Par Denis FRAYSSE
Dernière mise à jour : octobre 2019

1. Définition

Le terme "micropolluant" désigne un composé ou substance minéral ou organique dont les effets peuvent être toxiques pour l’homme et/ou les écosystèmes à de très faibles concentrations, de l'ordre du millionième de gramme par litre (µg/l) ou du milliardième de gramme par litre (ng/l).

Deux familles de composés sont à distinguer :

  • Les micropolluants minéraux : il s’agit principalement des métaux. Ils peuvent être à la fois toxiques lorsqu’ils sont en grande quantité ou indispensables à la vie en faible quantité (oligo-éléments). Leur présence dans le milieu peut être naturelle. Les principaux métaux suivis sont le cadmium, le mercure, le cuivre, le chrome, le zinc, le nickel, le plomb… Les composés minéraux proviennent surtout des activités industrielles, minières et agricoles.
  • Les micropolluants organiques sont très nombreux. Il est difficile d’en faire la liste du fait de la complexité de leur analyse et, pour certains, du manque d’informations disponibles. On peut citer les solvants, les plastifiants, les détergents, les désinfectants, les conservateurs, les médicaments (antibiotiques, antidépresseurs...), les hormones synthétiques ou naturelles, les produits de combustion (HAP, dioxines), les biocides et les pesticides. Ils sont pour la plupart des produits de synthèse.

Cas particuliers des perturbateurs endocriniens
Ils regroupent une vaste famille de composés, capables d'interagir avec le système hormonal. Ainsi, ces composés affectent potentiellement différentes fonctions de l’organisme : métabolisme, fonctions reproductrices, système nerveux. Les conséquences biologiques de ces substances sont complexes à étudier et l’Endocrine Society - la principale société savante sur les questions d’hormones, rassemblant 18000 chercheurs et cliniciens internationaux - précise qu’il est « impossible d’identifier les seuils d’action d’un perturbateur endocrinien » en raison du fonctionnement particulier du système hormonal. Selon l’association écologiste Générations futures, qui a analysé les résultats d’une étude de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), sur les 109 843 résidus de pesticides trouvés par l’EFSA dans des produits de consommation, 69 433 sont des restes de pesticides suspectés d’être des perturbateurs endocriniens soit 63 %.

Les connaissances sur les micropolluants ne sont pas encore complètes, ils représentent plus de 110 000 composés avec des propriétés chimiques différentes.

Selon leur nature, ils peuvent avoir plusieurs origines :

  • industrielle (chimie, métallurgie, cosmétique…) et artisanale,
  • domestique (produits ménagers, peinture, médicaments, pesticides…),
  • en lien avec l'entretien des espaces verts et l'agriculture (pesticides),
  • par les apports atmosphériques (produits issus de la combustion comme les HAP), sous forme diffuse, par relargage de pollution ancienne (PCB),
  • par ruissellements sur les bâtiments (poussières urbaines, suies de combustion et d’incinération des ordures ménagères) et les voiries (hydrocarbures).

Cette multitude de sources est l'un des problèmes majeurs pour limiter les rejets de ces produits, d’autant que les mécanismes de leur élimination dans la nature font encore l’objet de recherches. Sur la base d'analyses réalisées entre 2007 et 2009 sur l'ensemble des milieux, ce sont les pesticides qui sont les principaux micropolluants : 91 % pour les cours d'eau et 70 % pour les eaux souterraines

2. Comportement dans le milieu naturel

2.1. Dispersion et circulation

Tout composé, organique ou minéral, peut théoriquement passer dans l’atmosphère : les gaz, les liquides sous forme d’aérosols ou par évaporation et les solides sous forme de poussières, éventuellement piégées dans les aérosols.

Les micropolluants se retrouvent dans plusieurs milieux naturels - eau, air, sols - et ceux qui ne sont ni dégradés ni fixés par le vivant finissent dans les milieux aquatiques.

Un certain nombre de polluants atmosphériques, après un temps de séjour plus ou moins long, retombe à la surface du globe sous forme de dépôts secs ou humides par dissolution et entrainement par les précipitations. Les dépôts sur le sol sont transportés vers les eaux superficielles et souterraines - nappes phréatiques et profondes - par ruissellement, érosion ou infiltration des eaux de pluie.

