Données générales :

D/ Le travail social : métiers, crise et valeurs, organisation des services sociaux et problématiques associées

1. Les principaux points à retenir

  • Le travail social : un secteur quantitativement important, diversifié autour de plusieurs modalités de prise en charge et hétérogène dont le développement est lié à celui de l’Etat-Providence.
  • Une identité professionnelle forte fondée sur l’autonomie vis-à-vis des élus locaux notamment
  • Un secteur en « crise » et en transformation sous la contrainte de nouvelles questions sociales.
  • Une désectorisation et une territorialisation partielle et progressive du travail social

2. Les faits et les données

Il n’existe pas, en France, de définition légale ou officiellement reconnue et validée du travail social, entretenant ainsi un flou sur les missions et sur les types de professionnels concernés. Parmi les multiples définitions, on peut retenir celle du Conseil économique, social et environnemental pour lequel le travail social « a pour vocation première d’aider à ce qu’une personne, une famille ou un groupe de personnes ait accès aux droits que la société lui confère, et crée ou recrée des liens sociaux » (« Mutations de la société et travail social », rapport présenté par M. Daniel Lorthois, CES, 2000).

On évalue le nombre de travailleurs sociaux à 900 000 environ dont :

  • 27 000 directeurs, cadres sociaux et éducatifs
  • 136 000 assistants de service social, conseillers en économie sociale familiale, éducateurs spécialisés, éducateurs de jeunes enfants
  • 39 000 moniteurs éducateurs, techniciens de l’intervention sociale et familiale
  • 350 000 aides médico-psychologiques, aides à domicile, assistants familiaux
  • 60 000 auxiliaires de puériculture
  • 377 000 assistantes maternelles agréées dont 288 000 en activité.

Ces travailleurs sociaux interviennent dans près de 35 000 structures sociales et médico-sociales représentant plus de 1,5 million de places (hors accueil petite enfance).

Le travail social constitue en outre un champ diversifié voire hétérogène. Il s’est constitué autour d’un faisceau de secteurs ayant chacun sa propre histoire, sa culture professionnelle : l’aide sociale, l’éducation spécialisée, l’animation, l’accueil à domicile, principalement. A cette pluralité sectorielle s’ajoute une diversité institutionnelle, centres sociaux, services d’accueil de la petite enfance, établissements pour personnes handicapées, pour personnes âgées, et statutaire, les travailleurs sociaux peuvent être des agents de l’État et des collectivités territoriales ou des salariés du secteur associatif. Au-delà de cette diversité, l’unité, très relative, de ce champ, s’organise autour de la relation d’aide ou de service qui permet de recenser une quinzaine de métiers et qualifications en travail social qu’Elisabeth Maurel 1 regroupe en trois grandes familles :

– les métiers de la présence sociale : les métiers d’accueil liés à des équipements sociaux, les métiers de rue (par exemple, la médiation avec les habitants d’un quartier) ;

– les métiers de l’organisation sociale, c’est-à-dire tous ceux caractérisés par l’absence d’intervention opérationnelle directe ou de relation individuelle d’aide à un public d’usagers;

– les métiers d’intervention directe : en lien direct avec l’usager, avec un objectif de transformation de la situation et de résolution des problèmes.

2.1. Le travail social et l’Etat-Providence

Si le travail social a pour origine les premiers patronages développés par des philanthropes et les œuvres catholiques, auxquels s’ajoutent à partir des années trente, d’autres initiatives émanant de milieux protestants, francs-maçons et laïcs, son développement est étroitement corrélé à celui d’un Etat social protecteur à son apogée dans les années 1950-1970 et soutenu par les 6ème et 7ème plans qui prônent une animation et une action sociale globales. C’est au début des années 1970 que s’est généralisé le terme de travail social à partir de sa critique comme outil de « contrôle social » mais aussi pour le distinguer du bénévolat et du modèle « paternaliste » d’assistance en mettant en avant sa professionnalisation, les compétences mobilisées et leur technicité. Cette dimension s’est incarnée notamment dans la mise en place des instituts régionaux de formation de travailleurs sociaux (IRTS) à la fin des années 1980.

Le travail social s’est construit autour d’une triple généalogie ainsi décrite par Michel Autès2 :

  • celle de la suppléance familiale, dont l’assistante sociale constitue la figure centrale ;
  • celle de l’action éducative destinée à l’« enfance déficiente », dont le métier d’éducateur constitue le pivot ;
  • celle qui se fonde sur la tradition de l’éducation populaire, autour de la profession d’éducateur socioculturel.

