2004, assoupli sa position. Il se refuse à contrôler la constitutionnalité des lois qui transposent mécaniquement les directives communautaires puisqu’un tel contrôle reviendrait à apprécier la constitutionnalité de la directive laquelle revient à la Cour de Justice des Communautés Européennes.

Prudent, le Conseil Constitutionnel a ainsi institué une réserve de constitutionnalité. D’une part, l’article 88-1 de la Constitution consacre la primauté du droit communautaire en ce que la transposition doit être assurée. Mais d’autre part, cette primauté reste inopposable dans l’ordre juridique interne aux dispositions de la Constitution française puisque « La transposition en droit interne d’une directive communautaire résulte d’une exigence constitutionnelle à laquelle il ne pourrait faire obstacle qu’en raison d’une disposition expresse de la Constitution » (CC 10 juin 2004, « Loi pour la confiance dans l’économie numérique).

3.2 L’applicabilité directe du droit communautaire

Selon le droit communautaire lui-même, les directives ne sont pas directement applicables puisqu’elles doivent faire l’objet d’une transposition en droit interne. Toutefois, la pratique montre que les directives sont de plus en plus claires et précises. Fort de ce constat la jurisprudence de la CJCE a fini par considérer que les directives pouvaient, sous certaines conditions être directement applicables.

La controverse survient dans un arrêt du Conseil d'Etat Cohn-Bendit du 22 décembre 1978. En effet, la juridiction suprême de l'ordre administratif en prenant comme base légale l'article 189 du traité de Rome considère que quelles que soient les précisions que les directives contiennent, elle "ne sauraient être invoquées.. à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif individuel". Cette décision revient à annuler l’effet direct des directives et donc à en revenir à la lettre du traité. Le conseil D’Etat va ensuite assouplir sa jurisprudence en admettant que dans certains cas bien déterminés la directive, si elle n’est pas directement applicable peut être invoquée devant le juge (renvoie).

Dans son arrêt Mme Perreux du 30 octobre 2009, le Conseil d'Etat a choisi de consacrer le principe de l'invocabilité de substitution. C'est à dire, d'évincer le droit national contraire à la directive mais en même temps de permettre la mise en oeuvre des dispositions inconditionnelles et précises contenues dans la directive.

Deux décisions particulièrement importantes ont été rendues par le Conseil d'Etat, le 8 février 2007 sur la question toujours sensible des rapports entre le droit interne et le droit international méritent encore d’être développées.

Dans une première affaire, « Société Arcelor » (n°287110), le Conseil d'Etat avait à résoudre l'épineuse question posée par une directive communautaire, visant à mettre en œuvre les dispositions du protocole de Kyoto sur la limitation de l'émission de gaz à effet de serre. La société requérante arguait, notamment, que le décret du 19 août 2004 qui avait pour objet de transposer la directive susmentionnée du 13 octobre 2003 en droit français portait atteinte aux principes constitutionnels de la liberté d'entreprendre et du droit de propriété. Autrement dit, contester la conformité à la Constitution du décret de 2004 revenait à contester la conformité à la Constitution de la directive de 2003. Contrairement à sa position antérieure, le Conseil d'Etat a jugé que, dans cette situation, il lui appartenait « de rechercher s'il existe une règle ou un principe général du droit communautaire qui, eu égard à sa nature et à sa portée, (...) garantit par son application l'effectivité du respect de la disposition ou du principe constitutionnel invoqué ». Ce qui revient à dire que pour juger de la constitutionnalité du décret, le juge administratif va vérifier que la directive communautaire est elle-même conforme à cette règle ou à ce principe général du droit communautaire. Cette décision est particulièrement novatrice car, si on savait depuis longtemps que le juge administratif était le juge naturel du contrôle de la conformité du droit interne français au droit communautaire (CE, 20/10/1989, Nicolo), c'est la première fois que le Conseil d'Etat se déclare compétent pour juger de la conformité d'une norme européenne par rapport à une autre norme européenne. Cette position jurisprudentielle est susceptible d'avoir des conséquences importantes pour l'administration territoriale en cas de contentieux, dans les secteurs « classiques » des politiques publiques européennes tels l'environnement, les marchés publics, la politique de cohésion, l'aide aux entreprises, etc.

Dans une seconde affaire, « Gardedieu » (n°279522), le Conseil d'Etat a jugé que l'Etat pouvait être responsable du fait d'une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France. Une loi du 25 juillet 1994 avait été prise pour s'appliquer immédiatement dans des litiges alors en cours devant le tribunal des affaires de sécurité sociale. Cela revenait à changer les "règles du jeu" en cours de procès. Une des "victimes" de cette loi a fait valoir qu'une telle pratique revenait à méconnaître l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme (CEDH), qui consacre le droit à un procès équitable. Le Conseil d'Etat lui a donné raison en condamnant la France à lui réparer le préjudice causé par le vote d'une loi contraire à un traité international dont la France est partie.

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