Suivant leur nature et les conditions du milieu, les polluants se retrouvent dans l’eau à l’état dissous ou particulaire ou en partie dans les deux états. La fraction particulaire sédimente dans le lit des cours d’eau, au fond des lacs ou des mers.

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Représentation des transferts des micropolluants vers les eaux superficielles – INERIS, 2010

2.2. Dégradation et persistance

La plupart des micropolluants sont détruits par des microbes ou des champignons présents dans le sol et par les plantes. Les métaux lourds sont des atomes, ils ne peuvent donc pas être détruits. Par contre, certains microbes les rendent solubles (lixiviation) alors que d’autres, au contraire, les fixent dans le sol.

Les plantes jouent un grand rôle dans la réduction et la dispersion des micropolluants : certaines les extraient du sol et les accumulent dans leur partie aérienne sans les dégrader (ex : métaux lourds), d’autres les dégradent après les avoir absorbés (ex : solvants, pesticides, explosifs). Elles agissent en facilitant la dépollution par les micro-organismes présents dans la zone entourant les racines (hydrocarbures, PCB) et freinent la dispersion des polluants en les rendant insolubles (ex : métaux lourds piégés par l’humus).

Certains micropolluants organiques persistent très longtemps dans la nature : ils sont stables et sans dégradations. Les plus solubles s’accumulent dans les nappes d’eaux souterraines (ex : pesticides) alors que les autres se fixent dans le sol ou la vase et les sédiments (ex : PCB). 

On parle de bioaccumulation lorsque les organismes vivants sont susceptibles de concentrer les polluants dans leurs tissus. Chez les animaux et l’homme, les produits solubles s’accumulent plutôt dans les muscles et les os, les peu solubles dans les graisses. Certaines substances augmentent en concentration au fur et à mesure qu’elles circulent vers les maillons supérieurs d’une chaîne alimentaire : il s’agit de bioamplification.

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Nota 

1 ppm = 1 partie par million = 1 mg/l

Bioamplification de l’insecticide DDT dans une chaîne alimentaire marine (E.U) – Biologie, Campbell 1995

3. Impacts sur la santé humaine et celle des êtres vivants

Les impacts sont variables en fonction de la toxicité des composés et de l’exposition. Les analyses écotoxicologiques permettent de détecter la présence d’un micropolluant par l’observation et la mesure des changements qu’ils provoquent sur un organisme vivant (indicateurs biologiques). L’impact est estimé au niveau moléculaire, biochimique, cellulaire, physiologique ou comportemental. On obtient ainsi une estimation du degré de pollution et de ses effets.

Les analyses écotoxicologiques tiennent compte de l’exposition réelle aux micropolluants et constituent une alarme efficace. On leur doit notamment la mise en évidence de la concentration toxique atteinte par certains micropolluants dans la nature, en particulier ceux qui perturbent le système hormonal des mollusques et des poissons (ex : féminisation des poissons sous l’effet des perturbateurs endocriniens présents dans les eaux sortant des stations d’épuration). 

Outre les possibilités d’atteintes toxiques directes par l’eau de boisson ou de baignade, l’Homme peut subir les effets indirects des atteintes aux écosystèmes aquatiques, dont la plus importante est la contamination des ressources alimentaires d’eaux douces et marines.

L’Homme peut assez facilement se protéger contre le risque direct lié à l’eau (traitement de l’eau potable, choix des lieux de baignade...), contrairement à celui lié à l’air.

En revanche la dissémination des micropolluants dans l’environnement conduit à une contamination générale difficile à maîtriser. La contamination de l’eau est parfois un signe de non-maîtrise de cette dissémination pouvant occasionner des risques pour la santé (air, aliments).

