Les coopérations entre territoires, le groupement européen de coopération transfrontalière

Modifié par Julien Lenoir le 27 septembre 2018

Par BAUBY Pierre, président de RAP (Reconstruire l’action publique), membre du Conseil scientifique d’Europa et Mihaela M. Similie (Popa), chercheur
Dernière mise à jour : janvier 2017

1. Les origines

La politique régionale est l’une des concrétisations de l’objectif de cohésion économique, sociale et territoriale de l’Union européenne. Au fil des programmations financières, ses objectifs ont été adaptés aux nouvelles situations régionales et aux grandes priorités politiques de l’Union, qui structurent l’action conjointe soutenue par les fonds européens et nationaux.

La coopération transfrontalière est apparue comme objectif distinct au sein de la politique régionale en 1989, avec la mise en place de l’initiative communautaire INTERREG, une des douze initiatives communautaires gérées par la Commission européenne, créées à la suite de la réforme de 1988. En 1993, le champ d’INTERREG a été élargi pour inclure aussi la coopération transnationale. Le programme URBAN a été également créé pour traiter les problématiques des villes. Ces initiatives communautaires ont été poursuivies dans la période de programmation 2000-2006.

A partir de la période de programmation financière 2007-2013 un troisième objectif, de « coopération territoriale », a été distingué dans la politique régionale de l’Union avec un co-financement européen assuré par le FEDER. Il vise le développement d’activités économiques, sociales et environnementales par la coopération transfrontalière, transnationale et interrégionale, par les initiatives qui font partie du réseau INTERACT.

Parallèlement, la Banque européenne d’investissements, créée par le traité de Rome, a été de plus en plus impliquée dans le soutien à la politique de cohésion par des emprunts et de nouveaux instruments financiers (JEREMIE pour les PME, JESSICA pour le développement urbain, JASMINE pour des institutions non bancaires de microfinancement, JASPERS pour l’expertise technique dans les projets d’infrastructures majeurs).

En 2006, un nouvel instrument juridique a été instauré pour la mise en œuvre des programmes de coopération : le Groupement européen de coopération territoriale (GECT) (Règlement n°1082/2006 du 5 juillet 2006, voir ci-après).

Le traité de Lisbonne a inclu la cohésion territoriale dans les objectifs de l’Union et dans le titre XVIII TFUE avec la cohésion économique et sociale.

Pour la période de programmation 2014-2020, la coopération territoriale demeure un objectif distinct de la politique de cohésion. Son intervention est encadrée par le Règlement 1299/2013/UE et structurée dans des programmes transfrontaliers, transnationaux et quatre programmes interrégionaux (INTERACT - réseau de projets de coopération, ORATE - observatoire scientifique sur l’aménagement du territoire, URBACT – réseau de villes et IV – réseau de bonnes pratiques).

2. Concentration thématique et priorités d’investissement

L’article 6 du Règlement 1299/2013/UE prévoît qu’« au moins 80% des ressources du FEDER allouées à chaque programme de coopération transfrontalière et transnationale sont concentrés sur au maximum quatre des objectifs thématiques énoncés au premier alinéa de l'article 9 du Règlement (UE) no1303/2013 ».

3. La situation actuelle et les principaux moyens d’action

Pour la période de programmation 2014-2020, l’objectif de la coopération territoriale européenne s’est vu octroyer dans les perspectives financières de l’Union environ 9 milliards euros (environ 2,7% de l’ensemble des fonds de cohésion), en diminution par rapport à la période de programmation précédente.

Les critères d’éligibilité sont définis en fonction du type de coopération envisagée.

  • Pour la coopération transfrontalière (6,5 milliards euros), sont éligibles les régions de niveau NUTS 3 situées le long de toutes les frontières terrestres intérieures et extérieures de l’UE, ainsi que les régions de niveau NUTS 3 situées le long de frontières maritimes séparés de 150 kms au maximum ; la liste des régions est établie par la Commission européenne.
  • Pour la coopération transnationale (2 milliards euros), sont éligibles les régions NUTS 2 définies par décision de la Commission européenne.
  • La coopération interrégionale (0,5 milliards euros) couvre l’ensemble des régions de l’Union.

La France bénéficie de 3 milliards euros pour cet objectif. Elle participe en métropole à 23 programmes de coopération territoriale dont 9 programmes de coopération transfrontalière, 5 programmes en Outre-Mer, 5 programmes de coopération transnationale et 4 programmes de coopération interrégionale.

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Source : La coopération territoriale en Europe. Une perspective historique, Union européenne, 2015.

Le groupement européen de coopération transfrontalière (GECT). L’exemple de lancement du GECT « La Grande Région »

Les GECT sont des personnes juridiques regroupant des administrations nationales, régionales et locales ou d’autres organismes publics ou associatifs, leur permettant d’agir sur leurs territoires respectifs sans passer par un accord international. Le GECT possède dans chacun des États membres la capacité juridique la plus large reconnue aux personnes morales par la législation nationale de l'État membre. Il peut notamment acquérir ou aliéner des biens mobiliers et immobiliers, employer du personnel et ester en justice. Il est constitué d’au moins une assemblée réunissant les représentants de ses membres et d’un directeur. Leur constitution doit être notifiée au Comité des régions de l’UE avant leur publication au JOUE.

