Par Éric Guérin : docteur en droit public
Dernière mise à jour : octobre 2016

Les personnes morales de droit public, se caractérisent par leurs prérogatives de puissance publique et par les suggestions particulières auxquelles elles sont soumises en raison de la nature de leurs missions. Les personnes publiques se répartissent en deux grandes catégories : celles qui ont des compétences générales sur l’administration du territoire et de la population (l’Etat et les collectivités territoriales) et celles qui ont des compétences spécialisées (établissements publics). Il y a donc plusieurs personnes publiques au sein d’un même Etat. Les personnes publiques sont dotées de la personnalité juridique elles ne sont pas de simple démembrement de l’Etat. Pourtant, l’Etat est la première personne juridique de droit public, il constitue à lui seul une catégorie. La deuxième catégorie est constituée par les collectivités territoriales, qui se distinguent de l’Etat bien que restant sous sa tutelle. Enfin, une troisième catégorie doit être considérée, les établissements publics. Cette dernière catégorie se distingue des deux premières en raison de la spécialisation de sa compétence mais également par le critère rattachement à une collectivité territoriale ou à l’Etat. Il existe également des structures juridiques de droit public qui n’entrent dans aucune des catégories précitées, on parle alors de personne juridique sui generis. Enfin, un développement particulier doit être consacré aux autorités administratives indépendantes. En principe, elles ne disposent pas de la personnalité juridique mais le caractère particulier de leur statut nous oblige à envisager la question de leur personnalité sous un jour plus nuancé.

1. L’Etat

L’État est la forme normale d’organisation des sociétés. Mais appréhender la notion d’État est une question complexe, car l’État est une abstraction ; il constitue un support du pouvoir. A la difficulté de cerner la notion d’État s’en ajoute une seconde qui tient au cadre de l’État, puisque celui-ci peut revêtir des formes différentes. L’Etat se défini d’abord par ses éléments constitutifs : un territoire, une population et une organisation souveraine. C’est sur cette dernière composante que nous allons nous attarder.

L’existence d’une population et d’un territoire ne suffise pas pour qu’un État soit constitué. Il faut en outre que celui-ci dispose d’une organisation politique et administrative souveraine. Ce qui signifie, d’une part, qu’il existe des institutions capables d’imposer leur volonté et, d’autre part, que ces institutions ne soient pas dans un lien de subordination juridique par rapport à un ordre supérieur. Les collectivités territoriales possèdent une population et un territoire, elles disposent également d’institutions, mais elles ne sont pas souveraines. Elles sont effectivement subordonnées à l’ordre juridique de l’Etat. L’architecture des États peut être plus ou moins complexe. Il existe deux grandes catégories d’architecture. La première qui correspond au schéma de la France est celle de l’État unitaire. La seconde catégorie est celle des États composés (Etat fédéral ou Etat régional). Nous nous limiterons ici au model français, c'est-à-dire à celui de l’Etat Unitaire pour en examiner ses principes et déterminer ses modalités d’organisation.

1.1 Les principes de l’Etat unitaire

L’État unitaire est la forme la plus répandue d’État dans le monde. Depuis 1792, la France est un État unitaire. La Constitution de 1792 pose le principe selon lequel « la République est une et indivisible ». La Constitution du 4 octobre 1958 pose elle aussi le principe de l’unité et de l’indivisibilité de l’État. La révision constitutionnelle du 28 mars 2003 a provoqué un bouleversement de nos structures fondamentales. Toutefois, les initiateurs de la réforme ne se sont engagés ni dans la voie de l’État fédéral ni même dans celle de ce qu’on appelle aujourd’hui l’État régional ou autonome et dont on peut trouver des illustrations en Espagne ou en Italie. En effet, les collectivités territoriales restent des collectivités à statut législatif, sans pouvoir normatif autonome, toujours soumises à un certain contrôle de l’État et indépendantes les unes des autres.

A. Le principe de l’indivisibilité

Le principe de l’indivisibilité signifie qu’il ne peut pas exister de pouvoir normatif autonome au profit des collectivités locales. Les collectivités infra étatiques ne disposent de compétences que dans les domaines pour lesquels le législateur leur a expressément transféré cette compétence. D’un point de vue pratique, le principe d’indivisibilité implique que les délibérations des assemblées soient contrôlées par les autorités étatiques (mécanisme du contrôle de légalité).

