Par Philippe Froute
Dernière mise à jour : mai 2019

Richard Musgrave distinguait trois formes d’intervention publique à travers les fonctions d’allocation, de stabilisation et de redistribution des ressources d’une économie1. Dans quelle mesure les collectivités territoriales sont-elles à même d’utiliser la fiscalité locale pour réaliser tout ou partie de ces formes d’intervention ? En d’autres termes, quels sont les instruments fiscaux à la disposition des collectivités pour mener une politique dans ces domaines au sens de la politike, c’est-à-dire de la pratique du pouvoir, qui doit s’entendre comme l’émission de règles appliquées ou contrôlées par les administrations locales ? Ces questions renvoient à un débat plus fondamental relatif à la philosophie des politiques de décentralisation menées en France. Ce débat concerne l’autonomie financière des collectivités territoriales. La première partie de cette fiche présentera les tenants et les aboutissants de ce débat et étudiera dans quelle mesure l’autonomie fiscale nécessaire à la définition et la mise en œuvre d’une politique fiscale s’articule à la notion d’autonomie financière (section 1). La seconde partie de cette fiche dressera un aperçu de l’ensemble des recettes à la disposition des collectivités pour pouvoir mener leur politique (section 2). La dernière partie de cette fiche reviendra sur l’analyse économique des politiques fiscales au regard des théories économiques relatives à la fiscalité optimale (section 3).

1. Les fondements juridiques des politiques fiscales locales

La mise en œuvre des politiques fiscales s’appuie sur un corpus juridique définissant les compétences des collectivités territoriales. La définition de ce corpus a donné lieu à de nombreux débats dont l’un des plus sensibles porte sur la question de l’autonomie financière des collectivités (section 1.1) qu’il convient de ne pas confondre avec l’autonomie fiscale (section 1.2).

1.1. L’autonomie financière des collectivités

L’autonomie financière des collectivités territoriales est un principe juridique récent (section 1.1.1) dont la portée pratique est limitée (section 1.1.2).

1.1.1. Un principe constitutionnel…

Depuis la réforme du 28 mars 2003, l’autonomie financière des collectivités est un principe constitutionnel suite à l’introduction de l’article 72-2. Cette autonomie financière se définit autour de quatre composantes2 :

  • Les collectivités « bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement » ;
  • elles « peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures » et la loi peut les autoriser, dans certaines limites, à en fixer l’assiette et le taux ;
  • « les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources » ;
  • enfin, tout nouveau transfert de compétences doit s’accompagner de l’attribution de ressources équivalentes à celles consacrées à l’exercice de la compétence transférée par l’État.

1.1.2. … à la portée limitée.

En pratique, le principe d’autonomie financière se rapproche plus d’un principe de garantie de non déséquilibrage du budget des collectivités par des décisions du pouvoir central que d’un principe d’autonomie fiscale qui lui porte sur la détermination des recettes et de leur usage. En effet, comme le rappelle le Professeur Jean-François Picard dans son manuel de Finances locales3, le Conseil constitutionnel a déclaré le 29 décembre 2009 qu’il « ne résulte ni de l’article 72-2 de la Constitution ni d’aucune autre disposition constitutionnelle que les collectivités territoriales bénéficient d’une autonomie fiscale ».

Dit autrement, le principe d’autonomie financière stipule que les collectivités territoriales doivent avoir les moyens de financer leurs dépenses sans pour autant qu’elles puissent contrôler entièrement les recettes destinées à financer ces même dépenses, ce qui correspondrait à disposer d’une autonomie fiscale complète. 

1.2. L’autonomie fiscale des collectivités

Si l’autonomie financière a une portée limitée, la portée de cette limitation est encore plus élevée concernant l’autonomie fiscale. En effet, les collectivités territoriales ne possèdent une compétence primaire en matière de recettes qu’au niveau du domaine non fiscal (section 1.2.1). Leur compétence en matière fiscale n’est qu’une compétence dérivée (section 1.2.2).

​​​​​​​1.2.1. Une compétence primaire dans le domaine non fiscal

Les collectivités territoriales peuvent librement créer des redevances et exploiter patrimonialement leur domaine. Parmi les principales redevances on trouve la redevance d’assainissement, la redevance pour enlèvement des ordures ménagères etc. L’existence d’une redevance est subordonnée à l’institution et à l’usage d’un service dont elle sert essentiellement à couvrir les frais de fonctionnement. Ce service doit être institué au profit de bénéficiaires particuliers et non de l’ensemble de la population. La gestion patrimoniale a trait principalement au domaine privé qui comprend essentiellement, des forêts, des terres et des immeubles bâtis qui assurent des revenus à travers la coupe de bois, le fermage ou les revenus issus de la location.

