Par Philippe Frouté : Maître de conférence des Universités

Dernière mise à jour: juillet 2018

La récente crise financière de 2008 a relancé les débats relatifs aux crises financières. Au sens étroit, une crise financière est une crise relative aux marchés financiers et à leurs intermédiaires. Toutefois, notamment en raison de l’existence de phénomènes de contagion, d’autres crises, comme les crises immobilières, peuvent générer des crises financières. Ainsi, le premier détonateur de la crise des subprimes de 2007 est fondamentalement lié à l’éclatement d’une bulle sur le marché immobilier américain1. L’analyse des crises financières nécessite ainsi l’adoption d’une perspective plus large permettant la prise en compte des interactions avec les autres marchés.

Les crises financières ne sont pas un phénomène nouveau. Dans un ouvrage célèbre, Histoire mondiale de la spéculation financière, Charles Kindleberger, relevait plus de 150 crises financières entre 1720 et 1987. Sur un plan théorique, la compréhension et l’analyse des crises fait débat. Ainsi, dans une perspective néoclassique, un marché en équilibre ne peut être perturbé que par un choc exogène venant modifier les paramètres fondamentaux de l’économie. Dans une perspective keynésienne, l’économie est sujette à des fluctuations cycliques qu’il convient de stabiliser. Dans une perspective marxiste, les crises sont le principe même du fonctionnement des économies capitalistes. La présente fiche propose une synthèse basée essentiellement sur un rapport du CAE daté de 20042 qui dresse une synthèse complète des connaissances en économie sur les crises financières. Il a inspiré des réformes de l’environnement réglementaire qui ont été mises en œuvre depuis la crise financière. Dans une première section (section 1), la fiche revient sur la multiplicité des types de crises financières qui diffèrent par leurs origines et les effets. La deuxième section s’attache à la description des conséquences du déclenchement des crises et notamment aux effets de contagion liés aux interconnexions entre les différents marchés et les économies (section 2). Enfin, la fiche présentera les évolutions réglementaires destinées à prévenir la déstabilisation des économies (section 3).

1 Les origines des crises financières

La notion de crise renvoie à une phase de retournement durable de la croissance (voir Fiche 4) qui peut résulter d’un choc conjoncturel de nature exogène ou d’un processus endogène lié au modèle de croissance suivi par l’économie (section 1.1). Dans le cas des crises financières, leurs modalités de déclenchement et leur définition même dépendent des marchés concernés (section 1.2). On peut toutefois relever un certain nombre de facteurs susceptibles de générer des crises financières (section 1.3).

1.1 Approches exogènes vs approches endogènes

Ainsi, on distingue deux grandes catégories d’explication de l’origine des crises financières : les approches exogènes où les crises sont la conséquence de chocs non expliqués par les modèles (section 1.1.1), et les approches endogènes où les valeurs prises par les variables à l’origine du déclenchement des crises sont elles-mêmes déterminées par le modèle (section 1.1.2).

1.1.1Les approches exogènes : modèles néoclassiques et keynésiens

Les modèles néoclassiques décrivent les conditions d’obtention d’équilibres stables ; aussi, par construction, les situations de crise se trouvent exclues du champ de l’analyse. Les situations de crise se résument à des perturbations exogènes des paramètres gouvernant l’économie qui vont modifier les conditions d’équilibre.

Dans son ouvrage intitulé Théorie de l’évolution économique, Joseph Schumpeter décrit les fluctuations cycliques d’alternance entre des phases de croissance économique et des phases de récession. Suite au choc la crise de 1929, les économistes keynésiens vont construire des modèles centrés sur l’amortissement de ces fluctuations et vont développer des théories de la stabilisation. Ainsi, les chocs considérés à l’origine d’une déstabilisation du système ne sont pas expliqués par le modèle, ils sont exogènes.