Le principe de l’indivisibilité n’est pas sans poser certains problèmes, puisque certaines collectivités à statut spécifique peuvent y déroger. Par ailleurs, le principe de l’indivisibilité pose certaines difficultés chaque fois que le législateur veut aménager le statut d’une collectivité particulière (Corse). Il nous faudra donc revenir sur les aménagements au principe de l’indivisibilité pour les collectivités à statut particulier.

B. Le principe de l’unité

Le principe de l’unité implique à la fois l’unité géographique (élément constitutif de l’État), l’unité institutionnelle (des institutions identiques), et l’unité culturelle (peuple français, langue française), de l’État. Comme pour le principe de l’indivisibilité, le principe de l’unité supporte certains aménagements sur lesquels il nous faudra revenir.

En outre, si l’État unitaire repose à la fois sur le principe de l’unité et de l’indivisibilité, il existe deux modalités qui permettent de rapprocher les populations du pouvoir central : la déconcentration et la décentralisation. Ces modalités d’organisation de l’État unitaire feront l’objet d’une définition dans les points qui suivent.

1.2 Les modes d’organisation de l’Etat unitaire

L’organisation de l’État en France repose sur deux principes concurrents, la centralisation et la décentralisation. Alors que la centralisation consiste à confier les tâches administratives aux autorités centrales de l’État, la décentralisation constitue le mouvement inverse. La décentralisation a pour finalité de confier les tâches administratives à des autorités non centrales. Si ces deux modes d’organisation sont concurrents, ils ne sont pourtant pas exclusifs l’un de l’autre. Dans chaque circonscription administrative cohabitent des organes décentralisés et des organes déconcentrés, c’est-à-dire des organes qui ont vocation à représenter les autorités centrales au niveau local. La décentralisation est donc une modalité d’organisation de l’Etat unitaire mais elles constituent des personnes morales de droit public autonome de l’Etat. Dès lors en dehors de la décentralisation les deux modes d’organisation de l’Etat unitaire sont la centralisation et la déconcentration.

A. La centralisation

L’administration centrale a vocation à représenter l’État sur l’ensemble du territoire. Les autorités centrales de l’administration sont aussi les autorités politiques les plus importantes. C’est le Premier ministre qui dirige l’action du gouvernement (art. 21 de la Constitution), et c’est le gouvernement qui détermine et conduit la politique de la nation. Il dispose pour ce faire de l’administration (art. 20 de la Constitution). Chaque ministre est donc placé à la tête de son administration, appelée administration centrale. La pluralité et la sectorisation des administrations centrale s‘inscrit dans le cadre de l’Etat unitaire. Chaque service agit au nom de l’Etat.

B. La déconcentration

La déconcentration est une modalité pratique de la centralisation. Elle consiste à placer à la tête de chaque circonscription administrative un représentant du pouvoir central qui disposera d’un pouvoir de décision propre mais qui agira toujours au nom de l’État. La première autorité déconcentrée est le préfet. Il a pour fonction de représenter dans le département ou dans la région l’ensemble des ministères. A côté du préfet, qui bénéficie d’une compétence générale, d’autres autorités déconcentrées à compétences spécifiques coexistent (recteur d’académie, trésorier payeur général, directions départementales…).

Ces autorités déconcentrées sont toujours nommées (contrairement aux autorités décentralisées qui sont élues) et sont soumises au pouvoir hiérarchique, ce qui permet au supérieur de contrôler l’action de ses subordonnés et de leur adresser des instructions. Les ministres donnent des instructions aux préfets qui eux-mêmes dirigent les services de l’État dans la région ou le département. Au contraire, dans la décentralisation, il n’existe pas de subordination hiérarchique entre les collectivités territoriales et l’État, mais seulement une subordination juridique.

2. Les collectivités territoriales

La Constitution du 4 octobre 1958 consacre dans son article 72 le principe de libre administration des collectivités territoriales. L’article 72 alinéa 2 énonce que les collectivités territoriales « s’administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi ». La Constitution mentionne expressément les départements et les communes et depuis 2003 les régions. La Constitution renvoie au législateur le soin de créer d’autres collectivités territoriales.