​​​​​​​1.2.2. Une compétence dérivée en matière fiscale

La compétence dérivée en matière fiscale tient au fait que les collectivités territoriales ne sont que les bénéficiaires d’impôts créés par l’État. En pratique, on parlait des « quatre vieilles » : taxe sur le foncier non bâti, taxe sur le foncier bâti, taxe d’habitation et, jusqu’en 2010, la taxe professionnelle (une fiscalité locale de substitution a été mise en place pour compenser la disparition de la taxe professionnelle, il s’agit de la contribution économique territoriale (CET) qui se décompose en cotisation foncière des entreprises (CFE) et cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE),, de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER) et de la taxe sur les surfaces commerciales(Tascom)). On y ajoute un certain nombre d’autres prélèvements fiscaux, directs ou indirects.

2. Les recettes des collectivités

On estime l’ensemble des recettes des collectivités territoriales à près de 240 milliards d’euros pour l’année 2017 (environ 201,6 milliards d’euros de recettes de fonctionnement, 19,4 milliards d’euros de recettes d’investissement et 14,1 milliards d’euros de recettes d’emprunt). Ces recettes peuvent également être décomposées en recettes fiscales (section 2.1), recettes non fiscales (section 2.2) et financements d’origine étatique (section 2.3).

​​​​​​​2.1. Les recettes fiscales

En ce qui concerne les recettes fiscales, celles-ci se décomposent en produit de la fiscalité directe pour près de 60,5% en recettes fiscales directes (section 2.1.1) et pour près de 39,5% en recettes fiscales indirectes (section 2.1.2).

​​​​​​​2.1.1. La fiscalité directe

La fiscalité locale directe se décompose en taxes dites taxes « ménages » (taxe d’habitation, taxe sur le foncier bâti et non bâti) impôts économiques (CFE, CVAE, IFER et Tascom) et taxes d’enlèvement des ordures ménagères (Teom), de gestion des milieux aquatiques et préventions des inondations (Gemapi) ainsi que la taxe additionnelle spéciale annuelle (Tasa).

Selon la DGCL4​​​​​​​, les recettes de fonctionnement des collectivités locales ont progressé de 2,1% en 2017. Les impôts locaux ont augmenté de près de 3% en 2017 pour s’élever à hauteur de 85 milliards d’euros.

​​​​​​​2.1.2. La fiscalité indirecte

La fiscalité indirecte représente une part plus limitée des ressources fiscales des collectivités. En 2017, elle s’élevait à 55,5 Md€.

Il s’agit principalement des droits de mutation à titre onéreux et de la part locale de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Il peut s’agir encore de la taxe sur les cartes grises, la taxe sur l’électricité et la taxe différentielle sur les véhicules de société à moteur. Cette fiscalité est plus dépendante de la conjoncture économique que la fiscalité directe.

​​​​​​​2.2. Les recettes non fiscales

Les collectivités locales possèdent également des recettes non fiscales dont la part tend à diminuer. Parmi celles-ci on trouve principalement l’emprunt (section 2.2.1) ainsi que les fonds structurels européens (section 2.2.2).

​​​​​​​2.2.1. L’emprunt des collectivités

Depuis 2015, on assiste à un mouvement de désendettement des collectivités territoriales. En 2015, l’emprunt des collectivités représentait près de 16 milliards d’euros (soit environ 7% de leurs recettes totales). En 2017, l’emprunt ne représente plus que près de 14 milliards d’euros, soit moins de 6% des recettes totales des collectivités. Les taux d’emprunts varient très fortement selon les niveaux de collectivités. Sur l’ensemble des montants empruntés, le bloc communal est responsable de 2/3 des montants tandis que les blocs départemental et régional représentent 1/6 chacun de ces montants. Rappelons que l’emprunt ne peut être utilisé que pour financer des dépenses d’investissement (voir Fiche 20).

​​​​​​​2.2.2. Les fonds structurels européens

Parmi les autres sources de financement, on trouve les fonds structurels européens dont le pilotage a été confié en France à l’échelon régional. Au niveau européen, il existe cinq fonds. La France n’est éligible que pour quatre d’entre eux : le Fonds européen de développement économique régional (FEDER), le Fonds social européen (FSE), le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) et le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER).

Les deux derniers fonds participent de la Politique Agricole Commune. Les fonds alloués représentent 403 euros par habitants et sont basés sur des projets présentés par les acteurs économiques.