C’est également à partir de cette époque que le travail social va s’organiser autour de pratiques et de caractéristiques communes :

  • Il s’adresse originellement à des personnes provisoirement ou définitivement en incapacité de travailler même si son champ d’intervention s’est considérablement élargi depuis les années 1970.
  • Il repose sur un principe de discrimination positive, même si ce principe n’est pas totalement assumé, et procède dès lors selon la logique du ciblage : définition de populations à risques ou de groupes cibles.
  • Il met en œuvre une technique professionnelle qui prend la forme d’une relation d’aide dans une logique de « réparation » pour remédier à un dysfonctionnement, à un manque en mobilisant une compétence professionnelle de type technico-psychologique.

2.2. Différents modèles d’intervention

En fonction des situations auxquelles il est confronté, le travailleur social pourra s’orienter vers un travail avec les personnes prises dans leur individualité ou incluant leur famille, ou au contraire vers un travail collectif autour de groupes éprouvant des difficultés communes ou d’un territoire donné, dans la perspective du développement social local, ou d’une communauté de vie existante.

Le premier mode d’intervention constitue la forme la plus ancienne de l’intervention sociale en direction des personnes, construite sur un modèle médical et individualiste. L’intervention est centrée sur la personne et a pour objectif de favoriser un processus de changement individuel. Sa fonction est curative et se situe à l’articulation du psychologique et du social, du social et de l’institutionnel, du social et du politique... C’est pourquoi pour arriver à ses fins, l’intervention sociale (qui peut prendre bien des formes possibles : accueil, accompagnement, soutien, information, aide matérielle, rapport de situation sociale/enquête, médiation institutionnelle ou sociale...) se situe dans un ensemble concerté et coordonné d’actions menées par les divers autres partenaires.

Le second mode, collectif, répond à la préoccupation de traiter non pas un individu seul ou en famille mais un ensemble, un système, un environnement. Il peut s’agir d’un travail social de groupe constitué par et autour du travailleur social. Celui-ci s’appuie sur les sciences du comportement pour faire émerger une relation d’aide mutuelle. Il peut concerner une grande variété de problèmes autour desquels se constitue le groupe. Il peut s’agir d’un travail social communautaire pour lequel la communauté est préexistante à l’intervention sociale qu’elle soit fondée sur une origine commune, un groupe social ou un lieu. Dans ce dernier cas, on parlera plutôt de développement social local la décentralisation en 1983 qui connaît un essor important depuis les lois de décentralisation des années 1980 et l’essor d’une vision de plus en plus territorialisée des problèmes sociaux et de leurs traitements. Il repose sur un processus collectif et participatif qui vise à traiter les problèmes économiques et sociaux locaux en associant les habitants à la définition et à la mise en œuvre des solutions.

2.3. Une identité professionnelle marquée par un souci d’autonomie vis-à-vis des élus

Les professions de l’intervention sociale, particulièrement celles de la filière sociale et de la filière éducative se sont construites, en se distinguant progressivement d’autres activités ou professions qui s’adressent aussi aux populations tels que les bénévoles, les autres fonctionnaires, les médecins, les juges et les élus. C’est avec ces derniers que les relations sont souvent les plus complexes voire tendues. La décentralisation qui rapproche les espaces de la décision en matière de politiques sociales et celui du travail social, le retour de la question sociale, dans ses dimensions les plus aigües, celles de l’exclusion et de l’urgence sociale, de la souffrance psychique et des processus de délitement social ont contribué à une revendication de plus en plus marquée d’indépendance des travailleurs sociaux vis-à-vis des élus locaux. Le travail en partenariat, la nécessité des collaborations territoriales qu’imposent les nouvelles politiques sociales posent sous des formes nouvelles la question de l’obligation du secret professionnel et du partage d’informations.

