Les fondements, la rareté, les incitations, l'efficacité, l'équilibre

Modifié par Julien Lenoir le 27 septembre 2018

Par Philippe Frouté : Maître de conférences des Universités
Dernière mise à jour : Novembre 2016

Le dictionnaire Larousse1 propose plusieurs définitions de l’économie :

  • Il s’agit de « l’ensemble des activités d’une collectivité humaine relatives à la production, à la distribution et à la consommation des richesses ».
  • Il s’agit également d’un mode de « gestion où l’on réduit ses dépenses, où on évite des dépenses superflues. »
  • Il s’agit également d’un mode de régulation de l’activité : l’économie est un mode « d’organisation visant à une diminution des dépenses, à une adaptation parfaite au but visé. »

Ces trois définitions sont complémentaires et mettent en avant les différentes facettes de l’analyse économique. La science économique permet d’éclairer les choix individuels (section 1) et collectifs dans un contexte d’interactions (section 2). Plus largement, la science économique éclaire le fonctionnement de l’économie dans son ensemble (section 3). Le raisonnement économique s’appuie sur des fondements permettant d’inférer le résultat de différents comportements puis de les tester empiriquement ce qui permet d’adapter les politiques menées ou d’en concevoir des nouvelles. Cette fiche présente les principaux fondements de l’analyse économique.

1.La prise de décision individuelle

1.1. La rareté

La science économique étudie la façon dont les individus utilisent les ressources à leur disposition pour satisfaire leurs besoins et désirs. Le problème initial est que l’être humain est doté d’une capacité quasi-illimitée à désirer des choses mais que les ressources à sa disposition pour satisfaire ces désirs sont souvent limitées. L’analyse économique s’efforce de réduire l’écart entre ce que les individus souhaitent et ce qu’ils peuvent obtenir. En d’autres termes, la science économique est l’étude de la gestion par la société de ses ressources rares, la rareté étant définie comme la propriété ou la caractéristique des ressources économiques qui existent en quantités limitées. La rareté conduit les individus à effectuer des choix.

1.2. Choisir signifie renoncer : la notion d’arbitrage

En économie, la notion de choix est spécifique. En effet, la rareté des ressources implique le plus souvent qu’une fois qu’elles ont été mobilisées pour obtenir quelque chose elles ne seront plus disponibles ou redéployables. Pour rendre compte de cette situation l’économiste se réfère à la notion d’arbitrage. Par exemple, lorsque vous renoncez à exercer une activité pour passer du temps à préparer un concours, vous renoncez à toucher une rémunération immédiate dans l’espoir de percevoir un flux de rémunérations futures ou une satisfaction plus importante. Il s’agit d’un arbitrage intertemporel qui mobilise de nombreux éléments, notamment la comparaison des flux de rémunérations et l’incertitude liée à l’obtention ou non du concours.

1.3. Efficacité et efficience

Le choix entre les différentes alternatives possibles repose sur des critères d’efficacité. L’efficacité est à distinguer de l’efficience. Un choix efficace est un choix qui permet de parvenir à ses fins. Lorsque l’on évalue les politiques publiques, on oppose souvent la recherche de l’efficacité à celle de l’équité. Par exemple, il peut sembler plus efficace d’imposer plus fortement les individus qui ont la disposition à payer la plus importante afin de rentabiliser la collecte de l’impôt. Mais, ce faisant, des individus seraient plus imposés que d’autres ce qui peut ne pas être équitable. En fonction des choix de société, il peut être jugé plus équitable d’imposer chacun de la même façon pour respecter un principe d’égalité devant l’impôt. Ce choix dépend du modèle social adopté par un État. Le système fiscal qui concilie le mieux les différents objectifs, compte tenu des ressources disponibles et des objectifs à atteindre, sera dit efficient. L’efficience, par opposition à l’efficacité, est le meilleur des choix possibles compte tenu des contraintes existantes. Ainsi, tous les choix efficients sont efficaces tandis qu’un choix efficace ne sera pas forcément efficient.