1.1.2 Les approches endogènes : analyses marxistes et modèle de Minsky

L’approche exogène s’oppose aux modèles de crise endogène. L’un des premiers auteurs ayant développé ce type d’approche est Karl Marx. Dans son ouvrage, Le capital, il décrit un fonctionnement du capitalisme basé sur la substitution du capital au travail par les propriétaires du capital destiné à permettre de réduire les coûts de production. L’erreur des propriétaires du capital serait d’adopter une perspective myope sur la génération des profits par le facteur travail. Aussi, si à court terme, les propriétaires du capital accroissent leurs revenus en réduisant les coûts de production, à long terme, en diminuant le facteur de production à l’origine du profit, ils accélèrent la baisse tendancielle du taux de profit qui devrait à terme générer la fin du capitalisme. L’analyse de Karl Marx s’inscrit dans une phase basse du cycle d’activité et n’intègre pas l’innovation, notamment le progrès technique, à l’origine de la reprise de la croissance dans son analyse. En revanche, elle permet d’endogénéiser l’apparition des crises ce qui permet de mieux comprendre leur apparition.

Il faut attendre 1986 pour retrouver une approche endogène des crises et plus particulièrement des crises financières. Ainsi, dans un ouvrage intitulé Stabiliser une économie instable, l’économiste Hyman Minsky décrit un processus de crise financière qui se déroule en cinq étapes. La première étape à l’origine des crises serait souvent liée à une situation de boom spéculatif. Pour alimenter le boom et pouvoir acquérir des produits dont les prix montent en flèche, les agents vont recourir dans un deuxième temps au crédit qui va accélérer le phénomène spéculatif et engendrer un excès d’échange. La troisième étape débute lorsque de plus en plus d’agents se retrouvent en situation de détresse financière en ne pouvant plus faire face aux crédits. Le quatrième temps de la crise est le retournement brutal : effondrement des prix, krachs, faillites, etc. Il s’agit du paroxysme de la crise. La dernière étape concerne le retour à la normale, à travers la consolidation des dettes ou des liquidations par exemple.

Si le modèle de Minsky est très descriptif, les mécanismes qu’il décrit correspondent à des caractères généraux qui peuvent se retrouver dans les différents types de crise financière. Il permet également d’expliquer comment une économie se trouvant dans une situation stable peut devenir instable suite aux comportements de certains agents économiques.

1.2 Une typologie des crises financières

Les auteurs du rapport du CAE résument le modèle de Minsky en trois moments : « à l’origine de la plupart des épisodes de fragilité financière, se trouve un emballement du crédit qui déclenche un mécanisme d’accélérateur financier qui se propage à différents marchés. » La difficulté est de pouvoir distinguer ce qui relève d’un épisode de récession d’un retournement, notamment parce que les épisodes baissiers et les retournements vont différer selon les marchés étudiés. Plus spécifiquement les auteurs considèrent les marchés boursiers (section 1.2.1), les marchés des changes (section 1.2.2), les marchés bancaires (section 1.2.3) et les autres marchés d’actifs (section 1.2.4).

1.2.1 Crise boursière

En référence à la crise de 1929, on considère qu’un marché boursier est en crise lorsqu’au cours d’une période donnée, la variation du cours de l’indice dépasse un certain seuil, le plus souvent 20%. Un autre indice consiste à rapporter le cours d’une action ou d’un indice (comme le CAC40) au maximum enregistré au cours d’une période de référence. Un écart supérieur à 1,5 ou 2 écart-types de cette variable déterminera une période de crise.

1.2.2 Crise de change

Pour le marché des changes, on considère qu’une devise va connaître une crise de change lorsqu’elle connaît une dépréciation de plus de 25% au cours d’une année. Une autre définition moins statistique se fonde sur la construction d’un indicateur de pression spéculative. Cet indicateur combine la variation du change avec les variations de réserve officielles et le taux d’intérêt. Au-delà d’une variation de 1,5 écart-type par rapport à la moyenne, le marché des changes sera considéré comme en proie à une crise spéculative.

1.2.3 Crise bancaire

L’identification des crises bancaires repose sur des critères moins statistiques. On identifie les épisodes de crise par la prise de mesures réglementaires (gel des dépôts, fermeture de banques…) ou l’existence de plans de sauvetage bancaire.

1.2.4 Les autres crises

L’étude des autres marchés d’actifs, comme celui des matières premières, répond à la même logique : définition d’un seuil de variation aléatoire ou construction d’un indicateur de tension correspondant à 1,5 ou 2 écarts-types par rapport à la moyenne observée sur une période donnée.

Quels que soient les indicateurs utilisés, le fait le plus notable sur longue période est qu’à l’échelle mondiale la probabilité de connaître une crise financière a doublé depuis la fin des accords de Bretton Woods. Ce constat interroge sur l’évolution des facteurs à l’origine des crises financières.