La compétence d’un GECT est définie par ses actes constitutifs, en fonction des compétences qui leur sont et peuvent leur être déléguées en vertu des lois nationales par les entités qui décident sa création. Un GECT peut être mandaté pour la mise en œuvre de programmes de coopération financés par le FEDER. Dans les faits, cet instrument juridique concerne actuellement plus de deux tiers des Etats membres de l’UE dans lesquels ont été créés plus de 50 GECT. La constitution d’un GECT vise à permettre aux membres d’être dotés d’une entité juridique commune, apte à mener des projets de développement transfrontalier, dans le cadre d’un programme de travail annuel et d’un budget dédié. Parfois, ils continuent les coopérations préexistantes sous d’autres formes (par exemple, des eurorégions).

Le premier GECT a été créé le 28 janvier 2008 à la frontière franco-belge : l’Eurometropole Lille-Kortrijk-Tournai.

Puis, le premier et le seul GECT à assurer les missions d’autorité de gestion d’un programme de coopération transfrontalière dans l’UE27 a été créé le 1er avril 2010 pour la gestion du PO INTERREG IV A - La Grande Région. Pour la période 2014-2020 un nouveau GECT a été créé (les considérations ci-après concernent le début de fonctionnement du GECT dans la période 2010-2012).

Le programme INTERREG IV A concerne la Wallonie, la Communauté germanophone de Belgique, la Lorraine (en France), la Rhénanie-Palatinat et la Sarre en Allemagne ainsi que le Grand-Duché de Luxembourg.

La Grande Région est un espace institutionnel historique de coopération transfrontalière, institutionnalisé dès 1970. Le programme INTERREG est intervenu sur cet acquis historique pour servir aussi d’outil d’administration au service de la gouvernance de la Grande Région.

Des opinions que nous avons pu recueillir deux ans après sa mise en œuvre ont montré qu’une évaluation de la performance du GECT ne peut pas conduire à des conclusions définitives tant il n’a pas réussi à devenir un des outils de la gouvernance de la Grande Région, pour assurer l’atteinte de certains objectifs au niveau politique et à servir l’articulation et la coordination des divers instruments d’intervention existants dans les différents territoires (notamment du FEDER, encore moins avec les programmes sectoriels).

Les enjeux sont particulièrement complexes en matière de gouvernance du Programme, qui révèle quelques particularités, voire singularités, et une réelle complexité. Le GECT est une instance collégiale qui a été placé sous la Présidence du Préfet de la Région Lorraine et rassemble onze autorités partenaires : le Grand-Duché de Luxembourg, la Région wallonne, la Communauté française de Belgique, la Communauté germanophone de Belgique, la Préfecture de la Région Lorraine, le Conseil régional de Lorraine, le Conseil général de Meurthe-et-Moselle, le Conseil général de la Meuse, le Conseil général de la Moselle, le Land de Rhénanie-Palatinat, le Land de Sarre. Cependant, le président du GECT n’avait aucune voix prépondérante et la règle était l’unanimité des 11 partenaires, avec tous les points positifs que cela peut comporter, mais aussi les difficultés en termes d’efficacité. Cela fait que chaque partenaire a reçu le même poids, la représentation n’étant pas pondérée (par exemple, un département avec 100 000 habitants a le même poids qu’un département avec 1 000 000 habitants ou qu’un Etat - le Grand Duché du Luxembourg - ou la Rhénanie Palatinat). Mais cette gouvernance « égalitaire, voir égalitariste », avec la règle de l’unanimité, fait que les intérêts de chacun sont pris en compte, même si cela engendre des lenteurs, impose de nombreuses réunions, un fonctionnement plus lourd et plus coûteux, beaucoup de concertations pour arriver à un consensus. Pour sa part, la présidence ne peut pas arbitrer ou imposer des arbitrages, mais propose des compromis et il faut que le compromis fasse l’unanimité.

La gouvernance est considérée par les acteurs comme étant riche, très démocratique et très plurielle, avec des débats passionnants, mais une prise de décision pas très efficace, pas très dynamique et qui a fait l’objet de réflexions pour la période de programmation 2014-2020. Ainsi, faut-il décider à la majorité et notamment avoir une pondération des voix des différents partenaires - la Lorraine représente 5 partenaires sur 11, donc 5 voix, mais qui « ne sont jamais d’accord » ? Pour d’autres acteurs, même si elle est particulièrement complexe, cette gouvernance n’est pas critiquable, car c’est un point d’une évolution qui pourrait se conforter dans les années à venir. Enfin, pour d’autres, une gouvernance même d’une complexité réduite ne sera jamais aisée, parce que les cultures et les réglementations nationales sont très différentes. Par ailleurs, dans l’instruction des dossiers chaque partenaire commence à instruire selon ses règles nationales, pour essayer ensuite de trouver un consensus dans des réunions préparatoires au comité de sélection, où chaque partenaire se prononce également sur des projets à porter dans un territoire et/ou contexte qui lui est étranger et pas toujours assez connu. Il y a donc une hétérogénéité et une grande diversité institutionnelles auxquelles s’ajoutent les défis posés par l’UE. La question linguistique est également non négligeable et même s’il y a des politiques pour développer le bilinguisme, une promotion de l’apprentissage de la langue du voisin, cela représente un enjeu difficile mais extrêmement positif pour les coopérations.

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