​​​​​​​2.3. Le poids des financements étatiques

Les recettes des collectivités territoriales relèvent pour plus de 41% des transferts financiers de l’État. Ils sont estimés à près de 100 milliards d’euros en 2017. Parmi ces derniers on trouve les concours de l’État aux collectivités territoriales (section 2.3.1) et les dégrèvements et subventions (section 2.3.2).

​​​​​​​2.3.1. Les concours de l’État

Les concours de l’État aux collectivités territoriales (49,1 Mds €), sont essentiellement composés des dotations comme la dotation globale de fonctionnement. Ces dernières sont orientées à la baisse, dans le cadre de la diminution des dotations de l’État. Elles se répartissent pour près de 60% en faveur des communes, 28% pour les départements et à hauteur de 13% pour les régions.

​​​​​​​2.3.2. Les dégrèvements d’impôts locaux, subventions et fiscalité transférée

Les dégrèvements sont des prises en charge par l'État de tout ou partie de la contribution due par les contribuables aux collectivités locales. Cette opération se déroule entre l’État et les contribuables au moment de l’établissement des avis d’imposition ou du recouvrement. L’État prend intégralement à sa charge le coût des dégrèvements et le montant des impayés et verse le produit correspondant aux collectivités locales.

Les compensations sont des allocations annuelles versées par l'État aux collectivités locales pour compenser les pertes de recettes fiscales entraînées par les exonérations et allègements de bases décidés par voie législative. Le mécanisme de compensation dépend de décisions nationales.

L’ensemble des dégrèvements, subventions et transferts représentent la moitié des financements étatiques versés aux collectivités.

3. La fiscalité optimale locale

Au-delà de la question des montants, l’objet de la fiscalité est de permettre aux collectivités territoriales de pouvoir financer leur action de manière efficace (section 3.1). Il s’agit également de proposer une structure de prélèvements permettant d’influencer le comportement des agents (section 3.2). La fiscalité peut également avoir pour objectif de permettre la réduction de la pauvreté ainsi que la correction des inégalités (section 3.3).

​​​​​​​3.1. Une fiscalité efficace

L’efficacité en matière fiscale suppose de déterminer une structure optimale dans la combinaison entre assiette et taux d’imposition tout en garantissant le consentement à payer des populations (section 3.1.1). Il convient également de prendre en compte les phénomènes de concurrence fiscale qui peuvent aboutir à des phénomènes de fuite devant l’impôt ou à des pertes de bien-être pour les administrés (section 3.1.2).

​​​​​​​3.1.1. Fiscalité optimale et neutralité fiscale

Depuis l’article fondateur de Frank Ramsey en 19275​​​​​​​, on sait que la taxation optimale repose sur une politique de taux inversement proportionnels à l’élasticité de la demande pour un bien ou un service donné afin de minimiser les distorsions de comportement. Ainsi, plus les agents économiques auront une élasticité de la demande par rapport aux prix faible, plus il sera possible de pratiquer des taux d’imposition élevés.

La focalisation sur la distorsion de comportement relève d’un principe de neutralité de l’impôt. C’est pourquoi on recommande souvent de privilégier les assiettes plutôt que les taux afin de garantir une efficacité maximale. Ce principe se heurte au fait que la compétence des collectivités territoriales en matière fiscale n’est, comme nous l’avons vu plus haut, qu’une compétence dérivée. Les collectivités n’ont bien souvent que la possibilité de modifier marginalement les taux d’imposition. La récente réforme de la taxe d’habitation avec l’introduction de sa suppression progressive pouvant aller jusqu’à priver les collectivités de l’instrument des taux.

En définitive, les choix offerts aux collectivités pour mener une politique fiscale optimale s’avèrent contraints par la quasi-absence d’autonomie fiscale.

​​​​​​​3.2. Une fiscalité incitative

Ceci est aussi vrai en matière de fiscalité incitative. L’idée de la fiscalité incitative est d’orienter les comportements des agents vers des comportements souhaités or l’absence d’autonomie obère les capacités des collectivités à pouvoir mener de telles politiques (section 3.2.1). Néanmoins, de nombreuses décisions, à la fois des ménages ou des entreprises, vont dépendre de la fiscalité, ce qui permet de réintroduire la dimension incitative au cœur des processus de décision (section 3.2.2).

​​​​​​​3.2.1. Un processus décisionnel contraint…

Comme nous l’avons vu précédemment, seules les recettes non fiscales du type des redevances sont décidées en complète autonomie par les collectivités. Elles sont néanmoins soumises à un critère d’utilisation, si bien qu’in fine, la recette sera subordonnée à la décision des agents directement concernés. En ce qui concerne la fiscalité directe, les principales recettes sont issues d’une fiscalité dérivée ou les collectivités peuvent voter une partie d’un taux d’imposition sans pouvoir modifier l’assiette de l’impôt. Les marges de manœuvre des collectivités pour pratiquer une fiscalité de type pigouvienne sont donc largement contraintes.