1.3 Les facteurs à l’origine des crises financières

Les facteurs à l’origine des crises financières sont multiples. On peut distinguer trois catégories principales. La première concerne la situation des fondamentaux macroéconomiques des économies et plus précisément les déséquilibres connus par ces derniers qui vont générer des crises (section 1.3.1). La deuxième concerne les modifications de l’environnement institutionnel dont les modifications vont être potentiellement génératrices de crise le temps que les agents s’adaptent à ces nouveaux environnements (section 1.3.2). Enfin, un troisième facteur renvoie au fonctionnement même du système financier qui peut être générateur d’instabilité (section 1.3.3).

1.3.1 Le rôle des déséquilibres globaux

Durant les années 1980, la recherche économique s’est concentrée sur la recherche des fondements macroéconomiques à l’origine des crises financières. La crise mexicaine de 1982 a favorisé ces travaux. La crise mexicaine s’explique en effet par la conjonction de la hausse des taux d’intérêt sur les marchés mondiaux suite au durcissement de la politique monétaire américaine dans un contexte de fort endettement de l’Etat mexicain en devise. La recherche s’est intéressée à l’étude des facteurs de vulnérabilité liée aux déséquilibres des fondamentaux macroéconomiques : déficit public, déficit extérieur, endettement des agents privés. Cependant, les crises des années 1990 montrent qu’elles sont beaucoup moins la conséquence directe de déséquilibres non soutenables des fondamentaux. Elles peuvent s’expliquer par le phénomène de contagion (voir section 2), mais aussi par le fait des interactions complexes entre les anticipations des investisseurs et les réactions des autorités monétaires.

Le cadre institutionnel dans lequel s’effectuent ces interactions s’est profondément modifié ces trente dernières années. Trois changements majeurs : déréglementation des systèmes financiers domestiques, globalisation financière, innovations radicales (produits dérivés, technologies de l’information et de la communication) l’ont particulièrement modifié.

1.3.2 Le triptyque déréglementation, globalisation et innovations radicales

La déréglementation financière a permis un décloisonnement des marchés en estompant la distinction entre banques commerciales et banques d’investissement ou entre activités bancaires et activités assurantielles. Ces modifications vont modifier le comportement des acteurs. Schématiquement, cette nouvelle concurrence entre les acteurs financiers va engendrer une hausse de la prise de risque pour préserver les marges. Le rôle traditionnel du secteur financier basé sur l’alignement des besoins d’épargne avec les projets d’investissement (voir Fiche 9) se trouvent ainsi mêlé aux objectifs internes de rentabilité du secteur.

Cette évolution est renforcée par l’ouverture des secteurs financiers des économies émergentes dans le cadre de la globalisation financière. L’entrée sur les marchés mondiaux de capitaux s’accompagne d’un boom économique tiré par un processus d’accélérateur financier (voir section 1.3.3) qui n’est pas interprété comme une phase transitoire. Les pays s’endettent en monnaies étrangères et les résidents voient s’ouvrir la possibilité d’un arbitrage entre monnaie domestique et monnaie internationale, ce qui n’est pas sans déstabiliser la confiance dans le système bancaire domestique. L’ouverture mal encadrée du compte de capital de ces économies peut ainsi engendrer simultanément l’apparition de crises de change et de crises bancaires. Ce sont les crises jumelles (voir section 2).

Les nouveaux instruments financiers complexes comme les produits dérivés jouent également un rôle majeur pour comprendre les origines des crises financières contemporaines. Leur rôle est néanmoins complexe car il s’agit à la fois d’instruments permettant une meilleure diversification des risques mais dans le même temps il peut s’agir d’instruments spéculatifs ce qui peut accroître les risques. Le cas de la crise des subprimes constitue le parfait exemple de cette ambiguïté. Ainsi, le modèle explicatif des crises financières reste-t-il encore à construire.

1.3.3 La nature même du système financier

On peut relever deux principaux mécanismes spécifiques au secteur financier qui vont concourir à l’apparition des crises.