1.4. Les coûts d’opportunité

Pour pouvoir prendre une décision, il est nécessaire de pouvoir comparer les différentes alternatives et mesurer ce à quoi il faut renoncer pour obtenir quelque chose. La mesure de cette renonciation est un coût d’opportunité. Le coût d’opportunité n’est pas une notion comptable, il s’agit d’une notion contrefactuelle où l’on évalue ce qui se passerait si une décision alternative était prise. Les coûts envisagés sont donc des coûts hypothétiques. Le critère de choix repose sur la différence entre les bénéfices et les coûts anticipés. La meilleure décision possible sera celle pour laquelle cette dernière différence sera la plus petite.

1.5. Les incitations

La décision repose ainsi sur la comparaison entre les avantages et les coûts. Toutefois, si les avantages et les coûts évoluent, le résultat de la comparaison précédente peut changer. Dans ce cas, les individus pourront adapter leur choix. En d’autres termes, les choix individuels répondent aux incitations reçus par les individus. Les incitations peuvent avoir plusieurs origines : évolution des prix, évolution des politiques, évolution de la législation...

Par exemple, le renchérissement du prix d’un bien peut réorienter la consommation vers des produits substituts qui ont conservé le même niveau de prix. C’est le cas lorsque l’on augmente le niveau d’imposition sur certains biens (essence, tabac, etc.). Toutefois cet effet ne s’observe pas sur tous les types de bien. L’effet existe sur les biens dits normaux pour lesquels existent des biens substituts. D’autres types de bien ne suscitent pas les mêmes comportements. Les biens de première nécessité continuent d’être consommés même si leur prix évolue. Pour les biens de luxe, l’effet observé est même inversé, plus les prix augmentent, plus leur consommation augmente (dépenses ostentatoires).

La sensibilité de la consommation à l’évolution des prix est mesurée par l’élasticité de la demande au prix. Plus cette élasticité sera élevée plus cela signifiera que les individus sont sensibles aux incitations reçues. En revanche, si l’élasticité est faible, les individus ne modifieront pas sensiblement leur comportement face à une évolution des incitations reçues.

Ces décisions vont non seulement influencer la situation des individus qui les prennent mais également celles des individus avec lesquels ils interagissent.

2. Les interactions économiques

2.1. L’optimalité des échanges

Les interactions économiques sont le plus souvent analysées dans le cadre des échanges marchands, mais ces analyses peuvent s’étendre à l’ensemble des situations où des décisions sont prises en tenant en compte des réactions prévisibles des différents participants. Une branche spécifique de la science économique s’intéresse à ces problèmes. Il s’agit de la théorie des jeux qui peuvent être non coopératifs lorsque les différentes parties prenantes sont des concurrents ou coopératifs lorsque les différentes parties sont des partenaires. Les principaux modèles de théorie des jeux ont été développés par des auteurs comme Antoine Cournot, John von Neumann, Oskar Morgenstern, John Nash ou Thomas Schelling.

Parmi les principaux débats concernant l’analyse des échanges, le débat principal concerne les gains à l’échange et leur répartition. Les théories traditionnelles du commerce international (analyse ricardienne et théories des dotations factorielles d’Eli Heckscher, Bertil Ohlin et Paul Samuelson) montrent que l’échange entre deux économies peut améliorer la situation de chacune de ces économies. Cette amélioration résulte de l’accroissement des possibilités de consommation et de la diminution des coûts de production engendrée par la spécialisation des économies dans la production de biens et services pour lesquels les économies bénéficient d’un avantage comparatif. Dans ce cadre, les différentes parties prenantes aux échanges sont plutôt des partenaires que des concurrents (voir Fiche 8).

2.2. La « Main Invisible »

Dans les théories traditionnelles, les agents économiques parviennent à cette situation optimale en poursuivant leur intérêt privé propre. Le fondateur de l’économie classique, Adam Smith, décrit en 1776 dans un ouvrage intitulé Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations comment une « Main Invisible » orienterait les ménages, les entreprises et les gouvernements vers ces situations idylliques. La coordination des décisions individuelles ne nécessiterait pas la mise en place d’institutions spécialisées comme des autorités administratives indépendantes d’analyse et/ou de régulation comme l’Autorité de la concurrence ou le Défenseur des droits. Selon les théoriciens classiques, les interactions de marché suffiraient en effet à assurer cette coordination.

