La politique de l’emploi, de l’insertion et de la formation professionnelle : le travail et ses évolutions, principales caractéristiques et évolutions du marché du travail, travail précaire et flexibilité interne et externe, nouvelles formes d’emploi

Modifié par Julien Lenoir le 27 septembre 2018

La politique de l’emploi, de l’insertion et de la formation professionnelle :

A/ Le travail et ses évolutions, principales caractéristiques et évolutions du marché du travail, travail précaire et flexibilité interne et externe, nouvelles formes d’emploi

Par Yves Palau

Dernière mise à jour : mai 2017

1. Les principaux points à retenir

  • En France depuis trente ans ont augmenté simultanément la population active, l’emploi à temps partiel et le chômage. L’emploi à temps complet a progressé dans une proportion moindre.
  • Une forte composante structurelle du chômage qui touche plus particulièrement les moins qualifiés avec un taux particulièrement élevé pour les jeunes.
  • Une diminution de la part d’actifs en CDI et une part croissante de travailleurs en sous-emploi
  • Développement de nouvelles formes d’emplois qui ont un impact sur les conditions de travail et les droits des travailleurs avec un risque de renforcement de la dualisation du marché du travail et « d’ubérisation » des relations de travail.

2. Les faits et les données

Les données chiffrées sont issues de : Insee Références, édition 2016 - Fiches Emploi et Activités-inactivités.

2.1 Évolutions du travail depuis une trentaine d’années : augmentation de la population active, des qualifications mais aussi du chômage.

Depuis 1975, la population active au sens du BIT, parmi les 15-64 ans, est passée de 22,1 à 28,4 millions de personnes. Cette augmentation se décompose en près de 3 millions d’emplois à temps partiel, 2 millions de chômeurs et 1,3 million d’emplois à temps complet. Le chômage et l’emploi à temps partiel ont ainsi beaucoup plus progressé que l’emploi à temps plein. En 2016, les chômeurs représentent 9,6 % de la population active contre 3 % en 1975 et les personnes travaillant à temps partiel, 16 % contre 7 %.

On assiste également à une transformation des degrés de qualification des emplois1 : depuis 1982 la part des emplois très qualifiés progresse régulièrement (passant de 39 % à 50 %). Cette hausse se faisait jusqu’au début des années 1990 au détriment des emplois non qualifiés, alors que, depuis une petite dizaine d’années, c’est la part des emplois qualifiés qui diminue sensiblement, celle des non qualifiés se stabilisant. L’arrêt de la baisse de la part des emplois non qualifiés pourrait résulter de la combinaison de deux causes. L’une économique, le marché du travail aurait atteint une part incompressible d’emplois peu qualifiés, concentrés essentiellement dans les fonctions support, l’autre liée à certaines politiques publiques de l’emploi, les divers allégements de cotisations sociales sur les bas salaires, mis en place depuis 1993, ont pu favoriser la demande de travail sur ces postes.

La répartition par secteur d’activité des emplois a également connu une forte évolution. Entre 1975 et 2012, la part des emplois dans l’agriculture est passée de 9 % à 2 %, celle dans l’industrie de 26 % à 13 %, celle dans la construction de 9 % à 6 %, alors que celle dans le tertiaire passait de 56 % à 78 %.

De 1975 à aujourd’hui, le chômage a connu deux phases distinctes : dix années de hausse ininterrompue et, depuis, des fluctuations au gré de la conjoncture économique, mais à un niveau qui se maintient entre 7,5 % et 10,5 %. Ceci est le signe d’une forte accentuation du chômage structurel par rapport aux années 1950-1975, au sens où ce chômage est la conséquence de changements dans notre structure de production provoquant une inadéquation qualitative entre offre et demande d’emploi plus que d’une seule insuffisance du taux de croissance économique. Un des phénomènes les plus marquants de la période récente est le rapprochement des taux de chômage des hommes et des femmes. Alors que le taux de chômage des femmes était structurellement plus élevé que celui des hommes, l’écart avoisinant les 4 points durant les années 1980, ils se sont tendanciellement rapprochés. Depuis 2008, il n’y a quasiment plus d’écart. Plusieurs explications peuvent être avancées parmi lesquelles la tertiarisation de l’économie et un niveau d’éducation plus élevé pour les femmes.