Le premier tient à la nature même des activités financières qui sont basées sur des anticipations. Rappelons qu’aujourd’hui la création monétaire est essentiellement due aux activités d’octroi de crédit et donc sur la confiance dans les capacités de remboursement des agents (voir Fiche 9). Aussi, la prise de risque est-elle consubstantielle aux activités financières. Une crise survient le plus souvent quand la prise de risque est procyclique pendant la période d’expansion de l’activité économique. Cette procyclicité peut s’expliquer par une certaine myopie des acteurs qui vont privilégier la rentabilité à court terme et sous-estimer les risques d’insolvabilité conduisant à l’apparition de bulles spéculatives qui peuvent être rationnelles et engendrer des crises lorsqu’elles éclatent.

Le deuxième mécanisme relève du fonctionnement et de la dynamique même du crédit bancaire. En effet, la course aux crédits liés à la concurrence entre les établissements financiers peut conduire à un phénomène d’accélération financière qui va faire croître la taille des bilans des entreprises. Lors des phases de retournement, la déformation de la structure des bilans fait apparaître un risque systémique qui peut affecter la bonne circulation des flux dans les circuit de paiement pouvant plonger dans la faillite à la fois les entreprises financières et non financières.

Ainsi, que le financement soit direct ou intermédié, il est porteur de risques qui peuvent conduire à des crises financières dont les conséquences en matière de réduction de la croissance ou de pertes d’emplois peuvent s’avérer dramatiques. Ces conséquences adverses seront d’autant plus néfastes que les interconnexions entre les différents acteurs économiques et les différents marchés seront importantes.

2 Les interconnexions

Pour que la phase baissière se transforme en un retournement il est nécessaire que les effets de la crise s’exercent à grande échelle. On décrit souvent cette propagation comme étant le résultat d’un phénomène de contagion. Toutefois la contagion est un phénomène complexe qui peut s’exercer sous différentes formes en fonction de la nature des interconnexions en jeu. Les interconnexions peuvent comporter une dimension géographique et la contagion s’exercer entre différentes économies (section 2.1). Elles peuvent aussi s’exercer entre différents marchés (section 2.2).

2.1 Entre économies

On doit une première typologie des phénomènes de contagion à Paul Masson à la fin des années 1990. Ce dernier distingue deux catégories de phénomènes de contagion basés sur une détérioration des fondamentaux qui vont avoir des conséquences régionales : les phénomènes de mousson (section 2.1.1) et les effets de débordement (section 2.1.2).

2.1.1 Les phénomènes de mousson (monsoonal contagion)

La première catégorie d’effet de contagion mise en exergue par Paul Masson est qualifiée de phénomènes de mousson. Ces phénomènes sont issus d’une même série de perturbation qui va affecter des pays différents en même temps parce que les causes sont communes. L’exemple type est la crise mexicaine de 1982 engendrée par la hausse des taux d’intérêt américain suite au durcissement de la politique monétaire américaine dont les conséquences ont touché au même moment les économies d’Amérique latine.

2.1.2 Les effets de débordements (spill-over effects)

La deuxième catégorie d’effet de contagion est qualifiée d’effets de débordement. Elle intervient entre des économies qui entretiennent des relations d’échanges nourries, soit au niveau des activités commerciales, soit au niveau financier, voire les deux. L’exemple type est celui de la crise des changes en Europe au début des années 1990. Les attaques spéculatives contre la Lire ou la Livre sterling ont déstabilisé l’ensemble du Système monétaire européen.

Ces deux catégories d’effet ont conduit des auteurs comme Graciela Kaminsky et Carmen Reinhart à considérer que la contagion était avant tout un phénomène non linéaire régional qui transitait par le canal bancaire. Ce constat invite à s’interroger à une autre catégorie d’effets de contagion : la contagion entre les différents marchés.

2.2 Entre marchés

Paul Masson considérait la contagion entre les marchés comme un cas de contagion pure (section 2.2.1). Toutefois, l’étude des effets de contagion entre les marchés a été profondément renouvelée récemment en introduisant les situations de stress et de panique financière (section 2.2.2) et par les modèles de crise de change dits de troisième génération (section 2.2.3).

2.2.1 La contagion pure

L’analyse de la contagion entre marchés menée par Paul Masson s’intéresse aux causes subjectives des crises financières. Les phénomènes de contagion sont ici liés aux sentiments des opérateurs ou au climat des affaires. Dans un contexte de difficulté d’accès à l’information et où la concurrence entre les intermédiaires financiers est exacerbée, des phénomènes de défiance envers une économie ou un marché particulier peuvent apparaître et générer des crises.