2.1 La création des collectivités territoriales

Il ne nous appartient pas maintenant de faire l’histoire de la décentralisation en France mais simplement de rappeler que le statut juridique des collectivités territoriales s’inscrit dans une continuité historique.

2.1.1 Les prémisses des collectivités territoriales

En France la centralisation se confond avec la construction de l’État. Sous l’Ancien Régime d’abord, au moment de la Révolution ensuite, le modèle centralisateur l’a emporté. En effet les « Jacobins », du terme que l’on emploie pour désigner couramment les défenseurs du modèle centralisateur, l’ont emporté sur les « Girondins », qui défendaient alors un modèle d’organisation de type fédéraliste. Les termes de Jacobin et de Girondin servent encore aujourd’hui à départager adversaires et partisans de la décentralisation.

Le 15 janvier 1790, l’assemblée constituante décide du découpage du territoire en départements. Ceux-ci ne correspondent alors à aucune réalité géographique et sont destinés à être le siège des services déconcentrés de l’État. Ils préfigurent cependant les départements en tant que collectivité territoriale. Par la suite, le modèle napoléonien viendra renforcer le triomphe de la centralisation (Constitution de l’an VIII), par la création d’une administration centrale et de l’institution préfectorale.

La Révolution française et les régimes qui se succéderont vont en effet poser les bases d’une organisation décentralisée parallèle à l’organisation de l’État centralisé. En effet, le département est une création de la Révolution de 1789. Par la suite, l’évolution qui se dessine au XIXème siècle consacre une décentralisation croissante. En témoignent les lois du 10 août 1871 relative au département et celle du 5 avril 1884 relative à la création des communes.

L’Assemblée constituante a créé le département par la loi du 22 décembre 1789. Circonscription administrative de base, le département est divisé en districts, en cantons puis en communes. La loi du 26 février-4 mars 1790 divisera le territoire métropolitain en quatre vingt trois départements.

La loi du 22 juin 1833 marque un pas important en direction de la décentralisation en soumettant au suffrage censitaire (seul un petit nombre de personnes sont appelées à voter par opposition au suffrage universel) la désignation des membres du conseil général. La loi du 10 août 1871 va plus loin encore, elle élargit les compétences du département et crée une commission départementale. Le département possède alors une assemblée élue, mais l’exécutif reste entre les mains du pouvoir central en la personne du préfet. Il le restera jusqu’en 1982 quand le président du conseil général deviendra véritablement l’exécutif du département.

La loi du 5 avril 1884 pose les bases de l’organisation communale. Elle uniformise le statut des communes et énonce le principe de l’élection au suffrage universel des conseillers municipaux. Le maire est élu par le conseil municipal. Il est le chef des services de la commune

2.1.2 La consécration des collectivités territoriales

Le principe de libre administration contenu dans l’article 72 de la Constitution ne sera véritablement mis en œuvre qu’à partir de 1982 au travers des lois dites de décentralisation. En mai 1981, F. Mitterrand est élu chef de l’État et nomme au poste de Premier ministre P. Mauroy et G. Defferre, ministre de l’intérieur et de la décentralisation. Fervent partisan de la décentralisation, ce dernier organisera la décentralisation en France au travers de lois qui ont gardé son nom. La plus importante de ces lois est celle du 2 mars 1982 qui assoit les bases de la décentralisation. Par la suite, d’autres textes législatifs viendront compléter la décentralisation en organisant la répartition des compétences entre les différents échelons territoriaux ou en aménageant le statut de la fonction publique territoriale. Plus près de nous d’autres réformes législatives telle que la loi du 6 février 1992 dite d’administration du territoire de la République, celle du 12 juillet 1999 sur l’intercommunalité, ou celle du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, donneront une dimension nouvelle à la décentralisation. Enfin, la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 donne une nouvelle dimension à la décentralisation en revisitant en profondeur les cadres constitutionnels qui régissent les rapports entre l’État et les collectivités territoriales.