Dans un avis émis à propos de l’intervention sociale d’aide à la personne le Conseil supérieur de travail social (CSTS) auquel à succédé en 2015 le Haut conseil du travail social (HCTS) adressait cette recommandation aux décideurs nationaux et locaux : « Énoncer les politiques et les missions qui encadrent l’intervention sociale en associant les personnes usagères et les intervenants à l’élaboration des politiques sociales ; en apportant une grande attention à leur formulation : des définitions précises et une diffusion exhaustive sont indispensables ; en clarifiant et dosant les missions confiées aux intervenants, les injonctions paradoxales étant exclues. Les décideurs et employeurs doivent faire le lien entre la mission particulière et la mission générale, déclarer leurs priorités, les contraintes, les moyens disponibles et les conséquences qu’elles en tirent. »

Réciproquement, le CSTS insistait sur la nécessité d’ «Inscrire l’intervention dans son contexte. Le travail social ne peut se concevoir comme une pratique solitaire. Il lui faut inscrire l’intervention dans les solidarités locales, les réseaux familiaux, institutionnels et militants qui constituent des ressources pour les personnes et rendre compte de son action aux institutions qui confient les missions. »

Il convient donc de trouver un équilibre subtil entre trois « nécessités » : celle de la préservation de l’autonomie du travailleur social dans sa relation avec l’usager et dans la forme que prendra la mise en œuvre de son intervention, celle de la participation des usagers à la définition des politiques sociales à mettre en œuvre et au choix des méthodes d’intervention sociale, et celle, non moins pressante, de l’intégration de l’intervention du travailleur social dans les politiques sociales telles qu’elles sont définies par les élus.

En tout état de cause, cet équilibre ne doit ni conduire à l’isolement et à l’indépendance du travailleur social, qui établirait de manière solitaire et autonome son diagnostic et ses préconisations ni à le transformer en simple exécutant des orientations prises par les élus.

2.4. De nouvelles questions sociales qui provoquent une « crise » et une transformation du travail social

Le travail social des années 1960-1970 s’inscrivait autour d’un paradigme assez simple qui était celui de la société salariale. Celle-ci agissait comme la référence à partir de laquelle s’organisait le travail social. Son objectif était de rapprocher de cette référence centrale voire de les intégrer tous ceux qui restaient à l’écart du fait d’une déficience ou d’une incapacité personnelle quelle qu’elle soit. Critiquée ou non, la fonction du travail social était de prévenir l’inadaptation à la société salariale de certaines populations considérées comme « marginales » voire d’y remédier. Cette centralité de la société salariale est aujourd’hui beaucoup moins nette, remettant profondément en cause un des ressorts essentiels du travail social.