En revanche, les différences de taux de chômage par âge sont de plus en plus marquées. Sur la période, le taux de chômage des jeunes de 15 à 24 ans a plus que triplé, passant de 6,8 % en 1975 à 23,7 % aujourd’hui. Depuis 1982, ce taux n’est jamais retombé en dessous de 15 %. Surreprésentés dans les secteurs et les statuts d’emploi les plus exposés aux fluctuations conjoncturelles, les jeunes constituent une variable d’ajustement sur le marché du travail. Cette situation pourrait aussi être une conséquence indirecte de l’allongement de la durée des études : le taux d’activité des jeunes est en effet actuellement nettement plus faible que durant les années 1970 et il est composé de personnes plutôt moins diplômées que la moyenne donc plus susceptibles de se retrouver au chômage.

En effet, obtention d’un emploi et niveau de diplôme élevé apparaissent de plus en plus liés. Ainsi, parmi les personnes de 25 à 49 ans, le taux d’emploi de celles ayant un diplôme de niveau bac+2 est le plus élevé et augmente tendanciellement depuis 30 ans. À l’inverse, celui des personnes sans diplôme ou avec le certificat d’études est le plus faible et baisse régulièrement sur longue période. Plus récemment, depuis le début de la crise en 2008, la baisse du taux d’emploi des moins diplômés s’est accentuée. Ainsi, le taux d’emploi des personnes n’ayant que le brevet des collèges a perdu en 4 ans près de 7 points, alors que celui des personnes ayant bac+2 s’est à peu près maintenu.

D’autres inégalités face au chômage sont manifestes, notamment selon les catégories socioprofessionnelles. Les cadres et professions intellectuelles, ainsi que les professions intermédiaires, sont moins touchés par le chômage et les écarts avec les autres catégories sociales se sont amplifiés. Ainsi, le taux de chômage des cadres en 2012 est le même qu’au début des années 1980, tandis qu’il a légèrement augmenté pour les professions intermédiaires et ce sont les ouvriers non-qualifiés qui ont à la fois le niveau de chômage le plus élevé et l’évolution la plus défavorable, avec une tendance nette à la hausse, notamment depuis la crise de 2009.

2.2 Une diminution de la part des salariés en CDI

Parmi les personnes en activité, 88,5 % sont salariées et 11,5 % sont non salariées. Le salariat est un peu plus fréquent pour les femmes (91,8 %) que pour les hommes (85,3 %). Le non-salariat est plus répandu parmi les 50-64 ans (16,7 %) que chez les générations plus jeunes (10,3 % des 25-49 ans et 2,2 % des 15-24 ans).

Parmi les personnes occupant un emploi salarié, 85,6 % sont en contrat à durée indéterminée (CDI) en 2015. Cette proportion augmente avec l’âge : elle est de 44,9 % pour les salariés âgés de 15 à 24 ans, de 87,8 % chez les 25-49 ans et 93,2 % pour les 50-64 ans. La part des CDD dans l’emploi salarié est plus élevée pour les femmes (12,3 %, contre 8,5 % pour les hommes) contrairement à celle de l’intérim (1,4 %, contre 3,5 %) et de l’apprentissage (1,1 %, contre 2,1 %).

En 30 ans, la part des actifs occupés en CDI a diminué de 7,7 points entre 1984 et 2000 et est demeurée relativement stable jusqu’en 2010. Elle a ensuite diminué de 1 point entre 2010 et 2015. Le recours aux CDD et à l’intérim s’est fortement accru jusqu’au début des années 2000. La part des CDD dans l’emploi salarié demeure relativement stable depuis, avec des fluctuations de plus ou moins un point de pourcentage. La part de l’intérim, dont l’évolution est davantage liée aux cycles économiques, a nettement fléchi en 2009 en raison de la crise économique, puis est remontée progressivement jusqu’à 2,5 % en 2015.