Le dispositif législatif sera ensuite enrichi par la loi du 16 décembre 2010 qui porte principalement réforme de l’intercommunalité et par la loi du 17 mai 2013 relatives à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux, des conseillers communautaires. Plus récemment la loi du 27 janvier 2014 refondera les Métropoles et la loi du 16 janvier 2015 redéfinira les frontières des régions.

2.2 Le statut des collectivités territoriales

Il y a décentralisation lorsque le pouvoir central transfère la compétence de prendre certaines décisions vers des personnes morales distinctes. Celle-ci peut être technique ou territoriale. La décentralisation technique se fait au bénéfice des établissements publics (voir plus loin). Ceux-ci ne disposent que d’une compétence limitée à un ou plusieurs domaines bien déterminés. Ils répondent à ce que l’on appelle le principe de spécialité. Par exemple un hôpital ou une université ou encore le Centre national de la fonction publique territoriale. Mais, en France, la décentralisation s’organise principalement autour des collectivités territoriales. La décentralisation géographique renvoie à la notion de collectivité territoriale et de libre administration. Ainsi aux termes de l’article 72 de la Constitution « les collectivités s’administrent librement par des conseils élus ». Le premier principe qui permet de caractériser une collectivité territoriale est donc le principe électif. Ce principe se complète par le transfert de compétences et de moyens.

2.2.1 Le principe électif

Les collectivités territoriales s’administrent librement par des conseils élus aux suffrages universels directs. Le mode de strictement permettant de désigner les élus locaux n’est pas défini par la Constitution. Il appartient au législateur de déterminer quel est celui qui est le plus adapté. En revanche la Constitution garantie pour les collectivités territoriale l’exercice de la démocratie locale au travers de la désignation des élus locaux par le suffrage universel. Depuis la loi du 17 mai 2013 les conseillers communautaires des communes de plus de 2000 habitants sont également désigné par le suffrage en même temps que les conseillers municipaux. Cette élection rend leur désignation plus démocratique mais ne suffit pas à faire des établissements publics de coopérations intercommunales des collectivités territoriales. L’élection au suffrage universel est une condition nécessaire mais non suffisante.

2.2.1 Le transfert de compétences et de moyens

Ces transferts peuvent s’effectuer, selon le cas, de quatre façons. D’une part, le transfert peut s’opérer de façon automatique. Une compétence transférée est attribuée à un niveau territorial déterminé. Par exemple, le département a automatiquement reçu la voirie non incluse dans le décret qui a définit le réseau routier national. D’autre part, le transfert peut s’opérer sur la base d’une démarche d’appel à candidature volontaire de la part des collectivités ou des groupements intéressés par le transfert ; à défaut de candidat, l’Etat désignera les « bénéficiaires » du transfert (par exemple les ports et aéroports). Par ailleurs, il peut s’agir d’une demande d’expérimentation pour des collectivités volontaires d’une catégorie donnée. Enfin, pour certaines compétences, les délégations d’une collectivité à l’autre sont possibles par voie de conventionnement. La collectivité bénéficiaire de la délégation agit alors pour le compte et au nom de la collectivité titulaire de droit de la compétence et lui rend compte des actions menées.

Les transferts de compétences doivent s’accompagner de transferts de services. Ils sont nécessaires à la gestion décentralisée des compétences transférées. Selon le principe selon lequel les moyens suivent les compétences, les services supports des activités transférées sont « récupérés » par les collectivités territoriales bénéficiaires du transfert. Tel a été, par exemple, le cas en 2005, avec le transfert des services de la Direction Départementale de l’Equipement (DDE) lorsque les conseils généraux ont eu à gérer le domaine public routier national que l’Etat a transféré dans le domaine départemental.

Enfin, les transferts de moyens et de personnels se complètent par des transferts de ressources. Par principe, la compensation financière doit être intégrale, concomitante, contrôlée et conforme à l’objectif d’autonomie financière inscrit dans la Constitution par la loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 2004. Selon le principe de la compensation intégrale, les ressources transférées doivent être équivalentes aux dépenses effectuées par l’État au titre des compétences transférées. Toutes les dépenses directes et indirectes, liées à l’exercice des compétences transférées doivent être prises en compte. La personnalité juridique des collectivités territoriales doit être assurée par leur autonomie financière.