  • L’installation dans une société de sous-emploi durable constitue un bouleversement majeur pour le travail social qui doit désormais assurer la « gestion sociale du non-travail »3 avec une frontière entre emploi et chômage qui tend à s’estomper au profit d’une zone grise comprenant notamment l’intérim et le travail à temps partiel non choisi. Le marché de l’emploi devenu de plus en plus sélectif offre peu de prise au travail social classique car de nombreuses personnes au chômage ne présentent pas de « déficit » ou d’ «inadaptation » caractérisée justifiant d’une action réparatrice tandis que l’insuffisance des débouchés d’emploi est susceptible de remettre en cause tout le travail éducatif ou de réhabilitation effectué, transformant en une impasse ce qui, en termes de travail social, s’analyserait comme un succèsLe travail de plusieurs mois, voire plusieurs années que nécessite la « remise à niveau » de certains jeunes pour les rendre « employables » sur le marché du travail ordinaire peut se trouver réduit à néant s’il n’y a pas de débouché à l’issue du processus conduisant à un effroyable gaspillage d’énergie individuelle et collective.
  • L’intervention sociale est maintenant confrontée à une souffrance psychique croissante chez les usagers des politiques sociales. Les intervenants sociaux, notamment ceux confrontés aux allocataires du RSA, font part des difficultés énormes qu’ils rencontrent face à des personnes très déstructurées. N’étant pas considérés par les psychiatres comme des malades mentaux, ils ne sont pas pris en charge par eux. Se dessine ainsi une forme d’intervention sociale d’urgence, qui tend à se développer non pour engager une action d’insertion sur le fond, mais pour établir et rétablir de la relation. On retrouve cette intervention sociale d’urgence sur beaucoup de fronts : dans la prise en charge des errants, dans les actions d’hébergement d’urgence, dans le suivi des personnes malades mentales dont la pathologie ne présente pas les caractéristiques des psychotiques, mais des comportements déviants ou violents ou très marginaux, et, de façon plus générale, dans le travail auprès de ceux qui se définissent par ce qu’ils n’ont pas – les « sans », sans-papier, sans-logement, sans-travail.
  • Les difficultés rencontrées par les politiques d’intégration ont un impact sur les conditions d’exercice de l’intervention sociale. Les difficultés rencontrées par une partie de la population immigrée sont, pour une part, le reflet exacerbé de celles rencontrées par les autres usagers de l’intervention sociale : accès et conditions difficiles de logement, faible maîtrise des codes de l’institution scolaire, chômage et précarité de l’emploi. Pour une autre part elles relèvent de problématiques spécifiques telles que l’illégalité dans laquelle se trouvent certains et plus généralement la difficile articulation entre l’attachement à la culture et à la communauté d’origine et l’intégration dans la société française. La politisation croissante de cette question en même temps que le manque d’orientations politiques précises concourent à faire peser les contradictions non résolues sur les intervenants sociaux soumis sur ces sujets à de véritables « injonctions paradoxales » et contraints d’improviser au quotidien, et parfois dans l’urgence, des réponses souvent précaires.
  • L’insuffisance d’offre de logements : le contexte actuel de la situation du logement a des conséquences préoccupantes sur les plus modestes. Il a de ce fait également un impact important sur les conditions d’exercice et de succès du travail social.13Au-delà des problèmes spécifiques rencontrés par les populations qui ont vocation à être pris en charge dans des centres d’hébergement en nombre nettement insuffisant, les travailleurs sociaux concentrent une part croissante de leur activité sur les problèmes de logement, depuis le remplissage des demandes de logement social jusqu’aux interventions en urgence dans le cadre des procédures d’expulsion, au détriment du cœur de l’intervention sociale. Le problème du logement alimente un sentiment d’impuissance des travailleurs sociaux face à des dispositifs et des critères de sélection qu’ils ne maîtrisent pas et remet en cause les fondements même du travail social dans la mesure où il devient extrêmement difficile d’aider les personnes sans logement fixe et à soi à accéder à une autonomie de vie.
  • L’’évolution des solidarités de base : Robert Castel4 décrit le processus de «désaffiliation » qui s’ajoute à l’insuffisance des ressources matérielles et fait apparaître la pauvreté non plus seulement comme une situation de précarité économique mais comme « la résultante d’une série de ruptures d’appartenances et d’échecs à constituer du lien qui, finalement, projettent le sujet en état de flottaison, dans une sorte de no man’s land social ». Cette analyse rejoint celle de Serge Paugam5 pour qui nous serions en face d’une « pauvreté déqualifiante », caractéristique de nos économies avancées, où le processus de restructuration se traduit par un déséquilibre durable du marché de l’emploi qui exclut les salariés les moins armés et les rejette vers l’assistance. Le traitement de cette nouvelle forme de pauvreté «déqualifiante » serait l’un des défis majeurs posés au travail social, conçu et développé pendant les trente glorieuses pour faire face à une « pauvreté marginale», celle d’une fraction résiduelle de la population que son « inadaptation » empêchait de participer à la prospérité d’une société de plein emploi

2.5. Une reterritorialisation du travail social et de son organisation

Historiquement, les politiques d’aide sociale se sont développées sur une base locale : elles étaient destinées à aider les « indigents », au niveau de la paroisse puis de la commune, quelle que soit la cause de l’indigence : maladie, chômage, marginalité, vieillesse, crise économique... L’attache territoriale constituait dans ce contexte, qui reste celui de l’aide sociale mise en place par l’État à la fin du XIXe siècle, une condition essentielle pour bénéficier d’une aide fondée par ailleurs sur la prise en compte des ressources et de la situation personnelle.

Le développement de l’État social et la mise en place à partir de 1945 d’un dispositif de sécurité sociale remettent fondamentalement en cause cette approche : à une intervention sociale généraliste ancrée sur le territoire succèdent des interventions définies au niveau national en termes catégoriels et sectoriels : assurances sociales contre les principaux risques, lutte contre les « fléaux sociaux », politique de l’emploi... L’extension de la couverture sociale sur une base professionnelle et le développement des grandes politiques sectorisées devait en principe restreindre le champ de l’assistance à une fraction résiduelle de « marginaux » ou « d’inadaptés sociaux ». Dans ce contexte, la logique de l’aide sociale ancrée sur le territoire pouvait apparaître en voie d’extinction.