Cas particulier des médicaments
Plus de 3 000 médicaments à usage humain et 300 médicaments vétérinaires sont actuellement disponibles sur le marché français. Les médicaments ont en commun avec les pesticides d’avoir été conçus pour avoir un effet sur les êtres vivants et constituent à ce titre des micropolluants potentiellement plus nocifs que les autres. Les médicaments sont éliminés par le corps humain après avoir été plus ou moins dégradés (en général, on ne connaît pas la toxicité des produits de dégradation). Ils se retrouvent dans les eaux usées. Ces molécules ne sont pas éliminées par les stations d'épuration ni par celles de production d'eau potable qui n'ont pas été conçues pour. La dépollution est inefficace pour 90 % des substances pharmaceutiques qui sont présentes dans les eaux usées. Certains médicaments peuvent également être fixés dans les boues issues du traitement des eaux et on ignore quel est leur devenir en cas d'épandage dans les sols agricoles. La priorité est actuellement donnée à la pollution de l’eau par les antibiotiques, les œstrogènes stéroïdiens, les hypocholestérolémiants et les psychotropes.

4. Cadre réglementaire

La Directive 76/464/CEE du 4 mai 1976 détermine une réglementation générale pour la pollution causée par certaines substances dangereuses déversées dans le milieu aquatique de la communauté. Elle énumère plus de 150 substances réparties en deux listes :

  • liste I : substances dont la pollution est à supprimer ;
  • liste II : substances dont la pollution est à réduire.

La Directive Cadre sur l’eau (DCE) 2000/60/CE du 23 octobre 2000 identifie désormais 45 substances prioritaires, 12 nouvelles substances ayant été introduites dans cette liste par la directive 2013/39/UE du 12 août 2013. Parmi ces 45 substances, 21 sont identifiées comme "substances dangereuses prioritaires". Leurs rejets, pertes et émissions sont à réduire d’ici 2015 et à supprimer dans un délai de 20 ans pour les substances classées prioritaires et dangereuses à compter de la parution de la Directive fille 2008/105/CE du 16 décembre 2008 qui établit les normes de qualité environnementale dans le domaine de l'eau (NQE).

Le Règlement (CE) n° 1907/2006 REACh sur l’enRegistrement, l’Evaluation et l’Autorisation des produits Chimiques, entré en vigueur au 1er juin 2007, vise à améliorer la connaissance sur les substances. Au 31 mai 2018, plus de 20 000 substances chimiques sont connues et leurs risques potentiels établis.

Le texte vise également à :

  • Protéger la santé humaine et l’environnement, notamment concernant les substances "préoccupantes" : cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques - toxiques pour la reproduction -, persistantes, neurotoxiques, bioaccumulables... ;
  • Compléter les données sur les dangers des substances et mieux identifier et maîtriser les risques sur la base d’une évaluation des risques tout au long du cycle de vie de la substance ;
  • Sécuriser la fabrication et l’utilisation des substances chimiques ;
  • Limiter les essais sur vertébrés et promouvoir des essais alternatifs à l’expérimentation animale.

En plus des révisions régulières des codes de l’environnement et de la santé publique, de nombreux arrêtés, circulaires, notes techniques viennent compléter et décliner les règles européennes. Parmi les derniers textes :

La Note technique du 12 août 2016 précise les modalités de la recherche de micropolluants dans les eaux usées traitées et dans les eaux brutes des stations de traitement des eaux usées (STEU). Elle définit également les modalités de recherche des sources d’émission de ces micropolluants en amont des STEU et d’engagement des collectivités dans une démarche de réduction de ces émissions.

5. Acteurs et leurs rôles

5.1. L’Etat

Le Plan national de lutte contre les micropolluants 2016-2021 pour préserver la qualité des eaux et de la biodiversité a vocation à intégrer toutes les molécules susceptibles de polluer les ressources en eau (de surfaces continentales et littorales, des eaux souterraines et destinées à la consommation humaine).

Le premier objectif concerne les actions concrètes à mener pour réduire les émissions de polluants d’ores et déjà identifiés. Le second objectif comporte de nombreuses actions de recherche et développement afin d’identifier les micropolluants présents dans les eaux et milieux aquatiques et de caractériser le danger associé. Enfin, le troisième objectif va permettre de dresser des listes de micropolluants sur lesquels il y a intérêt à agir en utilisant les travaux menés dans l’objectif 2.