​​​​​​​3.2.2. …qui influence néanmoins les comportements individuels

Les fiches précédentes ont néanmoins permis de montrer comment les choix individuels pouvaient dépendre en partie de la fiscalité. C’est le cas notamment des choix de localisation, à la fois des ménages mais aussi des entreprises (voir Fiche 16). Ici, c’est la comparaison entre les choix effectués par des collectivités voisines qui va engendrer un comportement. La fiscalité doit ainsi s’envisager dans un contexte de concurrence fiscale. Au-delà des liens entre les décisions prises au niveau central et celles prises par les collectivités, les interactions entre les décisions prises par les différentes collectivités sont aussi importantes, c’est le cas en matière d’emploi (voir Fiche 19) ou plus largement de développement avec, par exemple, la promotion des outils territoriaux (voir Fiche 18).

​​​​​​​3.3. Une fiscalité redistributive

Au-delà du financement des dépenses et de l’orientation des comportements des ménages ou des entreprises, un troisième objectif de la fiscalité est de constituer un outil de redistribution au sein d’une société afin de permettre notamment de réduire la pauvreté et de corriger les inégalités. Les Fiches 18 et 19 ont traité longuement des dispositifs de correction des inégalités en matière de développement et d’emploi. Nous traiterons ici des débats relatifs aux réformes récentes de la fiscalité locale notamment au travers de la suppression de la taxe d’habitation (section 3.3.1) ainsi que de la correction des inégalités fiscales entre collectivités avec la péréquation (section 3.3.2).

​​​​​​​3.3.1. Fiscalité locale et progressivité

De nombreuses études montrent que la fiscalité n’est pas l’outil principal des gouvernements pour opérer une redistribution des revenus au sein de la population. Une étude de l’OCDE montre en particulier qu’en moyenne, les trois quarts de la réduction des inégalités résulteraient des transferts et seulement un quart s’expliquerait par la fiscalité6​​​​​​​. Lors des discussions relatives à la réforme de la taxe d’habitation, il a été proposé dans un premier temps d’exonérer de taxe les 80% des ménages français sur un critère de revenus. Ceci serait revenu à opérer un transfert des 20% des ménages les plus riches vers les moins aisés. On parle alors de progressivité de l’impôt. Cette proposition a finalement été rejetée pour s’orienter vers une exonération pour la résidence principale de l’ensemble des ménages. Des propositions de réintroduction d’une composante progressive ont été effectuées sans qu’elles aboutissent pour le moment.

​​​​​​​3.3.2. La correction des inégalités territoriales : la péréquation

La correction des inégalités territoriales est un objectif constitutionnel depuis la révision constitutionnelle de 2003 où l’article 72-2 prévoit que « la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l’égalité entre les collectivités territoriales ». La péréquation consiste ainsi à égaliser les situations entre les différentes collectivités.

On distingue deux types de péréquation. La péréquation verticale consiste pour l’État à répartir équitablement les dotations qu’il verse aux collectivités territoriales. La répartition des dotations de péréquation fait intervenir des critères de ressources et de charges qui sont mis en œuvre soit au travers d’un système de parts, soit par le biais d’un indice synthétique. La péréquation horizontale s’opère entre les collectivités territoriales elles-mêmes, les ressources fiscales des collectivités les plus riches étant prélevées au profit des collectivités moins favorisées.

L’ensemble des dotations de péréquation représente près de 10 milliards d’euros. Les trois quarts de ces dotations relèvent de la péréquation verticale, le quart restant relevant de la péréquation horizontale.

  1. ^ Richard Musgrave (1959), The theory of public finance, Mc Graw-Hill, New-York.
  2. ^ Ces composantes sont présentées sur le site vie-publique.fr : https://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/finances-publiques/collectivites-territoriales/ ressources/que-designe-t-on-par-autonomie-financiere-collectivites.html
  3. ^ Picard Jean-François (2013), Finances locales, LexisNexis, 484 p.
  4. ^ DGCL (2018), Les finances des collectivités locales 2018, Etat des lieux, Rapport de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locale, 194 p.
  5. ^ Ramsey Frank (1927), « A contribution to the theory of taxation », Economic Journal, n°37, pp. 47-61.
  6. ^ Joumard et al. (2012), « Tackling income inequality : the role of taxes and transfers », OECD Journal : Economic Studies.
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