C’est ce processus qui est remis en cause par l’apparition des nouvelles questions sociales décrites précédemment qui conduisent à une reterritorialisation du travail social et de son organisation. Nouvelles formes de pauvreté, phénomènes d’exclusion liés au chômage de longue durée, problème des banlieues, difficultés d’intégration des populations issues de l’immigration sont perçus comme des problèmes multidimensionnels qu’une approche catégorielle et sectorielle des politiques ne permettrait pas de traiter correctement. Le territoire redevient dès lors un support essentiel pour le développement d’une approche globale et transversale de l’intervention publique regroupant l’ensemble des acteurs autour d’objectifs définis en commun. Les premières opérations « Habitat et vie sociale », initiative conjointe des ministères des Affaires sociales et de l’Équipement pour requalifier les « grands ensembles » ont inauguré le mouvement vers la « territorialisation » des politiques sociales. Il y a là un « déplacement majeur du social : de l’action sociale conçue comme une série de mesures en direction d’individus mis en catégories d’après leurs caractéristiques spécifiques individuelles, à l’action sociale conçue comme la production d’une communauté de citoyens définissant les modes de leur liaison6 ».

Mais cette territorialisation pose à son tour d’autres difficultés : chaque problème traité suscite son propre découpage géographique, correspondant à sa logique propre d’intervention ; ainsi les territoires des RAR et RSS de l’éducation nationale ne correspondent pas à ceux de la politique de la ville, ni à ceux de l’agence locale pour l’emploi (cadre territorial d’intervention de Pôle emploi), du secteur psychiatrique, de la caisse d’allocations familiales. Dès lors un des enjeux essentiels de l’approche territoriale est de dépasser les logiques institutionnelles pour permettre le regroupement et la coopération de tous sur un « territoire de projet » commun. Elle doit favoriser l’organisation d’un travail en réseau entre partenaires appartenant aux sphères de l’école, de la santé, du social, de et de l’habitat, notamment.

S’ajoute à cela une décentralisation qui a largement affecté le secteur social, érigé le département en chef de file pour les politiques sociales mais surtout nécessité une collaboration entre les départements, les communes et les autres partenaires notamment la sécurité sociale.

Territorialisation et décentralisation ont parfois profondément modifié l’organisation des services sociaux.

Ainsi, la décentralisation de l’action sociale s’est-elle accompagnée d’un mouvement de déconcentration au niveau des unités territoriales dont l’ampleur et les modalités varient selon les départements. Par-delà la diversité des situations, un constat tend à s’imposer : si le cadre de l’intervention sociale est défini au niveau départemental, l’intervention elle-même est de plus en plus souvent décidée et mise en œuvre à un niveau infra départemental, au niveau du canton ou de la communauté de communes. La décentralisation de l’action sociale au niveau du département a été relayée par un mouvement de délégation au niveau infra départemental, niveau auquel une part croissante des décisions opérationnelles sont prises, le département conservant la responsabilité de définir le cadre général, de veiller à ce qu’il soit respecté sur tout le territoire départemental et mis en œuvre dans des conditions qui préservent le principe d’égalité de traitement des usagers au regard du droit.

La territorialisation de l’action sociale interroge les modes de fonctionnement traditionnels des travailleurs sociaux notamment leur polyvalence et les conduit à développer des relations de travail transversales et partenariales.

Le cadre traditionnel du travail social « en polyvalence de secteur » correspond à un schéma d’organisation où l’assistant social polyvalent de secteur est responsable des problèmes d’un territoire donné – le « secteur » – pour tout ce qui concerne les missions du service social polyvalent et se voit confier des missions de coordination avec d’autres professionnels du champ.

Ce schéma reste largement majoritaire pour l’organisation du service social départemental mais il s’accompagne de plus en plus fréquemment d’une certaine spécialisation des tâches en son sein : deux départements sur trois font état d’une tendance à la spécialisation de certaines fonctions parmi les travailleurs sociaux, essentiellement pour la prise en charge des personnes âgées et, à un moindre degré, dans le domaine de l’insertion. On peut y voir le souci d’assurer une plus grande technicité dans la prise en charge de ces missions dévolues aux conseils départementaux pour lesquelles tendent à se développer des fonctions de référents thématiques. Cette évolution va de pair avec la mise en œuvre d’un premier accueil et d’une préorientation confiés à des non-travailleurs sociaux: secrétaires médico-sociales ou même hôtesses d’accueil.