2.3 Une part croissante d’actifs en situation de sous emploi

En 2015, 1,7 million de personnes en moyenne, soit 6,6 % des personnes en emploi, sont en situation de sous-emploi. Cette situation désigne les personnes actives occupées qui soit travaillent à temps partiel, souhaitent travailler davantage et sont disponibles pour le faire, qu'elles recherchent activement un emploi ou non, soit travaillent à temps partiel ou à temps complet, mais ont travaillé moins que d'habitude pendant une semaine de référence en raison de chômage partiel. Après avoir fortement diminué entre 2010 et 2011 (– 0,8 point), la part du sous-emploi dans l’emploi a augmenté de 0,6 point depuis, dont + 0,2 point entre 2014 et 2015. En 2015, la hausse du sous emploi concerne les personnes à temps partiel, souhaitant travailler davantage, disponibles pour le faire mais ne cherchant pas d’autre emploi. Le chômage technique ou partiel représente quant à lui 0,3 % des personnes en emploi, une proportion relativement stable depuis 2011. Entre 2014 et 2015, la part du sous-emploi augmente pour les femmes comme pour les hommes de 0,2 point, et atteint 9,7 % des femmes actives occupées et 3,7 % des actifs occupés. Le sous-emploi touche aussi plus souvent les jeunes : 12,5 % des actifs occupés de 15-24 ans sont en situation de sous-emploi en 2015, contre 6,3 % des actifs occupés de 25-49 ans, et 5,5 % de ceux de 50 ans ou plus. Entre 2014 et 2015, la part du sous-emploi augmente de 0,7 point pour les jeunes et de 0,2 point pour les 25-49 ans. Elle demeure stable pour les 50 ans ou plus. Moins de 5 % des personnes en emploi titulaires d’un diplôme de niveau bac+2 ou supérieur sont en situation de sous-emploi. Cette part double pour les personnes sans-diplôme ou titulaires d’un certificat d’étude ou brevet des collèges. Le sous emploi est également bien plus fréquent pour les employés (11,9 % en 2015), que pour les cadres (2,6 %), les professions intermédiaires (4,8 %) ou les ouvriers (5,8 %).

2.4 Les emplois aidés

En 2014, 1,8 million d’embauches ont été réalisées en France métropolitaine sur des emplois aidés, c’est-à-dire bénéficiant d’une aide publique, hors allégements généraux et dispositifs sectoriels. Ces aides prennent la forme de subventions à l’embauche et d’exonérations et ciblent des publics ou des territoires spécifiques. Le volume de ces emplois aidés est en forte hausse par rapport à 2013. Notamment, 560 000 emplois ont bénéficié de l’exonération de cotisation chômage mise en place en 2013 pour l’embauche d’un jeune en contrat à durée indéterminée (CDI).

Les emplois d’avenir, mis en place en novembre 2012, poursuivent leur montée en charge : 89 000 contrats ont été signés en 2014 (+ 11 %), 61 000 dans le secteur non marchand, 20 000 dans le secteur marchand et 7 000 « emplois d’avenir professeur ». Les recrutements en contrat aidé se concentrent sur les personnes qui ont le plus de difficultés à retrouver un emploi, demandeurs d’emploi de plus d’un an, seniors, jeunes peu qualifiés ou bénéficiaires de minima sociaux.

2.5 L’émergence de nouvelles formes d’emploi

La Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail2 recense neuf formes d’emploi nouvelles ou émergentes :

  • le travail à temps partagé, où un travailleur est engagé conjointement par un groupe d’employeurs afin de répondre aux besoins de plusieurs entreprises en matière de ressources humaines, ce qui se traduit par un emploi permanent à plein temps pour le travailleur;
  • le partage de poste, où un employeur engage deux ou plusieurs travailleurs afin que ceux-ci se partagent les tâches liées à un poste spécifique, combinant ainsi deux ou plusieurs emplois à temps partiel dans un poste à temps plein;
  • l’encadrement intérimaire, dans le cadre duquel des experts hautement qualifiés sont engagés provisoirement pour la réalisation d’un projet spécifique ou la résolution d’un problème concret, incorporant ainsi des compétences d’encadrement externes dans l’organisation du travail;
  • le travail occasionnel, où un employeur n’est pas contraint de fournir régulièrement du travail au salarié, mais dispose de la marge de flexibilité lui permettant de le faire venir sur demande;
  • le travail mobile basé sur les TIC, dans le cadre duquel les travailleurs peuvent travailler en tout lieu et à tout moment, avec l’aide des technologies modernes
  • le travail basé sur des chèques, où la relation de travail est basée sur la rémunération de services au moyen d’un chèque acheté auprès d’un organisme agréé, qui couvre à la fois le salaire et les cotisations de sécurité sociale;
  • le travail réparti entre plusieurs activités, où un indépendant travaille pour un grand nombre de clients, effectuant des tâches limitées pour chacun d’entre eux;
  • le travail coopératif, où une plate-forme en ligne met en relation des employeurs et des travailleurs, souvent dans le cadre de tâches de grande envergure divisées et réparties entre plusieurs travailleurs ;
  • le travail collaboratif, où des indépendants ou des micro-entreprises coopèrent d’une certaine façon afin de palier des limitations de taille et l’isolement professionnel.

Ce large éventail de nouvelles formes d’emploi a des conséquences tout aussi variées pour les conditions de travail et le marché de l’emploi.

Selon la fondation, le travail à temps partagé, le partage de poste et l’encadrement intérimaire semblent offrir des conditions de travail avantageuses, combinant une flexibilité améliorée pour les travailleurs et un bon niveau de sécurité d’emploi.