Une collectivité territoriale se définit donc par l’exercice de compétences propres (le conseil municipal gère par ses délibérations les affaires de la commune. Il faut noter toutefois que cette vision des collectivités territoriales est remise en question par la suppression de la clause de compétence au bénéfice du département et de la région.

Les collectivités territoriales disposent donc de la personnalité juridique distincte de celle de l’État et de compétences propres. En même temps, elles doivent pouvoir bénéficier de moyens propres à la fois en personnels (fonctionnaires territoriaux) et matériels, mais également d’une autonomie financière. Cette relative autonomie des collectivités territoriales est toutefois tempérée par les nombreux contrôles qui sont exercés par les services de l’État, et par le fait que seul l’Etat a le monopole du pouvoir législatif.

2.2.3 La soumission au contrôle de l’Etat

La loi du 2 mars 1982 a profondément modifié la nature du contrôle qui s’exerce sur les actes des collectivités territoriales (délibérations et arrêtés). Avant 1982, le contrôle des actes était qualifié de « tutelle administrative ». Une fois l’acte transmis au représentant de l’État, celui-ci pouvait l’annuler s’il décelait une illégalité, mais ce contrôle portait aussi sur l’opportunité politique de l’acte. Le contrôle s’exerçait avant l’entrée en vigueur de l’acte. On le qualifiait de contrôle a priori, par opposition au système actuel selon lequel le contrôle s’effectue une fois que l’acte est entré en vigueur, et seulement sur la légalité de ce dernier (on parle alors de contrôle a posteriori). La collectivité pouvait saisir le tribunal administratif pour lui demander d’annuler la décision du préfet mais, en attendant la décision du tribunal l’arrêté ou la délibération ne pouvait être mis en application. Enfin, certaines décisions de la collectivité faisant l’objet d’un contrôle plus poussé puisque celui-ci portait non seulement sur la légalité mais également sur son opportunité. Ces décisions étaient soumises à l’approbation du préfet alors même qu’elles étaient légales. La tutelle administrative a donc été remplacée, à partir de 1982, par un contrôle de légalité où le rôle du tribunal administratif et du préfet sont redéfinis. Le préfet est en charge de la phase administrative de ce contrôle, alors que le tribunal administratif exerce un contrôle juridictionnel sur la légalité des actes qui lui sont déférés (phase juridictionnelle).

3. Les personnes publiques spécialisées : les établissements publics

L’Etablissement public est le résultat de la décentralisation fonctionnelle (par opposition à la décentralisation territoriale des collectivités) qui lui permet malgré un pouvoir de tutelle de disposer d’une certaine autonomie administrative avec ses propres organes de décision ainsi qu’un budget autonome. Cette décentralisation technique a vu le jour par la nécessité pratique de favoriser une gestion efficace par l’autonomie de la structure. L’établissement public répond à des critères précis mais les contraintes juridiques qui pèsent sur lui en font une notion en crise.

3.1 Les critères juridiques de l’établissement public

L’établissement public est un service public personnalisé ou personne publique à vocation spéciale. Les établissements publics disposent à leurs convenances d’organes propres de décisions tels que l’assemblée délibérante (ex. : le conseil d’administration) avec un agent supervisant et exécutant. L’assemblée délibérante possède alors un président, parfois un directeur nommé, ou même les deux conjointement. Cette assemblée accueille le plus souvent des représentants de l’État (le nombre variant selon la personne publique, l’université n’en compte aucun par exemple) ou des élus des collectivités territoriales (CNFPT).

Si les établissements publics bénéficient d’une autonomie certaine, ils sont aussi contraints à un certain contrôle par l’État. En effet, ces EP sont subordonnés à des collectivités dites de rattachement. Lorsque l’EP est local alors il s’agit de collectivité territoriale, mais lorsque l’EP est national on parle de ministère de la tutelle. Les tutelles peuvent être de toutes sortes. Il existe un contrôle financier et administratif notamment. Néanmoins, il faut nuancer ce pouvoir de tutelle, car il est plus ou moins important en fonction de l’établissement. En effet, c’est la loi et elle seule qui le détermine. Enfin, par exception certains établissements publics ne sont rattaché ni à l’Etat ni à une collectivité territoriale. C’est le Cas du CNFPT ou des centres de gestion.