Le Plan national Santé Environnement 3 (PNSE3) pour la période 2014-2018 prend en compte la qualité de l’eau dans l’axe dédié à la prévention générale des populations pour les contaminants à large échelle. Il a été établi en lien avec les autres plans et stratégies du domaine santé environnement : stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, plan micropolluants dont les PCB et les résidus de médicaments, plan chlordécone, Ecophyto et stratégie nationale pesticides et santé.

Le Laboratoire national de référence sur la surveillance des milieux aquatiques : AQUAREF. Cette structure est née en 2007 par la nécessité pour les autorités publiques de s’appuyer sur une structure reconnue pour la surveillance des milieux aquatiques :

  • dans la définition et la mise en œuvre des programmes de surveillance (directives...),
  • dans la fixation de certains seuils réglementaires,
  • dans les commissions de normalisation et les groupes européens d’experts.

L’Agence Nationale de SEcurité Sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a notamment pour mission de réaliser l'évaluation des risques sanitaires dans les domaines de l'environnement et de l'alimentation. L’agence réalise des expertises et finance, entre autres, des projets de recherche sur l’exposition environnementale aux agents chimiques comme les perturbateurs endocriniens et les pesticides.

L’Institut National de l’EnviRonnement Industriel et des RisqueS (INERIS) coordonne l’action nationale de recherche et de réduction des rejets de substances dangereuses dans les eaux (RSDE) et finance des programmes de recherches sur les produits chimiques. L’établissement public apporte également une assistance pour la mise en œuvre de REACh et dans le cadre du Service National d'Assistance (SNA) aux acteurs économiques engagés dans une démarche de substitution des substances chimiques comme par exemple le bisphénol A.

5.2. Les collectivités

Pour lutter efficacement contre les substances chimiques, les collectivités sont invitées à multiplier leurs actions, en parallèle du travail réalisé par les services de l’Etat. Elles ont besoin de dialoguer avec le monde scientifique et de repenser les actions menées en matière de gestion de l’eau et de l'assainissement.

Les collectivités exploitant directement ou indirectement les installations de traitement des eaux usées ou d’incinération des ordures ménagères sont amenées à réduire leurs émissions et rejets en investissant dans les meilleures techniques disponibles - MTD.

Exemple : l’Eurométropole de Strasbourg

Suite à un appel à projet national lancé par le ministère du développement durable, les agences de l’eau et l’agence française de biodiversité française sur les micropolluants des eaux urbaines, l’Eurométropole strasbourgeoise a décidé de mener en janvier 2015 le projet Lumieau : lutte contre les micropolluants dans les eaux urbaines. Ce projet a pour objectif d’identifier les sources de pollution (usages domestiques, industriels, artisanaux, hospitaliers, issus de la voirie...) et hiérarchiser leurs impacts sur la ressource. Il doit permettre de construire une palette d’outils innovants pour prioriser les actions à mener et proposer des solutions et des changements de pratique. Dans ce cadre, 3 artisans peintres en bâtiment ont, par exemple, accepté de tester des équipements de prétraitement de leurs effluents, ainsi que des peintures de substitution. Les premières analyses sur ces effluents sont en cours.

Les collectivités disposent des outils juridiques pour préserver et protéger les captages en eau potable des risques liés aux micropolluants. Depuis le 1er janvier 2016, 1.000 captages sur le territoire français ont été déterminés prioritaires par les ministères en charge de l'écologie, de l'agriculture et de la santé. Pour ces captages, une démarche de protection doit être déployée au travers d’un plan d’actions avant 2021.

Les collectivités peuvent également agir sur l’utilisation des pesticides (pratique du « zéro phyto »), sur les espaces publics et les espaces verts.

Exemple : le Grand Lyon

En plus de son travail sur la protection de ses captages d’eau, le Grand Lyon mène une politique de prévention des risques liés aux micropolluants au travers de nombreuses actions :

  • mise en place du “zéro pesticide” en ville,
  • choix d’un mobilier urbain moins émissif en polluants,
  • développement des zones d’infiltration des eaux de pluie, qui ont une action d’épuration et évitent d’envoyer tous les polluants récoltés par les eaux de pluie vers le réseau d’assainissement, tout en réduisant les problèmes liés aux crues,
  • optimisation du traitement des eaux usées dans les stations d’épuration.
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