2.2.2La shift-contagion

Les travaux de Paul Masson trouvent un prolongement naturel dans une quatrième catégorie d’effet de contagion qualifiée de shift-contagion qui introduit la dimension du stress et de la panique financière. L’idée est que les situations de crise induisent une augmentation brutale des interdépendances financières. Par exemple, on observe une hausse de la corrélation des rendements des titres financiers qui va générer une hausse des flux financiers et accroître la propagation des chocs. Sur un plan empirique ces effets sont difficiles à mesurer car il est délicat de distinguer les causes des effets de la crise (il y a de nombreux problèmes d’identification des phénomènes, d’endogénéité des variables etc.). L’exemple de la faillite de Lehman Brothers en 2008 illustre ce type de mécanismes. Dans un état de panique, les marchés financiers ont surréagi dans le même sens ce qui a engendré et/ou accéléré la diffusion de la crise à l’échelle mondiale.

2.2.3 Les modèles de crise de change de troisième génération

La prise en compte des liens entre les différents marchés financiers a permis de renouveler la compréhension des crises de change. Comme le rappelle André Cartapanis dans le rapport du CAE ce ne sont plus des crises de change stricto sensu, c’est-à-dire des distorsions de change qui vont créer des distorsions sur le marché des devises. Les modèles de troisième génération s’intéressent à la dynamique d’instabilité financière ou bancaire, avec des modèles de ruée vers les guichets, de désajustements des bilans bancaires qui vont avoir des conséquences sur le marché des changes ou des problèmes liés à l’éclatement de bulles spéculatives. Les modèles s’intéressent ensuite aux problèmes d’illiquidité bancaire qui peut générer le déclenchement d’une crise systémique.

On comprend aisément l’intérêt de ces modèles de troisième génération. D’une part, ils permettent d’expliquer le phénomène contemporain des crises jumelles. Les crises jumelles combinent crise bancaire et crise des changes. L’idée est de combiner les phénomènes de spéculation contre la monnaie nationale et une vague de défaillances bancaires. Ainsi, les crises jumelles se déclenchent lorsque se combinent une méfiance à l’égard du système de change avec une méfiance à l’égard de la liquidité ou de la solvabilité des intermédiaires bancaires. La crise asiatique de 1997-1998 est un parfait exemple de crise jumelle.

Si la connaissance des origines des crises et de leurs différentes modalités d’expression et de propagation est à la fois nécessaire et difficile, il est encore plus délicat de trouver une réponse adaptée pour les contrecarrer ou plus modestement faciliter leur résorption.

3 Les réactions : la recherche de la stabilité financière

La crise financière de 2008 et ses conséquences tant en matière de croissance que d’emplois ont rappelé combien la stabilité était importante. Ainsi, un rapport de France Stratégie sur l’état de la France en 2025 relève une hausse de 800 000 demandeurs d’emplois entre 2008 et 2014. Sur la même période la dette publique a progressé de 57% en augmentant de 700 milliards d’euros. Entre 2008 et 2012, la croissance du PIB n’a progressé que de 1,6%, si bien que le PIB par habitant s’est réduit sur la période. Au-delà de la situation française, c’est l’ensemble de l’économie mondiale qui a connu des conséquences similaires. La stabilité financière est devenue une mission principale des banques centrales aux côtés de la stabilisation des prix. La Banque de France écrit ainsi que « la stabilité financière est l’une des missions essentielles des banques centrales. Le système financier doit être robuste et fonctionner efficacement en toutes circonstances, y compris en situation de crise ». Certains vont même plus loin en considérant la stabilité financière comme un bien public mondial. La stabilité financière repose sur deux piliers. Le premier concerne l’encadrement des acteurs du système financier à travers la surveillance microprudentielle (section 3.1). Le second se situe à un niveau plus large avec la définition et l’encadrement de l’architecture institutionnelle gouvernant les systèmes financiers à travers la surveillance macroprudentielle (section 3.2).

3.1 La surveillance microprudentielle

La surveillance microprudentielle se définit comme l’ensemble des institutions visant à faire respecter par les établissements des règles de fonctionnement et des ratios prudentiels destinés à éviter les faillites et à protéger les investisseurs et les déposants. Le volet microprudentiel de la stabilité financière n’est pas récent. On peut le faire remonter à la création du Comité de Bâle dans la première moitié des années 1970 (section 3.1.1). La mise en place de ce Comité a permis l’élaboration et la diffusion de règles à travers les Accords de Bâle qui sont transposés en droit européen et appliqués principalement dans la zone euro (section 3.1.2).