Leurs compétences sont limitativement établies à la différence par exemple des collectivités territoriales (même si la fin de la clause générale de compétence pour le département et la région attenu cette différence). Le non-respect de ce principe a d’ailleurs conduit à plusieurs reprises le juge administratif à sanctionner les écarts hors du champ de leurs compétences d’attribution. C’est d’ailleurs l’avis du Conseil d’État du 7 juillet 1994 qui reste assez souple tout de même (. Selon ce dernier à l’alinéa 1-1 : « Le principe de spécialité qui s'applique à un établissement public tel qu'EDF et GDF signifie que la personne morale, dont la création a été justifiée par la mission qui lui a été confiée, n'a pas de compétence générale au-delà de cette mission. Il n'appartient pas à l'établissement d'entreprendre des activités extérieures à cette mission ou de s'immiscer dans de telles activités.»

3.2 La crise de la notion d’établissement public

Les contraintes du droit sont nombreuses. Elles sont en premier lieu celle du droit interne. De plus, la distinction entre EPA et EPIC contribue à complexifier la catégorie.

3.2.1 Les contraintes du droit interne

La notion d'Etablissement public est en crise depuis longtemps du fait des contraintes du droit interne. La thèse de Roland Drago « crise de la notion des EP », 1950 en est bien l’illustration. Il y souligne que l'Etablissement public ne présente plus d'unité. Il est vrai qu'il y a une extrême variété de la catégorie. Cette crise apparait d’abord dans leurs appellations. On les nomme office, caisse, organisme, agence, établissement... . Il y a également une véritable diversité au niveau de leur dimension. Il existe des différences d’importance considérable entre par exemple la SNCF et le bureau d’aide social d’une commune. La différence se joue ici non seulement dans le nombre d’agents, mais aussi dans la patrimonialité de ces derniers. Surtout, il convient d’établir leur grande

3.2.2 La distinction entre les EPA, les EPIC et les nouvelles catégories juridiques

Depuis peu s’opère une nette distinction entre Etablissement public à caractère administratif et Etablissement public à caractère industriel et commercial, ce qui a pour effet de considérablement augmenter le nombre d’établissements publics, augmentant directement la diversité et par conséquent la complexité des catégories juridiques. Il peut arriver néanmoins que des établissements publics soient dotés de la caractéristique administrative, mais aussi industrielle et commerciale. On parlera alors d’Etablissement public à double visage (ex. : les ports). Beaucoup d’entre eux se transforment même en sociétés anonymes, ce qui est par exemple le cas de la poste. Cela ne fait que discréditer en quelque sorte la notion de l’Etablissement public, à la base créée pour clarifier et rendre plus facile le travail de ce dernier.

La distinction opérée entre les deux Etablissement public s’établit par le service public qu’ils effectuent. Si le service public est administratif alors il s’agira d’un EPA, si le service public est industriel ou commercial, il s’agira d’un EPIC. Cette distinction reste néanmoins complexe et peu nette dans la mesure où elle repose sur la distinction SPA et SPIC. Cette dernière a été dégagée en partie par la jurisprudence. La création de cette distinction met à mal l'homogénéité voulue et nécessaire pour le démembrement. Et l’absence d'homogénéité de la notion d’Etablissement public du à la prolifération anarchique et injustifiée est vivement critiqué dans les rapports établis par le Conseil d’Etat en 1971 (Tricot) et 1985 (Gazier). Ces rapports dénoncent entre autres le caractère fictif de la qualité d’EPIC donné à certains établissements ne faisant ni commerce ni industrie, et ce, dans le but de leur accorder une plus grande liberté de gestion dans leurs affaires. En effet, la création d’un EPIC a pour effet de soustraire l’administration à l’application du droit public.