Le travail mobile fondé sur les TIC offre un certain niveau de flexibilité, d’autonomie et de responsabilisation, mais engendre également un risque d’intensification du travail, d’augmentation du niveau de stress, ainsi que d’estompement de la frontière entre vie privée et vie professionnelle. Il pourrait également attribuer aux travailleurs, par externalisation, des responsabilités relevant traditionnellement de l’employeur, telles que la protection de la sécurité et de la santé.

Pour les indépendants, le travail réparti entre plusieurs activités, le travail coopératif et le travail collaboratif peuvent enrichir la nature du travail par la diversification.

Toujours selon la fondation, le travail basé sur des chèques s’accompagne d’une certaine insécurité professionnelle, d’un isolement social et professionnel, ainsi que d’un accès limité aux mesures d’encadrement du personnel et à l’évolution de carrière, mais offre aux travailleurs la possibilité de travailler de manière licite, une meilleure protection sociale et peut-être une meilleure rémunération.

Le travail occasionnel se caractérise par un faible revenu, l’insécurité professionnelle, une protection sociale insuffisante et peu ou pas d’accès aux avantages en faveur du personnel. Le niveau élevé de flexibilité peut bénéficier à certains travailleurs, mais est trop important pour la majorité des personnes concernées qui préfèreraient davantage de continuité.

Ces nouvelles formes d’emploi s’inscrivent le plus souvent dans une recherche de flexibilité de la part de l’employeur mais elles peuvent aussi rencontrer les aspirations de certains employés. Cette flexibilité correspond à la volonté d’une entreprise d’adapter sa main d’œuvre à ses besoins. Elle peut prendre plusieurs formes. On en distingue généralement 4 principales :

  • La flexibilité quantitative qui joue sur la variation de la quantité de travail qu’elle utilise. Celle-ci est qualifiée d’externe lorsque l’entreprise adapte son volume de travail à la conjoncture en recourant aux licenciements, en utilisant les nouvelles formes d’emplois (interim, CDD, temps partiel, emplois aidés,…) ou en externalisant la production c’est-à-dire en faisant exécuter des tâches annexes par d’autres entreprises (nettoyage, gardiennage, sous-traitance). Elle est qualifiée d’interne lorsqu’il s’agit d’adapter le volume de travail au besoin de la production sans faire varier le nombre de salariés mais en modulant le nombre d’heures travaillées en recourant aux heures supplémentaires ou en utilisant les possibilités offertes par l’annualisation du temps de travail.
  • La flexibilité qualitative interne consiste à rendre le salarié polyvalent en lui demandant d’effectuer différentes tâches selon les besoins.
  • La flexibilité salariale désigne la possibilité d’adapter le salaire à la situation financière de l’entreprise et à la productivité individuelle.
  • Enfin, l’externalisation de la production désigne le processus par lequel les grandes entreprises confient une partie grandissante de leur production à des entreprises sous-traitantes, déplaçant ainsi vers d’autres entreprises les problèmes de gestion de la main d’œuvre.

3. Mise en perspective

3.1 Vers une dualisation du marché du travail ?

Dans l’édition 2014 de la note de l’INSEE intitulée « Emploi et salaires », Claude Picart publie une étude titrée « Une rotation de la main-d’œuvre presque quintuplée en 30 ans : plus qu’un essor des formes particulières d’emploi, un profond changement de leur usage ». L’auteur constate qu’après avoir augmenté dans les années 1980 et 1990, l’instabilité de l’emploi (l’ancienneté de moins d’un an dans l’entreprise, l’importance des formes particulières d’emploi tels que les CDD ou l’intérim) semble plutôt avoir cessé de s’accroître sur les quinze dernières années en France. Ainsi en 2014, d’après Eurostat, la part de salariés en poste depuis plus d’un an s’est accrue (pour atteindre 87,6 %), une part en augmentation depuis le milieu des années 1990. La stabilité dans l’emploi est généralement associée à un contrat à durée indéterminée (CDI), dont la part dans l’emploi salarié est relativement stable et à un niveau élevé. Pourtant, dans le même temps, d’autres indicateurs portant eux sur les flux d’emploi, comme la part des CDD dans les embauches ou le taux de rotation de la main-d’œuvre, progressent nettement et régulièrement. En 2014, sur 23 millions de contrats de travail signés en France, 20 millions sont à durée déterminée et 16 sont des contrats de moins d’un mois. À tel point qu’aujourd’hui, plus de neuf embauches sur dix se font sous la forme de CDD ou de contrats d’intérim. Ces constats apparemment contradictoires s’expliquent par un raccourcissement de la durée de certains emplois, notamment les missions d’intérim et les CDD, qui traduit un changement dans leur mode d’utilisation. Ces contrats courts, qui sont donc de plus en plus courts, maintiennent les salariés concernés dans des situations récurrentes, en particulier dans les professions à « CDD d’usage ». Ainsi, la rotation de la main-d’œuvre se trouve de plus en plus concentrée dans certains métiers. Sur la période récente, même si les jeunes restent les plus touchés par cette instabilité, la situation relative des seniors s’est dégradée.