On assiste néanmoins à certaines expériences de désectorisation qui s’accompagnent d’une forme de spécialisation plus ou moins développée des personnels, au moins dans différents domaines (logement, insertion) et conduit à la constitution d’équipes pluridisciplinaires.

Sur un même territoire se développent des politiques sociales issues de différentes institutions, le département, la commune, les établissements intercommunaux, mais aussi l’hôpital, l’école, les institutions psychiatriques et des opérations territorialisées de développement social, urbain ou rural.

Parmi celles-ci, la politique de la Ville représente l’exemple le plus emblématique et constitue pour le travail social un autre changement de perspective majeur. En effet l’émergence de cette politique s’appuie sur un diagnostic potentiellement novateur, celui d’une caducité de l’action publique dans deux de ses dimensions classiques : le caractère unilatéral et segmenté des actions conduisant à expérimenter à partir du début des années quatre-vingt des dispositifs nouveaux visant à répondre selon une approche globale au problème complexe de l’exclusion. Ces dispositifs constituent l’amorce d’une nouvelle forme d’intervention publique qui s’exprime avec la mise en place au début des années quatre-vingt-dix d’une administration de mission, d’un ministre animateur et de relais locaux. L’approche tranche résolument avec celle des politiques traditionnelles dans la mesure où elle est fondée sur la mobilisation des élus, des fonctionnaires et des habitants et suppose leur engagement sur un projet local global appuyé sur un diagnostic préalable commun. Ce projet est mené dans une perspective de dépassement des logiques institutionnelles (avec notamment le développement d’une approche contractuelle entre l’État et les collectivités locales qui privilégie l’agglomération et encourage l’intercommunalité), sectorielles (les actions ne sont pas identifiées à un domaine spécifique de l’administration et ne relèvent pas de la responsabilité d’une collectivité unique) et des fonctionnements cloisonnés. Une telle approche modifie de façon importante le cadre de définition et de déploiement de l’action sociale qui s’inscrit désormais dans le cadre d’un partenariat. Le travail social est appelé à s’associer à de nombreuses opérations à vocation d’insertion économique, culturelle, éducative, urbaine, judiciaire, voire sécuritaire... ce qui ne va pas toujours sans difficultés.

Face à ce développement d’opérations transversales, les départements développent des schémas départementaux spécialisés et généraux.

Le schéma est en principe un instrument de planification concertée et partenarial. Il doit permettre de définir des orientations importantes en matière sociale, en tenant compte des besoins et des possibilités d’un territoire. On constate cependant deux problèmes : d’une part, il y a plusieurs schémas, qui ne sont pas toujours articulés entre eux, ni au niveau de l’élaboration, ni de l’application ; d’autre part, les schémas peuvent se contenter d’énoncer de grandes orientations, sans qu’elles aient valeur juridiques d’engagement, ni a fortiori d’opposabilité, pour les partenaires et les usagers. Il n’empêche que ces schémas départementaux, se traduisent par un renforcement du partenariat institutionnel dans les secteurs tels que l’insertion, le logement social, l’enfance, la jeunesse avec notamment pour ce dernier secteur l’implication des représentants de la préfecture, du parquet des mineurs, du tribunal pour enfants, de l’inspection d’académie, de la direction départementale de la protection judiciaire de la jeunesse, des centres communaux d’action sociale, des unions régionales des institutions de protection sanitaire et sociale (URIOPSS), des associations partenaires de l’aide sociale, des praticiens.

3. Pour approfondir

Michel Autès, Les paradoxes du travail social, Paris, Dunod, 2013 (2ème ed.), 336 p

1 Elisabeth Maurel, « De l’observation à la typologie des emplois sociaux  », in Chopart J.-N. (dir.),  Les mutations du travail social, Paris, Dunod, 2000, p. 25-52

2 Michel Autès, Les paradoxes du travail social, Paris, Dunod, 2013 (2ème ed.), 336 p

3 Selon l’expression de Robert Castel in, « Du travail social à la gestion sociale du non-travail », Esprit no 3/4, mars-avril 1998

4 R Castel, « De l’indigence à l’exclusion : la désaffiliation » in Donzelot (dir.), Face à l’exclusion, le modèle français, Esprit, 1991

5 Serge Paugam, Les formes élémentaires de la pauvreté, Paris, PUF, 2005, 276 p.

6 Michel Autès, op. cit.

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