2.3. Des échanges sous-optimaux

Les théories traditionnelles n’expliquent cependant pas la répartition des gains à l’échange. Il peut y avoir des perdants à l’échange (Paul Krugman et Dani Rodrik). Par exemple, les nouvelles théories mettent en avant les comportements anticoncurrentiels des entreprises et la nécessité de les encadrer par des institutions appropriées (droit de la concurrence, régulation etc.). Le comportement naturel d’une entreprise est en effet la recherche du profit qui passe par la quête de parts de marché qui peut aboutir à des situations oligopolistiques avec un nombre limité d’acteurs présents sur un marché qui vont chercher à s’entendre (phénomène de collusion et d’entente). Le résultat pour le consommateur est une situation où les quantités échangées se trouvent réduites et les prix de vente plus élevés. Cette situation réduit donc le bien-être des consommateurs. Les nouvelles théories du commerce international appliquent ces raisonnements aux échanges internationaux et à la question de la répartition des richesses liées aux interactions commerciales. Les interactions commerciales peuvent ainsi être inégalitaires et sous-optimales. Cependant, les nouvelles théories ne permettent pas de systématiser les résultats. Chaque interaction est particulière et doit être analysée individuellement pour éviter les situations de défaillances de marché (voir Fiche 3).

Les acteurs économiques vont se prémunir de ces situations en cherchant à anticiper de manière rationnelle le résultat de leurs actions en tenant compte des réactions prévisibles de leurs partenaires et de leurs concurrents. Ces mécanismes aboutissent à des situations où les différents acteurs et les différentes variables de l’économie, principalement les quantités échangées et les prix, ne vont plus évoluer. On parle alors d’équilibre. On peut décrire le fonctionnement de l’économie à partir de la description de ces situations d’équilibre.

3. Le fonctionnement de l’économie

3.1. Équilibre partiel et équilibre général

Il existe différents types d’équilibres. Lorsque que l’on ne s’intéresse qu’à l’équilibre sur un marché donné, on parle d’équilibre partiel. C’est le cas par exemple, lorsqu’il n’y a plus d’ajustement ou de négociations sur un marché pour définir les prix et les quantités vendues.

On parle d’équilibre général lorsque l’on atteint simultanément une situation d’équilibre sur l’ensemble des marchés. Les théories de l’équilibre général ont donné lieu à de nombreux travaux. Les origines des théories de l’équilibre général remontent aux auteurs néoclassiques comme Leon Walras et Alfred Marshall. On trouve aussi parmi les auteurs les plus connus, Kenneth Arrow, Gérard Debreu et David McKenzie. La principale difficulté des modèles d’équilibre général porte sur la modélisation des interactions entre les différents marchés. Compte-tenu de ces interactions qui imposent et figent les liens entre les différentes variables plusieurs questions cruciales émergent : l’existence de l’équilibre, l’unicité de ce dernier et sa stabilité.

3.2. Existence, unicité et stabilité des équilibres

Ces questions ne sont pas triviales. Si Léon Walras et Alfred Marshall ont pu exhiber les conditions pour qu’un tel équilibre existe, Hugo Sonnenschein, Rolf Mantel et Gérard Debreu ont quant à eux montré que dans le cadre de la concurrence pure et parfaite, l’unicité et la stabilité de l’équilibre n’étaient pas garanties. Ainsi, en cas de multiplicité des équilibres, comment choisir le bon ? En outre, rien ne garantit qu’un processus d’ajustement comme un tâtonnement permette de converger vers un équilibre. En d’autres termes, le théorème des trois auteurs précédemment cités remet en cause la théorie de la Main Invisible. On ne peut pas déduire des comportements maximisateurs des agents économiques de quelconques conditions sur la forme de leur fonction de demande nette globale ce qui revient à dire que les équilibres, s’ils existent, ne sont pas forcément atteints. Lorsqu’ils le sont, différentes configuration d’équilibre sont possibles.