Rotation accrue alors même que la part des emplois instables dans l’entreprise n’augmente pas, passage d’une rotation concentrée sur les jeunes à une rotation concentrée sur certains métiers, impact de plus en plus déterminant et durable du niveau de formation sur la rotation des jeunes adultes : tout ceci suggère, selon l’auteur, que le fonctionnement du marché du travail se rapproche d’un modèle segmenté, où les emplois stables et les emplois instables forment deux mondes séparés, les emplois instables constituant une « trappe » pour ceux qui les occupent. Parmi les sept familles professionnelles à plus fort taux de rotation, six concernent des ouvriers non qualifiés pour lesquels les employeurs ont un très fort recours à l’intérim, la septième concerne celle des professionnels des arts et des spectacles, pour lesquels le CDD d’usage est la forme juridique la plus utilisée.

3.2 Comment « L’uberisation » de notre économie bouleverse-t-elle le travail ?

« L’uberisation » de l’économie désigne le processus par lequel des entreprises comme Uber, d’où le néologisme, se sont construites autour de plateformes de mise en relation directe de prestataires de services, professionnels ou particuliers, avec des consommateurs, créant ainsi un circuit court à travers une relation dématérialisée de bout en bout (géolocalisation en temps réel, paiement, évaluations, notations…). Pour cela, elles n’ont besoin que d’une faible intensité capitalistique (ce sont parfois ceux qui proposent le service qui apportent le capital), avec peu d’infrastructures, une faible masse salariale et en revanche un nombre très important de travailleurs indépendants, qui peuvent prendre en France la forme juridique des auto-entrepreneurs. Ceci n’est évidemment pas sans conséquence sur l’emploi, la formation et le contrat social. Le contrat de travail se retrouve remis en question par la multiplication des activités d’indépendants. Le numérique annule en quelque sorte l’intérêt premier du salariat, à savoir l’économie sur les coûts de transaction – qui fonde la logique de l’entreprise. A travers ces mutations, c’est l’entreprise elle-même qui se transforme, avec l’avènement de modèles commerciaux fondés sur le partage ou sur la gratuité.

Pour Carole Ulmer, directrice des études du think tank Confrontations Europe,3 les interrogations sur l’avenir du travail se multiplient sous la pression de cette « Uberisation » de notre économie, mais aussi plus largement sous celle des progrès de la robotisation et de la multiplication des travailleurs indépendants ou des travailleurs cumulant plusieurs activités professionnelles. Plusieurs questions se posent sur le nombre d’emplois détruits, les emplois les plus menacés et les transformations du contrat de travail. Selon une étude du cabinet Roland Berger4, avec la robotique et la numérisation de notre économie, 3 millions d’emplois devraient disparaître en France d’ici à 2025 même si d’autres emplois seront créés. Aujourd’hui, personne ne s’entend sur les prévisions chiffrées, mais tous s’accordent à dire que l’ensemble de nos secteurs devront s’adapter. Au-delà de cette dimension quantitative, de toute façon difficile à chiffrer, c’est la nature même du travail qui sera affectée. A travers l’expansion du Big data et de la robotique, ce ne sont pas les seuls emplois « manuels » qui seront concernés mais aussi des emplois qualifiés à fort contenu intellectuel.

1 En référence à la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles de l’INSEE. Celle-ci distingue parmi les ouvriers et employés, les emplois qualifiés et non qualifiés. On considère « très qualifiés » les emplois d’artisans, de commerçants, de chefs d’entreprises, de cadres et professions intellectuelles supérieures, et les professions intermédiaires.

2 Fondation qui fournit des informations et mène des recherches afin de contribuer à l'élaboration des politiques sociales et du travail en Europe. Son conseil d’administration est composé de 84 membres représentants employeurs et travailleurs des pays de l’UE. Note EF/14/61/FR 1

3 http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-147115-comment-le-numerique-bouleverse-le-travail-1194076.php

4 "Les classes moyennes face à la transformation digitale", Roland Berger Strategy Consultants, Octobre 2014

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