Aujourd’hui on voit même par la loi du 4 janvier 2002 la création d’Etablissement public de coopération culturelle différente des EPA ou des EPIC par le régime juridique. Mais la loi a aussi créé d’autres catégories juridiques via un régime juridique spécifique. Ces structures nouvelles sont créées par la loi du 15 juillet 1982 sur la recherche. Il s’agit notamment du groupement d’intérêt public (GIP) qui est créé pour éviter les dérives des associations « para-administrative » face au démembrement de l’administration. Ce GIP a pour but des personnes morales de droit public et privé pour exercer des activités ou gérer plus facilement de nombreux domaines comme celui des sports, de la culture, de l’action sanitaire et sociale... C’est d’ailleurs par décision du Tribunal des conflits rendue le 14 février 2000 “ »GIP Habitat et interventions sociales pour les mal-logés et sans-abris » que les GIP deviennent des personnes morales de droit public « soumises à un régime spécifique». Ainsi, les règles appliquées aux GIP peuvent être distinctes de celle appliquée aux Etablissements publics. Mais leur trop grande diversité crée un véritable désordre dans son contenu et la décentralisation fonctionnelle semble encore une fois ici peu efficace.

4. Les Autorités Administratives indépendantes

Les Autorités administratives indépendantes (AAI) apparaissent comme une curiosité juridique. Dernières venues dans un dispositif institutionnel déjà pléthorique, elles y trouvent difficilement leur place. La question est de savoir s’il s’agit d’une catégorie juridique autonome ou d’une variante de l’administration traditionnelle. La question est rendue difficile par le fait que la catégorie n’est pas parfaitement homogène. Toutes ne sont pas dotées des mêmes pouvoirs et de la même étendue de compétence. Il s’agit en fait d’un ensemble assez disparate. Néanmoins on s’accordera sur le fait qu’il s’agit d’une catégorie nouvelle au statut particulier. Pourtant, la question de leur personnalité juridique n’est pas tranchée. Par principe, les AAI n’ont pas la personnalité juridique. Toutefois, certaines évolutions remettent en cause cette solution.

4.1 L’absence de personnalité juridique des AAI

Selon le Conseil d'Etat, « les autorités administratives indépendantes peuvent être définies comme des organismes administratifs, qui agissent au nom de l'Etat et disposent d'un réel pouvoir, mais qui ne relèvent pas de l'autorité du Gouvernement. Elles présentent de ce fait une particularité importante au regard des principes traditionnels d'organisation de l'Etat ». Sur la base de cette définition, le rapport du Conseil d'Etat de 2001 a permis d'inventorier trente quatre organismes administratifs susceptibles d'être qualifiés aujourd'hui en France d'autorités administratives indépendantes (le chiffre est portée désormais à plus de 40) : soit par détermination législative soit par qualification jurisprudentielle.

Il s'agit, d'autorités détenant de véritables pouvoirs de décision par l'intermédiaire de règlements, de mesures individuelles, de propositions ou de recommandations (voir plus loin). Certaines disposent même d’un pouvoir de sanction (même si leur mission se veut plus souple et tend plutôt vers de la régulation). Toutefois, elles sont dépourvues de personnalité morale et sont budgétairement rattachés au gouvernement mais échappent à tous contrôle hiérarchique ou tutelle. C’est précisément la caractéristique de leur indépendance. Cet ensemble de contradiction fait de la catégorie une notion juridique floue.

Structures originales, les autorités administratives indépendantes n'entrent dans aucune des catégories existantes du droit et des institutions administratives. Ce ne sont pas des administrations au sens traditionnel du terme en raison de leur indépendance vis-à-vis du gouvernement mais ce ne sont pas non plus des Etablissements publics puisqu’elle ne bénéficie pas de la personnalité juridique. Elles ont le pouvoir de prendre des décisions dans le cadre d’un litige mais elles ne sont pas des juridictions car ces décisions ne sont pas revêtues de l’autorité de la chose jugée.

La recherche d'un régime juridique regroupant des principes communs à chacune des autorités administratives indépendantes est rendue plus difficile par l'absence de référence constitutionnelle et par le fait que toutes les Autorités n’ont pas strictement les mêmes caractéristiques. Il est néanmoins possible d’établir une série de caractéristiques communes.