3.1.1 Le Comité de Bâle

Le Comité de Bâle est une instance internationale basée en Suisse qui est chargée de concevoir les règles bancaires internationales. Il est composé des gouverneurs des banques centrales et des autorités de supervision bancaires. Les règles, aussi appelées Accords de Bâle, ont pour objet d’assurer la stabilité du système bancaire mondial, de garantir un contrôle efficace des banques et de promouvoir une coopération entre les superviseurs bancaires. Les principales règles portent sur la définition de ratios minimum de fonds propres qui restent bloqués et doivent rester dans le bilan des banques dans le but de réduire les risques de liquidité bancaire évoqués plus haut.

3.1.2 Les Accords de Bâle

Les règles ou Accords de Bâle sont au nombre de trois, voire quatre. Les premiers accords datent de 1988 et ont instauré le premier ratio de fonds propres minimal : le ratio Cooke. Le ratio Cooke impose de conserver dans le bilan bancaire un seuil minimum de 8% des engagements consentis par les établissements. Les deuxièmes accords de Bâle, ou Accords de Bâle II, ont été élaborés en 2004. Ils mettent l’accent sur les risques et imposent aux banques la mise en place de méthodes internes d’évaluation des risques. Les règles de calcul des fonds propres évoluent et intègrent le risque opérationnel. Ils introduisent une notion de fonds propres durs : le Tier One. Le ratio Cooke est remplacé par le ratio McDonough. L’accent est également mis sur la transparence. La crise financière de 2008 voit le durcissement des Accords précédents. En 2010, les propositions des Accords de Bâle III sont élaborées. En 2013, le seuil minimal de fonds propres est conservé à 8% mais avec 4,5 points de fonds propres durs. Le seuil devrait augmenter pour atteindre 10,5% des engagements dont 6 points de Tier one en 2019. En outre, un ratio de levier a été créé afin de pouvoir diminuer le levier des banques en contrôlant ce ratio. Ce ratio est calculé comme le montant des fonds propres durs rapportés à l’ensemble des actifs de l’établissement. Il est ensuite demandé aux établissements bancaires de sélectionner des actifs facilement cessibles sans perte de valeur pour pouvoir faire face à d’éventuelles ruées vers les guichets. Enfin, les actifs doivent être évalués en fonction de la qualité du risque de leurs engagements ce qui suppose de pouvoir les évaluer correctement. L’harmonisation des méthodes de calcul du risque au niveau mondial est encore en négociation en 2018. Ce point important est d’ailleurs considéré par certains comme un accord de Bâle à part entière et est parfois nommé Accords de Bâle IV, bien qu’il s’agisse surtout de la finalisation des accords de Bâle III. Toutefois, les premières règles de ces accords sont d’ores et déjà transposés en droit européen à travers la directive sur les exigences de fonds propres CRD4 et le règlement CRR applicables tous deux depuis 2014.

La stabilité financière comprend également un second volet centré sur le contrôle de l’environnement dans lequel évolue les acteurs des systèmes financiers : la surveillance macroprudentielle.

3.2 La surveillance macroprudentielle

La politique macroprudentielle peut se définir comme la lutte contre la propagation des risques systémiques. Les effets de contagion mentionnés dans la deuxième section de cette fiche imposent de pouvoir articuler cette lutte au niveau international et se heurtent à l’épineuse question de l’absence d’une véritable gouvernance mondiale en la matière (section 3.2.1). Des avancées majeures sont néanmoins réalisées à des échelles plus réduites, notamment régionales. Parmi celles-ci, l’exemple de la zone euro est le plus abouti avec la mise en place des premiers instruments nécessaires à l’institution d’une véritable union bancaire au sein de la zone (section 3.2.2).