3.3. L’équilibre de Pareto

Une première notion d’équilibre a été étudiée par Vilfredo Pareto. Vilfredo Pareto définit l’optimum économique comme étant une situation où il n’est plus possible d’améliorer sa situation individuelle sans détériorer celle d’une autre personne. L’équilibre de Pareto se comprend comme la situation où aucune modification de la distribution des ressources ne peut améliorer la situation de l’ensemble de la société. D’autres notions d’équilibre existent.

3.4. L’équilibre de Nash

Par exemple, l’équilibre de Nash est une notion d’équilibre centrée sur la prise en compte des interactions entre les individus et les anticipations des comportements de ces derniers. L’équilibre de Nash se définit alors comme une situation où personne n’a intérêt à changer de stratégie. Contrairement à l’équilibre de Pareto, l’équilibre de Nash se comprend comme étant une situation où personne ne peut modifier seul sa situation sans détériorer sa position personnelle. L’équilibre de Nash suppose que chacun agit en intégrant les effets de ses actions sur les stratégies mises en œuvre par les autres individus et en anticipant les réactions de ces derniers. L’équilibre de Nash appartient à la catégorie des jeux non coopératifs mentionnée plus haut.

3.5. Équilibre statique et équilibre dynamique

La notion d’équilibre peut en outre s’envisager sous un angle statique ou dynamique. Un équilibre statique est un équilibre qui s’établit pour une période donnée entre les variables d’un système pour lesquelles l’ensemble des paramètres du système sont donnés. Les valeurs passées ou anticipées des paramètres ou des variables ne sont pas prises en compte. Par exemple, on considère que les prix d’hier n’influencent pas les prix d’aujourd’hui ni la demande. Ces équilibres sont utiles lorsque l’on envisage des exercices de statique comparative si l’on veut étudier l’impact immédiat d’un changement dans les valeurs d’un paramètre, par exemple l’influence immédiate d’une hausse de la TVA sur la consommation de tabac.

En revanche, l’étude des impacts à long terme nécessite de définir des équilibres dynamiques. Les équilibres dynamiques reposent sur l’étude des réponses des systèmes économiques aux changements des paramètres et des variables à la suite de l’écoulement du temps. La valeur prise à un moment du temps par une variable est déterminée par les valeurs prises par cette variable et d’autres au cours du temps. On parle également d’équilibres intertemporels. La prise en compte du temps a donné lieu à de nombreuses théories sur l’évolution économique, notamment à travers les travaux de Joseph Schumpeter et les théories des cycles et des fluctuations économiques.

3.6. Les cycles économiques

Les théories sur les cycles économiques décrivent les alternances de différentes phases d’activité économique - reprise, expansion, surchauffe et récession - qui vont influencer les relations entre les variables économiques. Ces successions de phases vont permettre de comprendre les évolutions de fond de l’activité. On distingue plusieurs types de cycles qui se caractérisent par leur durée. Du plus court au plus long on trouve les cycles Kitchin (sur 3 ans), Juglar (de 6 à 11 ans) et Kondratiev (entre 30 et 50 ans) (voir Fiche 4).

La récente crise économique et financière illustre combien les situations d’équilibre sont fragiles. Dès les années 1970, des économistes comme Edmond Malinvaud et Jean-Pascal Bénassy ont cherché à montrer comment des situations de déséquilibres pouvaient être durables. S’intéressant à un contexte de chômage involontaire de longue durée, les auteurs établissent des ponts entre les théories macroéconomiques et microéconomiques en s’intéressant au rationnement des marchés. Ces théories ont eu de nombreuses déclinaisons tant au niveau des théories de la croissance (croissance endogène – voir Fiche 7) que des théories du marché du travail (théorie du job searchvoir Fiche 5).

1 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/%C3%A9conomie/27630

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