- Elles ont un caractère essentiellement public. Elles sont majoritairement animées par des agents publics, financées par les deniers publics et régies par le droit public. Appelées à agir avec une certaine distance par rapport aux rouages de l'Etat, elles en demeurent néanmoins partie inhérente. Elles sont par ailleurs situées au sein, ou auprès de l'exécutif, ce qui les distingue des structures a priori comparables de nombreux pays, qui sont souvent des prolongements du pouvoir législatif. Enfin, elles sont indépendantes du pouvoir judiciaire, même si des magistrats leur apportent régulièrement leur concours. Certes, elles sont pour leurs crédits budgétaires rattachées soit au Premier ministre, soit à un ministre, mais ces modalités d'ordre strictement budgétaire ne signifient pas qu'elles sont des services du Premier Ministre ou d'un ministre : elles ne figurent pas dans les organigrammes et ne sont pas mentionnées dans les décrets organisant les départements ministériels. Elles sont des organismes parallèles aux départements ministériels avec l'organisation que leur donne, pour l'essentiel, la loi.

- Elles sont dotées d'un pouvoir autonome de décision ou d'influence dans un secteur déterminé. La notion d'autorité implique que l'instance ne se limite pas à des activités de conseil ou d'avis, mais au contraire que ses interventions, même quand elles n'ont pas de traduction juridique, s'imposent par leur légitimité. Les autorités administratives indépendantes ne sont pas chargées de l'exécution des décisions prises. Enfin, elles ne constituent aucunement des juridictions et, même si certaines d'entre elles appliquent les règles de la procédure contradictoire, ne sont pas chargées de dire le droit ni de trancher des litiges.

- Elles sont soumises à un contrôle juridictionnel, qui permet d'en assurer l'encadrement juridique en l'absence de pouvoir hiérarchique. Le Conseil d'Etat a su normaliser leur fonctionnement en le soumettant au contrôle de légalité, démarche dont le Conseil Constitutionnel s'est fait l'écho. Cependant, on note une certaine complexité dans la mise en œuvre de ce contrôle. En effet, le juge administratif n'est pas le juge unique des autorités administratives indépendantes. Le législateur a attribué partiellement à la juridiction judiciaire le contentieux du Conseil de la Concurrence et de la COB (Conseil Constitutionnel, 23 janvier 1987). Enfin, leurs avis ne constituent pas des décisions susceptibles d'être déférées au juge ( pour la CADA: CE, 1983, Zanone).

- Leur indépendance se manifeste par rapport au pouvoir exécutif. Elles ne reçoivent d'instruction d'aucune autorité. Cela Constitue une garantie d'indépendance. Les règles concernant la composition de ces instances, les caractères du mandat de leurs membres, ainsi que les régimes d'incompatibilités sont également des moyens d’assurer leur indépendance. Ces dispositions, qui varient considérablement selon les autorités administratives indépendantes, tendent ainsi vers un même but : empêcher ou rendre vaines les pressions ou influences de toutes sortes qui pourraient se manifester à l'égard de ces instances. Cette indépendance s'observe aussi par l'impossibilité de mettre fin aux fonctions des membres avant le terme de leurs mandats : (CE, 07 juillet 1989, Ordonneau, relatif à l'annulation d'un décret mettant fin avant son terme au mandat du président du Conseil de la concurrence). Les mandats des membres des AAI ne sont pas renouvelables et un strict régime d'incompatibilité avec d'autres fonctions est organisé. Une stricte obligation de réserve renforce encore cette indépendance.

4.2 Les prémisses de la personnalité juridique des AAI

Traditionnellement il est donc admis que les AAI n’ont pas la personnalité juridique. Ce point pose problème. En effet, comme fonder l’idée d’indépendance en l’absence de personnalité juridique autonome de l’Etat que les AAI contrôlent. Sur ce point il semble que des évolutions juridiques favorables puissent avoir lieu. D’une part, la juridiction administrative a admit que certaines personnes morales de droit public pouvaient n'avoir ni la nature d'une collectivité territoriale, ni celle d'un établissement public, ouvrant ainsi une troisième catégorie de personnes morales de droit public sui generis au rang desquels figuraient la Banque de France et les Groupements d'intérêt public. D’autre part, la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) n° 2001-692 du 1er août 2001 permet l’attribution de crédits budgétaires (ressources fiscales) à une autre personne morale que l’Etat. Ainsi, est ouverte la possibilité d’une autonomie financière pour les AAI dont le budget relève de l’Etat.

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