3.2.1 Comment gouverner sans gouvernement ? La gouvernance financière mondiale

Au niveau institutionnel le principal défi repose sur l’absence d’une véritable gouvernance mondiale qui pourrait prévenir ou contenir les effets des crises systémiques. En 2008, lors du sommet de Washington, les membres du G20 se sont accordés sur un plan d’actions exceptionnelles afin d’éviter l’effondrement du système financier et économique. Ainsi, les différents pays ne s’accordent pas pour mettre en place ce qui pourrait être vu comme un nouveau Bretton Woods mais mettent en place les jalons d’une nouvelle gouvernance financière internationale. Cependant, celle-ci reste fondamentalement déclinée au niveau des principes : amélioration de la transparence et de l’accès à l’information, modernisation des réglementations prudentielles des institutions financières, confortation de la place des Institutions financières internationales comme le FMI et la Banque mondiale qui ont connu une vague de critiques aux débuts des années 20003, correction des systèmes d’incitations qui gouvernent les décisions du secteur privé pour lui faire supporter une part appropriée du fardeau en temps de crise. Cette dernière idée découle de deux constats majeurs. D’une part, la nouvelle gouvernance mondiale repose de moins en moins sur les Etats. En effet, des acteurs ont vu s’accroître leur rôle de façon considérable, c’est le cas des multinationales dont la taille des bilans dépasse parfois celle des budgets nationaux. En outre, certains Etats refusent d’être liés par des règles prudentielles internationales. Ainsi, par exemple, les Accords de Bâle III n’ont commencé à être intégrés qu’en 2013 aux Etats-Unis, cette intégration n’étant d’ailleurs pas intégrale et progressive. D’autre part, la crise de 2008 a profondément réduit les marges d’intervention budgétaire des Etats, principalement en Europe frappée de plein fouet par la crise des dettes souveraines en 2010-2011 (voir Fiche 12). Ces évolutions consacrent le rôle grandissant pris par la société civile dans la définition des règles gouvernant les marchés et interrogent sur des nouveaux modèles de coordination qui dépassent le cadre des Etats-Nations.

3.2.2 L’architecture institutionnelle européenne : vers l’union bancaire

Cette problématique n’est toutefois pas incompatible avec des initiatives régionales. Ainsi, pour faire face à la crise de 2008, l’Union européenne a posé les jalons de la mise en place d’une Union bancaire qui peut être considérée comme une nouvelle étape renforçant l’intégration économique européenne. Dès 2010, l’Europe s’est dotée d’un Comité européen du risque systémique (CERS) qui a pour mission la surveillance du système financier de l’Union européenne afin de prévenir et atténuer les risques systémiques. En 2013, la France a mis en place le Haut Conseil de la Stabilité Financière qui est la déclinaison nationale du CERS. Mais c’est en 2014 que les premiers jalons de l’Union bancaire ont été effectivement posés. Schématiquement une Union bancaire repose sur trois piliers : la surveillance des banques, le traitement des éventuelles défaillances bancaires et la mise en place d’un système commun de protection des dépôts. 2014 marque l’entrée en vigueur du Mécanisme européen de supervision unique (MSU). Le MSU est un mécanisme de supervision intégrée des établissements de crédit de la zone euro. Dans le cadre du MSU, la BCE peut prendre des décisions contraignantes à l’encontre des établissements supervisés, comme la fixation des exigences de fonds propres. Le second pilier de l’Union bancaire a été mis en place en 2016 avec l’entrée en vigueur du Mécanisme européen de résolution unique (MRU). L’objectif du MRU est de mettre fin à la prise en charge publique des conséquences des défaillances bancaires avec les mécanismes de fixation des garanties ou de renflouement des établissements bancaires (on peut citer l’exemple des caisses d’épargne régionales espagnoles ou des établissements bancaires régionaux allemands). En 2018, des discussions restent en cours pour mettre en place un fonds de résolution unique à hauteur de 0,8% des dépôts garantis qui constituerait le socle du troisième pilier de l’Union bancaire.

L’Union bancaire permet de d’apporter un mécanisme intégré de prévention et de résolution des crises qui passe par un système de gouvernance qui dépasse les Etats-Nations sans amoindrir leur légitimité. Elle présente ainsi un double avantage : s’intégrer dans un cadre institutionnel existant, sans peser sur les finances publiques qui ont été fragilisées par la crise de 2008 (voir Fiche 12).

1 Les autres détonateurs sont la conjonction de la baisse de la valeur du dollar avec la hausse du prix du pétrole dans un contexte de défiance vis-à-vis des nouveaux instruments financiers.

2 Conseil d’Analyse Economie, (2004), Les crises financières, La documentation française, 413 p.

3 L’ouvrage de Joseph Stiglitz, La grande désillusion, publié chez Fayard en 2002 livre un condensé des principales critiques.

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